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a plus d'incertitude, et les contestations de cette nature cesseront d'assiéger les tribunaux.

C'est dans cette vue que la question a été franchement abordée dans cette cause.

Joseph et Marie-Joséphine Reyman devaient au sieur Camberlyn et à ses cohéritiers, cinq années d'arrérages échus le 18 avril 1806, d'une rente constituée en perpétuel, le 18 avril 1772.

Ils furent poursuivis en paiement de ces arrérages, et attendu leur demeure, de plus de deux années échues depuis le Code Napeléon, on concluait contr'eux à ce qu'ils fussent condamnés au remboursement du capital, en vertu de l'article 1912 du même code.

Joseph et Marie-Joséphine Reyman, offrirent, en première instance, d'acquitter les cinq années de rente dont ils étaient redevables, mais ils se défendirent contre le chef de demande qui tendait au rachat du capital.

On dévine facilement quelle était leur exception; ils ont dit que l'article 1912 du Code Napoléon n'était pas applicable au contrat de rente du 18 avril 1772.

Leur défense ne fut pas écoutée, le premier juge pensa que, d'après le même article, ils étaient passibles de la contrainte au rachat, et les condamna en effet à rembourser le capital.

Leur défense n'était pas favorable; ils devaient cinq années, et comme on le verra dans le disposi

tif de l'arrêt, ils avaient encore laissé écouler deux années pendant le procès sans rien payer; mais étaitce une raison de les condamner au remboursement, si le droit des parties avait été fixé dans le contrat du 18 avril 1772?

Les débiteurs ont poursuivi leur systême devant la Cour d'Appel.

Il est de l'essence du contrat de rente en perpétuel, que le débiteur ait toujours la faculté de racheter le capital, mais qu'il ne puisse jamais y être

contraint.

Tels étaient les principes consacrés et suivis dans la Belgique à l'époque ou la rente, dont s'agit, a été créée; principes qui ont été scrupuleusement observés jusqu'au Code Napoléon.

La nouvelle loi a-t-elle changé les droits des parties? Non, répondaient-ils, car ils dérivent d'un contrat qui les à invariablement réglés.

Si le capital a été aliéné par le contrat, s'il a été aliéné aux conditions qu'il ne serait pas rendu exigible, même en cas que le débiteur négligerait d'acquitter les arrérages pendant plusieurs années aucune loi ne peut ensuite venir déroger à celle que les parties se sont faite, et toute disposition contraire serait entachée du vice de rétroactivité.

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Le retard, du débiteur autorise le créancier à le poursuivre, par les voies de droit, au paiement des arrérages échus, non au rachat du capital; il n'eût pas même été permis de stipuler le rachat, sans vio

ler le principe fondamental du contrat de rente: une telle clause eût été proscrite comme usuraire.

L'article 1912 du Code Napoléon a introduit une nouvelle disposition très-compatible avec la législa-, tion actuelle sur le prêt à intérêt, mais qui répugne à la nature des anciennes constitutions dé rente, régies par d'autres principes.

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Aussi ferait on violence à la nouvelle loi si on voulait rétroactivement l'adapter aux contrats antérieurs. Le législateur a dit la loi ne dispose que pour l'avenir, elle n'a point d'effet rétroactif. (Code Napoléon, article 2.)

Admettre l'article 1912 du Code Napoléon pour des arrérages de rentes constituées antérieurement, ce serait rompre le pacte qui a lié les contractans, améliorer la condition du créancier pour aggraver le sort du débiteur.

Que maintenant celui qui contracte, soit soumis à l'article 1912, il ne peut pas s'en plaindre ; il a connu ses obligations et le droit de son créancier ; il pourra être contraint au rachat du capital, lors. qu'il aura cessé, pendant deux ans, d'acquitter les arrérages; cette peine est tacitement insérée dans son 'contrat. Précédemment, l'acte de rente perpétuelle. en était exclusif.

Les intimés observaient que l'article 1912 du Code Napoléon concernait les anciennes ainsi que les nouvelles rentes constituées, sans que cette disposition pût être envisagée comme contenant un effet rétroactif;

Qu'il ne portait aucune atteinte au contrat, qu'il

n'en changeait pas la nature, mais qu'il posait un terme à la négligence ou à la mauvaise volonté du débiteur, et qu'en cela il ne faisait que consacrer un point de morale sur l'accomplissement des obligations que chacun s'impose ;

Que les moyens de contraindre un débiteur réfractaire sont toujours dans le domaine de la législation, et que le débiteur n'a jamais à se plaindre quand c'est par son fait qu'il donne lieu à la disposition de la nouvelle loi.

Tout le monde sait que les lois civiles n'ont aucun pouvoir sur le passé et qu'elles ne réglent que l'avenir, à moins de disposition précise sur le passé: leges et constitutiones futuris certum est dare formam negotüs, non ad facta præterita revocari, nisi nominatim et de præterito tempore, et adhuc pendentibus negotüs cautum sit. (L. 7, C. de leg. et const. princ.)

Cette maxime doit être sainement entendue; car, juste en elle-même, elle entraînerait beaucoup de confusion si elle était exagérée par exemple, un débiteur, qui a contracté sous l'empire des lois ancien nes, se plaindrait en vain de ce qu'il est exécuté ou exproprié par des formes plus dispendieuses que celles qui existaient lors du contrat, et qu'il ne peut être poursuivi que conformément à l'ancienne procédure, à laquelle il s'était tacitement soumis.

Cependant sa condition se trouve indirectement détériorée; mais c'est par sa faute, c'est par le fait de sa négligence, et le fait du débiteur est au pouvoir de la loi quand il est postérieur à sa publication.

Écoutons la distinction judicieuse que fait Hubérus en traitant la matière de la rétroactivité, tit. de legibus:

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Si la loi ancienne, dit il, établit quelque droit indépendant du fait de l'homme, il n'y a pas de doute que l'événement, qui a eu lieu avant la promulgation du droit, ne doive se régler d'après l'ancien, sans quoi la loi nouvelle, en ôtant des droits acquis, aurait un effet rétroactif; mais si le droit, qui a pris naissance avant la loi nouvelle, a néanmoins encore besoin du fait de l'homme pour être parfait, il est plus vrai de dire que le cas doit être soumis à l'empire du droit

nouveau.

La loi 27, C. de usuris, contient le même principe, d'après lequel, au témoignage de Voet, la prescription pour salaire d'ouvriers a été restreinte, par la jurisprudence, au terme de deux ans, quoique l'action eût pris naissance avant la loi qui en avait raccourci la durée.

C'est par la même raison que la prescription de cinq ans fut appliquée aux lettres-de-change créées avant l'ordonnance de 1673, lorsqu'il s'était écoulé cinq ans depuis cette loi, quoiqu'auparavant elles ne fussent prescriptibles que par le laps de trente ans.

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Il résulte de là une distinction simple et naturelle :

Que, quand le droit a été acquis et consommé par un seul acte; il appartient entièrement au passé; mais que, quand il consiste dans des obligations qui se renouvellent chaque année et qui dépendent du fait de l'homme, la nouvelle loi peut les atteindre, parce que ce fait a lieu sous son empire.

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