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payer cette rétribution, en prouvant que la rupture du voyage est la suite de la force majeure, indépendante de sa volonté, ou même qu'elle nuit à ses intérêts. Dans ce cas même, les frais du courtier d'assurances ou des notaires sont à la charge de l'assuré. (Voyez les Réglemens du Conseil d'état, des 7 nov. 1778 et 6 fév. 1779).

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On sent combien ces principes sont sages et justes. L'intérêt du commerce exige qu'un négociant demeure libre d'abandonner des spéculations projetées, et qui, par l'exécution, pourraient devenir ruineuses. Qui oserait, comme l'observe fort bien M. Locré, faire assurer une expédition maritime, s'il se trouvait ensuite dans l'alternative, ou de perdre la prime, ou de consommer son entreprise, quoique les changemens survenus dans les circonstances dussent la lui rendre désavantageuse? De nouvelles vues, de nouveaux apercus peuvent, d'un autre côté, lui faire connaître des inconvéniens dont il n'avait pas été frappé d'abord, ou des combinaisons plus utiles, plus fructueuses.

D'ailleurs, l'obligation de l'assuré est ici une espèce d'obligation de faire, dont parle le Code civil. Or, il est de l'essence de ces sortes d'engagemens que le débiteur ne puisse pas être contraint de les exécuter, à la charge néanmoins d'indemniser l'autre partie. (Voyez l'art. 1142 du Code civil).

Ainsi, disons avec Pothier, «lorsqu'un arma

» teur a fait assurer son vaisseau pour un certain voyage, si le voyage a été entièrement rompu › avant le départ du vaisseau, quoique par le fait › de l'assuré, la prime ne sera pas due aux assu› reurs, parce que le vaisseau n'étant aux risques › des assureurs que du jour qu'il a mis à la voile, , ils n'ont, en ce cas, couru aucun risque; et si > elle leur avait déjà été payée, ils seront tenus de > la rendre conditione sine causâ, comme l'ayant › reçue indûment.

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» Pareillement, si des marchands ont fait assu rer des marchandises qu'ils se proposaient de > charger sur un certain vaisseau, et que ces mar› chands ayant changé d'avis, le chargement ne > soit pas fait, la prime d'assurance de ces marchandises ne sera pas due aux assureurs, qui » n'ont, en ce cas, couru aucun risque. » (Voyez Pothier, Traité des assurances, no. 179♬ voy. aussi Valin, sur l'art. 37, titre des assurances).

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Néanmoins, ce principe peut recevoir des exceptions; comme si, par exemple, demeurant à Nantes, je faisais assurer sur un navire où je n'ai aucun intérêt, ou je fais assurer des marchandises qui n'y sont pas chargées; le vaisseau part, et j'attends son heureuse arrivée, pour faire ma déclaration aux assureurs que je n'avais aucun intérêt ni aucune marchandise sur le navire dont il s'agit.. Dans ce cas, je dois être déclaré non recevable pour me dispenser de payer la prime stipulée, ou pour en réclamer la restitution: Nemo auditur

allegans propriam turpitudinem. D'ailleurs, je dois subir les peines que méritent ceux qui font faire des assurances après l'événement couru, ou qui, par fraude, font assurer des effets au-delà de leur valeur. (Argument de l'art. 357 du Code de commerce).

Mais nous devons bien faire attention à la manière dont s'exprime la loi, aux termes dont elle se sert; elle dit : Si le voyage est rompu avant le départ du vaisseau. Ces mots signifient, avant le commencement du voyage assuré, avant que la chose qui fait l'objet de l'assurance ait été exposée à la mer, aux risques des assureurs; car, dans une assurance sur le corps, si l'on avait stipulé que le risque commencerait depuis que le navire aurait pris charge, ou serait mis sous charge, et qu'effectivement le navire aurait pris charge, la prime serait acquise aux assureurs, quoique le voyage fût rompu avant le départ. parce que les risques auraient commencé à courir pour le compte des assureurs. -(Voy. Emérigon, tom. 2, pag. 154, S2).

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: Il en serait ainsi dans le cas d'une assurance sur facultés. Si les marchandises avaient été chargées dans les gabares pour être transportées au navire, et qu'ensuite le voyage fût rompu, la prime serait due, parce que ces marchandises auraient couru les risques de la mer pour le compte des assureurs, d'après les art. 328 et 341 du Code de commerce. :

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On serait dans le cas du voyage rompu, lorsqu'avant le départ, le navire prend ses expéditions pour un autre lieu que celui désigné dans la police, quoique ce lieu soit plus près. Cette circonstance n'empêche point qu'il y ait abandon du voyage assuré. Ce n'est pas le cas du voyage raccourci, mais bien du voyage rompu avant le départ; et dans ce cas, dit Casa Regis, disc. 67, l'assurance est nulle, parce qu'il y a changement de destination, etiamsi intrà limites itineris navis se contineat.

Mais quid si l'assurance était annulée pour raison d'une clause prohibée, comme dans les cas des art. 347, 365, etc? Le demi pour cent seraitil également dû aux assureurs? Il faut distinguer : si le motif qui donne lieu à la nullité était ou devait être connu des assureurs, ils n'ont rien à prétendre: Ex dilecto suo nemo potest argumentare ; dans le cas contraire, le demi pour cent leur est dû..

Lorsqu'il y a lieu à l'annulation de l'assurance, et à l'indemnité de demi pour cent en faveur de l'assureur, celui-ci ne saurait réclamer, pour le paiement de cette indemnité, le privilége établi pour la prime par l'art. 191, n. 10. Il en doit être ici comme du cas où le demi-fret est dû. Il ne s'agit, dans l'une et l'autre hypothèse, que d'une indemnité pure et simple, qui ne peut donner qu'une action personnelle, et jamais le jus in re. — (Voy. Valin sur l'art. 24, tit, du fret).

Au reste, et en général, la prime n'est acquise à l'assureur qu'à l'instant où commencent les risques. L'assuré n'est censé avoir promis la prime que sous la condition qu'il y aurait un risque dont elle est le prix. De son côté, l'assureur n'est pas réputé avoir voulu qu'on lui payât cette prime, s'il ne courait aucun risque. Le contrat d'assurance ne fait point produire aux conventions les effets *qu'elles doivent avoir à l'instant qu'il est formé ; il cesse d'exister lorsqu'il est certain que la condition du risque n'aura pas son effet par conséquent, la prime ne doit pas être payée; ou, si elle l'a été par l'assuré, elle doit lui être rendue, sitôt que la chose n'a couru aucun risque.

Mais aussi les assureurs ne sont pas tenus de réstituer la prime, s'ils ont commencé à courir des risques. Il suffit que le voyage ait commencé pour que la prime soit due, quand même il n'aurait duré qu'un moment. Mais nous reviendrons sur ce sujet, en parlant ci-après du voyage allongé et du voyage raccourci, sect. 24°.

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