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cupidités du présent : c'est que le pays perd les grandes forêts qui régularisaient le cours des saisons et des fleuves, c'est que le climat se dessèche et que les fleuves débordent, c'est que le sol se calcine et s'ensable. En vain l'on entasse règlements sur règlements pour arrêter le déboisement, les règlements ne font point repousser autant d'arbres que la production en a fait couper, et le déboisement ne s'arrête point. Le sol et ceux qui le fécondent de leurs sueurs se ruinent, tandis que les propriétaires de forêts s'enrichissent.

Sans doute, le déboisement se ralentira de lui-même; depuis que l'impulsion progressive que les tarifs de 1814 et de 1822 avaient donnée à la production du bois s'est arrêtée, la demande de ce combustible a baissé; de 6,231,607 quint. mét. en 1843, elle est tombée à 6,060,679 quint. mét. en 1844; mais, nous le demandons, ne vaudrait-il pas mieux en finir dès à présent avec le mal que de le laisser s'aggraver encore; n'a-t-il pas causé déjà bien assez de ravages?

Sur la production à la houille, les effets de la protection ont été divers après avoir été, au début, plus nuisible qu'utile aux prodacteurs, le tarif est devenu entre leurs mains un merveilleux instrument d'exploitation.

En 1822, lorsque la protection dévolue aux fers à la houille fut renforcée, les capitaux se portèrent, comme nous l'avons fait remarquer, vers cette branche privilégiée de la production; mais toutes les spéculations ne furent pas heureuses: on était trop pressé de jouir de la prime accordée par le tarif pour donner aux entreprises nouvelles tous les soins qu'elles exigeaient : des usines furent bâties, les unes trop loin du combustible, les autres trop loin du minerai; quelques-unes enfin ne recurent qu'un matériel insuffisant. Il y eut des mécomptes: Decazeville, par exemple, engloutit, sans retour, les capitaux de ses premiers actionnaires'. En excitant brusquement par une prime élevée la production à la houille, la protection occasionna d'abord aux producteurs plus de revers qu'elle ne leur procura de profits.

1 Moniteur industriel du 27 août 1846.

Cependant, à la longue, et malgré la protection, le progrès s'est accompli; il est venu pede claudo comme le dieu forgeron de la fable. Chaque jour, dans nos usines à la houille, le travail se divise davantage et la production s'accroît. En 1819, la moyenne de la production d'un haut fourneau n'était que de 3,200 quintaux métriques; en 1843, les hauts fourneaux au combustible minéral donnaient 27,027. En une année (de 1842 à 1843) la moyenne s'est élevée de près de 4,000 kilog. Sous ce rapport, nos maîtres de forges n'ont plus rien à envier à leurs concurrents anglais. De toutes parts aussi on voit s'ouvrir à leur usage des communications économiques : le haut prix des rails seul retarde le développement de notre réseau de chemins de fer'. Enfin, si la houille coûte eu France un peu plus cher qu'en Angleterre, nous avons à meilleur marché le minerai. De tous points, nos producteurs au combustible minéral se trouvent en état de lutter avec leurs concurrents du dehors.

Comment se fait-il donc que le prix courant du fer demeure encore en moyenne de 15 fr. plus élevé sur nos marchés que sur les marchés anglais? Comment se fait-il que les prix n'aient point commencé à s'égaliser dans les deux pays comme les frais de production? C'est, personne ne l'ignore, parce que les propriétaires de hauts fourneaux s'entendent pour maintenir le prix du fer audessus de sa limite naturelle. Rien de plus facile, grâce au tarif, que de régler ainsi le cours du marché. Le prix moyen en Angleterre s'élevant d'ordinaire à vingt francs et le droit étant de fr. 20 à peu près, avec le décime, nos producteurs peuvent toujours tenir

1 Sur le chemin de Rouen, les rails, coussinets, etc., ont coûté par kilom. 70,000 fr.; si ces rails avaient été achetés en Angleterre, ils n'auraient coûté que 33,000 fr., et en Belgique 43,000 fr.; la différence, dans le premier cas, est de 37,000 fr., et de 27,000 dans le second. Ainsi c'est une moyenne en trop de 32,000 fr. par kilom. L'étendue du réseau étant fixée à 5,000 kilom., l'impôt payé par la France aux maîtres de forges et aux grands propriétaires de forêts s'élève donc à cent soixante millions. (Des chemins de fer en France, par J. Lobet, p. 354).

Consultez aussi, à ce sujet, le travail publié par M. Léon Faucher, sur le monopole des fers, dans le Journal des Économistes, no 56; et une brochure de M. Gustave Brunet, sous le même titre.

leurs prix courants à 35 fr. environ. Depuis quelque temps, le prix ayant monté à 25 fr. en Angleterre, le prix s'est élevé également de 5 fr. en France, bien que cette hausse ne soit point justifiée chez nous au même degré qu'en Angleterre par les besoins extraordinaires de la consommation. Mais, dans notre industrie du fer, ce n'est point l'action libre de l'offre et de la demande qui détermine le prix de la denrée, c'est la volonté arbitraire d'une coalition exploitant un monopole.

La preuve matérielle du fait que nous venons d'énoncer nous est fournie par le cours des actions des hauts fourneaux au combustible minéral. Ces actions se sont, pour la plupart, augmentées d'une prime considérable. Ainsi les forges et les fonderies de l'Aveyron sont colées à 5,900 fr. (capital primitif 5,000 fr.), celles de la Loire et de l'Ardèche à 6,950 fr. (capital 5,000 fr. ). Une telle augmentation de la valeur capitale des hauts fourneaux ne prouve-t-elle pas, d'une manière mathématique, que les profits courants de la production du fer à la houille sont plus élevés que les profits courants des industries non protégées ou moins protėgées? ne prouve-t-elle pas que les producteurs de fer vendent aux prix du monopole au lieu de vendre aux prix de la libre concurrence?

Telle est la situation. Il reste à savoir si le pays voudra la supporter long-temps encore; si, en présence des besoins toujours croissants de son industrie, il consentira à payer un tribut de plus en plus onéreux aux producteurs de fer; s'il consentira à jeter éternellement la meilleure part des fruits de son rude labeur à l'insatiable dieu Teutatès du monopole. Puisse-t-il en finir bientôt avec cette idole exhumée d'un passé barbare! puisse-t-il demander et obtenir le rappel total et immédiat du tarif des fers!

G. DE MOLINARI.

LE

MIROIR AUX ALOUETTES.

IV.

(Suite.)

L'arrivée des Durosnel à Paris eut un air de naturel et de simplicité qui calma toute appréhension de Maurice. Ils s'installèrent comme de coutume dans la propriété qu'ils possédaient aux portes de Paris, à Meudon. - Maurice reçut de sa sœur un accueil des plus rassurants. Il n'eut à défendre la brusquerie de sa fuite que contre une petite guerre amicale, aussitôt finie, où madame Durosnel lui témoigna à peine par une plaisanterie tout inoffensive et bienveillante, singulièrement en dehors de ses habitudes de sévérité, qu'elle était au fait d'une faiblesse qu'elle paraissait excuser. Maurice fut presque décontenancé par cette indulgence surprenante, et il en sut le meilleur gré à sa dévote sœur.

Dès lors, il commença à donner, comme aux années précédentes, une grande partie de son temps à la maison de son beau-frère.

On ne négligea rien pour lui en rendre le séjour agréable : les attentions, les prévenances les plus délicates, les caresses furent employées pour l'attirer et le retenir.

Annette supporta assez aisément les premières absences de Maurice. Elle éprouva même quelque satisfaction à cette solitude qui lui donnait un instant pour se reposer un peu, et respirer au milieu du tourbillon où elle n'avait pas encore eu le temps de se reconnaître.

Mais bientôt, lorsqu'il lui arriva de passer seule ses soirées, de diner seule deux jours de suite, elle s'avisa de trouver le temps un peu long. N'ayant à s'occuper de rien, comme la plupart de ces filles qui jouent l'avenir sur le plaisir de l'heure présente, pour se désennuyer elle tâcha de réfléchir.

« Ceux dont la vie a été remplie par les belles actions, assure le moraliste Persan, ne peuvent pas s'ennuyer dans leur vieillesse. »

Lorsqu'Annette se mit à évoquer les deux phases bien distinctes de sa vie écoulée, la mémoire de son passé honnète l'im-portuna: elle en détourna la tête. L'autre passé, le passé du plaisir, n'était qu'un éclair dont elle était encore éblouie. Elle vit qu'il ne lui avait laissé ni souvenir, ni espoir, mais sécheresse et lassitude d'esprit. Elle s'impatienta aussi bientôt contre celui-ci et voulut fermer les yeux. Mais réduite pour la première fois à creuser sa situation, à s'examiner sans distraction, elle venait de se découvrir une incurable maladie : la satiété.

Elle se trouvait, après tant de fièvres, la bouche amère et pleine de cendres. Le mécontentement d'elle-même l'accablait. Peut-être eut-on pu chercher encore hors de l'ordre moral, ainsi qu'il arrive souvent, une dernière cause de ces tristesses, de ces noires humeurs, dans quelque principe physiologique encore latent, dans le sourd travail de quelque phénomène nouveau : ainsi le premier coup du tonnerre vient expliquer tout à coup les accablantes langueurs, le malaise nerveux qui précèdent l'orage. Dans sa terreur de la solitude, Annette en voulait à Maurice de ses assiduités

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