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avec libéralité, on doit le reconnaître, les nouvelles frontières de la France; mais il n'avait pas réglé la distribution des territoires qui venaient d'être détachés de l'empire de Napoléon. Cette distribution parut devoir être combinée avec des remaniements généraux qui rétabliraient les conditions de l'équilibre européen. Dans cette vue, les huit puissances signataires du traité du 30 mai 1814, s'engagèrent à envoyer leurs représentants à Vienne, afin de « comprendre dans une transaction commune les différents résultats » de leurs négociations, et de les revêtir de leurs ratifications ré»ciproques. » Le traité du 30 mai avait fait la carte de la France. Le congrès de Vienne devait faire la carte de l'Europe.

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Les deux questions les plus importantes, les plus délicates, les plus difficiles que le congrès eût à traiter furent les questions de Pologne et de Saxe. Ces deux questions furent solidaires l'une de l'autre. L'empereur Alexandre occupait le grand-duché de Varsovie, et ne voulait pas s'en dessaisir; le roi de Prusse occupait le royaume de Saxe, et voulait en obtenir à son profit la confiscation, sous prétexte de punir le roi de Saxe de l'appui qu'il avait prêté à la France. L'Angleterre, au commencement, favorisa les prétentions de la Prusse sur la Saxe, mais s'opposa énergiquement à celles de la Russie sur la Pologne; plus tard même, l'opinion publique se manifesta avec tant de force en Angleterre, en faveur du roi de Saxe, que lord Castlereagh fut obligé de se relâcher de sa sévérité première à l'égard de ce souverain. L'Autriche, qui eût été menacée sur sa frontière de Bohême par l'extension réclamée par la monarchie prussienne, combattait les exigences de la cour de Berlin et se montrait disposée à aider à la reconstruction d'un royaume indépendant de Pologne, si elle pouvait réussir à écarter à ce prix le voisinage qu'elle redoutait. Quant • à la France, elle professait une égale sympathie pour la cause de la Pologne et la cause du roi de Saxe. Les cinq grandes puissances, dont les représentants formaient le comité supérieur du congrès, se divisaient donc naturellement en deux camps. La Russie et la Prusse élevaient ensemble des prétentions extrêmes qui réunissaient contre elles l'Angleterre, l'Autriche et la France. La scission alla un ins

tant si loin qu'une alliance secrète, dirigée contre la Russie et la Prusse, fut signée entre les trois autres puissances, le 3 février 1815. Cependant une transaction précipitée peut-être par la rentrée de Napoléon en France termina un conflit qui menaçait de devenir si grave. La volonté la plus inébranlable et la plus puissante était celle de l'empereur Alexandre, la Prusse retira une partie de ses prétentions. La question polonaise fut subordonnée à la question de la Saxe. Le partage de la Pologne fut consacré. Le duché de Varsovie fut érigé en royaume de Pologne. Mais pour apprécier l'esprit dans lequel l'Angleterre et la France accordèrent cette concession il faut lire les réserves que firent les plénipotentiaires de ces deux états. « De toutes les questions qui devaient être traitées » au congrès, disait M. de Talleyrand dans sa note sur les affaires » de Saxe, le roi aurait considéré comme la première, la plus grande, la plus éminemment européenne, et comme hors de comparaison avec toute autre, celle de la Pologne, s'il eût été possible d'espérer, autant qu'il le désirait, qu'un peuple si digne >> de l'intérêt de tous les autres, par son ancienneté, sa valeur, les services qu'il a rendus autrefois à l'Europe, et par son in» fortune, pût être rendu à son antique et complète indépendance.» Lord Castlereagh alla plus loin, et dans une note circulaire adressée au congrès, le 12 janvier 1815, il prenait acte en quelque sorte officiellement des intentions libérales que les puissances annonçaient en faveur de la Pologne.

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Dans le cours des discussions qui se suivent à Vienne, le soussigné a eu occasion de s'opposer plusieurs fois avec force, au nom de sa cour, par des motifs qu'il n'est pas nécessaire en ce moment de déduire, au rétablissement d'un royaume de Pologne, en union avec la Russie, et comme devant faire partie de cet empire.

Le secret de cette alliance fut si bien gardé que l'empereur Alexandre ne la connut pas durant le congrès. On raconte que Napoléon, dans l'espoir de détacher Alexandre de la coalition, la lui révéla pendant les cent-jours en lui envoyant une copie du traité. Alexandre ne pardonna pas cette convention à la France envers laquelle il avait, disait-il, été si généreux. Il s'en vengea dans le traité du 20 novembre 1815.

» Le vœu que sa cour a constamment manifesté, a été de voir en Pologne un état indépendant, plus ou moins considérable en étendue, qui serait régi par une dynastie distincte et formerait une puissance intermédiaire entre les trois grandes monarchies. Si le soussigné n'a pas eu l'ordre d'insister sur une semblable mesure, le seul motif qui ait pu le retenir a été la crainte de faire naître parmi les Polonais des espérances qui auraient pu devenir ensuite une cause de mécontentement, puisque d'ailleurs tant d'obstacles paraissent s'opposer à cet arrangement.

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L'empereur de Russie, ainsi qu'il a été déclaré, persistant d'une manière invariable dans son projet d'ériger en royaume, pour faire partie de son empire, la portion du grand – duché de Varsovie qui doit lui revenir, ainsi que tout ou partie des provinces polonaises qui appartiennent déjà à Sa Majesté impériale; et Leurs Majestés l'empereur d'Autriche et le roi de Prusse, qui sont le plus immédiatement intéressés dans cet arrangement, ayant cessé de s'y opposer, il ne reste plus au soussigné, qui néanmoins ne peut se départir de ses premières représentations sur ce sujet, qu'à former sincèrement le vœu qu'il ne résulte, pour la tranquillité du Nord et l'équilibre général de l'Europe, aucun des maux que cette mesure peut faire craindre, et qu'il est de son pénible devoir d'envisager.

"Mais afin d'obvier autant que possible aux funestes conséquences qui peuvent en résulter, il est d'une haute importance d'établir la tranquillité publique dans toute l'étendue du territoire qui composait anciennement le royaume de Pologne, sur quelques bases solides et libérales qui soient conformes à l'intérêt général, et d'y introduire, quelle que soit d'ailleurs la différence des institutions politiques qui s'y trouvent actuellement établies, un système d'administration dont les formes soient à la fois conciliantes et en rapport avec le génie de ce peuple.

L'expérience a prouvé que ce n'est pas en cherchant à anéantir les usages et les coutumes des Polonais, que l'on peut espérer d'assurer le bonheur de cette nation et la paix de cette partie importante de l'Europe. On a tenté vainement de leur faire oublier, par des institutions étrangères à leurs habitudes et à leurs opinions, l'existence dont ils jouissent comme peuple, et même leur langage national. Ces essais, suivis avec trop de persévérance, ont été assez souvent répétés et reconnus comme infructueux. Ils n'ont servi qu'à faire naître le mécontentement et le sentiment pénible de la dégradation de ce pays, et ne produiront jamais d'autres effets que d'exciter des soulèvements, et de ramener la pensée sur des malheurs passés.

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D'après ces motifs, et pour se joindre cordialement à l'unanimité des

sentiments que le soussigné a eu la satisfaction de voir partagés par les divers cabinets, il désire avec ardeur que les augustes monarques auxquels ont été confiées les destinées de la nation polonaise puissent être amenés, avant de quitter Vienne, à s'engager les uns envers les autres de traiter comme Polonais la partie de ce peuple qui pourra se trouver placée sous leur domination respective, quelles que soient d'ailleurs les institutions politiques qu'il leur plaira d'y créer. »

La Russie, la Prusse et l'Autriche donnèrent leur adhésion formelle à l'esprit de cette note. Dans la réponse de la Russie, datée du 10 janvier 1815, on remarquait les protestations suivantes :

« La justice et la libéralité des principes consignés dans la note anglaise, ont fait éprouver à S. M. Impériale la plus vive satisfaction. Elle s'est plu à y reconnaître les sentiments généreux qui caractérisent la nation anglaise, et donnent la juste mesure des vues grandes et éclairées de son gouvernement.

» Leur conformité avec ses propres intentions, et surtout les développements que le plénipotentiaire de S. M. Britannique a donnés dans cet écrit à des maximes politiques, en les appliquant à la négociation actuelle, ont été envisagés par S. M. Impériale comme très-propres à favoriser les mesures conciliatrices proposées par elle à ses alliés, dans l'unique but de contribuer à l'amélioration du sort des Polonais, autant que le désir de protéger leur nationalité peut se concilier avec le maintien d'un juste équilibre entre les puissances de l'Europe, qu'une nouvelle répartition de forces doit désormais établir.

» L'ambition d'un souverain légitime ne peut tendre qu'à assurer le bonheur des peuples que la Providence lui a confiés, et qui ne peuvent prospérer que sous l'égide d'une parfaite sécurité et par une attitude calme sans être agressive. Nulle force ne peut mieux garantir le repos universel de l'Europe et les vues pacifiques des états, les uns à l'égard des autres, que cette puissance de cohésion qui dérive de l'attachement d'un peuple pour sa terre natale, et du sentiment de la félicité.

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» Tels sont les liens par lesquels S. M. Impériale désire attacher à son empire les Polonais placés sous son gouvernement. Tels sont aussi les vœux qu'elle forme pour voir les mêmes résultats se réaliser dans les états des souverains ses alliés, dont elle apprécie les vues éclairées et les intentions généreuses.

>> En conséquence, S. M. se plait à croire que le système conciliatoire et adapté aux circonstances, qu'elle a suivi dans la présente négociation,

suffit pour bannir toute inquiétude et pour en faire disparaître jusqu'au moindre prétexte, si toutefois la réunion d'une partie de la nation polonaise à son empire, par des liens constitutionnels, avait pu y donner lieu.

Le plénipotentiaire de la Prusse disait le 30 janvier :

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Le soussigné ayant pris les ordres du roi, son auguste maître, sur la note de S. E. mylord Castlereagh, concernant les arrangements des affaires de Pologne, s'empresse de témoigner à S. E. que les principes qui y sont développés, sur la manière d'administrer les provinces polonaises placées sous la domination des différentes puissances, sont entièrement conformes aux sentiments de S. M. »

L'Autriche était plus explicite encore. M. de Metternich écrivait le 21 février 1815;

La marche que l'empereur a suivie dans les importantes négociations qui viennent de fixer le sort du duché de Varsovie ne peut avoir laissé de doute aux puissances que non-seulement le rétablissement d'un royaume de Pologne indépendant, et rendu à un gouvernement national polonais eût complétement satisfait aux vœux de Sa Majesté Impériale, mais qu'elle n'eût pas même regretté de plus grands sacrifices pour arriver à la restauration salutaire de cet ancien ordre de choses.

» Il suffit sans doute de ce fait pour prouver que l'empereur est éloigné d'entrevoir, dans ce qui se rapporte à la nationalité polonaise, un motif de jalousie ou d'inquiétude pour la généralité de son empire. Dans aucun temps, l'Autriche n'avait vu dans une Pologne libre et indépendante une puissance rivale et ennemie, et les principes qui avaient guidé les augustes prédécesseurs de l'empereur et Sa Majesté Impériale elle-même, jusqu'aux époques des partages de 1773 et 1797, n'ont été abandonnés que par un concours de circonstances impérieuses et indépendantes de la volonté des souverains de l'Autriche.

» Jaloux dès lors d'accomplir fidèlement ces nouveaux engagements, et lié par des stipulations expresses au système du partage, l'empereur ne dévia en aucune manière des principes adoptés par les trois cours. Sa Majesté Impériale, ne pouvant régler les formes de son gouvernement sur un ordre de choses abrogé, borna ses soins à veiller au bonheur de ses sujets polonais. L'état de culture et de prospérité de la Gallicie, comparé à ce qu'elle était avant sa réunion à l'Autriche, à ce qu'elle était même avant le règne de l'empereur, prouve que ces soins n'ont pas été vains. >>L'empereur ayant de nouveau, dans le cours des présentes négociations,

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