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Les voilà maintenant qui gravissent une pente; ils montent un large escalier; ils entrent dans une cour déserte. Au milieu se voit la statue équestre de Marc-Aurèle; une de ses mains est étendue dans le vide; César sans sujets! triomphateur sans hymnes! - derrière lui apparaissent dans l'ombre les murs noirs du Capitole.

Non loin de la statue est la roche Tarpéienne. Des débris de son glaive le jeune homme, revenu sur la terre après des siècles, frappe au front le meilleur des Césars. Sous le fer grec le bronze romain gémit comme une cloche funèbre. A ce bruit plaintif et sourd ont seuls répondu le cri du hibou qui veille au sommet du château, le hurlement du chien qui erre dans les ruines de quelque rue éloignée.

Et par des degrés couverts de fange et de gravier, ils descendent vers le forum: c'est la Via Sacra! la route des triomphateurs! - L'arc de Septime-Sévère enterré jusqu'à la ceinture, des colonnes de temple enfouies jusqu'au faite, sortent du sol comme des têtes de condamnés! D'autres débris se dressent hauts, solitaires, élancés comme des squelettes! leurs chapiteaux, leurs fleurs, leur feuillage d'acanthe qui, il y a des siècles, étaient d'une telle blancheur que leur éclat blessait tes yeux, te paraissent aujourd'hui, ô mon Héros! comme des cheveux couverts de boue sur la tête d'un vagabond. Le marbre brisé de leurs flancs tombe et s'en va en poussière, et à l'heure de ton triomphe tu ne peux rien reconnaître, tu ne peux rien nommer!

Sous les restes de ce portique reposent deux malheureux mendiants couverts des lambeaux d'un même manteau. A la pâle lueur de la lune leurs visages semblent des pierres tumulaires; sur leurs bras entrelacés glisse le lézard, et il fuit devant toi comme la feuille sous le souffle de l'automne. En eux, tu as salué sur le forum les restes du peuple romain ! tu les as heurtés du pied, et ils ne se sont point réveillés !

Ton guide te montre une allée d'arbres flétris: là, dort l'ombre du Palatin; là, les corps brisés des divinités, les poitrines fendues des héros de jaspe et de porphire gisent épars sur le sol. Tu as franchi la porte de Titus aux marbres entr'ouverts comme de larges plaies. Quels lieux tristes et désolés! Ici, cependant, le Colisée te parut comme s'il était tout entier; mais le vieillard, saisissant ta main, se prit à rire avec éclat. Dans l'arène silencieuse, sur le sable argenté, au milieu d'arcades rompues et, comme des rochers, couvertes de lierre à leurs sommets, tu as remercié le Destin de l'avilissement de Rome. C'est ici que devait finir ton pèlerinage, c'est d'ici que tu devais aller où des millions d'âmes sont allées avant toi!

Et tout ce que tu as vu autrefois, tout ce dont tu faisais partie toi

même est revenu à ta mémoire. Là, était le trône de César; dans ta pensée tu entends les clairons, les flûtes, les applaudissements et les malédictions! le soleil seul manque à cette scène ! il y manque aussi le velarium, dont la pourpre ondoyante flottait au-dessus du cirque. — La lune éclaire faiblement la foule des ressuscités, qui, devant toi, glissent et disparaissent.

De tous ces bruits divers, les accents d'un hymne résonnent seuls à ton oreille; tu l'as entendu jadis; ce jadis c'était hier; hier les Nazaréens sont morts dans cette enceinte; leurs visages étaient pleins de sérénité comme un soir d'été. Et là où ils sont tombés, s'élève maintenant une croix, une croix noire et silencieuse au milieu de l'arène ! Ton guide a détourné son visage sombre de son ombre paisible. Mais en toi s'éveille un sentiment étrange ce n'est pas de la pitié pour Rome, son deuil suffit à peine à ses crimes! Ce n'est pas la crainte du sort que tu as choisi tu as trop souffert pour connaître la crainte ! Ce n'est pas le regret de ta mère, la terre dans ton sommeil séculaire tu as oublié l'amour de la vie! Mais un visage de vierge, plein de mélancolie et de tristesse, plane au-dessus de cette croix, de cette croix que tu méprisas jadis, car tu as vainement tenté d'en faire une arme de vengeance! Et désormais tu ne veux plus combattre contre elle; elle te semble fatiguée ainsi que toi; son sort te paraît triste comme autrefois celui de ton Hellade; et sous les rayons de la lune tu as senti qu'elle

est sainte à jamais!

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Pourtant tu ne veux pas échapper à la foi jurée! Tu te lèves et tu marches vers le vieillard du désert; il a tressailli, car il a pénétré ton ûme. Il t'entoure de ses longs bras, il t'éloigne pas à pas du signe de la rédemption; et tu le suis lentement comme jadis le suivit ton père. »

« Mais toi, beau, élancé dans ta noire tunique, et tes cothurnes grecs aux pieds, tu t'arrêtes; et les bras tendus vers le ciel, tout ton être vibre sous une aspiration soudaine, immense, et qui résume en elle les mille voix de ton âme !... Et les débris des chapiteaux de Corinthe semblent soupirer avec toi !

Mon fils, il est temps, tu as bu le breuvage que des siècles t'ont préparé, pas une goutte n'est restée! Mon fils, il est temps, l'aube s'approche, nous avons un long chemin à parcourir.

On entend des gémissements sous la terre; il semble que les ossements des martyrs achèvent leur sommeil; il semble que les esprits fidèles au Christ planent dans l'espace; mais au delà du sommet de l'amphithéâtre, au-dessus de toutes ces vo plaintives, un chant plein de gloire retentit.

Dans l'air se révèle une forme d'une blancheur diaphane; autour de

cette forme diaphane flotte tout l'amour de la lune, ses rayons se plient et se replient en l'enveloppant comme des rubans autour de deux ailes

entr'ouvertes.

Tu as levé les yeux vers cette sereine figure. Tu as reconnu des traits anciens mais rafraîchis par la rosée céleste, lumineux sous le souffle d'en haut! Et tu l'as regardée, et dans tes regards il y avait comme un éternel adieu à la beauté!

Une voix appela le vieillard devant la croix comme devant un tribunal; et lui, écrasé sous l'accent de cette voix, baissant ses tempes brunies, il s'avança des portes du cirque. Il grince des dents, il saisit ta main, il s'écrie : « Damné ! damné ! qui pourra me l'arracher! »

Au pied du symbole de la rédemption, quand l'aube allait se lever, quand la lune disparaissait derrière l'amphithéâtre, quand toute l'arène resplendissait de l'éclat des ailes de l'ange, résonna la musique d'un choeur invisible et commença le dernier, le suprême combat, celui qui devait décider de ta tête prédestinée.

Et toi, plus haut que ton tentateur, plus bas que ton ange, tu te tiens sur les degrés de la croix. Sur ton front on ne voit pas la crainte, sur tes lèvres on n'entend pas la prière; tu es comme tu as toujours été : seul dans le monde !

Lui, enfonçant ses pieds dans le sable, appuyant sa tête sur sa poitrine brûlée, il réclame ses droits : « Immortel ennemi! il est à moi, car il a vécu dans la haine de Rome! » Mais l'ange, déployant l'arc-enciel de ses ailes, secouant ses boucles dorées : « Seigneur, il est à moi, car il aima la Grèce ! »

Et l'air s'est assombri sur cette lutte suprême! Tu ressens une agonie nouvelle! Ta vie tout entière n'est plus qu'une attente et un déchirement! Le feu de l'enfer brûle tes pieds; l'éclat du ciel éblouit tes yeux; une foule d'esprits t'entraînent vers l'abime, une autre t'attirent vers le ciel; tantôt une espérance divine s'allume dans' ton âme, tantôt elle s'évanouit; puis elle s'éveille comme une étincelle, puis elle s'éteint de nouveau, et tout devient noir, désert, silencieux comme dans le néant; douloureux, amer, insupportable comme dans le désespoir; faible et misérable comme dans la honte!

n'avoir

O heure destinée à chacun des vivants, éloigne-toi de ma pensée ! Père céleste, si jadis tu as abandonné ton propre fils, c'est pour plus désormais à abandonner un seul de tes enfants! Non! non! aucune de tes œuvres ne doit disparaitre pour toujours!

Lève-toi, fils de la Grèce ! regarde! ton ennemi a caché sa face dans ses mains, et cet antique édifice des hommes a tremblé sous ses vains

efforts. Dans le brouillard du matin, sa forme toujours plus sombresvanouit par degrés ; il agonise la tête appuyée contre la porte du cirque; sa voix s'éteint comme le murmure des eaux éloignées. Cornélia a témoigné pour toi! Cornélia a prié pour toi! et tu es sauvé car tu as aimé la Grèce !

Lève-toi! Entends-tu cette voix qui retentit au milieu du silence des esprits! Aux premiers rayons du jour elle éclate comme un tonnerre, et les parfums des fleurs s'élèvent vers elle !

« Au nom du Christ, va vers le nord; va, et ne t'arrête que dans le >> pays des tombes et des croix ! — Tu le reconnaîtras au silence de ses guerriers et à la tristesse de ses petits enfants; - tu le reconnaîtras aux » chaumières incendiées du pauvre, au palais renversé de l'exilė;

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tu

>> le reconnaîtras aux gémissements de mes anges qui y passent la nuit ! » Va habiter parmi les nouveaux frères que je te donne! - Là, sera ta » seconde épreuve ! Pour la seconde fois, tu verras l'objet de ton amour agoniser transpercé, et tu ne pourras mourir ! Et les angoisses de » milliers d'âmes s'incarneront en toi!

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» Va et aie foi dans mon nom! Ne songe point à ta gloire, mais » au bien de ceux que je te confie! Sois calme devant l'orgueil, l'oppres» sion et le mépris des injustes! Ils passeront, mais ma pensée et toi » vous ne passerez pas !

» Et après un long martyre j'allumerai mon aube au-dessus de vous, je vous donnerai ce que j'ai donné à mes anges il y a des siècles : "" - le bonheur !

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ce que j'ai promis aux hommes du sommet du Golgotha-la liberté ! Va et agis! et alors même que ton cœur se » dessécherait dans ta poitrine, alors même que tu douterais de tes » frères, alors même que tu désespérerais de mon secours, agis! - agis » sans cesse et sans repos! et tu survivras à tous les vains, à tous les » heureux, à tous les illustres! tu ressusciteras, non plus d'un stérile sommeil, mais du travail des siècles! Et tu deviendras un des fils » libres du ciel! »

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Et le soleil se lève sur les ruines de Rome! Et personne ne peut dire où sont les traces de ma pensée; mais moi, je le sais ! je sais qu'elle existe! je sais qu'elle vit !

(Traduction de M. Ate LACAUSSADE.)

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Si nous désirions exposer et discuter avec étendue les délicates et difficiles questions que soulève la constitution du crédit en France, l'intérêt qui attire en ce moment les esprits vers les questions économiques, nous offrirait un prétexte suffisant. Peut-être le tenterons-nous un jour; mais, pour cette fois du moins, nous ne prétendons pas nous engager dans une étude aussi vaste et aussi profonde. Une opportunité plus actuelle nous invite à nous renfermer dans un cadre plus restreint. Il y a quelques jours à peine, on paraissait redouter une crise financière. On s'inquiétait de la diminution menaçante de la réserve de la Banque de France et du rôle que jouerait cet établissement. On le disait à la veille de prendre des résolutions extrêmes. On tremblait presque en pré

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