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yeux des expulsés, la vengeance est devenue une obligation sacrée. Dans la baronnie de Middlethird, un homme déclarait aux commissaires qu'il tuerait le fermier qui viendrait occuper son terrain. Les commissaires lui ayant demandé ce que feraient sa femme et ses enfants s'il était pendu. Je serai mort, leur répondit-il, pour la cause du peuple, et, comme j'ai contribué à nourrir les femmes et les enfants de beaucoup de gens pendus pour cette même cause, le peuple nourrira les miens. Quels progrès sont possibles dans un pays où les ressentiments de l'opprimé envers l'oppresseur se manifestent avec cette sombre violence? Ne doiton pas s'y croire sans cesse à la veille d'une révolution?

Voilà dans quelle situation se trouvait l'Irlande au moment où elle a été surprise par la famine. Quand nous disons qu'elle a été surprise, nous nous trompons peut-être : il y avait long-temps que les hommes du métier, à l'aspect des ruines de l'agriculture irlandaise, prévoyaient la venue de la disette. Il y avait longtemps qu'ils prédisaient, en calculant les progrès de l'épuisement du sol, le jour où la terre d'Irlande cesserait de donner sa moisson accoutumée. Mais on ne les écoutait point, on fermait les yeux devant les images d'un si épouvantable malheur. Aujourd'hui, prévisions les plus sombres se trouvent dépassées pour la seconde fois la récolte a manqué, et, au moment où nous écrivons, le peuple irlandais, comme l'équipage d'un vaisseau désemparé, n'attend plus son salut que de la Providence.

les

S'il ne s'agissait que d'une famine accidentelle, si la pomme de terre, après avoir manqué partiellement l'année dernière, totalement cette année, devait donner de nouveau à l'avenir son produit ordinaire, le gouvernement anglais pourrait ajourner encore la question irlandaise. Il suffirait que l'Angleterre nourrit, pendant six mois, quatre ou cinq millions de nécessiteux en Irlande, et tout serait dit. La dépense ne dépasserait pas les forces du peuple anglais. Mais il n'en est pas ainsi, ne l'oublions pas. Ce n'est pas l'iuclémence d'une saison, c'est l'épuisement du sol qui a suscité la famine de l'Irlande. Si donc rien n'est modifié dans la production agricole, si l'on continue à ensemencer de pommes de

terre les champs qui déjà ont refusé d'en produire, tout nous fait augurer que la récolte pourrira une troisième fois en germe, tout nous fait augurer que la disette se perpétuera en Irlande. Or, la fortune de l'Angleterre cesserait bientôt de suffire à l'entretien d'un work-house peuplé de 8 millions de créatures humaines.

Aussi pensons-nous que le parlement ne s'arrêtera point aux mesures qui ont été prises jusqu'à présent pour assurer la subsistance du peuple irlandais. On sait en quoi consistent ces mesures. Le gouvernement dépense chaque semaine 120,000 liv. st. environ en travaux publics; il crée ainsi des ressources factices à 3 ou 400,000 individus. Non-seulement le remède est insuffisant, mais il est encore horriblement coûteux. L'utilité des travaux en cours d'exécution est fortement contestée; jamais, c'est l'opinion unanime, ils ne donneront le moindre produit au trésor. Autant vaudrait employer les Irlandais à faire mouvoir des Tread-mills. Il faut mieux que ces vains et coûteux palliatifs pour guérir la plaie de l'Irlande.

Il faut aux Irlandais des subsistances et des capitaux, assez de subsistances pour nourrir la population jusqu'à ce que le sol ait produit de nouvelles et abondantes récoltes, assez de capitaux pour rajeunir la vigueur épuisée de la terre.

Si l'on a bien observé les causes qui ont éloigné les capitaux de l'Irlande, on reconnaîtra, croyons-nous, que la première mesure à adopter pour les y faire revenir consisterait dans la suppression totale des corn-laws britanniques. La Grande-Bretagne est devenue, sous l'influence de ces lois iniques, un marché privilégié pour les céréales de l'Irlande, et par là même, la rente des propriétaires irlandais s'est élevée au-dessus de sa limite normale. Si le privilége du marché britannique vient à être supprimé, nécessairement la rente baissera. Or, la rente du sol étant payée, en partie, à des propriétaires absents, à mesure qu'elle deviendra plus faible, l'Irlande perdra moins de capitaux. En outre, les absents, privés désormais d'une portion notable de leurs revenus, seront obligés de se passer du coûteux intermédiaire des middlemen et d'aller gérer eux-mêmes leurs propriétés. Ainsi cessera

le système d'exploitation par intermédiaires qui a occasionné la ruine du sol.

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La seconde mesure à prendre consisterait à accorder aux propriétaires une large subvention applicable à l'amélioration des cultures. M. O'Connell demandait dernièrement que l'Angleterre payât au peuple irlandais une somme de 450 millions pour le dédommager des maux qu'elle lui a causés. Les propriétaires, à leur tour, se sont accordés à dire qu'un prêt à modique intérêt pourrait seul relever l'agriculture irlandaise. Pour qu'une semblable mesure eût une suffisante efficacité, il faudrait probablement que la somme prêtée atteignît au moins le chiffre déterminé par M. O'Connell. Ce chiffre est considérable, mais le gouvernement anglais ne jouit-il pas d'un crédit à peu près illimité? Il suffirait qu'il garantît aux capitalistes un-demi p. 100 de plus qu'ils n'obtiennent en achetant de la rente 3 P. 100 pour que les capi

taux affluassent en Irlande.

Vraisemblablement, les capitaux prêtés ou garantis par le gouvernement anglais prendraient la forme de subsistances pour pénétrer dans l'Irlande affamée. Le blé étant à fr. 34,25 l'hectol. à Dublin, tandis qu'il ne dépasse pas fr. 26,50, à Londres, il y aurait un avantage énorme à envoyer du blé dans les ports irlandais. Ausque le commerce saurait que des mesures suffisantes de salut ont été prises en faveur de l'Irlande, et que, par conséquent, les Irlandais vont être en état de payer le blé dont ils ont besoin, les expéditions se feraient. L'importation du blé abaisserait les prix de toutes les subsistances, et la misère de l'Irlande recevrait ainsi un soulagement immédiat.

sitôt

Sur 6,946,560 hectares de terre, l'Irlande ne compte que 5,257,625 hectares en pleine culture. La surface non cultivée se compose, en grande partie, de terres fertiles dont la production pourrait remplacer celle de la portion du sol que le morcellement a épuisée. Il ne s'agit que de les défricher, et pour les défricher il ne s'agit que d'avoir des capitaux.

Toute la question est là. Nous ne pensons pas que l'Angleterre puisse se refuser plus long-temps à la résoudre; nous ne pensons

pas qu'après avoir dépensé 500 millions pour racheter de l'esclavage les nègres de ses colonies, elle puisse refuser d'en garantir 750 pour racheter les Irlandais de la mort.

Mais qu'elle se hâte! Chaque minute de retard aggrave le danger. Quelques hésitations de plus, et le moment sera passé où le salut de l'Irlande était encore possible. La famine aura fait son œuvre. L'Irlande aura terminé son agonie en envoyant à l'Angleterre sa dernière malédiction.

G. de MOLINARI.

LE

MIROIR AUX ALOUETTES.

VI.

(Suite et fin.)

Mais les premiers soins, si prompts qu'ils fussent, ne purent préserver M. de la Mothe-Houdan des conséquences de cette atteinte chez les complexions lymphatiques, ces secousses sont souvent plus redoutables encore que pour un tempérament sanguin. Maurice en quelques minutes avait vieilli de dix années; il devait garder à jamais les traces indėlėbiles de l'attaque de paralysie apoplectique à laquelle il avait échappé : une hébétude vague éteignit son regard; le tremblement des mains et quelque difficulté de s'exprimer, difficulté qui devenait plus pénible sous l'empire de la moindre émotion un peu vive, furent les seconds et incurables symptômes de son mal funeste.

Sa maladie fut longue et continua les rudes épreuves d'Annette.

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