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C'est, du reste, un spectacle également intéressant et philosophique que celui offert à l'Europe par ce peuple qui, supportant avec dignité les mauvais coups de la fortune et les injustices du sort, n'a point désespéré de lui-même alors que toute l'Europe semblait désespérer de lui.

Le Vie de BEAUMONT-VASSY.

DE QUELQUES BESOINS

DE

L'ENSEIGNEMENT SCIENTIFIQUE.

Dans nos institutions sociales, comme dans la nature, les corps qui ont de la vie et de l'avenir naissent faibles et petits, mais se développent peu à peu et tendent sans cesse à se compléter. Les arrêter dans leur croissance c'est les rendre languissants et stériles; souvent même c'est les frapper de mort, et pour en tirer des profits durables il faut avant tout pourvoir à leurs besoins légitimes.

La faculté des sciences de Paris a commencé de la sorte. Dans la pensée du législateur elle ne devait prendre place qu'à côté des lycées, et sa mission était de rendre accessible à tous l'enseignement scientifique que l'université donnait déjà à ses élèves casernés. Cependant, organisée de la main de Cuvier, elle reçut en naissant une constitution des plus fortes. Aussi a-t-elle grandi rapidement; et bientôt, devenue célèbre par la gloire de quelques hommes d'élite, nos prédécesseurs et nos maîtres, l'a-t-on vue exercer sur toute la jeunesse, studieuse une influence puissante.

Mais les devoirs qu'elle avait à remplir ont grandi plus rapidement encore; et aujourd'hui, sans être déchue du rang où des professeurs tels que MM. Thénard, Gay-Lussac, Biot, Poisson, Lacroix, Haüy, Brongniart, Mirbel et Geoffroy Saint-Hilaire l'avaient élevée, elle se sent impuissante à donner tout ce que la société lui demande à juste raison, et elle réclame du pays les moyens d'action qui lui manquent. Pour une école scientifique, comme pour la science elle-même, la vie c'est le progrès. Condamner la faculté à rester immobile, quand autour d'elle tout avance et se perfectionne, c'est donc vouloir qu'elle dépérisse et qu'elle meure.

Aujourd'hui, en effet, on comprend partout que la science est une force. On a vu que l'étude exclusive des formes du langage et des idées d'autrefois laisse par trop de vide dans l'esprit des élèves. L'expérience a montré que pour donner de la sûreté au jugement il était bon d'habituer les jeunes intelligences à l'examen des choses aussi bien qu'à l'arrangement des mots. L'instruction scientifique est devenue même une des nécessités de notre état social. L'industrie, qui jadis se contentait toujours des leçons péniblement acquises par une longue pratique, appelle maintenant à son aide les données de la théorie, et sait profiter des abstractions de la haute science. Il est peu de carrières où des connaissances positives et générales ne soient devenues un élément de succès. La science, je le répète, est aux yeux de tous une puissance véritable, et cette puissance, chacun veut y avoir part suivant la mesure de ses besoins.

C'est en grande partie à l'action de nos facultés que ce résultat est dù.

En 1807, lorsque l'empereur créa ces hautes écoles, l'instruction scientifique n'était que peu répandue en France. Au milieu des orages de la république les études n'avaient pu suivre un cours régulier, et depuis long-temps la défense de la patrie absorbait toutes nos forces. Les hommes sortis de l'enceinte privilégiée de l'école polytechnique montraient bien à la nation tout entière comment la science grandit ses adeptes; mais le public ne pouvait puiser à la même source et ne ressentait que peu l'influence

de l'éducation scientifique récemment fondée dans les lycées impériaux. Il était donc à craindre que l'élite même de la société ne restat indifférente à des études qui lui étaient demeurées étrangères, et il fallait chercher à lui donner tout à la fois le moyen de savoir et le désir d'apprendre.

C'est de la sorte que la Faculté des sciences a compris son rôle, et elle a rempli noblement sa mission.

J'en appellerai aux souvenirs de tous ceux qui suivaient, il y a trente ans, les cours du collège du Plessis. Il n'est aucun de mes anciens condisciples qui ait pu oublier cet enseignement élevé mais facile qui s'emparait si fortement de tous les esprits, et qui faisait naître le goût des sciences avant d'en montrer les difficultés. Souvent c'était par désoœuvrement que mes jeunes compagnons d'étude entraient dans l'amphithéâtre de chimie, mais ils n'en sortaient jamais sans éprouver le désir d'y retourner. C'est là que beaucoup d'entre nous ont appris à aimer la recherche du vrai et à comprendre la puissance de l'expérimentation. Tous les professeurs, on le pense bien, n'avaient pas la parole vive et entrainante de M. Thénard; tous ne savaient pas, comme mon illustre collègue, populariser la science sans la faire descendre des hauteurs où ses propres travaux avaient contribué à la faire monter. Mais tous savaient exciter la jeunesse au travail; tous, par leurs conseils ou par leur exemple, nous engageaient sans cesse à entreprendre des études approfondies, et à entrer même dans la voie si féconde des recherches positives. Geoffroy Saint-Hilaire, entre autres, créait pour ainsi dire des naturalistes, tant ses conceptions, larges et hardies, charmaient l'imagination de ses élèves. Il nous communiquait l'ardeur dont il était lui-même animé, et je ne puis me rappeler sans émotion l'encourageant appui que ce grand maitre accordait à tous ceux qui voulaient étudier sérieusement.

Chaque année la faculté voyait de la sorte se renouveler devant elle une foule nombreuse et avide de connaissances positives. Des hommes d'un âge mûr, appartenant aux classes les plus élevées de la société, des savants étrangers, quelquefois même de simples ouvriers, se pressaient sur ses bancs au milieu d'une multitude de

jeunes étudiants. Appelée à propager le goût des sciences exactes et à donner au pays une instruction scientifique élevée, elle s'est montrée digne de sa mission; mais, placée au premier rang dans l'université, elle avait aussi d'autres devoirs à remplir : il lui appartenait de perpétuer l'enseignement des sciences, et d'ouvrir aux étades scientifiques des voies nouvelles en rapport avec les besoins de la société.

Pour former des hommes de science et pour assurer, en ce qui la concerne, l'avenir du corps enseignant, la faculté avait entre les mains deux moyens d'action, les leçons qu'elle donnait au public et les épreuves qu'elle imposait à ses gradués.

Cette influence a paru insuffisante. Les rapports de la faculté avec ses élèves commençaient et cessaient avec ses cours. Elle a pensé qu'il ne devrait pas en être ainsi, et depuis long-temps elle voudrait ajouter à son enseignement oral d'autres sources d'instruction.

Ainsi en 1837, M. Thénard, parlant au nom de tous ses collègues, demandait la création d'une bibliothèque spéciale, sorte de cabinet de lecture scientifique où l'élève, sans sortir de la faculté, pourrait compléter les notions qu'il vient de recevoir dans nos cours et lever sans retard les doutes qui ont surgi dans son esprit. La faculté demandait que cette bibliothèque, ouverte le soir aussi bien que le jour, renfermât de chaque ouvrage autant d'exemplaires qu'il en faudrait pour satisfaire aux demandes habituelles; que l'on put y trouver les journaux scientifiques les plus importants de l'Europe et de l'Amérique; enfin que sous aucun prétexte on ne laissât emporter un seul de ces livres par qui que ce fût, pas même par les professeurs de la faculté. L'utilité d'une pareille création était manifeste. Quand en sortant de l'amphithéâtre on peut éclairer un doute ou compléter une idée, et qu'il suffit pour cela d'entrer dans une bibliothèque voisine, on le fait. Faut-il attendre au lendemain, aller ailleurs, on oublie, et le temps qu'on aurait consacré à de sérieuses études se perd trop souvent en de frivoles amusements. Quand on voit à quelles séductions de toute espèce sont exposés

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