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Mais les obligations d'une austère économie et les détails immenses d'une administration spirituelle aussi étendue que celle du monde chrétien n'avaient pas fait perdre de vue à Pie VII les embellissemens de cette reine des cités, de cette héritière de la ville éternelle dont la prospérité trouvait des ressources inépuisables dans le concours et la curiosité des étrangers. Dans ce genre de magnificence la pénurie du trésor laissait à Pie VII moins d'exemples à imiter qu'à envier. Ne pouvant suivre les traces de ses fastueux prédécesseurs, et dans l'impuissance d'ér ger des chefs-d'œuvres nouveaux, Pie VII se contenta d'apporter tous ses soins à restaurer et à conserver les superbes monumens de Rome ancienne et de Rome moderne. Par ses ordres, l'arc de Septime Sévère, ceux de Titus et de Constantin, presqu'entièrement couverts du limon des siècles et dégradés par les ravages du temps, furent déblayés et reparurent dans tout leur éclat au-dessus du sol antique sur lequel se faisaient traîner autrefois les triomphateurs.

Le maintien des rapports qui lient la morale à la religion ne pouvait échapper non plus à la sollicitude éclairée du Saint-Père; il gémissait depuis long-temps du scandale devenu épidémique en Europe et qu'offrait l'indécence des vètemens d'un sexe qui ne trouve pourtant sa plus

belle parure que dans sa modestie; un bref rappela avec force les préceptes de la morale évangélique et combattit ce désordre pour en arrêter au moins les excès.

Le souverain Pontife allait prouver au monde que s'il était doux et modéré par caractère, il n'en était pas moins ferme dans ses principes de justice.

Naples, à la suite d'une révolution qui avait entraîné l'expulsion des Français et amené l'établissement de l'autorité royale, Naples avait vu couler sur des échafauds le sang de nombreux partisans de la liberté, immolés par une junte d'état. Parmi ces victimes, on avait remarqué des moines, des professes, des prélats, des évêques recommandables par leur savoir, même par leurs vertus, et que rien n'avait pu garantir de la fureur d'une réaction. L'âme de Pie VII en fut profondément émue, et le Pontife déploya à cette occasion le caractère et la vigueur qui allaient devenir si nécessaires au chef du monde chrétien.

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<< De quel droit, écrivit-il au roi de Naples, <«< de quel droit un tribunal séculier, dans un « pays catholique, a-t-il fait périr tant de mi«nistres de l'autel, et même des oints du Sei<«< gneur; tandis qu'on ne punit pas les vrais cou«pables, ceux qui d'une main sacrilége ont

« spolié les églises et porté de toute part la dé~ « solation et la mort? Comment a-t-on pu sup<< primer tant de monastères et s'approprier leur « bien sans le concours de l'autorité pontifi<< cale?»>

Le gouvernement des Deux-Siciles répondit que ce n'était point au roi mais aux deux prélats chargés de présider la junte à justifier la conduite de ce tribunal extraordinaire. Peu satisfait de cette réponse évasive, le Pape excommunia l'archevêque de Capoue, Gervasi; l'évêque Torrusio, vicaire apostolique de Naples, et trois autres évêques qui avaient prononcé tant d'arrêts sanglans.

Cet acte de rigueur pontificale, aussi conforme aux principes de l'humanité qu'à ceux de la religion, irrita de nombreux agens des vengeances du gouvernement napolitain; mais il fut généralement approuvé par les bons catholiques que n'aveuglaient point la passion ni la haine.

Ainsi le gouvernement de Pie VII offrait cet heureux mélange de modération et de vigueur, de sagesse et d'équité, signes certains de l'ascendant d'une âme noble et pure, qui veut le triomphe de la religion, de la morale et de la justice.

Cependant les regards du souverain Pontife se portaient avec inquiétude sur la France, autrefois

la fille aînée de l'Eglise ; sur la France, où la religion s'était refugiée dans les chaumières et ne se rattachait plus au centre commun de la chrétienté.

Intimidés par la terreur, séduits par de fausses maximes, les Français, dans des jours de délire, avaient paru méconnaître les bienfaits de la religion sainte. Le peuple s'était soumis pendant le cours de la révolution à n'être que l'instrument des partis qui s'étaient emparés successivement du pouvoir; mais le corps de la nation était toujours resté catholique. Chassée de ses temples, la religion était restée vivante dans le sanctuaire des consciences, et la majorité des Français désirait la revoir dans sa première splendeur.

Cette disposition prédominante de la nation ne put échapper à Buonaparte, quand revenu d'Egypte en fugitif il s'empara du pouvoir, aidé par le concours de toutes les factions. Il songea presque aussitôt à se servir de l'influence d'une autorité surnaturelle, de la religion enfin, qui peut seule suppléer à l'insuffisance des lois. D'ail leurs, le retour de l'ancien culte ne pouvait que préparer celui d'un gouvernement plus naturel aux grands Etats, plus conforme aux habitudes de la France, et surtout aux vues du chef ambitieux qu'elle venait de se donner. Bientôt l'Italie reconquise à Marengo avec une incroyable

rapidité, contempla avec une inquiétude mêlée d'effroi, ce conquérant dont les desseins n'étaient point encore soupçonnés. On craignit à Rome que le rétablissement de la république Cisalpine ne fît naître le projet de ressusciter aussi la république romaine; mais bientôt se dissipa le sentiment d'inquiétude inspiré par cette désolante perspective.

Ce fut au milieu du carnage que Buonaparte conçut, dit-on, l'idée de rétablir en France la religion, qui, pendant quatorze siècles, en avait fait une monarchie très-chrétienne. Du champ de Marengo, il ouvrit des négociations avec le Saint-Père, dans le dessein d'établir d'une manière complette et solide le nouveau système de l'église gallicane. Il chargea le cardinal Martiniana, évèque de Verceil, d'assurer le nouveau pontife de son respect pour le saint-siége, et du désir dont il se disait vivement pénétré de faire refleurir la religion en France; il le chargea en même temps de supplier le Saint-Père d'envoyer des députés à Paris pour préparer un concordat. Ces mêmes protestations, accompagnées de la même demande, furent peu de temps après réitérées par un ambassadeur. Mais quelle confiance Pie VII pouvait-il avoir dans la sincérité d'un soldat conquérant qui, renégat et apostat en Egypte, s'y était montré aux yeux des peuples comme un

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