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cessé de demander Rome, Rome, entendez-le bien, et non pas seulement les Romagnes.

Ah! je ne m'étonne point qu'un journal, que je ne nomme pas, qui marche aujourd'hui à la tête de cette politique, et qu'on voit, Monsieur, aux premiers rangs de ceux qui applaudissent votre brochure, se soit écrié, après l'occupation des Romagnes : « Ce n'est là que la première étape; » puis, regardant Rome : « La seconde mènera plus loin. » Et un autre : « C'est un premier pas, mais un grand pas! »

Depuis ce temps, tout a marché à souhait : toutes les étapes ont été faites, et il ne reste plus qu'un pas à franchir.

Non, il n'y a eu qu'un homme de franc dans tout cela, c'est Garibaldi. Lui, du moins, a parlé clair :

<«< Il faut extirper de l'Italie le chancre de la Papauté... Il faut << exterminer ces robes noires (1).

« C'est à Rome, c'est du haut du Quirinal qu'il faut proclamer <«<le royaume italien, etc., etc. (2). »

Et ce n'est qu'à la suite de Garibaldi, qu'au Parlement de Turin, on a fait, enfin, courageusement, à la tribune, le serment de ne pas s'arrêter en si beau chemin (3). Ce n'est qu'après avoir versé impunément le sang français à Castelfidardo, que M. de Cavour a pu, enfin, s'écrier à la tribune : « Nous voulons pour capitale la Ville éternelle, et nous y serons dans six mois (4)! » Et déjà, dans cette fameuse séance où il fit juge le Parlement entre

(1) Lettre aux étudiants de l'Université de Pavie.

(2) Proclamation au peuple de Palerme.

(3) Séance du 13 avril 1860, rapport de M. Ferruco sur le décret touchant l'annexion des provinces de l'Italie centrale.

(4) Séance du 11 octobre 1860.

Garibaldi et lui, arrivé dès lors au but, ou peu s'en faut, M. de Cavour n'avait pas hésité à dire le mot : « Ces mémorables « événements ont été la CONSÉQUENCE NÉCESSAIRE de notre poli«tique, - non pas depuis six mois, mais DEPUIS DOUZE

«< ANS (1)! »

Et c'est après tout cela, Monsieur, que vous osez bien nous dire, en accusant le Pape, qu'il n'y avait là qu'une question de réformes, et qu'il n'a pas manqué autre chose au Pape pour se gagner les sympathies! Et parmi tous ces Italiens malades de la peste révolutionnaire, c'est le Pape qui est le grand coupable, c'est lui qu'il faut immoler!

Il est vrai, le Gouvernement de l'Empereur a proposé le système du Vicariat de Victor-Emmanuel. Je pourrais vous demander, Monsieur, si vous conseilleriez à l'Empereur M. le Prince de Joinville pour vicaire de l'Algérie. Mais à quoi bon? Dans le Livre jaune, dont votre écrit est le commentaire, je lis une dépêche par laquelle M. de Cavour repousse ce système. Le proposer au Pape, lorsque l'Italie n'en voulait pas, n'était qu'une amère dérision.

Ici se place un projet, qui nous est révélé pour la première fois, le projet d'une garantie des puissances catholiques. Ce projet paraît plus raisonnable; cependant la réponse du Pape, que vous appelez curieuse, me semble plus raisonnable encore. Elle se borne à ceci :

<< Comment pouvez-vous me garantir une partie, quand votre garantie ne m'a pas empêché de perdre l'autre? Que valent ces garanties, en face d'un adversaire assuré de l'impunité, s'il les viole?

(1) Les Débats, 5 octobre 1860.

Je veux bien des réformes, mais des réformes libres. Je veux bien d'une ressource, si elle peut se rattacher à quelqu'ombre d'un droit; je ne veux pas d'une pension qui serait une charité précaire. Je veux bien une armée, mais je préfère la former moimême; je veux des défenseurs, non des gardiens

des Italiens

et des Catholiques volontaires, non des étrangers en garnison. Je consens à être protégé, mais je préfère essayer d'être indépendant. >>

Si c'etait là une illusion, convenez-en, elle était noble. Un emprunt, une armée, des réformes libres, en un mot, un gouvernement de droit commun, se suffisant à lui-même, voilà ce qu'a souhaité le Pape, voilà ce qu'il a tenté, avant de recevoir l'aumône et les garnisons des puissances.

Il a échoué, dites-vous. Nullement : il a réussi à réunir des fonds, à se donner un des premiers généraux de l'Europe, tout ce qu'il fallait pour permettre à la France de se retirer bientôt, sans laisser place à une révolution intérieure.

C'est là particulièrement où vous voyez, Monsieur, le triomphe de l'esprit de parti.

Vous avez des paroles de dédain contre nos Bretons, parce qu'ils sont d'un pays où l'attachement à la vieille monarchie a duré avec la foi. On a fait à Rome, dites-vous, un petit Coblentz. Est-ce bien sérieux? Je vous défie de prouver qu'on ait rien tenté contre la France; je connais des légitimistes qui ont été blessés, au contraire, du mauvais accueil qui leur a été fait, tant le gouvernement romain était préoccupé du soin d'éviter tout ce qui pouvait mêler les réminiscences intempestives de la politique au noble élan de la religion. Mais enfin, il y avait des légitimistes, cela est vrai, dans l'armée du Pape ; comment s'en

étonner? N'est-il pas plus surprenant de les voir, comme vous le dites, signalés par la vigilance éclairée d'un duc de Gramont (p. 44)? Vous dites que ce nom ajoute à la valeur du document; vous avez raison.

Vous avez encore des paroles dures pour le général de La Moricière, qui « n'était pas sous nos aigles dans nos luttes héroïques d'Italie et de Crimée (p. 46). » Il n'y était pas, Monsieur, parce qu'il était à Bruxelles ; exilé par qui? et pourquoi ? Vous m'obligez à vous le rappeler. Vous l'appelez un homme politique séparé du Gouvernement de son pays (p. 47); il serait plus exact de dire: un homme de guerre séparé de son pays par le Gouvernement. Au fond de votre conscience, je suis persuadé, Monsieur, que vous honorez le général La Moricière d'avoir fait ce qu'il a fait, et pour moi je remercierai toujours l'Empereur de l'y avoir autorisé.

Le Pape, en s'efforçant d'avoir des troupes et des ressources, a tâché de rentrer dans ce que vous appelez vous-même ailleurs, les conditions ordinaires des pouvoirs humains, auxquelles il est soumis (p. 23). En appelant de préférence un général et des volontaires de notre pays, il nous rendait hommage. La politique et la fierté nationales auraient eu à se réjouir, si le Pape, n'étant plus défendu par la France, l'eût été toujours par des Français.

En résumé, Monsieur le Conseiller d'État, je ne comprends pas votre insistance sur réformes. A moins que vous ne veuillez grossièrement attiser des préjugés vulgaires, il est évident que le Pape Pie IX aime les réformes, qu'aucune ne l'aurait sauvé, qu'on se moquait de ces réformes, qu'on en voulait à son pouvoir, et que, sous ces prétendus arrangements pour le sacrifice

d'une province, s'est toujours caché le plan arrêté de tout prendre; que dès lors, ayant des raisons de ne plus se fier à d'autres protecteurs qu'à Dieu et à lui-même, il a bien fait de chercher à se suffire, et qu'il y aurait réussi peut-être, sans l'invasion inqualifiable des Piémontais, sur laquelle vous passez bien vite, Monsieur, mais dont c'est pour moi un devoir de parler.

IV

« L'invasion des provinces du Pape, dites-vous (p. 51), était << dans les vues du Piémont, une attaque ouverte à la réaction << dont le siége était à Rome..... »

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Ici, vous vous trompez complétement, et bien étrangement, Monsieur. Dans sa dépêche du 18 octobre 1860, insérée au Livre jaune (p. 162), Son Exc. le Ministre des affaires étrangères, M. Thouvenel, écrit à tous les agents diplomatiques de la France, que « Sa Majesté a daigné l'autoriser à dire exactement ce qui s'est passé à Chambéry entre lui et les envoyés du Roi Victor-Emmanuel, M. Farini et le général Cialdini..., »

«< ..... Garibaldi allait poursuivre librement sa course à travers <«<les États romains, et, cette dernière étape une fois franchie, il << deviendrait totalement impossible de prévenir une attaque «< contre la Venétie. Le cabinet de Turin ne voyait plus qu'un

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