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Le Soleil 1.

Soleil! astre sacré, contemple ton empire!
Tout vit par tes regards, tout brille, tout respire!
Souverain des saisons, le monde est ton palais,
Les globes sont ta cour, et le ciel est ton dais.
Notre terre à tes yeux sans fin se renouvelle,
Et roulant nos débris sur sa route éternelle,
Le temps emporte tout, mais il ne t'atteint pas.
Les révolutions, longs tourments des Etats,
Ebranlent notre globe et te sont étrangères.
Tu n'es jamais troublé du bruit de nos misères;
Et ton front, toujours calme, éclaire les tombeaux
Des peuples, dont tu vis s'élever les berceaux.
Qui pourrait s'égaler à ta vaste puissance ?
Ta présence est le jour, la nuit est ton absence,
La nature sans toi, c'est l'univers sans Dieu.
Père de la lumière, et des vents et du feu,
Renfermant dans les plis de ta robe éclatante
Le rubis, l'émeraude et l'opale inconstante,
D'une pluie à jets d'or inonde l'univers;
Et la décomposant dans le prisme des airs,
Nuance des saisons la mobile ceinture;
Suspends au front des bois un réseau de verdure;
Et prodiguant partout un luxe de couleurs,
Dore, argente ou rougis le panache des fleurs;
Donne un habit de neige au lys qui vient d'éclore,
Et l'arc-en-ciel au paon, et la pourpre à l'Aurore;
Et garde pour les yeux ce pavillon d'azur,
Ce manteau de saphirs d'où s'échappe un jour pur
Et que la vaste mer réfléchit dans son onde.
Voilà comme par toi se décore le monde.
Oh! de quel saint transport mon cœur est agité,
Grand astre! Quand tes feux dans l'air ont éclaté,
Soleil, quelle est ta pompe! Oui, lorsque ta lumière,
Symbole radieux de la beauté première,
Enflamme les forêts, les monts et les déserts,
Brille, et se multiplie en flottant sur les mers,

Extrait du Génie de l'homme (1807).

Je crois voir de Dieu même, au sein de son ouvrage,
Partout se réfléchir la glorieuse image;

Et, dans l'ombre du soir, ton globe moins ardent
Vient-il à se pencher aux bords de l'Occident,
Qu'avec respect encor j'y retrouve l'emblême
Du souverain moteur, lorsqu'il fixa lui-même
A la création un terme limité,

Et rentra dans la nuit de son éternité !

La France sous la Terreur 1.

France! de quels tableaux tu fus épouvantée,
Quand Septembre, levant sa tête ensanglantée,
T'ouvrit un avenir et de deuil et de pleurs!
Qui pourrait égaler la plainte à tes douleurs ?
Le signal est donné; le carnage commence :
La mort tend ses filets sur ce royaume immense.
De cent mille proscrits nul ne peut échapper,
Et, sans distinction, le fer doit tout frapper.
Faut-il redire ici la vieillesse immolée ;
Dans les bras de la mort la pudeur violée;
Malesherbes, Sombreuil, sous la hache abattus,
Expiant soixante ans de gloire et de vertus?
Sur le seuil de la vie on moissonne l'enfance;
La beauté, les talents, coupables d'innocence,
Fatiguaient tour à tour le glaive des bourreaux;
Et la seule vertu montait aux échafauds.
Quel est ce char sanglant, mystérieux, immense,
Dont la roue en tous sens va, revient et s'élance,
Et foule les autels et les sceptres brisés,

Et la tête des Rois dans sa course écrasés ?
La Démence le monte, et la Terreur le guide.
Voyez-vous comme au bruit de sa marche rapide,
Tout est glacé d'horreur. Tous les nœuds sont brisés,
Les parents, les amis entre eux sont divisés.
La peur isole tout plus de fils, plus de père ;
La mort s'offre aux proscrits, farouche et solitaire.
Pas un cœur! La pitié n'ose plaindre leur sort,
Ni de ses pleurs d'amour environner leur mort;

Extrait du Génie de l'homme.

Et pourtant, du trépas quand tout était la proie,
Plusieurs cherchaient la mort, et la mort fit leur joie !
Mais l'éternel Auteur qui veut tout conserver,
Epure quand il frappe, et punit pour sauver.
Sa main, en châtiments comme en bontés féconde,
Dérobait ma patrie aux insultes du monde,
Et ses profonds desseins sur l'Empire français
Le couvraient à la fois de honte et de succès.
Quels contrastes! les bras de nos quatorze armées
Abattaient l'Italie et l'Autriche alarmées.

La mort s'épouvantait, et fuyant devant nous,
Sur les rangs ennemis frappait tous ses grands coups.
On vit la Politique, errante, échevelée,

Refuser sa balance à l'Europe ébranlée :

Nos marches ressemblaient aux marches des volcans,
La honte est au Forum, la gloire est dans les camps :
La liberté voilée, Euménide sanglante,

Livre au fer des bourreaux la Nation tremblante;
Mais l'hymne du triomphe et ses pompeux accents
Du Danube à l'Adda partout retentissants,
Etouffaient les soupirs de cent mille victimes;

L'étendard de la gloire avait voilé nos crimes'.

Œuvres à lire de Chênedollé : Le Génie de l'homme (1807); Les Etudes poétiques (1820). — Pour l'étudier, consuiter: Gustave Merlet, Tableau de la litté rature française (1800-1815); F. Brunetière, Etudes critiques, Ire série (1888); G. Pellissier, Le mouvement littéraire au XIXe siècle (1893).

CHARLES LOYSON

Né à Château-Gontier en 1791, mort à Paris en 1820.

Elégiaque chrétien, tendre et sentimental, il marque la transition entre Millevoye et Lamartine. Sa courte vie fut une lutte mélancolique contre la mort comme l'auteur des Elégies, il mourut, lui aussi, poitrinaire et se sentit mourir. Sa poésie, déjà toute romantique par les sentiments, est absolument sincère. Lorsqu'il parle de ses douleurs, ce n'est pas, comme tant de poètes de l'âge suivant, par mode littéraire ou par suggestion livresque. Il voyait venir le « noir séraphin », en écrivant ses plaintives rêveries. Son style, délicat et pur, a parfois la suavité des strophes lamartiniennes.

On remarquera combien ce dernier vers est bien frappé ; c'est de l'excellent Corneille.

Le lit de mort1.

Cessez de me flatter d'une espérance vaine;
Cessez, ô mes amis, de me cacher vos pleurs.
La sentence est portée; oui, ma mort est certaine,
Et je ne vivrai plus bientôt que dans vos cœurs.
Pour la dernière fois, j'ai vu briller l'aurore;
Pour la dernière fois, ce beau soleil m'a lui,
Votre ami, succombant au mal qui le dévore,
Sur le déclin du jour va s'éteindre avec lui.

Mais demain, quand paré d'une splendeur nouvelle,
Le soleil triomphant rentrera dans les cieux,
Votre ami dormira dans la nuit éternelle,
Et l'éclat du matin n'ouvrira plus ses yeux.

Déjà tout s'obscurcit, tout s'efface à ma vue,
Tout m'échappe, entraîné par d'invisibles mains,
Et seule s'offre à moi cette route inconnue
Dont le terme se cache au regard des humains.
Eh bien! ces noirs sentiers, ces régions obscures,
Cette nuit du trépas n'étonnent point mon cœur.
Vers le Dieu qui m'attend je lève des mains pures
Ennemi du méchant, il est mon protecteur.

Pourquoi vous retracer à ma triste mémoire,
Doux rêves dont mon cœur en vain fut occupé ?
Et mes rêves d'amour et mes rêves de gloire,
Tout fuit: toi seule, ô mort, ne m'auras pas trompé.

Retour à la vie 2.

Quelle faveur inespérée

M'a rouvert les portes du jour ?

Quel secourable Dieu du ténébreux séjour

Ramène mon ombre égarée ?

1 Extrait des Epitres et Elégies (1819). Malade et se sachant condamné, le poète écrivit ces vers touchants, comme un adieu qu'il pensait définitif.

Extrait des Epitres et Elégies. Au moment où il croyait sa fin prochaine, le jeune poète eut un répit; il reprit un peu courage et écrivit ces vers, où l'on sent pourtant encore le frisson de la mort.

Oui, j'avais cru sentir dans des songes confus
S'évanouir mon âme et défaillir ma vie ;
La cruelle douleur, par degrés assoupie,
Paraissait s'éloigner de mes sens suspendus,
Et de ma pénible agonie

Les tourments jusqu'à moi déjà n'arrivaient plus,
Que comme dans la nuit parvient à notre oreille
Le murmure mourant de quelques sons lointains,
Ou comme ces fantômes vains

Qu'un mélange indécis de sommeil et de veille
Figure vaguement à nos yeux incertains.
Vous m'êtes échappés, secrets d'un autre monde,
Merveilles de crainte et d'espoir,

Qu'au bout d'un océan d'obscurité profonde
Sur des bords inconnus je croyais entrevoir.
Tandis que mon œil vous contemple,
L'avenir tout à coup a refermé son temple,
Et dans la vie enfin je rentre avec effort.
Mais nul impunément ne vit de tels mystères,
Le jour me rend en vain ses clartés salutaires,
Je suis sous le sceau de la mort !
Marqué de sa terrible empreinte,

Les vivants me verront comme un objet de deuil
Vain reste du trépas, tel qu'une lampe éteinte
Qui fume encor près d'un cercueil.
Pourquoi me renvoyer vers ces rives fleuries
Dont j'aurais tant voulu ne m'éloigner jamais?
Pourquoi me rapprocher de ces têtes chéries,
Objet de tant d'amour et de tant de regrets?
Hélas! pour mon âme abattue

Tous lieux sont désormais pareils.
Je porte dans mon sein le poison qui me tue :
Changerai-je de sort en changeant de soleils?
J'entends.... ma fin prochaine en sera moins amère;
Mes amis, il suffit je suivrai vos conseils,

Et je mourrai du moins dans les bras de ma mère.

Principales œuvres : Le Bonheur de l'étude, discours en vers et autres poésies (1817); Epîtres et Elégies (1819). — Critiques à consulter: Sainte-Beuve, Portraits contemporains, t. II; Nouveaux lundis, t. XI; Henri Potez, L'élé gie en France avant le romantisme (1898).

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