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Les pharaons ont fait bâtir les pyramides;

Et quand sous le soleil, sous les grands vents numides,
Fouettant leur peuple aux fers, durs comme les destins,
Ils eurent achevé ces monuments hautains,

Qu'ont-ils mis dans ces blocs prodigieux ? leur cendre.
O rois, cela ne sert à rien d'être Alexandre.
Sésostris, ou Cyrus à qui le sort sourit,

Il vaut mieux être un pauvre appelé Jésus-Christ.
Le mal que nous faisons trop souvent nous encense;
Hélas! qui que tu sois, puissant, crains ta puissance,
Qui, de l'autre côté du tombeau, fait pitié.
On est flatté par où l'on sera châtié.
Vous qui faites trembler, tremblez.

Que tout s'apaise !

Quant à toi, travailleur sur qui le fardeau pèse,
Toi qui te sens lion et qu'on traite en fourmi,
Ne perds pas patience et sache attendre, ami !
En venir aux mains? Non. Certes, ton droit suprême,
C'est de vivre, d'avoir du pain, d'exiger même
Plus de salaire et moins de peine, j'en conviens;
L'immensité te doit ta part des vastes biens,
Vie, harmonie, amour, joie, hyménée, aurore.
L'avenir n'est pas noir; c'est le matin qui dore
Et remplit de clarté rose les petits doigts
Du nouveau-né riant dans sa crèche; et tu dois
Vouloir cet avenir éblouissant et juste;
Tu dois, ferme, appuyé sur le travail robuste,
Réclamer le paiement de tes efforts, tu dois
Protéger ton foyer, et faire face aux lois

Si leur sagesse fausse à tes droits est contraire,
Et nourrir ton enfant, — mais sans tuer ton frère !
Sans blesser la patrie et meurtrir la cité!

L'idéal ne veut point mêler à sa clarté
Les Saint-Barthélemys et les Vendémiaires;
Les principes sereins sont de hautes lumières;
Dans la Terre Promise on ne met pas la mort;
L'espérance n'est pas faite pour le remord;
Peuple, sur le cloaque informe du carnage,
Quel que soit le tueur, sais-tu ce qui surnage?
C'est sa honte. L'opprobre éternel du vainqueur,
La pâle liberté morte et l'épée au cœur,

Pour soi l'abjection, pour d'autres le martyre,
C'est là toute la gloire, ô peuple, qu'on retire
Des fauves actions faites aveuglément.
Hélas! sous le regard fixe du firmament,

Pas de tueurs; laissons les bourreaux dans leurs bouges
Je hais une victoire ayant les ongles rouges;

Je n'aime pas qu'un droit ait des mains de boucher,

Et, quand il a vaincu, soit forcé de cacher

Les fentes des pavés des villes sous du sable.

Le paradis de Dieu deviendrait haïssable

S'il fallait qu'à travers un meurtre on l'espérât
Quoi ! le droit malfaiteur! le progrès scélérat!
Homme, crains la balance où tout destin s'achève.
Le mal qu'on fait est lourd plus que le bien qu'on rêve.
L'aurore est hors de l'ombre et les nuits vont finir;
Crains de mettre une tâche au front de l'avenir;
La liberté n'a pas l'assassin pour ministre ;
L'astre dont la sortie ouvre un gouffre est sinistre;
Le progrès n'a plus rien de providentiel

S'il ne peut, sans creuser l'enfer, monter au ciel ;
Nul soleil n'a l'ampleur horrible de l'abîme;

Si grand que soit un droit, il est moins grand qu'un crime,
Jamais, non, même ayant la justice pour soi,

On ne peut la servir par le deuil et l'effroi ;

La vérité qui tue, affreuse vengeresse,

A des yeux de démon sous un front de déesse ;

Une étoile n'a pas droit de verser du sang;

L'aube est blanche; et le bien n'est le bien qu'innocent.

Les enfants 1.

Vous êtes de la joie errante parmi nous,

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Enfants! riez, jouez, croissez. Vos fronts sont doux,
Et la faiblesse y met sa tremblante couronne;

L'épanouissement d'avril vous environne;

Sans vous le jour est morne et le matin se tait;
Chantez. Quand le destin, comme s'il regrettait

Extrait du Pape. Vers délicieux qui montrent avec quelle facilité le poète pouvait passer des grandes pensées aux impressions délicates et douces. Comparez cette pièce avec celle de la page 71: L'enfant. La dernière nous paraît d'une sensibilité plus exquise.

De vous avoir dans l'ombre amenés, vous remmène,
Quand vous vous en allez avant l'épreuve humaine,
Votre âme monte aux cieux dans le parfum des fleurs.
O chers petits enfants, quand, fuyant nos douleurs,
Vous faites dans l'azur serein votre rentrée,
Quand un nouveau-né meurt, on dirait que, navrée,
La terre prend le deuil des jours qui vous sont dus;
Et l'aurore est en pleurs quand vous êtes rendus
Par les roses vos sœurs à vos frères les anges.

П est dans les linceuls une aile, et, dans les langes,
Il en est une aussi; c'est la même. Ouvrez-la,
Doux amis, sans pourtant nous quitter pour cela.
Restez, notre prison par vous devient un temple.
Rayonnez, innocents, et donnez-vous l'exemple,
Croyez, priez, aimez, chantez. Soyez sans fiel.
Qu'est-ce que l'âme humaine, ô profond Dieu du ciel.
A fait de la candeur dont elle était vêtue?

L'effrayant univers 1.

Quel est cet univers? et quel en est l'aïeul?
Ce qu'on prend pour un ciel est peut-être un linceul.
Qui peut dire où l'on vogue et qui sait où l'on erre ?
Oh! l'eau terrible ayant des rumeurs de tonnerre!
Les sourds chuchotements du vent sous l'horizon!
Entre le jour et nous, quelle épaisse, cloison!
Ténébres. Pourquoi tout parle-t-il à voix basse ?
Tout visage qui rit a, dans l'horrible espace,
Derrière lui pour ombre une tête de mort.

Naître mourir ! - On entre, entrez. Sortez, on sort.

1 Extrait de Dieu, poème philosophique posthume qui a été composé dans la dernière période du poète. Victor Hugo a repris dans cet ouvrage le thème éternel et l'a traité avec une grande profondeur de pensée. Les critiques littéraires actuels, en général fort mal au courant de la philosophie, affectent de dire que Victor Hugo est un grand génie, mais qu'il n'a pas d'idées philosophiques. C'est une erreur complète dont M. Guyau, un des plus grands philosophes français, a fait justice dans un chapitre remarquable de son ouvrage L'art au point de vue sociologique qu'il faut absolument lire, si l'on veut comprendre tout le génie de Victor Hugo, dont le célèbre criticiste Ch. Renouvier admire aussi la profondeur. La philosophie du grand poète, qui a la grandeur morale du kantisme, est, au contraire, très originale et très profonde. Si l'on élague de ses œuvres quelques pages boursouflées ou obscures, le reste ressort lumineux et grand Jamais aucun écrivain français, excepté Sully-Prudhomme, n'a mis en formules poétiques plus belles des pensées de haute morale et des conceptions métaphysiques. 8

Et je songe à jamais, à jamais mon œil sombre
Voit aller et venir l'onde énorme de l'ombre!

A quoi bon? Et vous tous, à quoi bon ? Vous vivez,
Vivez-vous ? Et d'ailleurs, pourquoi ? Pensez, rêvez,
Mourez heurtez vos fronts à la sourde clôture!
Qu'est-ce que le destin? qu'est-ce que la nature?
N'est-ce qu'un même texte en deux langues traduit ?
N'est-ce qu'un rameau double ayant le même fruit?
La plaine où le mont pèse ainsi qu'un noir décombre,
La mer par le couchant chauffée au rouge sombre,
Les nuages ayant les cimes pour récifs,

Les tourmentes volant en groupes convulsifs,
La foudre, les Etnas jetant les pierres ponces,
Les crimes s'envoyant des fléaux pour réponses,
L'antre surnaturel, l'étang plein de typhus,
Les prodiges hurlant sous les chênes touffus,
La matière, chaos, profondeur où s'étale
L'air furieux, le feu féroce, l'eau brutale,
La nuit, cette prison, ce noir cachot mouvant
Où l'on entend la sombre invasion du vent,
Tout est morne!

On a peur quand l'aube qui s'éveille
Fait une plaie au bas des cieux, rouge et vermeille;
On a peur quand la bise épand son long frisson;
On a peur quand on voit, vague, à fleur d'horizon,
Montrant, dans l'étendue au crépuscule ouverte,
Son dos mystérieux d'or et de nacre verte,
Ramper le scarabée effroyable du soir;

On a peur quand minuit sur les monts vient s'asseoir!
Pourtant, dans cette masse informe et frémissante,
Il semble par moments qu'on saisisse et qu'on sente
Comme un besoin d'hymen et de paix, émouvant
Toutes ces profondeurs de nuée et de vent;
Tout cherche à se parler et tout cherche à s'entendre;
La terre, à l'océan jetant un regard tendre,
Attire à son flanc vert ce sombre apprivoisé ;
Mais l'eau quitte le bord après l'avoir baisé,

1 Le poète fait ici parler un hibou symbolique qui explique ce qu'il a vu dans l'univers.

Et retombe, et s'enfonce, et redevient tourmente.
Il n'est rien qui n'hésite et qui ne se démente;
Le bien prête son voile au mal qui vient s'offrir;
Hélas! l'autre côté de savoir, c'est souffrir.
Aube et soir, vie et deuil ont les mêmes racines ;
Le sort fait la recherche et l'angoisse voisines;
D'où jaillit le regard on voit sortir le pleur;
Et, si l'œil dit: Lumière, il dit aussi : Douleur
Tout est morne !

Il n'est pas d'objet qui ne paraisse
Faire dans l'infini des signes de détresse.

Et, pendant que, lugubre et vague, autour de lui,
Dans la blême fumée et dans le vaste ennui,
Le tourbillon des faits et des choses s'engouffre,
Ce spectre de la vie, appelé l'homme, souffre.
Les deux tragiques voix, Nature, Humanité,
Se font écho, chacune en son extrémité;
La tristesse de l'un sur l'autre se replie;
La pâle angoisse humaine a la mélancolie
Du plaintif univers pour explication;
Et les gémissements de la création

Sont pleins de la misère insondable de l'homme.

Dieu 1.

Il est ! Mais nul cri d'homme ou d'ange, nul effroi,
Nul amour, nulle bouche, humble, tendre ou superbe,
Ne peut balbutier distinctement ce verbe!

Il est il est il est ! il est éperdûment?!

Tout, les feux, les clartés, les cieux, l'immense aimant,
Les jours, les nuits, tout est le chiffre, il est la somme.
Plénitude pour lui, c'est l'infini pour l'homme.
Faire un dogme, et l'y mettre! ô rêve! inventer Dieu !
Il est! Contentez-vous du monde, cet aveu!

Quoi ! des religions, c'est ce que tu veux faire,

1 Extrait de Religions et Religion (1880). Dans le morceau précédent, le poète a exprimé le doute métaphysique du penseur aux prises avec la notion du Mal. Voici maintenant l'acte de foi du croyant déiste, superbe conclusion de la philosophie du maître, qu'on pourrait appeler le vieillard sublime, en reprenant l'épithète adressée par Chateaubriand à l'enfant.

* Voilà un vers qui rend admirablement la conception de l'immensité divine.

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