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Enfin la messe dite, et, vers la troisième heure,
Lorsque les assistants regagnaient leur demeure,
Mon hôte m'appela. «Quelque chose au retour
Nous attend, disait-il, sur la pierre du four.

Hatons-nous! hâtons-nous! disait la jeune femme. >>
Or tant d'émotions fermentaient dans mon âme,
Qu'au détour d'un sentier, soudain quittant Daniel,
Par la lande j'allai tout droit vers Ker-rohel;
Et, de ces hauts rochers où brillait la gelée
A mes pieds regardant le Scorf et sa vallée,
Je laissai de mon cœur sortir un chant d'amour
Que rien n'interrompit jusqu'au lever du jour.
Il semblait à longs flots rouler vers la rivière,
Ou suivre le vent triste et froid de la bruyère:
Et c'était un appel à la Divinité,

Pour toute nation un vou de liberté;

C'étaient, ô mon pays! des noms de bourgs, de villes,
D'épouvantables mers et de sauvages îles 2,

Noms plaintifs et pareils aux cris d'un homme fort
Luttant contre la main qui le traîne à la mort !...
Oui, nous sommes encor les hommes d'Armorique,
La race courageuse et pourtant pacifique,

Comme aux jours primitifs la race aux longs cheveux,
Que rien ne peut dompter quand elle a dit : «Je veux ! »>
Nous avons un cœur franc pour détester les traîtres,
Nous adorons Jésus, le Dieu de nos ancêtres,
Les chansons d'autrefois toujours nous les chantons!
Oh! nous ne sommes pas les derniers des Bretons :
Le vieux sang de tes fils coule encor dans nos veines,
O terre de granit recouverte de chênes !

Oeuvres poétiques à lire de Brizeux (Lemerre, éditeur, Paris): Marie (1831); Les Ternaires ou la Fleur d'or (1841); Les Bretons (1845); Histoires poétiques (1855); L'Elégie de la Bretagne (1857). — Critiques à consulter: Sainte-Beuve, Portraits contemporains (1831-1841); Saint-René Taillandier, Notice sur Brizeux dans ses Euvres complètes (1860); E. Renan, Discours sur Brizeux, dans les Annales politiques et littéraires, 15 septembre 1888; C. Lecigne, Brizeux, sa vie et ses œuvres (1898); Ch. Gidel, Histoire de la littérature française (1898).

'Rivière sur la rive droite de laquelle est bâtie Lorient.

*Allusion aux régions où vont chaque année les marins bretons et d'où tant ne reviennent pas.

LACAUSSADE (AUGUSTE)

Né à l'île Bourbon en 1820, mort à Paris en 1897.

Parmi les romantiques de second ordre, plusieurs ont une originalité très grande qui les rend dignes de figurer dans une chrestomathie; Lacaussade compte parmi ceux-là. Poète mélancolique, il a dit les désillusions de sa vie à demi-manquée, les larmes de son noble idéal déçu, ses découragements et ses tristesses. Mais c'est pour chanter l'admirable nature tropicale où il naquit et dont il avait la nostalgie qu'il a trouvé ses inspirations les plus belles. Il est le peintre sentimental de l'île Bourbon, comme Brizeux est celui de la Bretagne.

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Le lac des Goyaviers 1.

Beau lac, sur les gazons que ton flot calme arrose
La colombe des bois s'arrête et se repose;

Et, voilant ses bonheurs dans l'ombre des rameaux,
Suspend son nid à l'arbre incliné sur tes eaux.
Pour embellir tes bords la jam-rose odorante
Ombrage de son fruit ton onde transparente;
Pour charmer tes échos l'aigrette du maïs
Berce parmi ses fleurs le chant des bengalis;
Et, ridant ton azur, la poule d'eau sauvage
Montre sur tes flots bleus son bleuatre corsage.
L'ouragan déchaîné qui rugit sur les monts.
Quand son soufile orageux descend dans ces vallons,
Epargne le bassin où ta vague demeure:

Son courroux désarmé te caresse et l'effleure.
La lune, à son zenith, blanchissant tes roseaux,
S'arrête dans l'azur pour contempler tes eaux.
Tout s'embaume en ces lieux d'amour et d'harmonie.
Nes-tu pas le séjour de quel que heureux genie?
Des ondes et des bois respirant la douceur,
Je t'écoute et je crois écouter une sœur,

Qui gronde en souriant, dont la voix jeune et pure,
Fraiche comme ton ean qui se plaint et murture,
Semble, en se consolant, me reprocher tout bas
De vivre dans un monde où le bonheur n'est pas;

+ Extrait de Poemes et på sages 1852. — Cette pisos, ecnte em 1895, et les deax suivantes, extraites du même cnvrage, sont consacrees a lie Bearbon, pete da pošte.

Et mon âme à ta voix descend vers ce rivage
Comme un oiseau battu par le vent et l'orage,
Et, rêvant au long bruit de tes mourants accords,
Voudrait se faire un nid à l'ombre de tes bords.

Souvenirs d'enfance 1.

O frère, ô jeune ami, dernier fils de ma mère,
O toi qui devanças, dans le val regretté,
Cette enfant, notre sœur, une rose éphémère,
Qui ne vécut qu'un jour d'été !

Frère, doux compagnon, que fais-tu dans cette heure
Où mon cœur et mes yeux se retournent vers toi?
Ta pensée, évoquant les beaux jours que je pleure,
Revole-t-elle aussi vers moi?

Souvent dans mon exil, je rêve à notre enfance,
A nos matins si purs écoulés sous les bois,
Et sur mon front le vent des souvenirs balance
Les molles ombres d'autrefois.

Pour tromper les ennuis d'un présent bien aride,
Pour rafraîchir mon pied que la route a lassé,
Je remonte, songeur, à la source limpide

Qui gazouille dans mon passé.

Oui! des beaux jours alors c'était l'aube et le rêve:
Tout était joie et chants, fleurs et félicités !
Purs bonheurs des enfants que le temps nous enlève,
Pourquoi nous avez-vous quittés?

Nous étions trois alors. Eveillés dès l'aurore,

Sortant du nid à l'heure où l'aube sort du ciel,
Nous allions dans les fleurs qu'elle avait fait éclore
Boire la rosée et le miel.

Elle et toi, de concert à ma voix indociles,
Vous couriez au soleil, vous braviez les chaleurs.

Quand ma mère accourait, l'arbre aux ombres mobiles
Voilait nos plaisirs querelleurs.

1 Ecrit en 1840.

Mais elle avait tout vu. Quittant le frais ombrage,
Nous lisions notre faute à son front rembruni.

Moi

j'étais votre aîné bien qu'étant le plus sage,
Je n'étais pas le moins puni.

Nous la suivions. Bientôt trompant sa vigilance,
Nous revolions aux champs, au grand air, au soleil,
Et des bois as oupis, tiède abri du silence,
Nous allions troubler le sommeil.

Alors, malheur à l'arbre à la grappe embaumée,
Aux fruits d'or rayonnant à travers les rameaux !
Nous brisions branche et fruits, la grappe et la ramée,
Et jusqu'aux nids des tourtereaux.

Et puis nous descendions la pente des ravines,
Où l'onde et les oiseaux confondaient leurs chansons,
Nous heurtant aux cailloux, pous blessant aux épines
Des framboisiers et des buissons.

Un lac était au bas, large, aux eaux peu profondes.
Sur ses bords qu'ombrageait le dais mouvant des bois,
Avec les beaux oiseaux furtifs amis des ondes,
Heureux, nous jouions tous les trois.

Pour suivre sur les flots leur caprice sauvage,
Du tronc des bananiers nous faisions un radeau;
Et sur le frêle esquif, glissant près du rivage,
Nous poursuivions les poules d'eau.

Ma sœur, trempant ses pieds dans l'onde claire et belle,
Comme la fée-enfant de ces bords enchanteurs,
Jetait aux bleux oiseaux qui nageaient devant elle
Des fruits, des baisers et des fleurs.

Et puis nous revenions. Notre mère inquiète,
Se voilant à nos yeux sous des dehors boudeurs,
Nous accueillait au seuil de l'humble maisonnette.
Joyeuse, avec des mots grondeurs.

Elle oubliait bientôt nos fuites, ses alarmes;
Bonne, elle nous donnait et des fruits et du lait,
Mêlant aux mots émus qui nous coûtaient des larmes
Le baiser qui nous consolait.

Ainsi coulaient nos jours. O radieuse aurore!
O mes doux compagnons, je crois vous voir encore !
Bonheurs évanouis de printemps révolus,

Soleils des gais matins qui ne m'éclairez plus,
A vos belles chaleurs rajeunissant mon être,
Je sens mon cœur revivre et mon passé renaître !
Je vous retrouve, enfin ! Je vois là, sous mes yeux,
Courir sur les gazons mes souvenirs joyeux.
Je vois, de notre mère oubliant la défense,
Par les grands champs de riz voltiger notre enfance.
Chassons le papillon, l'insecte, les oiseaux,
Glanons un fruit tombé sur le cristal des eaux;
C'est le ravin, le lac aux vagues argentines,

Le vieil arbre ombrageant nos têtes enfantines,
C'est toi, c'est notre mère aux yeux pleins de douceur!
C'est moi, c'est... ô mon frère! où donc est notre sœur?

Un tertre vert, voilà ce qui nous reste d'elle!

Quand une âme est si blanche, à lui Dieu la rappelle.
Tige, orgueil de nos champs et que la brise aimait,
Tout en elle brillait, fleurissait, embaumait.

Lys sans tache, à la vie elle venait d'éclore,

Douce comme un parfum, blonde comme une aurore!
Le soleil à ses jours mesurait les chaleurs ;
Des roses du Bengale elle avait les pâleurs.
Oh! les fins cheveux d'or! Les nouvelles épouses
Du bonheur de ma mère, hélas! étaient jalouses.
Toutes lui faisaient fête, et, des mains et des yeux
Caressant de son front l'ovale harmonieux,
Demandaient au Seigneur, d'une lèvre muette,
Un blond enfant semblable à cette blonde tête !

Nos Noirs, comme ils l'aimaient ! Dans leur langue de feu Ils la disaient l'étoile et la fille de Dieu.

Naïfs, ils comparaient cette fleur des savanes

Aux fraîches visions qui hantent les cabanes :
C'était un bon génie, une âme douce aux Noirs;
Et, lorsque du labour ils revenaient, les soirs,
Tous, ils lui rapportaient des nids et des jam-roses,
Ou le bleu papillon, amant ailé des roses.

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