Nul impur voyageur du pied ne l'a terni. Ta cime aux passions demeure inaccessible. Oui, j'ai gardé ta neige en sa fierté suprême, En vous est sa blancheur où l'arc-en-ciel se joue : Si ce mont reste pur, c'est que vous l'habitez: A l'abri de moi-même, ô Père ! et de la foule, Pour qu'au-dessus, toujours, des lieux sombres, immondes, Et qu'aux feux de midi ce divin réservoir L'enfant grondé1. Je t'ai grondé !... trop fort peut-être ! 1 Cette pièce et la suivante sont extraites du Livre d'un père (1876), un recueil de vers charmants et délicats où le poète a chanté l'enfant d'une façon touchante. Son lyrisme a là une originalité très grande. En voyant grossir dans tes yeux Et ton cœur n'était pas complice. Je t'aurai dit, dans mon émoi, Oh oui! c'est la dernière fois Tu t'élances sur mes genoux.... Viens, viens! c'est moi qui te rappelle: Vite, oublions notre querelle, Les petites sœurs. Elles vont, la main dans la main, Où sont donc les petites sœurs? L'une veut tout ce que veut l'autre, Aux œuvres du cœur ou des doigts. Jamais de pleurs ni de querelles, Tout gaîment se partage entre elles... Elles vont, la main dans la main, Elles vont, la main dans la main. Euvres à lire de Victor de Laprade (Lemerre, éditeur, Paris): Psyché (1841); Odes et poèmes (1843); Poèmes évangéliques (1852); Symphonies (1855); Idylles héroïques (1858); Pernette (1868); Poèmes civiques (1874); Le Livre d'un père (1876); — Critiques à consulter: Vitet, Discours à l'Académie, 17 mars 1859 et Revue des Deux-Mondes, 1er février 1869; Lamartine, Souvenirs et portraits; Saint-René Taillandier, Revue des Deux-Mondes, 15 février 1879; R. Chantelauze, Revue de France, 15 décembre 1879; Ed. Biré, Victor de Laprade, sa cie et ses œuvres (1886); J. Condamin, La vie et les œuvres de Victor de Laprade (1886). LOUIS BOUILHET Né à Cany (Seine-Inférieure) en 1822, mort à Paris en 1869. Comme de Laprade, il débuta par un poème antique, comme lui, tout en gardant bien des restes de lyrisme romantique visibles surtout dans son théâtre en vers, il s'achemina vers la poésie objective des parnassiens. Là s'arrête sa ressemblance avec l'auteur de Psyché. Celui-ci est en effet un idéaliste transcendant; Bouilhet est, au contraire, un pur réaliste. Il a traduit surtout dans ses vers les faits de l'histoire et ceux de la vie contemporaine, visant à les peindre dans leur exacte réalité. Sa philosophie naturaliste est conforme à celle des prosateurs, ses contemporains, que nous avons étudiés dans le 1er volume de cet ouvrage. Son vers, au relief précis, d'une grande variété de rythmes, procède du style de Hugo mais annonce la métrique parnassienne. Les gladiateurs1. Tenant comme Mercure un riche caducée, Flottait, couleur de pourpre et perlée à son bord: Il avait un manteau tissu de soie et d'or, Son costume semblait celui d'un secutor. << Longue vie à César! » cria la foule immense; On posa la massue et la peau de lion; Puis le maître des jeux fit sonner le clairon. Le théâtre aussitôt disparut de lui-même. Du peuple frémissant tomba la grande voix. Que chacun déploya dans cette circonstance, 1 Extrait de Melanis (1851), curieux poème d'érudition antique, d'une rare exactitude, dans lequel Bouilhet a voulu reconstituer objectivement la société romaine de l'empire; les vices de la décadence impériale y sont peints magistralement. Outre les ouvrages de Renan et de Gaston Boissier, dont il s'est inspiré, Sienkievicz avait probablement lu aussi ce poème quand il écrivit son célèbre roman Quo Vadis. Les coups portés sans cesse et parés mille fois, Le prélude ordonné se prolongea longtemps: Celui de Varolus était jeune et rapide, Il s'élançait par sauts, puis rebroussait chemin, C'était lui! le vainqueur! le héros de la ville! Mirax semblait jouer; du bout de son épée Et, de perles de pourpre en mille endroits jaspée, Il fallait en finir avec le rétiaire', Mirax leva son glaive et le pressa plus fort: 1 Du latin retiarius, gladiateur qui combattait armé d'un filet. Il y a là une erreur, étonnante chez un auteur si ferré sur l'antiquité : dans les cirques romains les spectateurs tournaient au contraire les pouces en bas (pollice verso) pour demander la mort; ils les dressaient pour pardonner. |