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Et que ton cœur, toujours digne
De n'être pas reproché,

Ne soit jamais plus taché
Que le plumage d'un cygne!

Souviens-toi du paradis,
Cher cœur et je te le dis
Au moment où nulle fange
Terrestre ne te corrompt,
Pendant que ton petit front
Est encor celui d'un ange.

Andromède 1.

Andromède gémit dans le désert sans voile,
Nue et pâle, tordant ses bras sur le rocher.
Rien sur le sable ardent que la mer vient lécher,
Rien ! pas même un chasseur dans un abri de toile.

Rien sur le sable, et sur la mer pas une voile !
Le soleil la déchire, impitoyable archer,
Et le monstre bondit comme pour s'échapper
De la vierge qui meurt, plus blanche qu'une étoile.

Ame enfantine et douce, elle agonise, hélas!
Mais Persée aux beaux yeux, le meurtrier d'Atlas,
Vient et fend l'air, monté sur le divin Pégase.

Il vient, échevelé, tenant son glaive d'or,
Et la jeune princesse, immobile d'extase,

Suit des yeux dans l'azur son formidable essor.

Euvres à lire de Théodore de Banville (Lemerre, éditeur, Paris): Stalactites (1846); Odes funambulesques (1857); Les Exilés (1874); Les Princesses (1874); Rondels; Comédies en vers (1856-1880). - Critiques à consulter: Sainte-Beuve. Causeries du lundi, t. XIV (1857); Maurice Spronck, Les Artistes littéraires (1889); Jules Lemaitre, Les Contemporains (1885); Marcel Fouquier, Profils el portraits.

1 Extrait des Princesses (1874).

C'est une des meilleures pièces de la série consacrée à l'antiquité gréco-latine. Comparer ce sonnet avec celui de Heredia reproduit plus loin.

IV

Les Parnassiens.

Vers la fin du second empire, un certain nombre de poètes nouveaux se réunissaient à Paris chez l'éditeur Lemerre pour parler de leur art. Désirant pénétrer jusqu'au grand public qui les connaissait à peine, ils décidèrent de publier un recueil collectif de poésies inédites. Cette publication, dont le premier livre parut en 1866, eut pour titre le Parnasse contemporain: de là le nom de parnassiens donné aux poètes de la nouvelle école. Le mouvement littéraire que ceux-ci voulaient consacrer avait commencé depuis longtemps; en 1850, le romantisme était épuisé et le parnassisme en voie d'évolution; le changement qui s'accomplit dans la poésie coïncida avec la transformation réaliste qu'on vit s'opérer alors dans le roman et le théâtre en prose. L'école parnassienne, comme le romantisme, comprend un grand nombre d'écrivains de tendances très différentes. Entre Leconte de Lisle et Coppée, par exemple, il y a aussi peu de ressemblance qu'entre Victor Hugo et Musset. Pourtant, un trait commun caractérise la plupart de ces poètes pris dans son ensemble, le Parnasse est l'école de la poésie impersonnelle. Sortir du moi, renoncer au lyrisme subjectif, peindre la réalité objective, soit en copiant la nature, soit en empruntant à l'histoire et à la science la matière même de la poésie : tel était le but essentiel de l'école parnassienne qui fut, elle aussi, par quelques côtés, une réaction réaliste contre l'idéalisme personnel du romantisme. Le retour à l'antiquité gréco-latine, qui est une des caractéristiques de l'école, s'explique très bien chez ces poètes nourris de fortes études classiques, car l'art ancien leur fournissait une riche mine de sujets poétiques dans lesquels leur objectivité pouvait s'éployer à l'aise. De même qu'André Chénier, ils ont du reste beaucoup mieux compris que les classiques du XVIIe siècle certains côtés de la littérature et de la mythologie antiques. Par là se trouve justifié ce nom de Parnasse qui parut d'abord choisi au hasard.

LECONTE DE LISLE

Né à l'ile Bourbon en 1818, mort à Paris en 1894.

Leconte de Lisle est incontestablement le chef de l'école parnassienne dès 1852, bien que le nom n'existât pas encore, il en indiquait le but dans la préface de ses Poèmes antiques, où il combattait, avec des arguments assez faibles du reste, la poésie personnelle des romantiques. Comme initiateur du Parnasse contemporain, il a donc une très grande importance littéraire; il n'en a pas moins comme génie poétique, en dehors de toute question d'école. Après Victor Hugo, et bien près de lui, c'est le plus grand poète français. A première vue, Leconte de Lisle est un écrivain impersonnel. Dans ses œuvres grandioses et éclatantes, il a promené sa pensée, en apparence sereine, à travers les mythologies les plus diverses: le naturalisme esthétique des Grecs, le sombre panthéisme hindou, les mythes barbares des Scandinaves lui ont fourni la matière de superbes poèmes d'où son âme paraît absente. Il a trouvé également dans la nature sauvage et primitive un grand nombre de tableaux grandioses ou tragiques peints avec une étonnante objectivité. Pourtant, sous cette poésie qui semble impersonnelle, sous cette sérénité stoïque, on découvre une âme infiniment douloureuse que de profondes angoisses avaient torturée. La philosophie du poète transparaît à travers les mythes qu'il a le mieux translatés. Cette philosophie exprime une profonde désespé rance; c'est bien celle d'une époque où la science a détrôné l'ancienne foi, où l'âme du penseur désabusé face à face avec « l'implacable nature » de Vigny, cherche à se consoler de ne plus croire en revivant les grands rèves par lesquels les hommes des civilisations antiques essayèrent d'assouvir leur besoin d'idéal. Leconte de Lisle est un pessimiste hautain et tragique : il n'a vu dans le monde que l'effrayante fugacité de la vie. Sa poésie est décourageante, mais admirable de profondeur et de relief. Ce fut un noble artiste. On doit lui reprocher cependant de n'avoir pas compris le christianisme. Lui qui a su traduire en vers admirables les superbes mythologies de l'antiquité, il n'a vu dans la religion chrétienne que la sombre intolérance ou les superstitions du moyen âge: la sublime puissance morale de l'Evangile lui a échappé. Voilà pourquoi son œuvre, à certains égards merveilleuse, reste inférieure à celle de Victor Hugo, poétiquement géniale et tout imprégnée en outre de philosophie chrétienne et d'humanité.

Surya'.

Ta demeure est au bord des océans antiques,

Maître les grandes eaux lavent tes pieds mystiques.

1 Extrait des Poèmes antiques (1852). destiné à rendre le mysticisme hindou.

Cette pièce est un hymne védique,

Sur ta face divine et ton dos écumant
L'abîme primitif ruisselle lentement.

Tes cheveux qui brûlaient au milieu des nuages,
Parmi les rocs anciens déroulés sur les plages,
Pendent en noirs limons, et la houle des mers
Et les vents infinis gémissent au travers.
Surya! Prisonnier de l'ombre infranchissable,
Tu sommeilles couché dans les replis du sable.
Une haleine terrible habite en tes poumons;
Elle trouble la neige errante au flanc des monts;
Dans l'obscurité morne en grondant elle affaisse
Les astres submergés par la nuée épaisse,

Et fait monter en chœur les soupirs et les voix
Qui roulent dans le sein vénérable des bois.

Ta demeure est au bord des océans antiques,
Maitre! Les grandes eaux lavent tes pieds mystiques.

Elle vient, elle accourt, ceinte de lotus blancs,
L'aurore aux belles mains, aux pieds étincelants;
Et tandis que, songeur, près des mers, tu reposes,
Elle lie au char bleu les quatre vaches roses.
Vois! Les palmiers divins, les écailles d'argent,
Et les frais nymphéas sur l'eau vive nageant,
La vallée où, pour plaire entrelaçant leurs danses,
Tournent les Apsaras en rapides cadences,
Par la nue onduleuse et molle enveloppés,
S'éveillent, de rosée et de flammes trempés.
Pour franchir des sept cieux les larges intervalles,
Attelle au timon d'or les sept fauves cavales,
Secoue au vent des mers un reste de langueur,
Eclate, et lève-toi dans toute ta vigueur!

Ta demeure est au bord des océans antiques,
Maître ! Les grandes eaux lavent tes pieds mystiques.

Mieux que l'oiseau géant qui tourne au fond des cieux,
Tu montes, ô guerrier, par bonds victorieux;

Tu roules comme un fleuve, ô Roi, source de l'Etre! Le visible infini que ta splendeur pénètre,

En houles de lumière ardemment agité,

Palpite de ta force et de ta majesté.

Dans l'air flambant, immense, oh! que ta route est belle
Pour arriver au seuil de la nuit éternelle!

Quand ton char tombe et roule au bas du firmament,

Que l'horizon sublime ondule largement!

O Surya! Ton corps lumineux vers l'eau noire
S'incline, revêtu d'une robe de gloire;
L'abîme te salue et s'ouvre devant toi:
Descends sur le profond rivage et dors, ô Roi!

Ta demeure est au bord des océans antiques,
Maître! Les grandes eaux lavent tes pieds mystiques!

Guerrier resplendissant qui marches dans le ciel,
A travers l'étendue et le temple éternel;
Toi qui verses au sein de la terre robuste
Le fleuve fécondant de ta chaleur auguste
Et sièges vers midi sur les brûlants sommets,
Roi du monde, entends-nous, et protège à jamais
Les hommes au sang pur, les races pacifiques
Qui te chantent au bord des océans antiques!

Héraklès au taureau 1.

Le soleil déclinait vers l'écume des flots,
Et les grasses brebis revenaient aux enclos;
Et les vaches suivaient, semblables aux nuées
Qui roulent sans relâche, à la file entraînées,
Lorsque le vent d'automne, au travers du ciel noir,

Les chasse à grands coups d'aile, et qu'elles vont pleuvoir.
Derrière les brebis, toutes lourdes de laine,

Telles s'amoncelaient les vaches dans la plaine.
La campagne n'était qu'un seul mugissement,
Et les grands chiens d'Elis aboyaient bruyamment.
Puis, succédaient trois cents taureaux aux larges cuisses,
Puis deux cents au poil rouge, inquiets des génisses;
Puis douze, les plus beaux et parfaitement blancs,
Qui de leurs fouets velus rafraichissaient leurs flancs,

1 Extrait des Poèmes antiques. Leconte de Lisle est le poète français qui a su le mieux rendre l'antiquité grecque; il fait saisir aussi bien le charme d'Anacréon que la puissance grandiose des Tragiques. On pourra s'en convaincre en lisant les pièces qui suivent.

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