MANETTO Mais qu'es-tu donc, toi qui nous parles de la sorte ? STRADA Rien par moi-même; tout, par la foi que j'apporte. Et c'est pourquoi ces gens sans titre et sans pouvoir, Et c'est pourquoi, bourgeois et nobles, tous en faute, Et le cœur du pays qui parlent par ma voix. GALÉAS Il a raison. GHERARDI C'est vrai. STRADA Vos intérêts contraires, Vous les ferez valoir plus tard, ô mauvais frères! GALÉAS, tendant les bras à Gherardi. Gherardi ! Galéas! GHERARDI, même jeu. (De toutes parts, les nobles et les bourgeois s'embrassent. STRADA O fraternelle étreinte! Pour que la flamme en vous n'en soit jamais éteinte. Sur l'Evangile ouvert et sur le glaive en croix, TOUS Oui, nous le jurons !... (Avec enthousiasme.) Vive Ravenne! STRADA A présent, ni retard, ni discussion vaine. Ce soir! C'est impossible. Il nous faut trois jours pleins Pour équiper... PETRUCCIO D'ailleurs, la plebe, les vilains, Et les bourgeois surtout, exigent qu'on leur prouve STRADA Ah!... on la trouvera... Bientôt... (D'un ton autoritaire.) En temps voulu Viendra l'ordre... Pardon de ce ton absolu; Mais j'exécute ici les consignes du maître. Allez ! Moi, maintenant, je dois, pour m'y soumettre, Ce qui me reste à faire est entre nous et Dieu. TOUS, en se dirigeant vers la porte du fond A demain ! Euvres poétiques à lire de Richepin (Charpentier et Fasquelle, éditeurs, Pa ris) La Mer (1886); Par le Glaive, drame (1892); Le Flibustier, comédie (1894); La Martyre (1898). - Critiques à consulter: G. Lanson, Histoire de la littérature française; Jules Lemaitre, Les Contemporains, Impressions de théâtre, Revue des Deux-Mondes, 1er Mai 1898; Ch. Gidel, Histoire de la littéra ture française, MAURICE ROLLINAT Né à Châteauroux en 1816. Mort à Ivry en 1903. Il y a chez ce petit-fils des romantiques macabres deux poètes : un naturiste qui connut George Sand et s'inspire de ses romans rustiques, un rèveur pessimiste rappelant un peu Baudelaire. Cette double filiation littéraire n'a pas empêché Rollinat d'ètre un poète original. Il a vu dans la nature bien des aspects que d'autres n'avaient pas même entrevus, il a étudié des états d'àme étranges, mystérieux, dont personne ne s'était rendu compte. Comme Richepin, Rollinat est un néo-romantique réaliste, mais avec moins de rhétorique, plus de vérité et sans les affectations de cynisme rabelaisien qui gâtent une partie des œuvres du chantre des gueux. Le silence des morts1. On scrute leur portrait, espérant qu'il en sorte Non! Mieux que le linceul, la bière et le tombeau, Extrait des Névroses (1883), œuvre étrange, baudelairienne, tout imprégnée de romantisme macabre. Pourtant, que d'appels fous, longs et désespérés, Mais toujours, à travers ses plaintes, ses remords, Le pressentiment'. Dans ses heures de rêve et de réalité, Que la douleur l'épargne on s'acharne à sa piste, La flèche de l'amour et le dard de la crainte Ouvert à tous les plans que le Destin ourdit, Et le doute inquiet sur l'accident prédit. Comme un tourbillon noir dans les campagnes blêmes Ainsi l'inattendu de cet avis secret Nous ébranle et nous scrute au plus creux de nous-mêmes Cette voix sans parole et ce toucher sans main C'est le Pressentiment! Chez le plus insensible Du bonheur arrivable ou du malheur possible, Extrait de L'Abime (1886), recueil de vers pessimistes, mais souvent très profonds, d'une originalité réelle, contenant de remarquables peintures de ce qu'on a appelé « des paysages intérieurs »>. Il use quelquefois de sa pénétration A ce métal humain qu'on appelle un avare, Et s'émousse aux cœurs plats sans boussole ni phare Mais chez l'homme où l'ennui fait grouiller ses cloportes Il rentre à la façon d'un mauvais revenant Le criminel pensant, l'amant pronostiqueur, Tous ceux-là renfermés et seuls à se connaître, Tous nos maux à venir, tous nos futurs tourments, L'amour vil devenant la luxure collante, Avec son rire fixe et sa plainte à ressort, Le guet-apens soudain comme un coup de tonnerre, Hôpital d'aliénés à Paris. |