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II

Les Romantiques.

Il est presque impossible de donner une définition précise et complète du mot romantisme. Mme de Staël, qui l'introduisit en français dans son ouvrage L'Allemagne 1, entendait, sous ce vocable venu d'Outre-Rhin, la poésie née de la chevalerie et du christianisme, par opposition à la poésie classique issue de l'antiquité païenne. On a, depuis lors, singulièrement élargi cette définition d'ailleurs en partie exacte; dans le romantisme des Lamartine, des Hugo, des Vigny et des Musset, il y a bien d'autres caractères qu'il faut savoir démêler pour comprendre la révolution littéraire opérée par eux. Le romantisme français fut d'abord une réaction violente contre l'imitation, tournée en manie, de l'antiquité gréco-latine et contre les règles étroites établies par les classiques. Ces derniers, trompés par leur idéal d'unité, de correction, de logique et de bon goût, avaient chassé l'imagination de la poésie et subordonné tout à la raison abstraite, prise pour règle du beau. Les romantiques rétablirent le règne de l'imagination et de la sensibilité personnelle, supprimèrent la distinction des genres, proclamèrent la liberté dans l'art. Le romantisme ainsi compris, expression de tous les sentiments d'amour, de haine, d'espérance, de foi et de toutes les sensations nées de la contemplation de la nature, renferme des choses fort disparates : le christianisme moderne ou moyen-âgeux, la mélancolie profonde de Chateaubriand et des littératures septentrionales, le sentiment de l'au-delà, le goût du pittoresque et de la couleur locale, le romanesque sentimental et le romanesque mélodramatique, le sentiment national et l'exotisme le plus bariolé allant de Goethe à Calderon, de Shakespeare à Schiller, d'Ossian à Manzoni, de Byron au Romancero, de Bürger à la Bible: toute une série d'impressions poétiques extrêmement variées, parfois contradictoires qui font de ce mouvement littéraire une des plus curieuses manifestations d'art.

1 Mme de Staël devait cette définition à A. W. Schlegel. Quant au mot allemand romantik, il vient du vieux français romant qui désigna d'abord la langue dérivée du latin populaire, plus tard tout ce qui était écrit en cette langue et en particulier les poèmes du moyen-âge postérieurs aux Chansons de gestes.

Un fait général, que tous les critiques ont reconnu, suffit cependant à caractériser la poésie romantique: c'est le lyrisme, c'est-àdire l'expression du sentiment personnel, substitué à l'impersonnalité de l'œuvre classique. Tout romantique écrit, non pour exprimer objectivement des idées ou des sentiments généraux, d'après un certain idéal de beauté intellectuelle et morale, mais pour traduire les impressions, les émotions subjectives de son propre moi, librement épanoui dans la poésie libre. Le romantisme fut un mouvement général en Europe, cependant, comme l'a fait remarquer Edmond Schérer, nulle part il n'eut une aussi grande importance qu'en France, où dominait plus qu'ailleurs le classicisme, parce que là il fut comme la suite logique, dans le domaine de la pensée, du grand mouvement politique et social de la Révolution et de l'Empire. Le changement d'idéal littéraire amena un changement tout aussi profond dans l'instrument lui-même des idées, ce que Victor' Hugo a appelé « le 1793 de la langue ». A un art si complètement nouveau, il fallait une langue nouvelle. Pour remplacer le vocabulaire classique, desséché par la raison et par l'analyse, les romantiques la créèrent, souple, concrète, imagée, chantante, musicale. susceptible de s'adapter à toutes les modalités de leur lyrisme. A cette langue, ils ajoutèrent une versification plus large, plus variée et plus complète : le vers classique en fut entièrement renouvelé.

Pour étudier le romantisme, consulter surtout: A. W. Schlegel, Cours de littérature dramatique (1808); Sainte-Beuve, Causeries du lundi, t. III; Georg Brandes, Die Hauptstromungen der Literatur des neunzehnten Jahrhunderts, t. V.; E. Schérer, Etudes sur la littérature contemporaine t. III.; G. Pelissier, Le Mouvement littéraire au XIXe siècle (1893); Eugène Lintilhac, Littérature française (1894); Brunetière, Evolution de la poésie lyrique au XIXe siècle, et Manuel de l'histoire de la littérature française (1898); Gustave Lanson, Histoire de la littérature française; P. de Juleville, Histoire de la langue et de la littérature françaises (1900).

LAMARTINE (ALPHONSE DE)

Ne à Mâcon en 1790, mort à Paris en 1869.

Ce fut une âme généreuse et noble. La politique elle-même, cette grande corruptrice des consciences, le laissa pur et insoupçonné. Sorti des

rangs de l'aristocratie, à laquelle le rattachait son éducation et ses croyances, il évolua, sous l'influence des événements, vers les idées libérales et devint, après la Révolution de 1848, chef du pouvoir exécutif de la République française. Lorsqu'il quitta le gouvernement, ayant essayé de réaliser les plus beaux rêves humanitaires, il laissait derrière lui comme un sillon lumineux et pur. La fin de sa vie fut abreuvée d'amertumes: il connut la pauvreté marâtre et l'injuste oubli du peuple qui l'avait un moment adoré; mais il avait eu une existence admirable. Comme écrivain, il a joué un rôle considérable. C'est le premier en date des poètes romantiques: il réalisa dans les vers ce que Chateaubriand avait commencé dans la prose: quand parurent, en 1820, ses premières Méditations, on comprit qu'une poésie nouvelle était née. Poète idéaliste et sentimental, Lamartine est un lyrique sublime, malgré la faiblesse accidentelle de sa versification. Nul n'a exprimé avec une sensibilité plus pénétrante et plus noble, les grands thèmes romantiques : la mélancolie profonde, la vision de la mort, les rêveries élégiaques de l'amour, la nature et les états d'âme qu'elle fait naître, la piété ardente et le sentiment de l'infini. Son christianisme, bien plus sincère que celui de Chateaubriand, lui inspira ses plus belles euvres. Elles ont fait dire qu'il avait «< la nostalgie du ciel1»>, et ceries il ne serait pas exagéré, en songeant à son admirable idéalisme, de lui appliquer un de ses propres vers, si connu :

L'homme est un Dieu tombé qui se souvient des cieux.

L'Isolement 2.

Souvent sur la montagne, à l'ombre du vieux chêne,
Au coucher du soleil, tristement je m'assieds;
Je promène au hasard mes regards sur la plaine,
Dont le tableau changeant se déroule à mes pieds.

Ici gronde le fleuve aux vagues écumantes;
Il serpente, et s'enfonce en un lointain obscur;
Là, le lac immobile étend ses eaux dormantes
Où l'étoile du soir se lève dans l'azur.

Au sommet de ces monts couronnés de bois sombres,

Le crépuscule encor jette un dernier rayon;

Et le char vaporeux de la reine des ombres
Monte, et blanchit déjà les bords de l'horizon.

'Le mot est d'Ernest Zyromski, dont nous parlons plus loin.

* Extrait des Premières méditations poétiques (1820); c'est la première pièce du recueil.

Cependant, s'élançant de la flèche gothique,
Un son religieux se répand dans les airs;
Le voyageur s'arrête, et la cloche rustique
Aux derniers bruits du jour mêle de saints concerts.
Mais à ces doux tableaux mon âme indifférente
N'éprouve devant eux ni charme ni transports;
Je contemple la terre ainsi qu'une ombre errante :
Le soleil des vivants n'échauffe plus les morts.

De colline en colline en vain portant ma vue,
Du sud à l'aquilon, de l'aurore au couchant,
Je parcours tous les points de l'immense étendue,
Et je dis : « Nulle part le bonheur ne m'attend. »
Que me font ces vallons, ces palais, ces chaumières,
Vains objets dont pour moi le charme est envolé?
Fleuves, rochers, forêts, solitudes si chères,
Un seul être vous manque, et tout est dépeuplé !

Quand le tour du soleil ou commence ou s'achève,
D'un œil indifférent je le suis dans son cours;
En un ciel sombre ou pur qu'il se couche ou se lève,
Qu'importe le soleil ? je n'attends rien des jours.
Quand je pourrais le suivre en sa vaste carrière,
Mes yeux verraient partout le vide et les déserts;
Je ne désire rien de tout ce qu'il éclaire;
Je ne demande rien à l'immense univers.

Mais peut-être au-delà des bornes de sa sphère,
Lieux où le vrai soleil éclaire d'autres cieux,
Si je pouvais laisser ma dépouille à la terre,
Ce que j'ai tant rêvé paraîtrait à mes yeux!
Là je m'enivrerais à la source où j'aspire;
Là, je retrouverais et l'espoir et l'amour,
Et ce bien idéal que toute âme désire,
Et qui n'a pas de nom au terrestre séjour!

Que ne puis-je, porté sur le char de l'Aurore,
Vague objet de mes vœux, m'élancer jusqu'à toi!
Sur la terre d'exil pourquoi resté-je encore?
Il n'est rien de commun entre la terre et moi.

Quand la feuille des bois tombe dans la prairie,
Le vent du soir s'élève et l'arrache aux vallons;
Et moi, je suis semblable à la feuille flétrie :
Emportez-moi comme elle, orageux aquilons! 1

Le Lac 2.

Ainsi, toujours poussés vers de nouveaux rivages,
Dans la nuit éternelle emportés sans retour,
Ne pourrons-nous jamais sur l'océan des âges
Jeter l'ancre un seul jour ?

O lac! l'année à peine a fini sa carrière,
Et près des flots chéris qu'elle devait revoir,
Regarde! je viens seul m'asseoir sur cette pierre
Où tu la vis s'asseoir !

Tu mugissais ainsi sous ces roches profondes;
Ainsi tu te brisais sur leurs flancs déchirés ;
Ainsi le vent jetait l'écume de tes ondes
Sur ses pieds adorés.

Un soir, t'en souvient-il? nous voguions en silence;
On n'entendait au loin, sur l'onde et sous les cieux,
Que le bruit des rameurs qui frappaient en cadence
Tes flots harmonieux.

fout à coup des accents inconnus à la terre
Du rivage charmé frappèrent les échos;
Le flot fut attentif, et la voix qui m'est chère

Laissa tomber ces mots :

Le génie poétique de Lamartine doit quelque chose à la Bible, à Chateaubriand, à Ossian, à Pétrarque; il a dit lui-même qu'il puisa à ces quatre sources ses premières impressions de poésie. Dans cette pièce, l'influence de Chateaubriand est très visible; on pourra s'en rendre compte en la comparant avec le morceau intitulé la Mélancolie de René, dans le vol. I de cette Chrestomathie. Pour la question des influences subies par le poète, lire le remarquable ouvrage d'Ernest Zyromski, Lamartine, poète lyrique, paru récemment.

Extrait des Premières méditations poétiques. C'est la pièce la plus célèbre de Lamartine; pour bien la comprendre il faut lire Avant l'adieu, dans le vol. I de cet ouvrage, page 50, et se rappeler que son amie était morte quand il composa ces vers d'une si profonde mélancolie.

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