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Je n'ose plus t'aimer!

GÉRALD

BERTHE

Et moi, Gérald, et moi?

Pour me frapper ainsi que t'ai-je fait ? Pourquoi ?

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Eh bien, si pour toi seul il n'est pas effacé,
S'il ne te suffit pas que l'empereur pardonne,
S'il faut que la mort parle et que le ciel ordonne,
Eh bien, Gérald, au nom de mon père...

GÉRALD

Le mien pourrait entendre!

Plus bas :

BERTHE, tombant dans les bras de ses suivantes.

Ah! plus d'espoir, hélas !

GÉRALD, allant vers Charlemagne.

Sire, devant ces pleurs venez à ma défense !
Je ne peux rien céder contre ma conscience,
Tout espoir me rendrait à moi-même odieux :
La fille de Roland au fils de... Justes dieux !
Non, jamais! Sa pitié ne voit que mon martyre,
Aujourd'hui... Mais demain! Vous m'avez compris, sire!

476

CHARLEMAGNE

C'est vrai, Gérald! Ton roi, ton juge et ton seigneur,
Ne te saurait blamer pour cet excès d'honneur ;
Mais, comme roi, voici ma sentence dernière :
Hiør, pour délivrer Durandal prisonnière,

Je t'ai prêté Joyeuse. Aujourd'hui. je fais mieux :
Il faut à ton courage un prix plus glorieux ;
Je veux que Durandal désormais tappartienne,
Car la main de Roland la mettrait dans la tienne!
La noble épée a soif du sang de l'étranger ;
Toi son libérateur, mène-la se venger;

Et quand vous aurez fait ce qu'il faut faire encore,
Quand vous aurez chassé, du couchant à l'aurore,
Nos derniers ennemis comme un troupeau tremblant,
Tu la rapporteras au tombeau de Roland!

GÉRALD

Qui, sire, à son tombeau, là-bas! en Aquitaine!
Et puis, j'irai chercher une mort plus lointaine.

BERTHE

Et si la mort te fuit, Gérald?

GÉRALD

Je marcherai

Si loin et d'un tel pas que je la trouverai!

BERTHE, après un long silence.

Eh bien... je me soumets : qui t'aime te ressemble!
Dieu fit nos cœurs pareils : que Dieu seul les rassemble!
- Adieu, Gérald !

CHARLEMAGNE

Barons, princes, inclinez-vous

Devant celui qui part : il est plus grand que nous !

Gérald, Durandal à la main, s'éloigne au milieu des épées de tous les seigneurs inclinés devant lui, tandis que Berthe lui montre du doigt le ciel.

Euvres à lire de Henri de Bornier (Dentu, éditeur, et Fayard frères, Paris) : La Fille de Roland (1873); Les Noces d'Attila (1880); France d'abord (1899). Critiques à consulter Jules Lemaître, Impressions de théâtre (1891); d'Haussonville, Discours à l'Académie française, 25 mai 1893; Catulle Mendès, Feuilleton du Journal, 29 novembre 1895; Ch. Gidel, Histoire de la littérature française (1898); Henry Michel, Le quarantième fauteuil (1898).

EDMOND ROSTAND

Né à Marseille en 1868.

Dans un siècle ou deux, quand on parlera d'Edmond Rostand, on dira: «L'auteur de Cyrano », comme on dit « l'auteur du Cid » ou << l'auteur d'Hernani». Il y a des succès, en effet, qui classent à jamais un homme et celui de Cyrano a été étourdissant. L'unanimité de la critique a proclamé la pièce un chef-d'œuvre, le public lettré la portée aux nues et le peuple plus haut encore, si c'est possible. C'est là un fait qui ne s'était jamais vu en France1. Quand fut jouée, le 28 décembre 1897, cette pièce radieuse, Edmond Rostand était déjà connu par trois œuvres dramatiques de grande valeur; mais c'est dans Cyrano qu'il a donné toute sa mesure; il faut lire cette œuvre pour le juger. Disons tout de suite qu'elle est remarquable de fantaisie comique, de verve burlesque, de sentimentalité héroïque et précieuse, de poésie délicate et touchante, d'action, de mouvement, de vie. La valeur de l'oeuvre est incontestable; mais on peut discuter sur l'importance littéraire de celleci. Pour la plupart des critiques, Edmond Rostand est un créateur qui vient d'inaugurer une nouvelle forme de poésie dramatique; il nous semble que cette opinion est complètement erronée. L'auteur de Cyrano n'apporte aucune formule nouvelle. Sa pièce est, au contraire, une sorte de fusion, admirable, il est vrai, de tous les éléments existant dans la littérature dramatique française antérieurement à lui. On y retrouve peu ou prou Banville, Gautier, Dumas père, Victor Hugo, Corneille. Scarron, les Précieuses. Ce qui domine dans ce drame, c'est la fantaisie romantique merveilleusement assimilée. En somme, Edmond Rostand est un grand écrivain dramatique; il a. malgré les influences qu'il a subies, une originalité puissante, car l'abeille n'en est pas moins une admirable créatrice bien qu'elle se soit posée sur toutes les fleurs d'un jardin; mais ce n'est pas un chef d'école, à la manière d'un Corneille ou d'un Hugo. Loin de représenter le commencement d'une ère littéraire nouvelle, Cyrano me paraît être le dernier et superbe feu d'artifice du néo-romantisme finissant. Sa dernière pièce, L'Aiglon, magnifique en partie, qui a eu aussi un éclatant succès auprès du public, quoique moins goûtée par la critique, confirme en somme ce jugement.

Cyrano de Bergerac 2.

La scène se passe à Paris, en 1640, à l'hôtel de Bourgogne où l'on va représenter Clorise, pastorale de Balthazar Baro. L'acteur Montfleury doit jouer dans la pièce, mais Cyrano de Bergerac, un cadet de Gascogne, au nez ridicule, bretteur héroïque et poète original, lui a interdit, à la suite d'une offense, de

Pour montrer ce que cette unanimité a d'inquiétant à certains égards, Jules Lemaître a dit spirituellement de l'auteur: « Il lui manque d'être incompris ». Comédie héroïque, en 5 actes (1897). Pour bien comprendre l'origine romantique de cette pièce, lire Les Trois mousquetaires d'Alexandre Dumas, Ruy Blas de Victor Hugo et Le capitaine Fracasse de Théophile Gauthier. Comparer le style de cet extrait avec celui du morceau intitulé Matamore, 1er volume de cette Chrestomathie, page 200.

paraitre sur la scène pendant un mois. Montfleury n'a pas cru au sérieux de cette défense et vient pour jouer son rôle. Cyrano va lui faire prendre la uite et mettre, par son courage et sa verve, le public de son côté.

ACTE I
Scène III.

LE PUBLIC, CAVALIERS, BOURGEOIS, LES MARQUIS, PAGES, LE BRET, ami de Cyrano, RAGUENEAU, MONTFLEURY, DE GUICHE, LE VICOMTE DE VALVERT, puis CYRANO.

On frappe les trois coups. Le rideau s'ouvre. Tableau. Les marquis assis sur les côtés, dans des poses insolentes. Toile de fond représentant un décor bleuâtre de pastorale. Quatre petits lustres de cristal éclairent la scène. Les violons jouent doucement.

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On entend un air de musette, et Montfleury paraît en scène, énorme, dans un costume de berger de pastorale, un chapeau garni de roses perché sur l'oreille, et soufflant dans une cornemuse enrubannée.

LE PARTERRE, applaudissant.

Bravo, Montfleury! Montfleury !

MONTFLEURY, après avoir salué, jouant le rôle de Phédon.

« Heureux qui loin des cours, dans un lieu solitaire,
Se prescrit à soi-même un exil volontaire,

Et qui, lorsque Zéphire a soufflé sur les bois... »

UNE VOIX, au milieu du parterre.

Coquin, ne t'ai-je pas interdit pour un mois?

Stupeur. Tout le monde se retourne. Murmures.

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Eh bien?

MONTFLEURY, d'une voix mal assurée.

« Heureux qui loin des cours dans un lieu sol... »

LA VOIX, plus menaçante.

Faudra-t-il que je fasse, 6 Monarque des drôles,

Une plantation de bois sur vos épaules?

Une canne au bout d'un bras jaillit au-dessus des têtes.

MONTFLEURY, d'une voix de plus en plus faible.

« Heureux qui... »

La canne s'agite.

LA VOIX

Sortez!

LE PARTERRE

Oh !

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