Elle n'était pas dans les conseils du ciel, Je me le suis dit toujours devant ta tombe Ce fut, je le crains, un faux raisonnement. Même, ô pour ce plan d'humble vertu cachée: Fallait te laisser pauvre et gai dans ton nid, Il me reviendrait, le fils des justes noces, Cette adoption fut le fruit défendu; Euvres à lire de Paul Verlaine (Vanier, éditeur, Paris): Poèmes saturniens (1866); La bonne chanson (1870); Romances sans paroles (1874); Sagesse (1880); Amour (1888); Bonheur (1891). Critiques à consulter Jules Tellier, Nos poètes (1888); Byvanck, Un Hollandais à Paris en 1891; Jules Lemaître, Les Contemporains (1895); Ch. Morice, Paul Verlaine, l'homme et l'œuvre (1896); Gaspard Vallette, Semaine littéraire de Genève, 18 janvier 1896; Fernand Gregh, Revue de Paris, 1er février 1896; Paterne Berrichon, Revue Blanche, 15 février 1896; Gaston Deschamps, La vie et les livres (1896); Emile Verhæren, Revue Blanche, T. XII (1897): Victor Charbonnel, Les mystiques dans la littérature présente (1898). STÉPHANE MALLARMÉ Né à Paris en 1842, mort à Valvins en 1898. Quand Verlaine mourut, les Jeunes, qui ont la prétention de former le Tout-Paris esthétique, proclamèrent Stéphane Mallarmé prince des poètes. Voilà un prince qui ne règnera jamais au pays de la Clarté, et parmi les féaux sujets, rangés sous sa bannière symboliste, il y en a bien peu certainement qui peuvent se vanter de le comprendre. Cet écrivain éminemment abscons est l'homme des symboles; la réalité sensible n'est pour lui qu'une série de signes extérieurs qu'il transpose dans son art avec une inlassable patience. Platonicien convaincu, il pense que la nature est une création de notre esprit. Partant de cette idée, la fonction de la poésie lui paraît être de créer une vie supérieure de rêve, accessible aux seules âmes éprises d'idéal et capables de l'effort nécessaire. Quand Mallarmé écrit, il poursuit son rêve intérieur dont il note les phases en de vagues traductions sans liaisons logiques; nous sommes censés suivre en nous ce qui se passe en son âme. Au-dessus de la réalité vulgaire, le prince des poètes crée une autre réalité meilleure; malheureusement sa langue est d'une telle obscurité que la céphalalgie nous gagne à vouloir saisir le sens de cette suprême réalité incohérente. Les critiques de la jeuneécole louent vivement le poète de cette herméticité et s'extasient devant ses rébus symbolistes. D'après eux, pour être vraiment belle, la poésie ne doit être ouverte qu'à quelques initiés qui recréent en eux les émotions à demi exprimées du poète. Quelquefois celui-ci se plaît à donner plusieurs sens superposés à ses vers, de sorte qu'on n'est même pas sûr d'arriver à atteindre la vraie création symboliste; qu'importe ? Pourquoi attacher tant d'importance à l'élément intellectuel de la poésie; il suffit que celle-ci soit une pure musique, qu'elle suggère de vagues émotions, même sans rien exprimer du tout. Ces choses-là ont été gravement écrites par des gens qui ne sont pas les premiers venus... O Boileau, éminent apôtre de la Raison, qu'eût pensé votre grande âme ?... Apparition 1. La lune s'attristait. Des séraphins en pleurs Rêvant, l'archet aux doigts, dans le calme des fleurs De blancs sanglots glissant sur l'azur des corolles. 1 Ces vers et les suivants sont extraits du recueil intitulé Vers et prose, morceaux choisis (1893). Avant d'être le prince des poètes sybillins, Mallarmé fut un parnassien remarquable. On pourra voir dans cette pièce vraiment exquise quelle perte fit la littérature française le jour où il eut la malencontreuse idée de créer pour nous une réalité supérieure, au lieu de continuer à écrire des vers délicats et compréhensibles. C'était le jour béni de ton premier baiser. Ma songerie aimant à me martyriser S'enivrait savamment du parfum de tristesse Que même sans regret et sans déboire laisse La cueillaison d'un Rêve au cœur qui l'a cueilli. J'errais donc, l'œil rivé sur le pavé vieilli, Quand, avec du soleil aux cheveux, dans la rue Et dans le soir, tu m'es en riant apparue. Et j'ai cru voir la fée au chapeau de clarté Qui jadis sur mes beaux sommeils d'enfant gâté Passait, laissant toujours de ses mains mal fermées Neiger de blancs bouquets d'étoiles parfumées. Les fenêtres. Las du triste hôpital et de l'encens fétide Se traîne et va, moins pour chauffer sa pourriture Et sa bouche, fiévreuse et d'azur bleu vorace, Ivre, il vit, oubliant l'horreur des saintes huiles, La toux; et quand le soir saigne parmi les tuiles, Voit des galères d'or, belles comme des cygnes, Je fuis et je m'accroche à toutes les croisées Je me mire et me vois ange! et je meurs, et j'aime Que la vitre soit l'art, soit la mysticité A renaître, portant mon rêve en diadème, Mais, hélas! Ici-bas est maître : sa hantise Est-il moyen, & Moi qui connais l'amertume, L'Azur 1. De l'éternel Azur la sereine ironie Accable, belle indolemment comme les fleurs, Fuyant, les yeux fermés, je la sens qui regarde Et toi, sors des étangs léthéens et ramasse En t'en venant la vase et les pâles roseaux, Cher Ennui, pour boucher d'une main jamais lasse Les grands trous bleus que font méchamment les oiseaux. Encor! que sans répit les tristes cheminées Fument, et que de suie une errante prison Cette pièce étrange peut donner une idée de la seconde manière de l'auteur. Eteigne dans l'horreur de ses noires traînées Le ciel est mort. Vers toi, j'accours! donne, o Matière. A ce martyr qui vient partager la litière Où le bétail heureux des hommes est couché, Car j'y veux, puisque enfin ma cervelle, vidée En vain l'Azur triomphe, et je l'entends qui chante Et du métal vivant sort en bleus angélus ! Il roule par la brume, ancien et traverse Ta native agonie ainsi qu'un glaive sûr; Sonnet1. Le vierge, le vivace et le bel aujourd'hui Quand du stérile hiver a resplendi l'ennui. Voici un spécimen typique de poésie symboliste; nous le donnons à titre de curiosité et comme un bel exemple à ne pas suivre. Il parait que ce logogriphe a un sens, d'après M. de Wyzewa; le voici : « Un cygne se lamente à la surface d'un lac dont les eaux sont gelées éternellement. Il aurait pu jadis, chanter, créer - une autre région : là, il aurait vécu, abrité des hivers stériles et de l'ennui. Hélas! il est aujourd'hui devenu l'esclave de ce monde glacé. Son aile est attachée à la surface du lac éternellement. Eternellement? Ne peut-elle s'arracher en ce jour nouvel et vivace de la science regagnée ? Mais son col secoue vainement cette blanche agonie; vainement il a nié l'espace qui le tient, et qu'il sait avoir créé. L'habitude cruelle le rive au sol: il peut mépriser cette vision de malheur : toujours, désormais, il devra la subir. » Quand on publiera les œuvres complètes de Mallarmé, il faudra évidemment charger Teodor de Wyzewa d'en faire une traduction ad usum populi. |