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Elle n'était pas dans les conseils du ciel,
Je me le suis dit en pleurant bien souvent;

Je me le suis dit toujours devant ta tombe
Noire de fusains, blanche de marguerites,
Elle fut sans doute un de ces démérites
Cause de ces maux où voici que je tombe.

Ce fut, je le crains, un faux raisonnement.
A bien réfléchir, je n'avais pas le droit,
Pour me consoler dans mon chemin étroit
De te choisir, même ô si naïvement,

Même, ô pour ce plan d'humble vertu cachée:
Quelques champs autour d'une maison sans faste
Que connaît le pauvre, et sur un bonheur chaste
La grâce de Dieu complaisamment penchée!

Fallait te laisser pauvre et gai dans ton nid,
Ne pas te mêler à mes jeux orageux,
Et souffrir l'exil en proscrit courageux,
L'exil loin du fils né d'un amour bénit.

Il me reviendrait, le fils des justes noces,
A l'époque d'être au moment d'être homme,
Quand il comprendrait, quand il sentirait comme
Son père endura de sottises féroces !

Cette adoption fut le fruit défendu;
J'aurais dû passer dans l'odeur et le frais
De l'arbre et du fruit sans m'arrêter auprès.
Le ciel m'a puni... J'aurais dû, j'aurais dû!

Euvres à lire de Paul Verlaine (Vanier, éditeur, Paris): Poèmes saturniens (1866); La bonne chanson (1870); Romances sans paroles (1874); Sagesse (1880); Amour (1888); Bonheur (1891). Critiques à consulter Jules Tellier, Nos poètes (1888); Byvanck, Un Hollandais à Paris en 1891; Jules Lemaître, Les Contemporains (1895); Ch. Morice, Paul Verlaine, l'homme et l'œuvre (1896); Gaspard Vallette, Semaine littéraire de Genève, 18 janvier 1896; Fernand Gregh, Revue de Paris, 1er février 1896; Paterne Berrichon, Revue Blanche, 15 février 1896; Gaston Deschamps, La vie et les livres (1896); Emile Verhæren, Revue Blanche, T. XII (1897): Victor Charbonnel, Les mystiques dans la littérature présente (1898).

STÉPHANE MALLARMÉ

Né à Paris en 1842, mort à Valvins en 1898.

Quand Verlaine mourut, les Jeunes, qui ont la prétention de former le Tout-Paris esthétique, proclamèrent Stéphane Mallarmé prince des poètes. Voilà un prince qui ne règnera jamais au pays de la Clarté, et parmi les féaux sujets, rangés sous sa bannière symboliste, il y en a bien peu certainement qui peuvent se vanter de le comprendre. Cet écrivain éminemment abscons est l'homme des symboles; la réalité sensible n'est pour lui qu'une série de signes extérieurs qu'il transpose dans son art avec une inlassable patience. Platonicien convaincu, il pense que la nature est une création de notre esprit. Partant de cette idée, la fonction de la poésie lui paraît être de créer une vie supérieure de rêve, accessible aux seules âmes éprises d'idéal et capables de l'effort nécessaire. Quand Mallarmé écrit, il poursuit son rêve intérieur dont il note les phases en de vagues traductions sans liaisons logiques; nous sommes censés suivre en nous ce qui se passe en son âme. Au-dessus de la réalité vulgaire, le prince des poètes crée une autre réalité meilleure; malheureusement sa langue est d'une telle obscurité que la céphalalgie nous gagne à vouloir saisir le sens de cette suprême réalité incohérente. Les critiques de la jeuneécole louent vivement le poète de cette herméticité et s'extasient devant ses rébus symbolistes. D'après eux, pour être vraiment belle, la poésie ne doit être ouverte qu'à quelques initiés qui recréent en eux les émotions à demi exprimées du poète. Quelquefois celui-ci se plaît à donner plusieurs sens superposés à ses vers, de sorte qu'on n'est même pas sûr d'arriver à atteindre la vraie création symboliste; qu'importe ? Pourquoi attacher tant d'importance à l'élément intellectuel de la poésie; il suffit que celle-ci soit une pure musique, qu'elle suggère de vagues émotions, même sans rien exprimer du tout. Ces choses-là ont été gravement écrites par des gens qui ne sont pas les premiers venus... O Boileau, éminent apôtre de la Raison, qu'eût pensé votre grande âme ?...

Apparition 1.

La lune s'attristait. Des séraphins en pleurs

Rêvant, l'archet aux doigts, dans le calme des fleurs
Vaporeuses, tiraient de mourantes violes

De blancs sanglots glissant sur l'azur des corolles.

1 Ces vers et les suivants sont extraits du recueil intitulé Vers et prose, morceaux choisis (1893). Avant d'être le prince des poètes sybillins, Mallarmé fut un parnassien remarquable. On pourra voir dans cette pièce vraiment exquise quelle perte fit la littérature française le jour où il eut la malencontreuse idée de créer pour nous une réalité supérieure, au lieu de continuer à écrire des vers délicats et compréhensibles.

C'était le jour béni de ton premier baiser. Ma songerie aimant à me martyriser S'enivrait savamment du parfum de tristesse Que même sans regret et sans déboire laisse La cueillaison d'un Rêve au cœur qui l'a cueilli. J'errais donc, l'œil rivé sur le pavé vieilli, Quand, avec du soleil aux cheveux, dans la rue Et dans le soir, tu m'es en riant apparue. Et j'ai cru voir la fée au chapeau de clarté Qui jadis sur mes beaux sommeils d'enfant gâté Passait, laissant toujours de ses mains mal fermées Neiger de blancs bouquets d'étoiles parfumées.

Les fenêtres.

Las du triste hôpital et de l'encens fétide
Qui monte en la blancheur banale des rideaux
Vers le grand crucifix ennuyé du mur vide,
Le moribond, parfois, redresse son vieux dos,

Se traîne et va, moins pour chauffer sa pourriture
Que pour voir du soleil sur les pierres, coller
Les poils blancs et les os de sa maigre figure
Aux fenêtres qu'un beau rayon clair veut håler,

Et sa bouche, fiévreuse et d'azur bleu vorace,
Telle, jeune, elle alla respirer son trésor,
Une peau virginale et de jadis! encrasse
D'un long baiser amer les tièdes carreaux d'or.

Ivre, il vit, oubliant l'horreur des saintes huiles,
Les tisanes, l'horloge et le lit infligé,

La toux; et quand le soir saigne parmi les tuiles,
Son œil, à l'horizon de lumière gorgé,

Voit des galères d'or, belles comme des cygnes,
Sur un fleuve de pourpre et de parfums dormir
En berçant l'éclair fauve et riche de leurs lignes
Dans un grand nonchaloir chargé de souvenir!
Ainsi, pris du dégoût de l'homme à l'âme dure.
Vautré dans le bonheur, où ses seuls appétits
Mangent, et qui s'entête à chercher cette ordure
Pour l'offrir à la femme allaitant ses petits,

Je fuis et je m'accroche à toutes les croisées
D'où l'on tourne le dos à la vie, et, béni,
Dans leur verre, lavé d'éternelles rosées,
Que dore la main chaste de l'Infini,

Je me mire et me vois ange! et je meurs, et j'aime

Que la vitre soit l'art, soit la mysticité

A renaître, portant mon rêve en diadème,
Au ciel antérieur où fleurit la Beauté !

Mais, hélas! Ici-bas est maître : sa hantise
Vient m'écœurer parfois jusqu'en cet abri sûr,
Et le vomissement impur de la Bêtise
Me force à me boucher le nez devant l'azur.

Est-il moyen, & Moi qui connais l'amertume,
D'enfoncer le cristal par le monstre insulté,
Et de m'enfuir, avec mes deux ailes sans plume
Au risque de tomber pendant l'éternité?

L'Azur 1.

De l'éternel Azur la sereine ironie

Accable, belle indolemment comme les fleurs,
Le poète impuissant qui maudit son génie
A travers un désert stérile de Douleurs.

Fuyant, les yeux fermés, je la sens qui regarde
Avec l'intensité d'un remords atterrant
Mon âme vide. Où fuir? et quelle nuit hagarde
Jeter, lambeaux, jeter sur ce mépris navrant?
Brouillards, montez, versez vos cendres monotones
Avec de longs haillons de brume dans les cieux
Que noiera le marais livide des automnes
Et bâtissez un grand plafond silencieux !

Et toi, sors des étangs léthéens et ramasse

En t'en venant la vase et les pâles roseaux,

Cher Ennui, pour boucher d'une main jamais lasse

Les grands trous bleus que font méchamment les oiseaux.

Encor! que sans répit les tristes cheminées

Fument, et que de suie une errante prison

Cette pièce étrange peut donner une idée de la seconde manière de l'auteur.

Eteigne dans l'horreur de ses noires traînées
Le soleil se mourant, jaunâtre, à l'horizon !

Le ciel est mort. Vers toi, j'accours! donne, o Matière.
L'oubli de l'Idéal cruel et du Péché

A ce martyr qui vient partager la litière

Où le bétail heureux des hommes est couché,

Car j'y veux, puisque enfin ma cervelle, vidée
Comme le pot de fard gisant au pied d'un mur,
N'a plus l'art d'attifer la sanglotante idée,
Lugubrement bailler vers un trépas obscur...

En vain l'Azur triomphe, et je l'entends qui chante
Dans les cloches. Mon âme, il se fait voix pour plus
Nous faire peur avec sa victoire méchante,

Et du métal vivant sort en bleus angélus !

Il roule par la brume, ancien et traverse

Ta native agonie ainsi qu'un glaive sûr;
Où fuir, dans la révolte inutile et perverse?
Je suis hanté. L'Azur ! l'Azur! l'Azur! l'Azur!

Sonnet1.

Le vierge, le vivace et le bel aujourd'hui
Va-t-il nous déchirer avec un coup d'aile ivre
Ce lac dur oublié que hante sous le givre
Le transparent glacier des vols qui n'ont pas fui!
Un cygne d'autrefois se souvient que c'est lui,
Magnifique mais qui sans espoir se délivre
Pour n'avoir pas chanté la région où vivre

Quand du stérile hiver a resplendi l'ennui.

Voici un spécimen typique de poésie symboliste; nous le donnons à titre de curiosité et comme un bel exemple à ne pas suivre. Il parait que ce logogriphe a un sens, d'après M. de Wyzewa; le voici : « Un cygne se lamente à la surface d'un lac dont les eaux sont gelées éternellement. Il aurait pu jadis, chanter, créer - une autre région : là, il aurait vécu, abrité des hivers stériles et de l'ennui. Hélas! il est aujourd'hui devenu l'esclave de ce monde glacé. Son aile est attachée à la surface du lac éternellement. Eternellement? Ne peut-elle s'arracher en ce jour nouvel et vivace de la science regagnée ? Mais son col secoue vainement cette blanche agonie; vainement il a nié l'espace qui le tient, et qu'il sait avoir créé. L'habitude cruelle le rive au sol: il peut mépriser cette vision de malheur : toujours, désormais, il devra la subir. » Quand on publiera les œuvres complètes de Mallarmé, il faudra évidemment charger Teodor de Wyzewa d'en faire une traduction ad usum populi.

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