Pareilles à des algues enlacées, Joie éparse, douleurs passées Celle-là qui sourit est venue, Sur sa barque de fleurs qui penche, Assise jadis à la porte De la vieille maison ouverte sur la mer; Elle m'apporte Son rire clair... Le flot roule parmi les algues, Des conques d'émail et de nacre; On y écoute son passé vivant, Te voici donc, ô songeuse! Lentement, sur la mer étale, De tous ses avirons qui s'égouttent dans l'eau; Et les grands et calmes oiseaux Je t'entends au fond des soirs d'ennui Pleurer dans l'ombre ou l'Heure a fui. Avec les ailes du Silence. Douces pensées, Murmure du flot sur la grève, Douces pensées, Furtives et vaines Qui chantez de nous dans les choses. Le roseau1. Un petit roseau m'a suffi Pour faire frémir l'herbe haute, Et les doux saules, Et le ruisseau qui chante aussi ; A faire chanter la forêt. Ceux qui passent l'ont entendu, Proche ou lointain... Ceux qui passent en leurs pensées Euvres à lire de Henri de Régnier (Librairie du Mercure de France, Paris); Les lendemains (1886); Apaisement (1886); Sites (1887); Episodes (1888); Poemes anciens et romanesques (1890); Tel qu'en songe (1892); Arethuse (1895); Les jeux rustiques et divins (1897); Les médailles d'argile (1900). Critiques à consulter: Ch. Morice, La littérature de tout à l'heure (1888); Gaston Deschamps, La vie et les livres (1896), et Le Temps, 14 mars 1897; F. Brunetière, L'évolution de la poésie lyrique; Edouard Rod, Le Gaulois, 28 mai 1897; Georges Pellissier, Le mouvement littéraire contemporain (1901). 1 Extrait des Jeux rustiques et divins (1897). On remarquera quelle harmonie il y a dans ces vers, écrits cependant contre toutes les règles prosodiques traditionnelles. GUSTAVE KAHN Né en 1859. Ce poète passe généralement pour l'inventeur du vers libre. Dans l'école symboliste, il a donc une remarquable originalité, puisqu'il a trouvé ou réalisé, après Verlaine, une nouvelle forme prosodique. Des critiques pointilleux prétendent, il est vrai, qu'il y a mille manières de faire d'exécrables vers et que Gustave Kahn les connaît toutes. Ce jugement est très injuste; quand l'auteur abandonne le charabia sybillin de Stéphane Mallarmé, il est un poète exquis. Dans ses œuvres, comme dans celles de tous les décadents, il y a un peu trop de licornes, de paons, de cygnes, de glaïeuls, de lys, de palais crépusculaires, de landes infrangibles, de rosaces lunaires, de rampes ocellées; ce sont là jeux de prince symboliste. Cet abus n'empêche pas Gustave Kahn d'être un écrivain très original; il a une grande puissance d'inspiration et sa langue est riche d'images. Vers les hâvres1. Vers le plein ciel qui se dérobe tangue la barque évanescente, la barque aux citrines voilures des vesprées désespérées Les havres exilés de là la haute mer les havres désirés dès les matins éphémères : Et les chevaliers blancs fuyards du marécage pour guérir le temps, des âges. Vers le plein ciel qui se dérobe les barques éployées sur la mer multiplient les cadences des rames perpétuelles 1 Extrait des Palais nomades (1887). Nous conservons à ces vers et aux suivants la disposition que leur a donnée l'anteur. Les symbolistes n'emploient pas les majuscules au commencement du vers quand la phrase n'est pas finie. En cela, ils ont raison. En revanche, leur ponctuation est très criticable. La rue1. La rue comme un regret sans fin s'endort et les pas lointains s'en vont comme à regret. Dans l'heure en brume et sans décor les âmes tristes prennent le pas plus lent de la douleur et du regret. Dans les lointains précipités les roues bruissent au plus vite, c'est plus de douleur dans un regret sans essor. et personne n'est plus qui se souvienne, ni plus vite mène une joie de marche vers un divan de meilleur sort. La rue comme une plainte oscille dans la brume, fallotes les lumières en espace, et sur les places comme des déserts de cœur s'étendent et regrettent. Les pas plus lents se meurent de mémoire et de regret. Le feu2. Le feu trille; des doigts longs montent comme des vrilles le feu danse, dans sa nappe large se creusent comme des anses. d'un large grésillement dans la poutre qu'il ronge fête des feux de joie sur l'amas blanc Le feu brille, le feu crie parmi des débris. C'est un collier d'or jeté dans l'air noir. Le feu siffle, les vents l'accompagnent de leurs cymbales. Ils viennent en hordes de Tantales Extrait des Chansons d'amant (1896). Extrait du Livre d'images (1897). – Dans ce dernier recueil, l'auteur est à peu près sorti du symbolisme proprement dit pour conter des légendes et peindre la nature et la vie. qui n'emportent des choses qu'une flammèche et un bruit Le vent passe et gifle et rien ne détruit. Le feu siffle joyeux et grandit toujours plus près du ciel, car il monte en forêt frondante de fracas, et plus près de la terre il s'assied abaissant de ses bras les plus durs piliers et la voûte sous son doigt craqua. Le feu s'étire; c'est un vieux dieu personne ne prend le deuil. Le feu veut l'autel dans la ville, et le râle et ses oiseaux d'or en essaims et fondent les cloches, fondent les cloches. L'espérance aux lourdes galoches qui cliquettent sur terre son pas de vieille fatiguée ramassera les lourds débris pour la fonte, pour la fonte. Comme une serve elle marche courbée pour une ombre. pour une ombre. Son sarreau est vieux, sa cornette est laide qui se pavane, qui se pavane parmi sa cour de grands serpents qui s'avancent en trompettant: |