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Pareilles à des algues enlacées,
Algue d'argent souple et bleui,
Algue d'or que le flot verdit,
Double serpent du caducée,
Thyrse d'oubli,

Joie éparse, douleurs passées
En mes pensées.

Celle-là qui sourit est venue,

Sur sa barque de fleurs qui penche,
Des jours lointains de mon enfance;
Je l'ai connue

Assise jadis à la porte

De la vieille maison ouverte sur la mer;

Elle m'apporte

Son rire clair...

Le flot roule parmi les algues,

Des conques d'émail et de nacre;
On y entend toute sa vie,

On y écoute son passé vivant,
Ecume, marée et vent,
Sa joie et sa mélancolie.

Te voici donc, ô songeuse!
Qui t'accoudes en robe pâle;
Ta barque pleure,

Lentement, sur la mer étale,

De tous ses avirons qui s'égouttent dans l'eau;
Je t'entendais jadis du fond des soirs d'ennui
Gémir avec le câble et la mâture

Et les grands et calmes oiseaux
Dont l'aile frôle le silence;

Je t'entends au fond des soirs d'ennui

Pleurer dans l'ombre ou l'Heure a fui.

Avec les ailes du Silence.

Douces pensées,

Murmure du flot sur la grève,
Remous du sable, frissons d'aile,
Pas lointains et voix lointaines,
Arabesques d'algues enlacées,
Sang terrestre qui, de veine en veine,
Coule au granit et le fait chair,

Douces pensées,

Furtives et vaines

Qui chantez de nous dans les choses.
Bercez en moi les conques closes,
Où s'endorment mes heures passées;
Douces pensées!

Le roseau1.

Un petit roseau m'a suffi

Pour faire frémir l'herbe haute,
Et tout le pré,

Et les doux saules,

Et le ruisseau qui chante aussi ;
Un petit roseau m'a suffi

A faire chanter la forêt.

Ceux qui passent l'ont entendu,
Au fond du soir, dans leurs pensées,
Dans le silence ou dans le vent,
Clair ou perdu,

Proche ou lointain...

Ceux qui passent en leurs pensées
En écoutant au fond d'eux-mêmes,
L'entendront encore et l'entendent
Toujours qui chante.

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Euvres à lire de Henri de Régnier (Librairie du Mercure de France, Paris); Les lendemains (1886); Apaisement (1886); Sites (1887); Episodes (1888); Poemes anciens et romanesques (1890); Tel qu'en songe (1892); Arethuse (1895); Les jeux rustiques et divins (1897); Les médailles d'argile (1900). Critiques à consulter: Ch. Morice, La littérature de tout à l'heure (1888); Gaston Deschamps, La vie et les livres (1896), et Le Temps, 14 mars 1897; F. Brunetière, L'évolution de la poésie lyrique; Edouard Rod, Le Gaulois, 28 mai 1897; Georges Pellissier, Le mouvement littéraire contemporain (1901).

1 Extrait des Jeux rustiques et divins (1897).

On remarquera quelle harmonie il y a dans ces vers, écrits cependant contre toutes les règles prosodiques traditionnelles.

GUSTAVE KAHN

Né en 1859.

Ce poète passe généralement pour l'inventeur du vers libre. Dans l'école symboliste, il a donc une remarquable originalité, puisqu'il a trouvé ou réalisé, après Verlaine, une nouvelle forme prosodique. Des critiques pointilleux prétendent, il est vrai, qu'il y a mille manières de faire d'exécrables vers et que Gustave Kahn les connaît toutes. Ce jugement est très injuste; quand l'auteur abandonne le charabia sybillin de Stéphane Mallarmé, il est un poète exquis. Dans ses œuvres, comme dans celles de tous les décadents, il y a un peu trop de licornes, de paons, de cygnes, de glaïeuls, de lys, de palais crépusculaires, de landes infrangibles, de rosaces lunaires, de rampes ocellées; ce sont là jeux de prince symboliste. Cet abus n'empêche pas Gustave Kahn d'être un écrivain très original; il a une grande puissance d'inspiration et sa langue est riche d'images.

Vers les hâvres1.

Vers le plein ciel qui se dérobe

tangue la barque évanescente,

la barque aux citrines voilures des vesprées désespérées
par les pleurs des vagues et l'ocellure de leurs robes.

Les havres exilés de là la haute mer

les havres désirés dès les matins éphémères :
à quelle ancre fixés les repos de la haute mer.

Et les chevaliers blancs fuyards du marécage
les yeux vers l'infini du regret primordial
si calmes d'épuiser dans la coupe éternelle
le désespoir qui se fixe en perpétuelles ritournelles
attendent le magique, le soudain cordial

pour guérir le temps, des âges.

Vers le plein ciel qui se dérobe

les barques éployées sur la mer

multiplient les cadences des rames perpétuelles
vers les hâvres enfuis de là la haute mer.

1 Extrait des Palais nomades (1887). Nous conservons à ces vers et aux suivants la disposition que leur a donnée l'anteur. Les symbolistes n'emploient pas les majuscules au commencement du vers quand la phrase n'est pas finie. En cela, ils ont raison. En revanche, leur ponctuation est très criticable.

La rue1.

La rue comme un regret sans fin s'endort

et les pas lointains s'en vont comme à regret.

Dans l'heure en brume et sans décor

les âmes tristes prennent le pas plus lent de la douleur et du regret.

Dans les lointains précipités les roues bruissent au plus vite, c'est plus de douleur dans un regret sans essor.

et personne n'est plus qui se souvienne, ni plus vite mène une joie de marche vers un divan de meilleur sort.

La rue comme une plainte oscille dans la brume, fallotes les lumières en espace, et sur les places comme des déserts de cœur s'étendent et regrettent. Les pas plus lents se meurent de mémoire et de regret.

Le feu2.

Le feu trille;

des doigts longs montent comme des vrilles
subites, en l'air noir;

le feu danse,

dans sa nappe large se creusent comme des anses.
L'azur et l'or se poursuivent et se terrassent
dans une course vive.
Le feu rit

d'un large grésillement dans la poutre qu'il ronge
longtemps, puis triomphe d'un élan.
Le feu rougeoie,

fête des feux de joie sur l'amas blanc
de neige des plaisirs de songe.

Le feu brille, le feu crie

parmi des débris.

C'est un collier d'or jeté dans l'air noir.

Le feu siffle,

les vents l'accompagnent de leurs cymbales.

Ils viennent en hordes de Tantales

Extrait des Chansons d'amant (1896).

Extrait du Livre d'images (1897). – Dans ce dernier recueil, l'auteur est à peu près sorti du symbolisme proprement dit pour conter des légendes et peindre la nature et la vie.

qui n'emportent des choses qu'une flammèche et un bruit Le vent passe et gifle et rien ne détruit.

Le feu siffle joyeux et grandit

toujours plus près du ciel, car il monte en forêt frondante de fracas,

et plus près de la terre il s'assied

abaissant de ses bras les plus durs piliers

et la voûte sous son doigt craqua.

Le feu s'étire; c'est un vieux dieu
qui veut l'autel large et le temple immense
et veut se réverbérer sur les hauts lieux,
message de fête, liesse ou transe;
quand il crépite seul tout au fond des forêts
faisant éclater l'arbre de par mille cognées
et carbonisant le chevreuil,

personne ne prend le deuil.

Le feu veut l'autel dans la ville, et le râle
charbonnant dans les capitales

et ses oiseaux d'or en essaims
viennent agacer le tocsin

et fondent les cloches,

fondent les cloches.

L'espérance aux lourdes galoches

qui cliquettent sur terre son pas de vieille fatiguée ramassera les lourds débris

pour la fonte,

pour la fonte.

Comme une serve elle marche courbée
et se brûle les mains aux décombres

pour une ombre.

pour une ombre.

Son sarreau est vieux, sa cornette est laide
et ses yeux chassieux choient en gouttelettes,
et voici le seigneur Feu

qui se pavane,

qui se pavane

parmi sa cour de grands serpents
et de bouffons couronnés d'or

qui s'avancent en trompettant:

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