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Je revois le bassin verdi de mousses d'eau

Qui s'ouvraient comme un clair et fragile rideau

Au choc des cailloux blancs que nous jetions dans l'onde
Pour voir fuir, à travers les forêts de roseau,

Les grands poissons d'argent dans la vasque profonde;

La pelouse où les fleurs en Mai poussaient par gerbes,
Mêlant au clair pavot la jaune renoncule,

Et dont le vent berçait les longues houles d'herbes,
Souffle frais du matin, brise du crépuscule,
Sans trève, en un remous onduleux qui circule.
Je revois, dans les houx, héros humiliés,
Dieux de jadis gisant plus que morts, oubliés,
Les marbres dont la tête a roulé sur les dalles,
Les nymphes se baissant pour nouer leurs sandales
Que dès longtemps le vent a fait choir de leurs pieds.
Et surtout, au détour verdoyant d'une tente,
Emergeant de sa gaine de marbre, un vieux Faune
Qui, solitaire, au gré d'une ivresse dansante
Promenait ses doigts vifs sur une flûte absente
Pour charmer les échos lointains dans le bois jaune...
Cloches d'automne 1.

Des cloches, de lointaines cloches,

Dans le grand crépuscule immobile d'Automne
Eveillent un frisson sonore et monotone.

Des cloches, de lointaines cloches,

Bercent sur l'horizon leur plainte qui s'étonne,
Baissant soudain la voix comme pour des reproches.
Souviens-toi des matins où chantaient les clochers,
Et des longs soirs d'Octobre assoupis de langueur
Où le vent, qui fait les feuilles se détacher
Avec des bruits pareils au battement d'un cœur,
Soudain apporte en le silence un chant de cloches...
Souviens-toi de ces jours si lointains et si proches
Où l'espoir te berçait de mystérieux chants,
Quand s'épandaient, comme des larmes retenues,

Les voix des cloches claires ou sombres comme les nues
Qui versent le soleil et l'ombre sur les champs...

C'est une des pièces où le poète a le plus usé des innovations des vers libristes.

Souviens-toi, souviens-toi des matins de dimanche
Où ton âme était grave et fière et toute blanche...

Les clochers bourdonnaient comme un essaim d'abeilles,
Et les cloches comme une plainte qui s'éveille

Et s'endort et renaît plus forte, sursautaient,
Et se lamentaient doucement, et sanglotaient...

Et leurs voix sur les vents passaient comme de grandes ondes
Qui noyaient les forêts profondes

Et caressaient les plus secrètes fleurs,

Et comme des flots chargés de sanglots allaient se briser
Par les hameaux en joie et les champs apaisés
Aux grèves murmurantes de tous les cœurs..,

Ces jours si lointains et si proches,
Ces jours qu'ont évoqués les cloches
Du fond du passé sombre où s'endorment les jours,
Ces jours si lointains et si proches
Ont-ils fui pour toujours!

O passé! Souvenir doux-amer! û regret!
Reviendrez-vous, matins des divines tristesses!
Le chant a-t-il menti des cloches prophétesses?
L'espoir qui me parlait en leur voix fut-il vrai ?
Ou bien, comme ce soir en écoutant les cloches
Dois-je pleurer toujours,

En écoutant chanter, longs sanglots, doux reproches,
Au fond des soirs, du fond des jours,
Les cloches incertaines,
Les cloches
Lointaines...

Menuet 1.

La tristesse des menuets

Fait chanter mes désirs muets
Et je pleure

D'entendre frémir cette voix

Qui vient de si loin, d'autrefois,

Et qui pleure.

Cette pièce est un chef-d'œuvre de mélancolie douce et tendre; comme certaines délicieuses romances du siècle passé, elle évoque le monde charmantque peignit Watteau et dont Marivaux nous a donné la psychologie péné

trante.

Chansons frêles du clavecin,
Notes grêles, fuyant essaim
Qui s'efface,

Vous êtes un pastel d'antan
Qui s'anime, rit un instant,
Et s'efface,

O chants troublés de pleurs secrets,
Chagrins qui s'ignorent, les vrais.
Pudeur tendre,

Sanglots que l'on cache au départ,
Et qui n'osent s'avouer, par
Orgueil tendre.

Ah! comme vous broyez les cœurs
De vos airs charmants et moqueurs
Et si tristes!

Menuets à peine entendus,
Sanglots légers, rires fondus,
Baisers tristes !..

Appareillage.

Le flot clapote, un homme auprès de nous chantonne;
Des voiles passent comme un vol d'oiseaux blessés.
O phare! ô port! demain nous vous aurons laissés
Derrière nous, fuyant sous la mer qui moutonne...
Vois déjà près du môle, au soleil froid d'automne,
Notre vaisseau halé par les haleurs lassés;
Ils tirent pas à pas, et leurs chants cadencés
Font un thrène d'adieux lointain et monotone...
Car tout déjà parle d'adieux! Des matelots
Dans les vergues, bercés sur le péril des flots,
Hissent la voile avec un cri mélancolique;
Et triste comme les adieux, de toute part
Flotte dans l'air humide et le soleil oblique
Le vent qui gonflera nos voiles, au départ !
Le chemin de vie.

Je sens sourdre à mon front des sueurs d'agonie,
Et je n'ai fait pourtant qu'un pas dans mon chemin;

Je vais en tâtonnant et je cherche une main...

Qui voudra me guider sur la route infinie?

Les cailloux, autrefois, poussés d'un pied alerte,
Et qui, dans les lilas et les fleurs d'églantiers,
Ruisselaient en chantant aux pentes des sentiers,
Voici qu'en les heurtant je bute et je m'arrête.....

Je suis seul, et pourtant on marche quelque part.
Je frôle à chaque pas de grandes fleurs qui tremblent..
Comme la route est sombre au lointain; il me semble
Qu'un grand soleil pourtant rayonnait au départ.

Je ne sais plus; je sens s'aggraver peu à peu
L'invisible fardeau qui charge mes épaules.
Atteindrai-je du moins là-bas le Vallon bleu
Où je pourrais dormir près du lac, sous les saules?

Au départ, ce fut comme un éblouissement.
La route miroitait toute blanche de poudre,

Et nous sommes partis en nous serrant les coudes,
Et défiant le sort et riant follement !

Sans que j'aie un instant pu voir mes compagnons
Ne plus mettre leurs pas familiers dans ma voie,
Je me suis trouvé seul au chemin qui poudroie...
Mais pour les appeler encor je sais leurs noms.
Il y avait là-bas, au départ, dans l'aurore,
Le fol Espoir, le Rêve au front pur et joyeux,
Et le Désir avec sa flamme dans les yeux,
Et l'Amour au doux rire et le Plaisir encore.

Mes amis autrefois m'ont dit en souriant

Qu'ils voulaient me conduire aux îles Fortunées...
Peut-être l'atteindrai-je en marchant des années
Le mirage apparu dans l'aube à l'Orient?

Je sais que pour le joindre il faut passer les mers;
Mais peut-être en allant devant moi, quelque jour,
Ayant erré dans l'ombre et fait un long détour,
Verrai-je se dresser enfin ses Palais clairs !

Les Paradis d'espoir ne sont jamais perdus,
Et quand on a manqué pour y cingler la voile,
Après avoir souffert et marché sans étoile,

On les voit luire, un soir que l'on n'y croyait plus.

Mais j'irais moins lassé sur la route infinie
Si je n'étais pas seul à faire mon chemin.
Et si pour me guider je tenais une main

Dont je suivrais le charme et la douceur bénie...
Promenade d'automne 1.

J'ai marché longuement à travers la campagne
Sous le soleil rêveur que son ombre accompagne.
Comme la forme pàle, à terre, de son rêve.

L'étang brillait, je suis descendu sur la grève.

De beaux cygnes nageaient sous les derniers feuillages;
Ils trainaient derrière eux, calmes, de blancs sillages
Qui ridaient, en s'élargissant, l'eau solitaire
Et semblaient des liens d'argent avec la terre.
J'ai regardé longtemps, assis sous les vieux charmes,
Près du pont, me sentant monter aux yeux les larmes
Que fait venir l'aspect de la beauté parfaite.
Parfois passait, dans l'or du bel automne en fête,
Odeur de la Toussaint funèbre, attristant l'heure
Du tendre souvenir lointain des morts qu'on pleure,
Un monotone et doux parfum de chrysanthème.

Et soudain j'ai songé que je mourrai moi-même...
Et j'ai dit à l'automne, aux longs rayons obliques,
Au vent, au ciel, aux eaux, aux fleurs mélancoliques
« Je ne vous verrai plus, un jour, beauté du monde !
Tu ne couleras plus en moi, douceur profonde
Qui, tous les soirs, des bois pleins d'ombres colossales
Que le couchant allonge aux prés lointains, t'exhales
Et coules lentement dans ma jeune poitrine!
Un jour, tu ne viendras plus enfler ma narine,
Je ne sentirai plus à mon front ta caresse,
Vent odorant, léger, qui cours avec paresse
Sur les fleurs que le soir n'a pas encor fermées;
Et vous, fleurs tristes, fleurs pâlement parfumées,
Un jour, vous couvrirez ma tombe, chrysanthèmes!
Mais j'accueille ton nom, ô mort, sans anathèmes
Parmi la vaste paix de ce couchant d'automne;

Rien, ce soir, dans ma chair, ne tremble et ne s'étonne,

1 Extrait de La Beauté de vivre (1900). C'est un spécimen très réussi de poésie en rimes féminines.

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