D'un canal mort avec deux rangs de peupliers Dont les feuilles vont se cherchant comme des lèvres. Qui sous un heurt de vent tout à coup s'évapore Et c'est ainsi toujours qu'au hasard des nuages Principales œuvres de G. Rodenbach (Lemerre, éditeur, Paris): Les Tristesses (1879); La Mer élégante (1881); La Jeunesse blanche (1886); En silence (1888); Le Miroir du ciel natal (1898). Critiques à consulter: Ch. Fuster, Les poètes du clocher (1889); Jules Lemaître, Impressions de théâtre (1895); Gaston Deschamps, La vie et les livres (1895); Virgile Rossel, Histoire de la littérature française hors de France (1895); Gustave Kahn, Revue blanche, T. XII (1897); Fernand Gregh, Revue de Paris, 1er janvier 1899; Camille Mauclair, Revue des Revues, 15 février 1899; van Bever et Paul Léautaud, Poètes d'aujourd'hui (1900). EMILE VERHAEREN Né à Saint-Amand (Flandre) en 1855. C'est le poète le plus original et le plus puissant de la Belgique. A ses débuts, sous l'influence du naturalisme français, il écrivit des vers d'un réalisme un peu cru où revivait le tempérament savoureux des peintres coloristes de la Flandre. Depuis lors, il s'est tourné vers le symbolisme et son talent s'est magnifiquement épanoui. Il possède à la fois le sens affiné du mystère, l'énergie dominatrice du sentiment et la puissance expressive. Malgré ses attaches françaises, c'est un poète très personnel et vraiment belge, Aucun autre ne peut donner une idée aussi complète de ce qu'il y a de remarquable et de frappant dans l'âme neuve de la jeune Belgique. Le moulin 1. Le moulin tourne au fond du soir, très lentement, Il tourne, et tourne, et sa voile, couleur de lie, Depuis l'aube, ses bras, comme des bras de plainte, Un jour souffrant d'hiver parmi les loins s'endort, Sous un ourlet de sol, quelques huttes de hêtre Et dans la plaine immense et le vide dormeur, Avec les pauvres yeux de leurs carreaux en loques, La neige 2. La neige tombe indiscontinûment Comme une lente et longue et pauvre laine, La neige tombe infiniment Monotone dans un moment; La neige choit, la neige tombe, Et les granges et leurs cloisons; Myriadaire, au cimetière, au creux des tombes. Extrait des Soirs (1888). 2 Extrait des Villages illusoires (1895). Le tablier des mauvaises saisons A coups de vent, sur les hameaux des horizons. Le gel descend au fond des os Et la misère au fond des clos, La neige et la misère au fond des âmes; La neige lourde et diaphane Au fond des âtres froids et des âmes sans flamme Qui se fanent dans les cabanes. Aux carrefours des chemins tors Les villages sont blancs comme la mort; Les vieux moulins où la mousse claire s'agrège Tout à coup droits sur une butte; Tandis qu'infiniment la neige lourde et pleine Ainsi s'en va la neige au loin La neige pâle et inféconde, En folles loques vagabondes Par à travers l'hiver illimité du monde. Le vent 1. Sur la bruyère longue infiniment Voici le vent cornant Novembre. Sur la bruyère infiniment Voici le vent Qui se déchire et se démembre, Extrait des Villages illusoires. En souffles lourds battant les bourgs. Le vent sauvage de Novembre. Aux puits des fermes Les seaux de fer et les poulies Aux citernes des fermes Les seaux et les poulies Grincent et crient Toute la mort dans leurs mélancolies. Le vent rafle le long de l'eau Le vent râpe du fer Et peigne au loin les avalanches, Le vent sauvage de Novembre. Dans les étables lamentables Le vent sauvage de Novembre ! Sur sa butte de gazon bistre Le vent sauvage de Novembre. Les vieux chaumes à cropetons 1 Ce provincialisme signifie : à quatre pattes. Au vent sauvage de Novembre. Les bras des morts que sont ces croix, Rabattu noir contre le sol. Le vent sauvage de Novembre, L'avez-vous rencontré le vent Au carrefour des trois cents routes, Sur la bruyère infiniment, Voici le vent hurlant, Voici le vent cornant Novembre. La révolte 1. La rue, en un remous de pas, De corps et d'épaules d'où sont tendus des bras Sauvagement ramifiés vers la folie, Semble passer volante et s'affilie A des haines, à des sanglots, à des espoirs : La rue en or La rue en rouge, au fond des soirs. Toute la mort En des beffrois tonnants se lève; Toute la mort, surgie en rêves, Et des têtes, à la tige des glaives, Extrait des Villes tentaculaires (1896). Dans toute la poésie française, il y a bien peu de pièces aussi tragiquement belles que celle-ci. |