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EUGÈNE RAMBERT

<«< Elles le savent bien, les filles du village;

Pour moi la danse est tout, pour moi l'amour n'est rien.

Je me ris des garçons et de leur vain parlage.

Ma gloire est d'être libre et qu'on le sache bien. »

Et les autres riaient et gazouillaient entre elles.
Seule, une pâle enfant soupirait à l'écart ;

On ne l'eût pas comptée au nombre des plus belles,
Pourtant ses grands yeux bleus avaient un beau regard.

<<< L'ont-elles deviné, les filles du village?
Lui seul a mon amour et je n'ai pas le sien.
Hier, plus d'une larme a mouillé mon visage.
Mon lot est de souffrir et qu'il n'en sache rien. >>

Notre Rhin1.

Le Rhin que vous chantez dans vos vers fratricides,
Ce Rhin, fantôme impur, vieille divinité,

Qui n'a jamais lavé son lit ensanglanté,

Le Rhin des conquérants et des vautours avides,
Qu'il soit à vous, qu'il soit à vous!

Notre Rhin, libre enfant, frère jumeau du Rhône,
Sur l'Alpe, en son berceau, n'a que des rêves d'or;
Il est fier, il est libre, il est jeune, il est fort;
Le sang n'a pas souillé les fleurs de sa couronne;
Il reste à nous, toujours à nous !

Lioba 2.

Tout vrai Suisse a un ranz éternel SAINTE-BEUVE. au fond du cœur.

D'où nous vient-il, ce vieux refrain,
Qui fait pleurer, qui fait sourire?

Extrait des Poésies. Ecrit en 1869, après une soirée où l'on avait lu le Rhin allemand de Becker et la réponse d'Alfred de Musset.

Extrait des Poésies. Lioba est un mot du patois romand qui signifie vache; c'est aussi le cri d'appel des bergers pour rassembler leurs troupeaux. Dans le Ranz des vaches des Colombettes, c'est le premier mot du refrain.

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Ce ranz naïf, grave et serein,
Lioba, lioba?

Voix des bergers, voix des abîmes,
Voix des torrents, des rocs déserts,
Il vient à nous du haut des airs,
Comme un écho des blanches cimes.
Lioba, lioba!

Sur l'Alpe aux flancs vertigineux
Il flotte dans l'air qu'on respire;
Aux forêts le vent le soupire,
Et les monts se disent entre eux :
Lioba, lioba!

Dans cette idylle douce et fière
La Liberté nous a souri.

Combien de fois le cor d'Uri
A-t-il sonné sur la frontière
Lioba, lioba!

Exilés sous d'autres climats,
Regrettons-nous l'Alpe fleurie?
Ce vieux refrain, c'est la patrie
Qui nous suit, chantant sur nos pas
Lioba, lioba!

Dans les douleurs de l'agonie,
De Sempach le héros vainqueur
L'écoutait au fond de son cœur
Eclater en flots d'harmonie.
Lioba, lioba!

Voix de courage, voix d'amour,
Au timbre fort, joyeux et tendre,
Nos fils aussi sauront l'entendre
Et l'accompagner à leur tour.
Lioba, lioba!

Laissons à d'autres les chimères.
Gloire, grandeurs, tristes appas !
Le seul bien qui ne lasse pas,
Nous l'avons reçu de nos pères.
Lioba, lioba!

EUGÈNE RAMBERT

La liberté simple et sans fard,
Suisse, voilà ton apanage!
Garde-la pure d'âge en âge,
La liberté du montagnard.
Lioba, lioba!

Pour dominer l'orchestre iminense

Dans le concert des nations,

Il faut des hautes régions

Qu'au ciel toujours ce chant s'élance:
Lioba, lioba!

Fleur de deuil 1.

J'ai pris les deux enfants qui nous restent encore,
Et je les ai conduits dans la chambre du mort.
Devant ces yeux éteints, cette bouche glacée,
Cette immobilité du corps sans la pensée,

Le plus jeune des deux comprit qu'un tel sommeil,
C'était l'éternité muette et sans réveil.

Alors, en sanglotant se jetant vers sa mère,
Il ne sut que crier! « Je veux mon petit frère,
Je le veux ! »

Vers le soir, on apporta des fleurs,

De pâles fleurs d'orange aux suaves senteurs,

On en mit un bouquet dans sa main froide et blanche;
Bientôt son petit lit se couvrit de pervenche,
De couronnes de buis, de myrte, de jasmin;
Et quand les deux enfants furent, le lendemain,
D'eux-mêmes visiter la couche funéraire,
Ils revinrent disant que l'heureux petit frère,
Avec ses fleurs d'orange et sa robe de lin,
Partait pour une fête en un pays lointain.

Euvres à lire d'Eugène Rambert (F. Rouge, éditeur, Lausanne): Poésies (1874); Les Fleurs de deuil (1895). Dernières poésies (1887). Pour ses œuvres en prose, · Critiques à consulter: Henri voir le premier volume de cette Chrestomathie. Warnery, Eugene Rambert; Philippe Godet, Virgile Rossel, ouvrages cités.

1 Extrait des Fleurs de deuil, le recueil le plus poignant du poète, écrit ave les larmes d'un père frappé au cœur.

Mme MELLEY (MÉLANIE ROCHAT)

Née aux Charbonnières (Vaud), en 1829, morte à Lausanne en 1896.

Amie de Juste Olivier et d'Eugène Rambert, Mme Melley eut, comme ses deux célèbres compatriotes, le culte de la poésie. Elle écrivit poussée par un invincible besoin d'épancher son cœur, sans aucune préoccupation livresque. La muse fut pour elle une consolatrice et une amie. Ame tendre, délicate, distinguée, d'une haute valeur morale, elle aurait pu être un remarquable écrivain si elle avait eu un plus grand souci de l'art. Telle qu'elle est, avec ce qu'il y a parfois d'inachevé dans sa forme, c'est un poète d'une réelle valeur. Elle fut une fleur du foyer; à la fenêtre de celui-ci s'épanouissent souvent les plus délicates, et le passant charmé, qui ne fait que les entrevoir, devine quelle suave parfum elles peuvent répandre autour d'elles. Quand on lit les vers de Mme Melley, c'est cette impression de suavité qu'on éprouve.

Les faucilles 1.

Bien qu'il ne souffle dans les airs
Pas de tempêtes,

Frissonnez, fleurs des rocs déserts,
Courbez vos têtes!

Voici venir par les chemins
Les jeunes filles;

Voici que brille dans leurs mains
L'arc des faucilles;

Sous leurs chapeaux au noir velours
Vives, alertes,

Coupant, en chantant leurs amours,
Les tiges vertes,

Vois, dans ces merveilleux jardins,
Quelles cueillettes!

Changeant en foin sec de l'andain
Mille fleurettes.

Chacune y passera, bien sûr,
Rouge corolle,

Pétale comme un œil d'azur,

Aigrette folle.

Extrait de Jours envolés (1892). Mme Melley est un des poètes qui ont le mieux rendu la montagne et ses scènes rustiques.

Là-haut, si la faucille court
De roche en roche,

C'est qu'avec son nuage lourd,
L'hiver s'approche.

Pour les pauvres gens du chalet
Quand la fleur pousse,

C'est pour que donne plus de lait
La vache rousse.

Quel trésor, ces bouquets joyeux,
Dans leur misère!

Pour nous c'est le luxe, et pour eux
Le nécessaire.

Il faut donc bien nous résigner:
La fleur nous quitte,

Car l'on n'en va pas épargner
La plus petite;.

Pas même ces fouillis exquis

D'ombelle blanche

Dont nous commencions le croquis
L'autre dimanche ;

Ni chardon lilas, ni bouquet
D'humbles fougères

Sur la corniche où se risquait
L'aigle naguères;

Ni campanule aux fleurs d'azur,
Dans la ravine...

Car la faucheuse a le pied sûr,
L'œil qui devine.

Qu'a donc l'abeille à butiner
Après vos rondes?

Votre fer va tout moissonner,
O Parques blondes!

Je n'aime pas si brusquement
Que tout s'achève,

Comme finit en un moment

Le plus beau rêve.

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