EUGÈNE RAMBERT <«< Elles le savent bien, les filles du village; Pour moi la danse est tout, pour moi l'amour n'est rien. Je me ris des garçons et de leur vain parlage. Ma gloire est d'être libre et qu'on le sache bien. » Et les autres riaient et gazouillaient entre elles. On ne l'eût pas comptée au nombre des plus belles, <<< L'ont-elles deviné, les filles du village? Notre Rhin1. Le Rhin que vous chantez dans vos vers fratricides, Qui n'a jamais lavé son lit ensanglanté, Le Rhin des conquérants et des vautours avides, Notre Rhin, libre enfant, frère jumeau du Rhône, Lioba 2. Tout vrai Suisse a un ranz éternel SAINTE-BEUVE. au fond du cœur. D'où nous vient-il, ce vieux refrain, Extrait des Poésies. Ecrit en 1869, après une soirée où l'on avait lu le Rhin allemand de Becker et la réponse d'Alfred de Musset. Extrait des Poésies. Lioba est un mot du patois romand qui signifie vache; c'est aussi le cri d'appel des bergers pour rassembler leurs troupeaux. Dans le Ranz des vaches des Colombettes, c'est le premier mot du refrain. Ce ranz naïf, grave et serein, Voix des bergers, voix des abîmes, Sur l'Alpe aux flancs vertigineux Dans cette idylle douce et fière Combien de fois le cor d'Uri Exilés sous d'autres climats, Dans les douleurs de l'agonie, Voix de courage, voix d'amour, Laissons à d'autres les chimères. EUGÈNE RAMBERT La liberté simple et sans fard, Pour dominer l'orchestre iminense Dans le concert des nations, Il faut des hautes régions Qu'au ciel toujours ce chant s'élance: Fleur de deuil 1. J'ai pris les deux enfants qui nous restent encore, Le plus jeune des deux comprit qu'un tel sommeil, Alors, en sanglotant se jetant vers sa mère, Vers le soir, on apporta des fleurs, De pâles fleurs d'orange aux suaves senteurs, On en mit un bouquet dans sa main froide et blanche; Euvres à lire d'Eugène Rambert (F. Rouge, éditeur, Lausanne): Poésies (1874); Les Fleurs de deuil (1895). Dernières poésies (1887). Pour ses œuvres en prose, · Critiques à consulter: Henri voir le premier volume de cette Chrestomathie. Warnery, Eugene Rambert; Philippe Godet, Virgile Rossel, ouvrages cités. 1 Extrait des Fleurs de deuil, le recueil le plus poignant du poète, écrit ave les larmes d'un père frappé au cœur. Mme MELLEY (MÉLANIE ROCHAT) Née aux Charbonnières (Vaud), en 1829, morte à Lausanne en 1896. Amie de Juste Olivier et d'Eugène Rambert, Mme Melley eut, comme ses deux célèbres compatriotes, le culte de la poésie. Elle écrivit poussée par un invincible besoin d'épancher son cœur, sans aucune préoccupation livresque. La muse fut pour elle une consolatrice et une amie. Ame tendre, délicate, distinguée, d'une haute valeur morale, elle aurait pu être un remarquable écrivain si elle avait eu un plus grand souci de l'art. Telle qu'elle est, avec ce qu'il y a parfois d'inachevé dans sa forme, c'est un poète d'une réelle valeur. Elle fut une fleur du foyer; à la fenêtre de celui-ci s'épanouissent souvent les plus délicates, et le passant charmé, qui ne fait que les entrevoir, devine quelle suave parfum elles peuvent répandre autour d'elles. Quand on lit les vers de Mme Melley, c'est cette impression de suavité qu'on éprouve. Les faucilles 1. Bien qu'il ne souffle dans les airs Frissonnez, fleurs des rocs déserts, Voici venir par les chemins Voici que brille dans leurs mains Sous leurs chapeaux au noir velours Coupant, en chantant leurs amours, Vois, dans ces merveilleux jardins, Changeant en foin sec de l'andain Chacune y passera, bien sûr, Pétale comme un œil d'azur, Aigrette folle. Extrait de Jours envolés (1892). Mme Melley est un des poètes qui ont le mieux rendu la montagne et ses scènes rustiques. Là-haut, si la faucille court C'est qu'avec son nuage lourd, Pour les pauvres gens du chalet C'est pour que donne plus de lait Quel trésor, ces bouquets joyeux, Pour nous c'est le luxe, et pour eux Il faut donc bien nous résigner: Car l'on n'en va pas épargner Pas même ces fouillis exquis D'ombelle blanche Dont nous commencions le croquis Ni chardon lilas, ni bouquet Sur la corniche où se risquait Ni campanule aux fleurs d'azur, Car la faucheuse a le pied sûr, Qu'a donc l'abeille à butiner Votre fer va tout moissonner, Je n'aime pas si brusquement Comme finit en un moment Le plus beau rêve. |