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Les aigles qui passaient ne le connaissaient pas.
Des rois, ses guichetiers, avaient pris un compas
Et l'avaient enfermé dans un cercle inflexible.
Il expirait. La mort, de plus en plus visible,
Se levait dans sa nuit et croissait à ses yeux
Comme le froid matin d'un jour mystérieux;
Son âme palpitait, déjà presque échappée.
Un jour enfin il mit sur son lit son épée,
Et se coucha près d'elle, et dit :
On jeta le manteau de Marengo sur lui.

C'est aujourd'hui !

Ses batailles du Nil, du Danube, du Tibre,

Se penchaient sur son front; il dit : Me voici libre !
Je suis vainqueur ! je vois mes aigles accourir!

Et, comme il retournait sa tête pour mourir,
Il aperçut, un pied dans la maison déserte,
Hudson-Lowe 1 guettant par la porte entr'ouverte.
Alors, géant broyé sous le talon des rois,

Il cria: La mesure est comble, cette fois!

Seigneur! c'est maintenant fini! Dieu que j'implore,
Vous m'avez châtié! La voix dit: · Pas encore !

IV

O noirs événements, vous fuyez dans la nuit i
L'empereur mort tomba sur l'empire détruit.
Napoléon alla s'endormir sous le saule.
Et les peuples alors, de l'un à l'autre pôle,
Oubliant le tyran, s'éprirent du héros.

Les poètes, marquant au front les rois bourreaux,
Consolèrent, pensifs, cette gloire abattue.

A la colonne 2 veuve on rendit sa statue.
Quand on levait les yeux, on le voyait debout
Au-dessus de Paris, serein, dominant tout,
Seul, le jour dans l'azur et la nuit dans les astres.
Panthéons, on grava son nom sur vos pilastres!
On ne regarda plus qu'un seul côté des temps;

1 Gouverneur de Sainte-Hélène. Il se conduisit souvent avec son prisonnier de la manière la plus maladroite, mais il ne faisait qu'exécuter les instructions qu'il avait reçues du ministère anglais, seul responsable du traitement rigoureux infligé à Napoléon. A son retour, il fut comme mis en quarantaine par les Anglais, qui firent de lui le bouc émissaire de leurs remords au lieu de s'en prendre à leurs ministres coupables. Voir sur ce sujet : Lord Rosebery, Napoléon, la dernière phase (1901). La colonne de la place Vendôme à Paris.

On ne se souvint plus que des jours éclatants;
Cet homme étrange avait comme enivré l'histoire;
La justice à l'œil froid disparut sous sa gloire;
On ne vit plus qu'Eylau, Ulm, Arcole, Austerlitz;
Comme dans les tombeaux des romains abolis,
On se mit à fouiller dans ces grandes années;
Et vous applaudissiez, nations inclinées,
Chaque fois qu'on tirait de ce sol souverain
Ou le consul de marbre ou l'empereur d'airain!

V

Le nom grandit quand l'homme tombe;
Jamais rien de tel n'avait lui.

Calme, il écoutait dans sa tombe

La terre qui parlait de lui.

La terre disait : « La victoire

>> A suivi cet homme en tous lieux.

>> Jamais tu n'as vu, sombre histoire,
>> Un passant plus prodigieux !

>> Gloire au maître qui dort sous l'herbe !

>> Gloire à ce grand audacieux !
>> Nous l'avons vu gravir, superbe,

>> Les premiers échelons des cieux !

» Il envoyait, âme acharnée,
>> Prenant Moscou, prenant Madrid,
>> Lutter contre la destinée

>> Tous les rêves de son esprit.

» A chaque instant, rentrant en lice,
>> Cet homme, aux gigantesques pas,
>> Proposait quelque grand caprice
>> A Dieu, qui n'y consentait pas.

» Il n'était presque plus un homme.

>> Il disait grave et rayonnant,
>> En regardant fixement Rome :
>> C'est moi qui règne maintenant!

>> Il voulait, héros et symbole;
» Pontife et roi, phare et volcan,

» Faire du Louvre un Capitole
» Et de Saint-Cloud un Vatican.

» César, il eût dit à Pompée :
» Sois fier d'être mon lieutenant!
>> On voyait luire son épée

» Au fond d'un nuage tonnant.

» Il voulait, dans les frénésies
»De ses vastes ambitions,
» Faire devant ses fantaisies
» Agenouiller les nations,

» Ainsi qu'en une urne profonde,
Mêler races, langues, esprits,
» Répandre Paris sur le monde,
» Enfermer le monde en Paris!
>> Comme Cyrus dans Babylone,
» Il voulait, sous sa large main,
» Ne faire du monde qu'un trône
» Et qu'un peuple du genre humain,

» Et bâtir, malgré les huées,
» Un tel empire sous son nom,

» Que Jéhovah dans les nuées
» Fût jaloux de Napoléon! >>

VI

Enfin, mort triomphant, il vit sa délivrance,
Et l'océan rendit son cercueil à la France. 1
L'homme, depuis douze ans, sous le dôme doré,
Reposait, par l'exil et par la mort sacré,

En paix !

Quand on passait près du monument sombre,
On se le figurait, couronne au front, dans l'ombre,
Dans son manteau semé d'abeilles d'or, muet,
Couché sous cette voûte où rien ne remuait,
Lui, l'homme qui trouvait la terre trop étroite,
Le sceptre en sa main gauche et l'épée en sa droite,
A ses pieds son grand aigle ouvrant l'œil à demi,
Et l'on disait : C'est là qu'est César endormi !
Laissant dans la clarté marcher l'immense ville,
Il dormait; il dormait confiant et tranquille.

Les cendres de Napoléon furent rapportées à Paris et inhumées aux Invalides ls 15 décembre 1840.

VII

Une nuit, - c'est toujours la nuit dans le tombeau,
Il s'éveilla. Luisant comme un hideux flambeau,
D'étranges visions emplissaient sa paupière;
Des rires éclataient sous son plafond de pierre;
Livide, il se dressa, la vision grandit;

O terreur! une voix qu'il reconnut lui dit :
- Réveille-toi, Moscou, Waterloo, Sainte-Hélène,
L'exil, les rois geôliers, l'Angleterre hautaine
Sur ton lit accoudée à ton dernier moment.
Sire, cela n'est rien. Voici le châtiment ! 1 1

La voix alors devint âpre, amère, stridente,
Comme le noir sarcasme et l'ironie ardente;
C'était le rire amer mordant un demi-dieu.

Sire! on t'a retiré de ton Panthéon bleu !
Sire! on t'a descendu de ta haute colonne !
Regarde des brigands, dont l'essaim tourbillonne,
D'affreux bohémiens, des vainqueurs de charnier,
Te tiennent dans leurs mains et t'ont fait prisonnier.
A ton orteil d'airain leur patte infâme touche.
Ils t'ont pris. Tu mourus comme un astre se couche.
Napoléon le Grand, empereur, tu renais

Bonaparte, écuyer du cirque Beauharnais2.

Te voilà dans leurs rangs, on t'a, l'on te harnache.

Ils t'appellent tout haut grand homme, entre eux, ganache.

Pour comprendre la satire virulente qui va suivre, il faut se rappeler que Louis-Napoléon, entouré d'une bande de politiciens avides, réussit, au prix d'un parjure, à s'emparer du trône impérial en exploitant le grand nom de son oncle et la légende napoléonienne. Sur le coup d'Etat, consulter: Eugène Ténot, Paris en décembre 1851; La province en décembre 1851. Ce châtiment de Napoéon 1er par Napoléon III a été cruellement prophétique, au point de vue militaire. Voir plus loin: Sedan.

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Allusion à la première femme de Napoléon, Joséphine Tascher de la Pagerie, veuve du vicomte Alexandre de Beauharnais, qui menait une vie d'aventurière quand Napoléon l'épousa.

Ils traînent sur Paris, qui les voit s'étaler,
Des sabres qu'au besoin ils sauraient avaler 1.
Aux passants attroupés devant leur habitacle,

Ils disent, entends-les: « Empire à grand spectacle!
Le pape est engagé dans la troupe; c'est bien,
Nous avons mieux; le czar en est; mais ce n'est rien,
Le czar n'est qu'un sergent, le pape n'est qu'un bonze.
Nous avons avec nous le bonhomme de bronze!
Nous sommes les neveux du Grand Napoléon! »
Et Fould, Magnan, Rouher, Parieu caméléon 2,
Font rage. Ils vont montrant un Sénat d'automates.
Ils ont pris de la paille au fond des casemates
Pour empailler ton aigle, ô vainqueur d'Iéna!
Il est là, mort, gisant, lui qui si haut plana,
Et du champ de bataille, il tombe au champ de foire.
Sire, de ton vieux trône ils recousent la moire.
Ayant dévalisé la France au coin d'un bois,
Ils ont, à leurs haillons, du sang, comme tu vois,
Et, dans son bénitier, Sibour 3 lave leur linge.
Toi, lion, tu les suis: leur maître, c'est le singe.
Ton nom leur sert de lit, Napoléon premier.
On voit sur Austerlitz un peu de leur fumier.
Ta gloire est un gros vin dont leur honte se grise;
Cartouche essaye et met ta redingote grise;

4

On quête des liards dans le petit chapeau 5;

Pour tapis, sur la table, ils ont mis ton drapeau;

Allusion aux saltimbanques des foires qui s'enfoncent une lame de sabre dans le gosier et l'œsophage.

Il s'agit ici des principaux auteurs du coup d'Etat du 2 décembre 1851 Fould fut plusieurs fois ministre des finances avant et après le coup d'Etat. Magnan, depuis maréchal de France, commandait alors l'armée de Paris qui chassa le Parlement. Rouher, surnommé plus tard le vice-empereur, fut ministre et président du Sénat impérial. De Parieu se fit d'abord nommer député comme républicain, puis changea brusquement de couleur politique; ensuite il se rallia cyniquement au coup d'Etat.

3 L'archevêque de Paris. Le 1er janvier 1852, il fit chanter un Te Deum à Notre-Dame, pour célébrer le triomphe de Louis-Napoléon, qui pourtant n'avait réussi qu'en violant son serment de président de la République et en employant la force.

Célèbre bandit du XVIIIe siècle.

Le célèbre petit chapeau que portait toujours Napoléon Ier.

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