Page images
PDF
EPUB

Pour voir, de leurs demeures sombres,
Si l'on songe à leurs grandes ombres,
Et si comme eux l'on sait mourir !

La cloche pour les morts1.

La cloche pour les morts a retenti ce soir.
Qui donc s'en est allé dans la tombe attirante?
Quel sombre dédaigneux de la vie, âme errante?
La cloche pour les morts a retenti ce soir.

C'est mon cœur que l'on doit enterrer, ce me semble,
Par cette froide nuit où le calme descend.
Aussi bien il avait besoin, ce cœur qui tremble,
De la mort apaisante et de l'oubli puissant.

Dans le linceul des désirs morts et des chimères,
Après les durs combats, repose en paix, mon cœur.
Dors au sein du carnage ainsi qu'un fier vainqueur,
Parmi les combattants des aubes éphémères.
Après les durs combats, repose en paix, mon cœur !

Tristesses d'autrefois 2.

Rien qu'une heure, être encor triste comme autrefois,
D'une tristesse immense et douce par les bois,
Avec l'herbe et les fleurs, sous la pitié des branches,
Ou bien devant l'autel, par les calmes dimanches,
Quand, la tête appuyée au mur où sur fond bleu
Les grands archanges clairs ont des glaives de feu,
Je sentais les premiers effrois devant moi-même;
Triste à vouloir mourir lorsque la lune blême,
Comme un poignard d'argent, à travers le ciel pur
Montait mystérieuse en pâlissant l'azur
Des soirs dont la douceur enveloppe la terre.
Es-tu donc morte aussi, tristesse solitaire
Qui me mettais parfois le front entre les mains

Et dans le cœur de grands désespoirs surhumains
Où s'acharnaient entre eux les démons ou les anges?
Tristesses d'autrefois, mes tristesses étranges

Extrait de L'Ame sereine (1896).

Extrait de L'Ame sereine.

Dont j'ai la nostalgie et qui dans vos ferments
Ebauchiez l'avenir en lourds pressentiments
Et, portant le fardeau de quelque ancienne vie,
Alliez de mon cœur jeune à mon âme assouvie
Pour les épouvanter tous deux de leurs combats!
J'ai beau vous appeler, vous ne reviendrez pas.
Même par les longs jours où je me sens plus morne
Que le soleil puissant dans le désert sans borne,
Même pour le railler, vous ne visitez plus
Le cœur où tous les maux humains sont résolus
Et qui tourne vers vous ses suprêmes tendresses,
Tristesses d'autrefois, 6 mes chères détresses!

Larmes refoulées 1.

Comme un torrent qui roule aux replis des vallées,
Comme un fleuve sans bords où s'abiment les cieux,
Elles grondent en moi les larmes refoulées

Que plus jamais ne pleureront mes yeux.

Là, les jours d'autrefois parmi les flots sonores
Roulent étincelants de soleil et de fleurs;
Là, les fronts radieux des défuntes aurores,

Mirage clair, balancent leurs splendeurs.

Pourtant, avec des cris sans fin, des cris funèbres,
L'onde au flux éternel qui n'a point de nocher
Sur l'abîme perdu dans les vastes ténèbres,
Se heurte à toi, mon cœur, sombre rocher.

Chansons roumaines 2.

I

Nous dansions un soir sous un arbre vert.
Souffle tristement, vent des nuits d'hiver.
J'avais mon long voile aux plis diaphanes,
Nous dansions le soir au chant des tziganes;

J'avais à mon cou l'or clair des ducats,

Les mourantes fleurs mouraient sous nos pas.

Extrait de L'Ame sereine.

• Extrait de L'Ame sereine.

Hélène Vacaresco est le poète qui a le mieux rendu en français la poésie délicate et tendre des chants populaires roumains,

Nous laissions mourir les fleurs de la terre,
Car nos bien-aimés partaient pour la guerre.

La neige à présent blanchit les prés nus,
Mais les bien-aimés ne sont plus venus.
Les Turcs ont passé, hordes meurtrières.
Oh! les bien-aimés, morts sur les frontières,
Qui nous les a pris ? qui nous les rendra?
Lequel de nos cœurs jamais guérira?

Ils ne viendront plus, les soirs diaphanes,
Danser avec nous au chant des tziganes.

Nous dansions le soir sous un arbre vert,
Souffle tristement, vent des nuits d'hiver.

II

J'avais une fleur printanière,
Elle est tombée à la rivière.
Fleur de printemps, petite fleur,
L'aube t'aimait, le flot t'a prise!
J'avais un cœur sous ma chemise,
Coeur de vingt ans, mon petit cœur.

J'avais un pommier aux fleurs blanches
Et des fleurs sur toutes les branches.
Pommier d'avril, petit pommier,
Elles sont mortes sous la grêle.
J'avais un collier lourd et frêle,
Collier d'argent, petit collier.

J'avais l'azur dans la prairie

Et dans mon cœur et dans ma vie.

Mois de mai, petit mois de mai,

Dis, pourquoi n'es-tu plus le même ?
J'avais aussi celui que j'aime,

Mon bien-aimé, mon bien-aimé !

Euvres à lire d'Hélène Vacaresco (Lemerre, éditeur, Paris): Chants d'aurore (1888); L'Ame sereine (1896); Le Rhapsode de la Dimbovitsa (1900).

[merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][ocr errors][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small]
« PreviousContinue »