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Il était frais et blond comme un Enfant-Jésus...
Dieu nous envoie, hélas! des douleurs bien cruelles.
Un soir, je le berçais ; des anges sont venus
Qui l'ont emporté sur leurs ailes.

J'épiais son sommeil, et, quand il remuait,
Je baisais à genoux ses petites mains blanches...
Il est là maintenant, sous ce tertre muet,
Prisonnier entre quatre planches.

Les jours de soleil sont passés,
Et l'automne fait sa vendange;
Dans l'enceinte des trépassés,
La feuille tombe à flots pressés :
Dors, mon doux ange!

Et quand je caressais ses petits pieds frileux,
Lui que je n'aurais pas donné pour des empires!
Sur sa lèvre de rose, au coin de ses yeux bleus,
Nageaient des groupes de sourires.

Il bredouillait des mots d'une étrange douceur,
Des mots incohérents, indécis, adorables;
Et moi qui l'écoutais, je sentais dans mon cœur
Courir des frissons ineffables.

Les jours de soleil sont passés,
Et l'automne fait sa vendange;
Dans l'enceinte des trépassés,
La feuille tombe à flots pressés :
Dors, mon doux ange!

Il est là qui repose en son linceul glacé,
Au cimetière, hélas! sa dernière demeure;
Songe-t-il quelquefois, le pauvre délaissé.

A sa mère qui souffre et pleure?

Oh oui; car, je le sens, si dans la tombe dort
Son petit corps raidi, froid, immobile, blême,
Son âme plane au ciel avec des ailes d'or,
Devant la face de Dieu même !

Le dernier beau jour est passé ;
L'automne a fini sa vendange;

La neige tombe à flot pressé...
Dans le ciel où Dieu t'a placé,

Pense à ta mère, mon doux ange!

Octobre1.

Les feuilles des bois sont rouges et jaunes;
La forêt commence à se dégarnir;

L'on se dit déjà: l'hiver va venir,

Le morose hiver de nos froides zones.

Sous le vent du nord tout va se ternir...
Il ne reste plus de vert que les aulnes,
Et que les sapins dont les sombres cônes
Sous les blancs frimas semblent rajeunir.

Plus de chants joyeux ! plus de fleurs nouvelles !
Aux champs moissonnés les lourdes javelles
Font sous leur fardeau crier les essieux.

Un brouillard dormant couvre les savanes;
Les oiseaux s'en vont, et leurs caravanes
Avec des cris sourds passent dans les cieux !

A la France.

Toi dont l'aile plana sur notre aurore, ô France!
Toi qui de l'idéal connais tous les chemins!
Toi dont le nom, fanfare aux éclats surhumains,
De tout peuple opprimé sonne la délivrance!

Terre aux grands deuils suivis d'éclatants lendemains!
Noble Gaule, pays de l'antique vaillance,

Qui sus toujours unir, merveilleuse alliance,

Au pur esprit des Grecs, l'orgueil des vieux Romains!

Toi qui portes au front Paris, l'auguste étoile
Qui de l'humanité dirige au loin la voile,
Nous, tes fils éloignés, nous t'aimons, tu le sais !

Nous acclamons ta gloire et pleurons tes défaites...
Mais c'est en écoutant le chant de tes poètes
Que nous sentons surtout battre nos cœurs français !
Extrait des Oiseaux de neige (1879).

Euvres à lire de Louis Fréchette: Les Oiseaux de neige (1879); Fleurs boréales (1880); Poésies canadiennes (1887); La Légende d'un peuple (1888). Critiques à consulter, Ch. Fuster, Les Poètes du clocher; Claretie, Préface de La Légende d'un peuple; Virgile Rossel, Histoire de la littérature françaisehors de France.

HÉLÈNE VACARESCO

Née à Bucarest en 1867.

Sur les bords du Danube et de la Dimbovitsa, le parler de la « douce France» est pour les classes cultivées une seconde langue maternelle. Quand on voyage, en Roumanie, des Carpathes au Pruth et à la Mer Noire, on est tout surpris d'entendre des milliers de personnes qui parlent notre idiome, souvent avec un pureté que leur envieraient bien des provinciaux. C'est que la Dacie roumaine, malgré les nécessités de sa politique qui la lie plus ou moins à la Triple-Alliance, a gardé le culte de la civilisation française. Elle se souvient toujours que sa grande sœur latine l'a soutenue dans les mauvais jours. Il lui est doux d'employer cette langue dans laquelle, après l'ère des épreuves, elle entendit proclamer sa liberté. Mais les Roumains ne se contentent pas d'utiliser le français dans leurs relations mondaines: ils ont aussi une presse et une littérature d'expression française; plusieurs d'entre eux ont écrit de fort beaux ouvrages en notre langue.

Le poète français le plus remarquable de la Roumanie est, sans contredit, Hélène Vacaresco. Intelligence d'élite, elle tient des princes, ses ancêtres, le noble culte des choses littéraires, car plusieurs d'entre eux furent des poètes distingués. A 19 ans, quand parurent ses Chants d'aurore, elle était déjà remarquable de finesse psychologique, d'inspiration tendre, de délicatesse de sentiment. Depuis lors la vie lui a fait subir de dures épreuves, elle a souffert cruellement et beaucoup pleuré; mais son âme en est sortie plus grande, son intelligence plus profonde. Son dernier recueil de vers est une œuvre d'une haute valeur littéraire. Hélène Vacaresco présente quelque analogie avec Sully Prudhomme, dont elle a le charme troublant: sa poésie est néanmoins très originale, parce que l'auteur a gardé, en dépit de sa culture française, l'âme mélancolique et subtile d'une Roumaine aristocratique, affinée encore par la douleur. Avec ces dons remarquables de sensibilité et d'imagination suggestive, elle pourrait nous donner, mieux que son compatriote Bolintineano, toute la poésie de l'Orient latin. Son talent grandira encore; quels que soient les sujets qu'elle adopte, soyons sûrs qu'elle en fera jaillir une source de noble poésie. Et remercions cette femme charmante, ce noble cœur, ce délicat et vigoureux esprit, d'avoir choisi notre langue pour exprimer le meilleur de son âme.

L'écriture 1.

Dans ta douce et fière nature

Tout me charme, tout a du prix,
Aussi j'aime ton écriture
Autant que ce que tu m'écris.

Elle est hautaine, elle est virile,
Fine, élégante, et l'on croirait
Qu'un peu de ta grâce fébrile
Y mêle son furtif attrait.

Rien qu'à la voir, mon cœur en elle
Retrouve ce qu'il aime en toi,
Et chaque lettre me rappelle
Quelque intime et profond émoi.

De tes pensers, de ton sourire,
Ta plume prend le coloris;
Les mots les plus tristes à lire
Me sont doux quand tu les écris.

Un mot de toi me fait renaître
Et je pourrais sur mon chemin
Croire au mot de bonheur, peut-être,
S'il était écrit de ta main.

Le silence 2.

Tout être porte en soi le pieux sanctuaire
Où des bonheurs perdus l'entretiennent tout bas.
Ah! n'effleurez jamais ce tombeau solitaire
Qui cache sa douleur : ah! ne l'éveillez pas !

Si vous voyez parfois qu'un pur regard se voile

Du désenchantement des avenirs lointains,

Ne troublez pas ces yeux qui cherchent une étoile,

Et pleurent doucement sur tant d'astres éteints.

1 Extrait des Chants d'aurore (1886). Le premier ouvrage de l'auteur; iut couronné par l'Académie française et c'est Leconte de Lisle qui emporta, en lisant le Chant de guerre cosaque, le vote de la commission.

Extrait des Chants d'aurore.

Pourquoi porter la main téméraire, indiscrète
Sur tant de maux cachés que rien ne peut guérir?
Pouvez-vous rappeler ce que l'homme regrette?
Pouvez-vous le bercer? pouvez-vous l'endormir?

Vous qui, fouillant du cœur les tristes hécatombes,
Croyez en les sondant consoler nos douleurs,
Songez que le silence est le bienfait des tombes
Et qu'à l'endroit qu'on foule il ne croît pas de fleurs.
Chant de guerre 1.

Le vent gémit, le vent apporte
L'immense rumeur des combats!
Vois passer la noire cohorte,
Le sol tressaille sous ses pas.
L'air est rouge, les cieux livides,
Sous le vol des corbeaux avides,
Venus là pour ronger les morts,
Et dans l'ardente chevauchée,
Ainsi qu'une moisson fauchée,
Tombent les braves et les forts!

Faut-il que pour eux seuls la gloire
Fasse frissonner l'étendard?
De leur radieuse victoire

Ne veux-tu pas aussi ta part?
Ah! sois jaloux de leur extase:
Après le coup qui les écrase,
Le cœur de triomphe rempli,
Ils tombent tous sans que rien souille
Leur armure qui craint la rouille,
Leur nom qui redoute l'oubli !

Sais-tu que vos pieds l'ont foulée,
La terre où dorment les aïeux,
Et que le bruit de la mêlée
A troublé leur sommeil pieux ?
Et songeant aux vieilles alarmes,
Ils sont accoudés sur leurs armes,
Pour voir d'autres lauriers fleurir,

Extrait des Chants d'aurore.

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