Il était frais et blond comme un Enfant-Jésus... J'épiais son sommeil, et, quand il remuait, Les jours de soleil sont passés, Et quand je caressais ses petits pieds frileux, Il bredouillait des mots d'une étrange douceur, Les jours de soleil sont passés, Il est là qui repose en son linceul glacé, A sa mère qui souffre et pleure? Oh oui; car, je le sens, si dans la tombe dort Le dernier beau jour est passé ; La neige tombe à flot pressé... Pense à ta mère, mon doux ange! Octobre1. Les feuilles des bois sont rouges et jaunes; L'on se dit déjà: l'hiver va venir, Le morose hiver de nos froides zones. Sous le vent du nord tout va se ternir... Plus de chants joyeux ! plus de fleurs nouvelles ! Un brouillard dormant couvre les savanes; A la France. Toi dont l'aile plana sur notre aurore, ô France! Terre aux grands deuils suivis d'éclatants lendemains! Qui sus toujours unir, merveilleuse alliance, Au pur esprit des Grecs, l'orgueil des vieux Romains! Toi qui portes au front Paris, l'auguste étoile Nous acclamons ta gloire et pleurons tes défaites... Euvres à lire de Louis Fréchette: Les Oiseaux de neige (1879); Fleurs boréales (1880); Poésies canadiennes (1887); La Légende d'un peuple (1888). Critiques à consulter, Ch. Fuster, Les Poètes du clocher; Claretie, Préface de La Légende d'un peuple; Virgile Rossel, Histoire de la littérature françaisehors de France. HÉLÈNE VACARESCO Née à Bucarest en 1867. Sur les bords du Danube et de la Dimbovitsa, le parler de la « douce France» est pour les classes cultivées une seconde langue maternelle. Quand on voyage, en Roumanie, des Carpathes au Pruth et à la Mer Noire, on est tout surpris d'entendre des milliers de personnes qui parlent notre idiome, souvent avec un pureté que leur envieraient bien des provinciaux. C'est que la Dacie roumaine, malgré les nécessités de sa politique qui la lie plus ou moins à la Triple-Alliance, a gardé le culte de la civilisation française. Elle se souvient toujours que sa grande sœur latine l'a soutenue dans les mauvais jours. Il lui est doux d'employer cette langue dans laquelle, après l'ère des épreuves, elle entendit proclamer sa liberté. Mais les Roumains ne se contentent pas d'utiliser le français dans leurs relations mondaines: ils ont aussi une presse et une littérature d'expression française; plusieurs d'entre eux ont écrit de fort beaux ouvrages en notre langue. Le poète français le plus remarquable de la Roumanie est, sans contredit, Hélène Vacaresco. Intelligence d'élite, elle tient des princes, ses ancêtres, le noble culte des choses littéraires, car plusieurs d'entre eux furent des poètes distingués. A 19 ans, quand parurent ses Chants d'aurore, elle était déjà remarquable de finesse psychologique, d'inspiration tendre, de délicatesse de sentiment. Depuis lors la vie lui a fait subir de dures épreuves, elle a souffert cruellement et beaucoup pleuré; mais son âme en est sortie plus grande, son intelligence plus profonde. Son dernier recueil de vers est une œuvre d'une haute valeur littéraire. Hélène Vacaresco présente quelque analogie avec Sully Prudhomme, dont elle a le charme troublant: sa poésie est néanmoins très originale, parce que l'auteur a gardé, en dépit de sa culture française, l'âme mélancolique et subtile d'une Roumaine aristocratique, affinée encore par la douleur. Avec ces dons remarquables de sensibilité et d'imagination suggestive, elle pourrait nous donner, mieux que son compatriote Bolintineano, toute la poésie de l'Orient latin. Son talent grandira encore; quels que soient les sujets qu'elle adopte, soyons sûrs qu'elle en fera jaillir une source de noble poésie. Et remercions cette femme charmante, ce noble cœur, ce délicat et vigoureux esprit, d'avoir choisi notre langue pour exprimer le meilleur de son âme. L'écriture 1. Dans ta douce et fière nature Tout me charme, tout a du prix, Elle est hautaine, elle est virile, Rien qu'à la voir, mon cœur en elle De tes pensers, de ton sourire, Un mot de toi me fait renaître Le silence 2. Tout être porte en soi le pieux sanctuaire Si vous voyez parfois qu'un pur regard se voile Du désenchantement des avenirs lointains, Ne troublez pas ces yeux qui cherchent une étoile, Et pleurent doucement sur tant d'astres éteints. 1 Extrait des Chants d'aurore (1886). Le premier ouvrage de l'auteur; iut couronné par l'Académie française et c'est Leconte de Lisle qui emporta, en lisant le Chant de guerre cosaque, le vote de la commission. Extrait des Chants d'aurore. Pourquoi porter la main téméraire, indiscrète Vous qui, fouillant du cœur les tristes hécatombes, Le vent gémit, le vent apporte Faut-il que pour eux seuls la gloire Ne veux-tu pas aussi ta part? Sais-tu que vos pieds l'ont foulée, Extrait des Chants d'aurore. |