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rer à la Grande-Bretagne le monopole du transport de tous les objets qu'elle tirait de l'étranger pour les consommer, ou qu'elle produisait pour être exportés'.

Atteinte dans ses intérêts les plus chers, la Hollande songea immédiatement à déclarer la guerre à l'Angleterre, et chercha des alliances dans ce but. Le concours de la France lui était surtout nécessaire, mais celle-ci, au lieu de répondre à ses vues, faisait un traité de commerce avec Cromwell. Plus tard, les deux pays ayant cessé de s'entendre, la Hollande reprit son œuvre vis-à-vis de la France. Pendant que ces négociations se poursuivaient, le surintendant Fouquet, par représailles sans doute contre l'acte de navigation, et s'inspirant, en outre, d'anciens règlements publiés par Henri IV et tombés depuis en désuétude, fit rendre, sous la date des 15 et 31 mars 1659, deux arrêts qui produisirent, en Hollande même, une vive sensation. Le premier défendait d'importer en France des marchandises sur des navires étrangers, à moins d'avoir obtenu des permissions provisoires, qui devaient être retirées dès que les nationaux posséderaient un nombre de navires suffisant pour les besoins du commerce extérieur et du cabotage. Le dernier arrêt fixait le prix de ces permissions à 50 sous par tonneau. Un nouvel arrêt du 20 juin suivant compléta les précédents, en supprimant la formalité des permissions et en assujettissant au droit de 50 sous tous les navires étrangers qui aborderaient en France pour y faire le commerce d'importation, d'exportation ou le cabotage.

Le désappointement de la Hollande fut extrême. Dans cette situation, elle s'empressa d'envoyer à Paris ses diplomates les plus habiles, avec mission de ne rien négliger pour obtenir que la déclaration sur le droit de tonnage fût rapportée.

Vers la même époque, le 23 septembre 1660, le Parlement anglais ayant, de son côté, encore aggravé les dispositions si exclusives de l'acte de navigation, la Hollande fit observer,

1 Une mesure analogue avait été prise en France cent soixante-dix ans auparavant. On lit ce qui suit dans l'Histoire des ducs de Bourgogne, par M. de Barante, première édition, t. XII, p. 157 : « Vers l'an 1480, Louis XI, afin d'en<<courager la navigation, avait interdit qu'aucune marchandise fut admise dans « les ports du royaume; si ce n'est par havires français. »

d'une part, que si le gouvernement français persistait à maintenir le droit de tonnage, elle serait obligée de suivre l'exemple de l'Angleterre et d'user de représailles, ce qui lui serait fa cile, en augmentant les droits sur les vins, les fruits, le sel, et généralement sur tous les objets importés de France; que l'impôt de 50 sous par tonneau allait, au surplus, directement contre le but que le gouvernement français s'était proposé, puisqu'il avait donné lieu à des remontrances d'un grand nombre de villes, notamment des provinces de Guyenne et de Bretagne, lesquelles se plaignaient évidemment dans leur propre intérêt, et non pour être agréables à la Hollande. Le plénipotentiaire hollandais ajoutait que la Francé avait grand tort d'envier aux sujets des Provinces-Unies le com merce de transport dont ils étaient en possession; qu'à la vérité ce commerce était considérable, mais que les bénéfices n'en pouvaient être comparés à ceux que les Français faisaient sur leurs fruits et leurs denrées, le fret étant descendu à si bas prix que les armateurs ne tiraient pas de leurs navires l'intérêt de l'argent qu'ils y avaient dépensé. Mais un point sur lequel l'ambassadeur insistait principalement, c'était la menace de représailles, et il allait jusqu'à dire que les Etats généraux, dans leur légitime désir de voir les relations commerciales des deux peuples rétablies sur l'ancien pied, ne se contenteraient pas de prohiber les manufactures et les fruits de France, mais qu'ils engageraient les princes allemands à leur expédier des vins du Rhin qu'on pourrait avoir, en diminuant quelque peu les droits d'entrée, au même prix que ceux de la France, ce qui ferait pour celle-ci une perte réelle de huit millions par an. Enfin, les négociateurs hollandais produisaient, à l'appui de leurs réclamations, un état d'après lequel les marchandises exportées de France dans les ProvincesUnies se seraient élevées, dans une année, à plus de quarante-trois millions de florins 2.

1 Lettres et négociations entre M. Jean de Witt et les plénipotentiaires des Provinces-Unies des Pays-Bas, aux cours de France, d'Angleterre, etc., etc., de 1652 à 1559.-Lettre à Jean de Witt, du 4 janvier 1661.

2 Voir aux Pièces justificatives, pièce no I.

Colbert, à cette époque, venait à peine d'arriver au ministère. Il répondit «qu'il ne fallait pas faire trop d'attention à << tous ces beaux raisonnements, par le motif que l'intention << du roi étant d'engager ses sujets à se livrer à la navigation, « l'impôt établi sur les bâtiments étrangers y contribuerait << fortement; que déjà plusieurs bâtiments français avaient « été construits; qu'il convenait d'ailleurs d'attendre quelque << temps pour savoir si le droit de tonnage causerait au com<«< merce et à la navigation des Hollandais tout le préjudice << dont se plaignaient d'avance les commissaires des Etats; << que, dans tout état de cause, on devait laisser au roi la fa«< culté de faire l'essai d'un projet ne tendant à rien moins « qu'à rétablir la navigation ruinée de son royaume; et enfin « que, dans leurs règlements concernant le commerce, les << Provinces-Unies ne consultant que leur intérêt, sans se << soucier de celui des autres, il était naturel que le roi de << France eût une égale liberté 1. »

Toutefois, des raisons politiques engagèrent le gouvernement français à se relâcher de ces prétentions, et il fit à la Hollande des concessions importantes. Un traité, signé à Paris, le 27 avril 1662, entre la France et les ProvincesUnies, autorisa celles-ci à ne payer le droit de 50 sous qu'une fois par voyage, en sortant des ports du royaume, et non en y entrant. Le droit fut, en outre, réduit de moitié pour les navires hollandais qui sortiraient chargés de sel, et il fut convenu que si les Etats généraux trouvaient à propos de mettre une semblable imposition sur les navires étrangers, elle ne pourrait excéder, à l'égard des Français, celle que les sujets de la Hollande payeraient dans nos ports 2. Mais ces concessions mêmes ne satisfirent pas la Hollande. Ce qu'elle voulait, c'était la suppression entière du droit de tonnage, et son ambassadeur agissait toujours dans ce sens, mais sans succès. « Il faudra bien du temps, bien de la pru«< dence, écrivait-il à son gouvernement, au mois d'avril 1662,

1 Lettres et négociations, etc. — Lettre à Jean de Witt, du 9 novembre 1661. 2 Recueil des traités de commerce, etc., par MM. d'Hauterive et de Cussy; première partie, t. II, p. 276.

« pour désabuser et convaincre M. Colbert, qui est un vrai « financier, et tout rempli du projet d'accroître la navigation « des sujets de ce royaume, s'il est possible, outre qu'il est <«< le seul à qui on s'en rapporte sur cet article. » Six mois plus tard, le même ambassadeur écrivait : « On remue ciel « et terre ici pour ôter aux étrangers la navigation et le com«merce, et faire passer l'une et l'autre aux sujets du roi. <«< Ainsi chacun doit veiller à ses propres intérêts. Il n'y a << pas de chagrin et de peine qu'on ne fasse aux sujets des << Provinces-Unies, sous prétexte de ce droit de tonneau. >> Puis encore, le 18 mai 1663: « Ce malheureux droit de ton«neau est de l'invention d'un homme dont on condamne << presque toutes les actions; mais il paraît que celle-ci est << profitable, c'est pourquoi on la maintient. » La France n'était pourtant pas guidée dans cette affaire par un intérêt fiscal, car le droit de 50 sous ne rapportait guère au Trésor que six cent mille livres; mais il avait, suivant l'ambassadeur Borel, qui peut-être d'ailleurs exagérait le mal, porté un coup mortel au commerce et à la navigation de la Hollande. « Pour toute réponse à mes réclamations, ajoutait-il, on me renvoye toujours auprès de M. Colbert, auprès duquel il est assez difficile de réussir dans toutes les affaires qui intéressent les finances'.>>

Comme corollaire du droit de tonnage, Colbert proposa et fit adopter, dans l'intérêt de la navigation, une série de mesures plus libérales et dont l'efficacité se fit bientôt sentir. Peu de temps avant qu'il arrivât au pouvoir, l'importation en France des navires construits à l'étranger était prohibée. Non-seulement Colbert fit donner des primes à tous les Français qui construiraient des navires au-dessus de cent tonneaux, mais un édit du mois de décembre 1664 en concéda également à ceux qui achèteraient de ces navires à l'étranger. D'autres édits de 1669, de 1679 et de 1681 confirmèrent ces dispositions et les renforcèrent. Ainsi, dans le but d'engager les étrangers, propriétaires de navires, à s'établir en France, on leur accorda une prime d'importation de cinq 1 Lettres et négociations, etc., années 1662 et 1663, passim.

livres par tonneau pour les navires au-dessous de cent tonneaux, et de six livres pour ceux de cent tonneaux et audessus, L'édit de 1681 portait que ceux qui voudraient acheter ou construire des navires en pays étranger seraient simplement tenus d'en faire la déclaration au greffe de l'amirauté, avec indication du lieu de construction, du tonnage du navire et du rôle de l'équipage. Ces diverses mesures ne tardèrent pas à produire les plus heureux résultats.

Il en fut de même de la révision du tarif des douanes intérieures et extérieures, qui eut lieu en 1664. Jamais, on peut le dire, réforme plus indispensable, et par conséquent plus difficile à opérer, à cause des anciennes habitudes à changer et des abus auxquels il s'agissait de remédier. Il faudrait, pour faire comprendre la nécessité et les difficultés d'un pareil travail, pouvoir donner une idée de la complication de ce tarif, fatigante nomenclature de mille droits aux noms barbares. C'étaient le trépas de Loire, les deux pour cent d'Arles et le liard du baron, le denier Saint-André, la table de mer, le droit de Massicault, la branche de cyprès, etc., etc. Ceux qui exploitaient ces droits profitaient de l'ignorance générale pour augmenter les tarifs à volonté, sûrs qu'ils étaient, en cas de contestation, de gagner leur cause devant des magistrats qui leur étaient vendus. Aussi, toutes les fois qu'il avait été question de mettre un peu d'ordre dans ce chaos, d'un côté, les fermiers et ceux qu'ils soudoyaient à la cour, de l'autre, les provinces les mieux traitées et qui craignaient de perdre quelque avantage à l'adoption d'un nouveau tarif, avaient tout mis en œuvre pour s'y opposer. Et non-seulement toutes les productions naturelles et manufacturées étaient frappées, à la sortie du royaume, de droits assez considérables, mais chaque province avait ses rayons de douanes, ses barrières, ses tarifs. Déjà, plusieurs fois, on avait pu croire que ces abus avaient fait leur temps. En 1614, les Etats généraux du royaume avaient fait observer au roi, avec beaucoup de raison, que les droits de douane, ou de traite foraine, ne devaient, comme leur titre même l'indiquait, être perçus que sur les seules marchandises importées du dehors ou trans

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