Page images
PDF
EPUB

partisans de la liberté du commerce, s'arrêter devant la première conséquence de leurs propres principes, et combattre, dans l'exécution, les mesures qu'ils avaient conseillées en théorie. Quoi qu'il en soit, le plan de M. Huskisson, consistant à réduire les droits d'importation sur la soie brute, et à autoriser l'entrée des soieries étrangères moyennant un droit de 30 pour 100, n'en fut pas moins adopté. De vifs et nombreux applaudissements accueillirent la proclamation de ce vote important, qui fut l'événement capital de la session de 1824. L'économie politique venait de remporter, en Angleterre, grâce aux enseignements d'Adam Smith, sa première victoire.

L'année suivante, M. Huskisson poursuivit vigoureusement l'œuvre commencée. La prohibition des produits étrangers était encore, à cette époque, la base du tarif anglais, où régnait, en outre, une confusion extrême. M. Huskisson proposa d'en faire une révision générale, en adoptant pour principe la suppression des prohibitions et leur remplacement par des droits protecteurs qui ne devraient, dans aucun cas, dépasser 50 pour 100 de la valeur. «Si une marchandise, << dit-il à ce sujet, est produite au dehors avec une supério« rité telle qu'un droit de 30 pour 100 ne suffise pas pour pro« téger l'industrie nationale, je répondrai d'abord qu'une

protection plus forte n'est qu'une prime pour les contre« bandiers, et, en second lieu, qu'il n'y a pas de sagesse à «< vouloir engager une concurrence que ce degré de protec<< tion ne peut pas soutenir. Ne vaut-il pas mieux que l'Etat << perçoive la taxe qui est maintenant la récompense de la «< contrebande, et que le consommateur se procure la mar<«<chandise au meilleur prix et de la meilleure qualité, sans << avoir à se rendre le pénible témoignage que, pour consul<< ter ses propres convenances, il viole incessamment les lois « de son pays? Les prohibitions ne sont qu'une prime pour la « médiocrité ; elles détruisent les mobiles les plus puissants qui « portent à la perfection du travail, à l'invention, au pro« grès; elles condamnent la société à souffrir, pour le prix « comme pour la qualité, tous les inconvénients du monopole,

« sauf le remède déplorable qu'apporte l'odieuse industrie du « contrebandier. »

Les réductions que M. Huskisson avait proposées, tout en proclamant hautement qu'elles ne devaient pas être considérées comme définitives, et que d'autres devaient les suivre successivement, furent adoptées. Un hasard malheureux voulut que, l'année d'après, le commerce anglais éprouvât une de ces crises terribles qui viennent, par intervalles, mettre un frein aux témérités de la production, et qui frappent, d'ailleurs, indistinctement, toutes les nations industrielles, quel que soit leur régime économique. Les partisans des prohibitions et des anciens tarifs ne manquèrent pas d'attribuer cette crise aux réformes de M. Huskisson, qu'ils représentèrent comme un théoricien farouche, un métaphysicien barbare, sacrifiant à ses chimères le bonheur et le repos de ses semblables. On essaya en même temps de faire rapporter le bill qui avait permis l'importation des soieries étrangères, mais la Chambre des communes repoussa ces prétentions rétrogrades, à une majorité de 222 voix contre 40. Un an après, M. Huskisson avait la satisfaction d'annoncer au Parlement que les effets de la concurrence sur les fabriques de soieries anglaises avaient dépassé son attente; qu'un esprit de perfectionnement, jusque-là inconnu, s'était tout à coup éveillé dans cette branche d'industrie, et qu'elle avait fait, en quelques mois, plus de progrès qu'auparavant dans un demi-siècle 1.

Tels étaient les résultats qu'avait obtenus en quelques années le ministère anglais, et il s'en félicitait noblement par la bouche de M. Canning, en se glorifiant de suivre les conseils de la science, de prendre son point d'appui dans les théories, et d'appeler les lumières de la philosophie au gouvernement des affaires humaines 2.

'Dans un meeting qui précéda le vote de la loi, les principaux fabricants anglais, réunis à Londres, avaient déclaré qu'un droit de 60 pour 100 ne les protégerait pas suffisamment contre l'introduction des soieries françaises. Heureusement pour eux, on ne tint pas compte de leurs clameurs, et leur fabrication se trouvait doublée en 1827. Elle est, depuis, allée toujours en augmentant. 2 Voir, pour de plus amples détails sur les tentatives de lord Canning et les

Cependant l'influence des réformes opérées en Angleterre, et, d'un autre côté, l'exagération du système protecteur en France, avaient produit dans l'opinion, et, par suite, dans la Chambre des députés elle-même, une réaction salutaire. Au commencement de la session de 1828, dans une adresse au roi, à laquelle les partis attachèrent une grande signification, la majorité de la Chambre élective, à l'occasion de la création récente du ministère du commerce, s'exprima comme il suit :

« Le premier besoin du commerce et de l'industrie est la li« berté. Tout ce qui gêne, sans nécessité, la facilité de nos re« lations porte au commerce un préjudice dont le contre-coup « se fait sentir aux intérêts les plus éloignés. »

La proclamation, dans une circonstance aussi solennelle, des principes invariablement et éternellement vrais, qui forment la base de la science économique, avait, comme on le pense bien, rempli d'espoir les partisans des réformes commerciales progressives et modérées. Ceux-ci se flattèrent que le gouvernement allait entrer enfin dans une voie nouvelle, que les substances alimentaires seraient, sinon entièrement dégrevées de ces droits d'entrée écrasants, qu'elles ne payaient en France que depuis 1822, du moins admises moyennant des droits réduits, et que toutes les prohibitions, véritables ressources de guerre de la Convention et de l'Empire, seraient supprimées. Quelque temps après, au mois d'octobre 1828, une Commission de vingt-huit membres, dont faisaient partie MM. Pasquier, d'Argout, de Barante, Portal, de Fréville, Pardessus, Gautier, etc., chargée de procéder à une enquête sur notre système de douanes. A cette occasion, M. de Saint-Cricq, qui venait d'être appelé au ministère du commerce, s'attacha à préciser l'opinion du gouvernement sur la question. Il reconnut que le système suivi depuis 1814 avait été, dans ces derniers temps, l'objet de vives controverses; que les uns reportaient

fut

mesures économiques dont M. Huskisson fut le promoteur, un remarquable article, publié, en mars 1828, dans la Revue française, sous ce titre : Réformes commerciales de M. Huskisson.

sur les marchés étrangers toutes les espérances pour un plus large débit de nos produits agricoles ou manufacturés, tandis que les autres, au contraire, s'exagérant la part de sacrifices que doivent raisonnablement s'imposer les consommateurs pour l'encouragement ou la sécurité de la production nationale, réclamaient avec instance une répulsion à peu près entière de tous les objets dont notre sol et notre industrie sont appelés à produire les similaires. M. de Saint-Cricq exposait ensuite avec détail les considérations invoquées par les partisans d'une troisième opinion, lesquels soutenaient qu'une théorie immuable et absolue, quelle qu'elle fût, ne saurait utilement diriger des intérêts aussi variables et aussi distincts entre eux que l'étaient ceux de l'industrie d'un grand royaume; que le travail national, soit qu'il s'appliquât à l'agriculture ou aux fabriques, ne devait pas demeurer sans défense devant les industries étrangères; que son premier et son plus sûr marché serait toujours celui du pays, mais que ce marché ne saurait lui suffire, et qu'il avait besoin aussi d'écoulement au dehors. Un tarif généralement protecteur leur paraissait donc indispensable. Le ministre trouvait d'ailleurs qu'on s'était montré généreux, peut-être même prodigue, dans la mesure de protection temporairement réclamée par un certain nombre de branches du travail national, susceptibles de prendre en France de larges et profondes racines; mais, pour le bien même de ces industries, de même que pour être juste envers celles qui, fortes de leur propre supériorité, n'avaient rien ou que fort peu à demander aux tarifs, telles, par exemple, que les, vins, les eaux-de-vie, les soieries, il estimait qu'on devait élargir le plus possible les bases de notre commerce extérieur et maritime. La part de protection qu'il avait été sage de faire aux premières n'excédait-elle pas, par suite des progrès obtenus sous l'empire de la législation en vigueur, la limite des besoins réels? N'y en avait-il pas, enfin, qu'il serait sage de soumettre à la concurrence de l'industrie étrangère, afin d'indiquer ainsi, à la satisfaction des autres peuples, comme à celle de plusieurs classes de nos producteurs, la ferme in

tention où était la France de ne rien exagérer et de donner successivement à la liberté des transactions tout ce qu'elle peut raisonnablement obtenir? Telles étaient les questions que se posait M. de Saint-Cricq, et il terminait en disant que «< cette << dernière doctrine était celle qui, dans sa conviction person<«< nelle, convenait le mieux à la situation agricole, indus«<trielle et commerciale de la France, telle que l'avaient faite « les événements accomplis depuis trente années'. »

La Commission d'enquête se réunit, mais son travail n'eut pas les conséquences espérées. Ce résultat n'est, d'ailleurs, que trop facile à expliquer. Les lois de douanes votées depuis 1814 avaient, en effet, sensiblement modifié les conditions d'un grand nombre de propriétés et d'usines. Les unes avaient été vendues ou affermées à des prix bien supérieurs à ceux de l'époque antérieure; les autres, notamment les usines destinées à la fabrication du fer, avaient absorbé des capitaux considérables. Fallait-il porter le trouble dans ces nouveaux intérêts? La Commission n'osa pas entrer dans cette voie, et ceux-là mêmes, parmi ses membres, qui, quelques années auparavant, avaient blâmé le plus vivement l'élévation des droits à l'entrée sur les bestiaux et les fers étrangers, furent d'avis que, la situation étant donnée, ce que le gouvernement avait de mieux à faire, c'était de laisser aux industries que l'on avait cru devoir protéger contre la concurrence étrangère le temps de s'organiser, de manière à pouvoir lui résister. Le 21 mai 1829, M. de SaintCricq fit connaître à la Chambre des députés le résultat des travaux de la Commission d'enquête. L'année précédente, il avait exprimé le désir que le tarif fût l'objet d'une révision sérieuse; au lieu de cela, il venait, en s'appuyant sur les conclusions de la Commission, soumettre à la Chambre le maintien du régime en vigueur, sauf, en ce qui concernait les fers, qu'il proposait de réduire le droit de deux dixièmes, mais seulement dans dix années, c'est-à-dire

1 Rapport au Roi pour la formation d'une Commission chargée de faire une enquête sur le système de douanes (Moniteur du 6 octobre 1828).

« PreviousContinue »