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térêts; mais ce droit, la Chambre des députés le trouve insuffisant et le porte au double, par amendements.

En 1847, enfin, le gouvernement ayant proposé nn projet de loi de douane, contenant quelques dispositions libérales, quoique très-modérées, très-protectrices encore, ce projet fut profondément modifié dans le sens de la restriction et de la prohibition par la Commission que la Chambre des députés avait chargée de l'examiner.

L'histoire de la marche des doctrines économiques, sous le gouvernement de Louis-Philippe, se résume, en quelque sorte, dans ces diverses questions. Il est donc nécessaire d'entrer à ce sujet dans quelques détails.

A l'occasion d'un projet de loi présenté le 3 décembre 1832, le nouveau gouvernement fit connaître les principes d'après lesquels il entendait se guider, dans les questions de tarifs. Ce projet de loi avait pour objet, d'une part, d'admettre à l'importation, moyennant des droits d'une quotité élevée, quelques marchandises d'une grande valeur sous un petit volume, et qui étaient alors prohibées; d'autre part, de réduire les droits dont étaient grevés les bestiaux étrangers, ainsi que certaines matières premières qui donnaient lieu à une contrebande active, très-préjudiciable au Trésor.'

Tout en exposant à ce sujet, pour répondre à quelques appréhensions, que le gouvernement protégerait avec vigilance et énergie les industries qui s'étaient établies et avaient grandi sous l'influence du régime protecteur, le ministre du commerce, M. d'Argout, déclara nettement que le temps était venu de dégager ce régime de ce qu'il avait d'inutile, de vexatoire et d'exorbitant. Il démontra que presque toutes les mesures prohibitives n'avaient d'abord été que de simples mesures de représailles, des moyens de guerre, qui, en créant accidentellement de nouveaux intérêts dans l'intérieur de chaque pays, étaient devenus plus tard des nécessités. Mais, dans son opinion, les progrès mêmes de notre industrie, en préparant les voies pour une liberté progressive, avaient rendu superflues et dangereuses certaines dispositions jugées nécessaires à leur origine. « Le régime qui

<«< convient à une industrie au berceau, disait à ce sujet « M. d'Argout, peut devenir oppressif pour elle lorsqu'elle « est parvenue à son plus grand développement; une pro«<tection exagérée, accordée à certaines industries, nuit «< essentiellement à d'autres industries et aux intérêts gé«néraux du pays, en empêchant ces autres industries de « produire à bas prix et d'étendre les relations de la France « par des placements au dehors; la protection se détruit elle<< même par son excès. Cette protection doit se mesurer d'après le perfectionnement progressif de cette industrie. Le « plus grand intérêt du pays, le respect pour les intérêts « spéciaux existants, les ménagements, la prudence et la «< lenteur qui doivent être apportés même dans les amélio«< rations les plus nécessaires et les plus vivement réclamées, « tels sont les principes du gouvernement et la règle con«stante de sa conduite. »

M. d'Argout estimait donc que les intérêts industriels et commerciaux d'un grand pays ne devaient pas être régis d'après un système exclusif; que la prohibition générale des marchandises étrangères, de même que la liberté absolue du commerce, pourraient être également funestes, et que le gouvernement devait, d'une part, s'attacher exclusivement, en examinant chacun des articles du tarif, à ce qui était reconnu juste, nécessaire, utile et profitable aux intérêts du pays, au moment de cet examen; d'autre part, ne jamais perdre de vue que les trois objets principaux des tarifs de douanes étaient : 1o De protéger toujours, dans une juste et suffisante mesure, la production et le travail du pays;

2o De réserver au commerce extérieur la plus grande somme de liberté possible, et de le dégager de toutes entraves superflues et nuisibles;

3o De garantir au Trésor le revenu dont les échanges avec l'étranger offrent l'occasion naturelle et légitime.

Déjà, en 1829, à la suite des travaux de la Commission d'enquête, dont il avait été l'un des rapporteurs, M. d'Argout avait reconnu que « la protection accordée à certaines « industries était nuisible, précisément parce qu'elle était

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« exagérée, et que l'on devait tendre vers une réduction gra«< duelle des restrictions et des prohibitions, et, par consé« quent, vers une liberté progressive. » D'après ces principes, qu'il rappelait avec une juste satisfaction, M. d'Argout proposait de lever les prohibitions dont étaient frappés, à l'entrée, les cotons filés au-dessus du n° 180, les châles de cachemire, les cuirs de Russie, le cuivre filé sur soie, l'horlogerie, et, à la sortie, les soies gréges et moulinées. La défense d'exporter les substances alimentaires ainsi que les matières premières de l'industrie indigène remontait aux temps féodaux. Un auteur célèbre du seizième siècle avait dit, à ce sujet : « Ne permettre la traicte des choses nécessaires à la vie que les subjets n'en soient pourveus, ny des matières creuës, «< afin que le subjet les mette en œuvre, et gaigne le prouffit « de la main '. » Convaincu que l'économie politique du dixneuvième siècle ne devait pas être celle du seizième, cédant d'ailleurs aux justes réclamations des départements adonnés à la culture du mûrier et à l'élève des vers à soie, M. d'Argout proposait d'autoriser l'exportation des soies gréges et moulinées françaises. Mais, en même temps, il lui paraissait de toute justice de donner satisfaction aux réclamations des fabriques de Lyon qui, depuis 1828, sollicitaient instamment la suppression des taxes perçues à l'introduction des soies gréges et moulinées provenant de l'étranger. Les fabricants de Lyon avaient dit à cet égard: «Laissez-nous user de nos res<< sources naturelles, en permettant l'entrée et la sortie des « matières à des conditions sagement établies. » Au sujet des droits perçus à l'entrée des bestiaux étrangers, M. d'Argout rappelait fort à propos, car beaucoup de personnes semblaient l'avoir oublié, que, de 1791 à 1816, ces bestiaux n'avaient été grevés d'aucun droit ; qu'à cette époque, le besoin de créer des ressources extraordinaires fit prendre le parti de taxer les bœufs à 3 francs, les vaches à 1 franc, et les veaux à 25 centimes par tête; que ce ne fut pas sans répugnance que le gouvernement proposa et que les Chambres adoptèrent ce

1 De la Sagesse, par Pierre Charron, liv. III, chap. 11.

nouveau genre d'impôt, mais qu'il fut bien entendu que c'était un impôt et non une protection pour une industrie indigène que l'on voulut établir. A la vérité, cet impôt ayant agi en faveur des propriétaires d'herbages comme protection, quelques-uns d'entre eux prétendirent dès lors que l'Etat leur devait une protection suffisante pour les garantir de toute concurrence étrangère. Plus tard, en 1821, une sécheresse accidentelle, qui avait eu lieu l'année précédente et qui avait empêché, à cause de la cherté des fourrages, d'élever et de conserver autant de bétail que de coutume, ayant provoqué une grande importation de bétail, des plaintes fort vives s'élevèrent sur l'insuffisance du tarif. C'est dans ces circonstances, disait M. d'Argout, que, cédant à l'impulsion de la Chambre des députés, le gouvernement proposa, en 1822, de décupler les droits mis à l'entrée des bestiaux en 1816, et que cette Chambre porta, par amendement, à 50 fr., plus le décime, le droit projeté de 30 fr. S'appuyant : 1° sur les calculs de M. Chaptal, d'après lesquels le droit sur les bestiaux étrangers avait grevé la consommation, au profit des propriétaires, d'un impôt de 37,500,000 fr. 1; 2° sur les vives et constantes réclamations des provinces frontières, notamment de l'Alsace; 3° sur les représailles funestes à l'industrie française que cette exagération de nos tarifs protecteurs avait provoquées, M. d'Argout proposait, non de revenir au tarif de 1816, mais de se rapprocher de celui de 1822 avant qu'il eût été aggravé par la Chambre des députés, c'est-à-dire le projet de loi accordait un droit de 25 fr. par tête de bœuf et de 15 fr. par tête de vache, ce qui devait encore garantir aux producteurs indigènes une prime de près de 5 centimes par livre de viande. Enfin, divers autres articles du tarif devaient également subir une réduction relativement considérable 2.

que

La consommation de la viande était, en 1789, d'après Lavoisier, de 40 livres 2 onces par tête.

Elle était, en 1822, d'après M. Chaptal, de 50 liv. par tête, ce qui donnait, pour une population de 29,300,000 habitants, une consommation de 767,932,000 ki- logrammes de viande.

2 Exposé des motifs et projet de loi sur les douanes, présentés à la Chambre

L'adoption du tarif proposé par M. d'Argout eût été pour la France, en attendant d'autres réformes, un véritable bienfait. Cette fois, en effet, le gouvernement ne se bornait pas, comme cela avait lieu depuis quinze ans, à faire connaître son intention de continuer à protéger l'industrie indigène, il proclamait, en outre, hautement, qu'il entendait mettre au-dessus de tout autre intérêt les intérêts généraux du pays, et il donnait en même temps des gages positifs de ses dispositions 1.

Le rapport sur ce projet de loi fut fait par M. de Saint-Cricq, député des Basses-Pyrénées, ancien directeur général des douanes, et ensuite ministre des manufactures et du commerce sous la Restauration. Pendant tout le temps qu'il avait été au pouvoir, M. de Saint-Cricq, tout en insistant, on l'a vu plus haut, sur la nécessité de ne point exagérer le système protecteur, d'avoir égard aux dommages que pourrait créer une protection excessive, et de faire graduellement la part la plus large possible à la liberté des transactions, avait néanmoins défendu toutes les aggravations de droits dont les blés, les laines, les bestiaux et les fers avaient été successivement frappés sous la Restauration, notamment en 1822 et en 1827. Le rapport qu'il présenta à la Chambre des députés, le 5 avril 1833, offrit les mêmes contradictions. Il exposa d'abord que, d'accord tout à la fois avec l'école économique et avec l'école (administrative, la Commission repoussait avec la même conviction la tendance, soit à tout réduire à une question de bon marché, soit à sa

des députés, le 3 décembre 1832, par M. le ministre du commerce et des travaux publics.

'M. d'Argout avait en outre proposé, dans la session de 1831, un projet de loi très-libéral sur les blés. Ce projet avait pour objet de remédier aux vices de la loi de 1819, dont l'exposé des motifs faisait ressortir avec force tous les inconvénients; mais il fut fortement amendé dans le sens protectioniste par la Chambre des députés. Cependant, la loi qui fut adoptée constitua une amélioration, relativement au régime qu'avait créé celle de 1819. Bien que la loi de 1832 n'eût été votée qu'à titre provisoire, elle n'a pas été modifiée; mais, depuis, par crainte de la disette, le gouvernement a, par deux fois, retiré momentanément lés entraves mises à l'importation des blés étrangers.

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