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modérés qui eussent rendu la concurrence possible; et, d'autre part, le Trésor, c'est-à-dire les mêmes consommateurs, devaient venir en aide à la marine marchande, dont l'importance comparative décroissait chaque année, grâce à l'élévation de nos tarifs. Telle était la justice distributive de la Commission 1.

Quoi qu'il en soit, déposé vers la fin de la session, son rapport, véritable manifeste en réponse aux conclusions beaucoup trop absolues, il est vrai, de l'Association pour la liberté des échanges, ne pouvait pas être, et ne fut pas discuté. Quelque temps auparavant, deux membres de la Chambre des députés, MM. Blanqui et Léon Faucher, se fondant sur la cherté des céréales, cherté telle que l'abandon momentané de la législation qui protégeait les blés de l'intérieur était devenu indispensable, avaient demandé que, jusqu'au 1er janvier 1848, les bestiaux fussent admis à un droit fixe de 25 centimes par tête, et que les viandes, soit fraîches, soit salées, fussent reçues au même droit par cent kilogrammes; mais cette proposition n'avait pas été adoptée. Peu de jours après, MM. d'Harcourt et Anisson-Dupéron appuyèrent vivement, sans plus de succès, une proposition analogue dont la Chambre des pairs avait été saisie par voie de pétition. Ils exposèrent l'un et l'autre avec beaucoup de force, comme l'avaient fait MM. Faucher et Blanqui dans l'autre Chambre, qu'en présence de l'élévation excessive du prix des blés, il paraissait de toute justice d'ouvrir temporairement nos frontières aux bestiaux étrangers, afin que la diminution du

'La Commission prétendait, il est vrai (p. 198), que « nous étions tous à la << fois producteurs et consommateurs, chacun de nous apportant à la société son << tribut, en échange des avantages qu'il en obtient, l'un son travail, l'autre son <«< capital, celui-ci le produit de sa terre, petite ou grande, celui-là le produit << de son industrie, manuelle ou intellectuelle. » En admettant, pour un moment, que tous les citoyens d'un pays puissent être considérés comme des producteurs, il est facile de voir que les tarifs ne protégent pas tous les producteurs au même degré. Convient-il d'ailleurs au gouvernement d'intervenir à ce point dans la répartition des bénéfices sociaux ? Est-ce là son rôle, sa mission ? N'y a-t-il pas à craindre que d'inflexibles logiciens ne finissent par l'entraîner un jour, si on leur concédait ce principe, à des conséquences qui seraient la négation même de toute société?

prix de la viande compensât, au moins pour les départements frontièrès, l'augmentation du prix du pain, si onéreuse à l'immense majorité des populations. Tout en demandant le rejet de cette proposition, le ministre du commerce avait pourtant consenti à ce que la pétition fût renvoyée au gouvernement. La Chambre des pairs ne voulut pas même donner cette modeste satisfaction aux partisans de la réforme commerciale, et la pétition fut tout simplement déposée au bureau des renseignements.

Ces discussions furent les dernières qu'occasionna la lutte des deux systèmes économiques sous la monarchie de juillet. A quelque temps de là, cette monarchie disparaissait. Les temps des rudes expériences étaient revenus. On s'était, pendant de longues années, complu dans cette idée que la main et l'intervention incessante du gouvernement étaient indispensables à la bonne direction et à l'harmonie des intérêts industriels; on avait attaqué et présenté comme des ennemis du peuple, des missionnaires de l'Angleterre, les professeurs salariés de cette science, qui conseille avant tout de substituer l'activité et la responsabilité privées à l'irresponsabilité de l'administration; on avait enfin vu le mal où il n'était pas, et méconnu le péril réel, imminent. Triste et fatale erreur! Au surplus, le vœu le plus cher du Comité de la prohibition avait été exaucé, car la chaire d'économie politique du Collège de France venait d'être brisée. D'un autre côté, pendant que, sous le titre de Malthusiens, les économistes étaient, chaque matin, dénoncés aux colères du peuple, les adversaires naturels et logiques de l'économie politique, les partisans de l'intervention absolue et universelle de l'Etat tenaient leurs assises au Luxembourg et signaient des décrets. Le socialisme était au pouvoir.

CONCLUSION.

I.

Les faits principaux résultant des pages qui précèdent sont faciles à résumer.

En 1650, c'est-à-dire onze ans avant d'arriver au pouvoir, Colbert se déclarait partisan de la liberté commerciale dans un mémoire que le cardinal Mazarin lui avait demandé au sujet de l'interruption du commerce entre la France et l'Angleterre.

« La Providence, disait-il, a posé la France en telle si«<tuation, que sa propre fertilité lui serait inutile et sou«vent à charge et incommode sans le bénéfice du com<< merce qui porte d'une province à l'autre, et chez les étran«gers, ce dont les uns et les autres peuvent avoir besoin 1. » Trois ans après son entrée au ministère, Colbert supprime

1 D'autres protestations en faveur de la liberté commerciale avaient précédé celle-là. Vers la fin du seizième siècle, un penseur éminent, Jean Bodin, avait fait la même profession de foi. On ne sera pas fâché de trouver ici cette déclaration de principes, véritablement remarquable par la grandeur des vues, surtout si l'on a égard au temps auquel elle remonte:

«.....

Quant à la traite des marchandises qui sortent de ce royaume, il y a « plusieurs grands personnages qui s'efforcent de la retrancher du tout, s'il << leur estoit possible, croyant que nous pouvons vivre heureusement et à grand << marché sans rien bailler ni recevoir de l'estranger; mais ils s'abusent à mon << advis, car nous avons affaire des estrangers et ne sçaurions nous en passer. « Je confesse que nous leur envoyons blé, vin, sel, safran, pastel, pruneaux, << papier, draps et grosses toiles. Aussi avons-nous d'eux en contre-échange: « 1° tous les métaux, hormis le fer; nous avons d'eux or, argent, estain, cuivre, << plomb, acier, vif argent, alun, souphre, vitriol, couperoze, cynabre, huiles, << cire, miel, poix, bresil, ébène, fustel, gaïac, yvoire, maroquins, toiles fines, a couleurs de cochenil, escarlate, cramoysi, drogues de toutes sortes, épiceries, « sucres, chevaux, saleures de saumon, sardines, maquereaux, molues, bref « une infinité de bons livres et excellens ouvrages de main.

« Et quand bien nous pourrions nous passer de telles marchandises, ce qui << n'est possible du tout, et que nous en aurions à revendre, encore devrions-nous

la plupart des barrières intérieures, réduit les droits d'entrée de plusieurs marchandises, et augmente, il est vrai, ceux de quelques autres, mais dans des proportions modérées. Le tarif de 1664 se rapporte à l'époque la plus brillante du règne de Louis XIV. L'ordre renaissait dans les finances et dans toutes les parties de l'administration; longtemps ébranlée et méconnue, l'autorité se raffermissait de jour en jour; les grands écrivains et les grands artistes accomplissaient leurs chefs-d'œuvre; les monuments les plus majestueux s'élevaient comme par enchantement; jamais le commerce et l'industrie n'avaient été aussi florissants; enfin, nul bruit de guerre, nul son discordant ne troublait ce merveilleux ensemble. Heureuse la France, si Louis XIV et ses ministres avaient su résister aux entraînements d'une pareille prospérité !

Le tarif de 1667 marque le point de départ d'une époque nouvelle et féconde en événements.

Bien que l'industrie française fût alors très-variée et trèsétendue, elle ne produisait ni les belles dentelles, ni les glaces, ni les riches tapisseries, ni les draps et les tissus de laine d'une grande finesse. La Hollande et l'Angleterre nous fournissaient ces tapisseries, ces draps et ces tissus; nous achetions les points et les glaces de Venise, ainsi que certaines étoffes de soie, à l'Italie.

Sous l'empire de cette idée, que le pays qui possède le plus de numéraire est le plus riche, Colbert voulut retenir en France l'or qui passait à l'étranger pour l'achat de ces marchandises. C'était, d'ailleurs, dans son opinion, un moyen assuré d'augmenter le travail, d'occuper les bras inactifs. Il ne remarqua pas que, du moment où nous cesserions d'acheter à l'Italie, à l'Angleterre, à la Hollande, les objets qu'elles nous avaient fournis jusqu'alors, ces pays ne prendraient plus ni

« toujours trafiquer, vendre, achepter, eschanger, prester, voire plutost don<<ner une partie de nos biens aux estrangers, et mesme à nos voisins, quand a ce ne seroit que pour communiquer et entretenir une bonne amitié entre eux a et nous...)→→→ (Discours de Jean Bodin sur le rehaulsement et diminution tant d'or que d' gent. Paris, in-12, chez Jacques du Puys, 1578; non paginé.)

nos vins, ni nos grains, ni nos draps ordinaires et communs, ni nos soieries de Tours et de Lyon, ni les objets de mercerie et un grand nombre d'autres marchandises dont ils s'approvisionnaient en France depuis longtemps, et qu'en définitive nous perdrions d'un côté beaucoup plus que nous ne gagnerions de l'autre.

Peut-être Colbert espérait-il que nos soieries, nos draps grossiers, et surtout nos vins, nous seraient toujours également demandés. Or, l'axiome moderne : les produits s'achètent avec des produits, n'a fait que traduire un fait naturel propre à tous les temps, et ce fait ne tarda pas à se vérifier. Mais on voulait, avant tout, que la France cessât d'être tributaire de l'étranger.

Cependant, lorsqu'ils virent leurs marchandises repoussées par des droits d'entrée excessifs, les Anglais et les Hollandais eurent recours à des représailles. Bientôt, aux guerres de tarif succèdent les batailles rangées. Entraîné par une guerre dans une autre guerre, Louis XIV leva et entretint, pendant près de quarante ans, des armées de quatre cent mille hommes, ruina la noblesse par le luxe qu'il lui imposait, épuisa la France entière. La situation de l'agriculture, aggravée par la mobilité continuelle de la législation sur les blés, devint des plus misérables, même du temps de Colbert. A aucune époque les disettes n'avaient été aussi fréquentes. Dans plusieurs provinces, en Dauphiné et dans le Poitou, les paysans n'avaient, pour se nourrir, que l'écorce des arbres et l'herbe des champs. De Dunkerque à Bayonne, tout le littoral retentissait des plaintes qu'occasionnait l'interruption du commerce avec les Anglais et les Hollandais.

Le système économique de Colbert ne produisit pas seul, il est vrai, ces tristes conséquences; mais il y contribua en partie. Ce système fut d'ailleurs vivement critiqué par des contemporains. Un député du commerce d'Orléans dit un jour à Colbert : « Vous avez trouvé le char renversé « d'un côté; vous l'avez relevé pour le renverser de l'autre. » Le ministre s'emporta et renvoya la députation; était-ce prouver qu'il avait raison?

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