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gleterre pour qu'il fût traduit devant le jury. Quelques années après, ces dispositions furent encore aggravées : l'amende fut portée à 1,000 livres sterling et l'emprisonnement à un an1.

Les pénalités décrétées pendant le ministère de Colbert contre les manufacturiers qui refusaient de se conformer aux règlements concernant la qualité, la longueur et la largeur des étoffes se ressentirent des idées du temps. Sous ce rapport, il faut bien le dire, la rigueur des règlements fut excessive et sans proportion avec les inconvénients auxquels on voulait remédier, car, en admettant que quelques marchandises d'une qualité médiocre ou de mauvais teint eussent été mises en vente, cela ne pouvait avoir de grands inconvénients à l'intérieur, parce que ces marchandises subissaient naturellement une baisse de prix correspondant à leur infériorité. Quant à celles pour l'étranger, on aurait pu exiger qu'elles seraient marquées, ou mieux encore autoriser des marques facultatives appliquées par les soins du gouvernement, et qui auraient constaté la qualité des produits. Au lieu de cela, et en même temps qu'on fit exécuter avec la dernière rigueur les règlements sur les jurandes et corporations, on en imagina de nouveaux qui provoquèrent de la part d'un certain nombre de fabricants de très-vives réclamations.

Le premier règlement de Colbert, concernant les manufactures et fabriques du royaume, date du mois d'avril 1666. Depuis cette époque jusqu'en 1683, on ne compte pas moins de quarante-quatre règlements et instructions de ce ministre sur le même sujet. Grâce au zèle des inspecteurs et commis des manufactures qu'il avait créés et qui tenaient à prouver leur utilité, deux cent trente édits, arrêts et règlements furent rendus de 1683 à 1739, et cette manie de réglementer, de

• Adam Smith, Richesse des Nations, liv. IV, chap. vi. « Il n'est pas besoin, < disait, vers 1770, Adam Smith à ce sujet, de faire observer combien de tels règle<<ments sont contraires à cette liberté civile si vantée et dont nous nous montrons << si jaloux, liberté qu'on sacrifie ouvertement, dans ce cas, au misérable intérêt « de nos marchands et de nos manufacturiers. >> - Les restrictions imposées, en Angleterre, à l'émigration des ouvriers n'ont été rapportées qu'en 1824.

tourmenter l'industrie, sous prétexte de la diriger, ne cessa, malgré les efforts de Turgot, qu'à la révolution.

L'erreur dans laquelle tomba Colbert provient d'une cause très-honorable sans doute, et qui mérite d'autant plus d'être signalée. Ce ministre crut que le meilleur moyen de donner un nouvel essor à l'industrie française, de parvenir à se passer des draps d'Angleterre et de Hollande, des tapisseries de Flandre, des glaces et des soieries d'Italie, était de consulter les plus considérables manufacturiers du royaume, d'écouter, de suivre leur avis. Il arriva alors ce qui arrivera toutes les fois qu'un intérêt privé aura une voix prépondérante dans des délibérations où il est juge et partie: l'intérêt général lui fut sacrifié.

D'après un édit du mois d'août 1666, « les ouvriers d'Au<«< male (en Normandie) ayant eu une entière liberté de faire « leurs étoffes de plusieurs grandeurs et largeurs, selon leur " caprice, le débit en avait notablement diminué, à cause de « leur défectuosité.» Pour remédier à ce prétendu abus, on en créa un véritable et très-grave, en établissant dans la ville un corps de métiers. Un autre édit du mois d'août 1669 généralise le reproche et porte que « les ouvriers des manufactures « d'or, d'argent, soye, laine, fil et des teintures et blanchis« sages, s'étant beaucoup relâchés, et leurs ouvrages ne se « trouvant plus de la qualité requise, des statuts et règle«ments ont été dressés pour les rétablir dans leur plus « grande perfection.» Or, ces statuts, devenus célèbres, assujettissaient, sous peine d'amende ou de confiscation, toutes les étoffes quelconques, draps, serges, camelots, droguets, futaines, étamines, etc., à des longueurs, largeurs et qualités déterminées. D'autres ordonnances réglèrent la fabrication des draps de soie, des tapisseries. Enfin, des instructions en trois cent dix-sept articles furent données aux teinturiers, qui formaient deux corps de métiers, les uns de grand et bon teint, les autres de petit teint.

Mais on ne fait pas impunément violence aux lois naturelles et aux instincts les plus légitimes. A peine les règlements sur la qualité et la dimension des étoffes furent-ils

promulgués, qu'ils soulevèrent de tous côtés la plus vive résistance. Troublés dans leurs habitudes, se préoccupant avant tout, comme cela était juste, de satisfaire celles des acheteurs, les fabricants et les ouvriers refusaient de se soumettre à ces malencontreux règlements; de leur côté, les maires et les échevins ne pouvaient se décider à appliquer les pénalités qui y étaient édictées. Lyon, Tours, Amiens, Beauvais, d'autres villes encore, en demandèrent la réforme. Colbert répondit « que l'uniformité des lon<< gueurs et largeurs de toutes les manufactures causait un « très-grand bien dans le royaume, et qu'il fallait que tous <«<les statuts et règlements fussent ponctuellement exécu<«<tés. >> Souvent le même courrier portait la même assurance à tous ceux qui se plaignaient, afin de leur faire croire que leur ville ou leur province était la seule qui n'appréciât pas les avantages de l'uniformité des étoffes. Cependant, les ouvriers et marchands ne se rendaient pas à ces raisons, et Colbert était obligé de recommander la sévérité aux inspecteurs des manufactures, aux maires, aux intendants. Une de ses lettres, adressée à l'intendant de Picardie, porte que «partout, avec un peu de soin et d'application, on a réduit les marchands et ouvriers à l'exé<«<cution des règlements sur les manufactures, qu'à Amiens, << au contraire, loin de tenir la main à l'exécution de ces règlements, les échevins n'ont pas encore condamné un << seul de ceux qui fabriquent des étoffes défectueuses; mais << que si cela continue, il donnera ordre de confisquer dans « tout le royaume les marchandises d'Amiens, et ainsi les << ouvriers de cette ville recevront la punition de leur « mauvaise foi. >>

En 1666, les fabricants de Carcassonne avaient proposé à Colbert de décider que « si aucun manufacturier ou autre << abusait de la marque d'une autre ville, ou faisait appliquer « la sienne à un drap étranger, il fût mis au carcan pendant <«< six heures, au milieu de la place publique, avec un écriteau << portant la fausseté par lui commise. » Colbert eut alors le bon esprit de substituer une simple amende de cent livres à

la pénalité qu'on lui proposait. Quatre ans plus tard, irrité des réclamations et des résistances que rencontrait son système, cette pénalité lui parut toute naturelle, et il fit rendre un édit portant que « les étoffes manufacturées en « France, qui seraient défectueuses et non conformes aux règlements, seraient exposées sur un poteau de la hauteur « de neuf pieds, avec un écriteau contenant les nom et sur<< nom du marchand ou de l'ouvrier trouvé en faute; qu'après <«< avoir été ainsi exposées pendant quarante-huit heures, ces « marchandises seraient coupées, déchirées, brûlées ou con«< fisquées, suivant ce qui aurait été ordonné; qu'en cas de récidive, le marchand ou l'ouvrier seraient blâmés en << pleine assemblée du corps, outre l'exposition de leurs mar<«<chandises; et enfin, qu'à la troisième fois, ils seraient mis <«<et attachés audit carcan pendant deux heures, avec des << échantillons des marchandises sur eux confisquées..... »

Malgré son admiration pour Colbert et pour son système, un économiste du dernier siècle, Forbonnais, a reconnu que les règlements de ce ministre sur l'uniformité des étoffes, et les édits par lesquels il avait voulu en assurer l'exécution, tournèrent contre l'industrie, et neutralisèrent en partie les munificences coûteuses faites à un grand nombre de manufactures. Cette législation, en effet, ne frappait pas seulement une fraude à laquelle les ouvriers étaient conviés par le public qui aimait mieux avoir certaines marchandises d'une qualité médiocre que d'être obligé de s'en passer; elle frappait aussi l'inexpérience, l'erreur involontaire. « Celui qui se « défie de sa main et de son adresse, a dit Forbonnais, au « sujet de l'édit qui punissait du carcan les ouvriers ou dé«<bitants de marchandises prétendues défectueuses, ne peut <«< lire un règlement de cette espèce sans frémir. » Qu'on ajoute aux mille entraves de ces règlements la durée de l'apprentissage et du compagnonnage, les frais de réception, la rigueur intéressée des maîtres chargés de l'examen du chef-d'œuvre, et l'on aura une idée des temps d'épreuve que l'industrie française a dû traverser pour arriver à la liberté.

Un mémoire de Colbert, relatif aux dépenses de l'an

née 1681, porte que « le principal point des finances con<< sistait à employer tous les ans au moins cent mille livres, <«< et lorsque cela serait possible, au moins cent mille écus, « pour gratifier ceux qui faisaient le commerce de mer, qui entreprenaient de nouvelles compagnies, de nouvelles « manufactures, parce que ces moyens servaient à mainte<<nir l'argent dans le royaume, à faire revenir celui qui en << sortait, et à tenir toujours les États étrangers dans la né<«< cessité et le besoin d'argent'.

Fidèle à ce système, Colbert encouragea et contribua à fonder des deniers de l'Etat plusieurs compagnies privilégiées dont les destinées furent plus tristes encore que celles des Compagnies des Indes Orientales et Occidentales. Les Compagnies du Sénégal et de Guinée, fondées, la première en 1673, la deuxième en 1675, eurent toutes deux le même sort. Ces Compagnies avaient pour unique objet le commerce des nègres. Colbert avait d'abord donné six livres par nègre à tous ceux qui voudraient faire la traite; mais, dit Forbonnais, il revint bientôt aux idées d'exclusif qui étaient dans toutes les têtes, et il fonda la Compagnie du Sénégal, à laquelle il fit accorder le privilége du commerce des nègres sur la côte du Sénégal, au Cap Vert et dans la rivière de Gambie, avec une gratification de treize livres par tête de nègre. Or, après avoir absorbé la Compagnie de Guinée, celle du Sénégal périclita à son tour et n'eut qu'une durée totale de vingt ans. Les Compagnies du Nord, du Levant et des Pyrénées ne réussirent pas mieux. En résumé, aučune des Compagnies maritimes encouragées par Colbert ne prospéra, et il en fut de même, à quelques exceptions près, on en aura la preuve plus loin, des manufactures qui s'établirent à l'aide des encouragements pécuniaires qu'il leur accorda.

On a reproché à Colbert, au sujet de ces dernières, d'avoir suivi, relativement à la législation sur les grains, un système funeste et qui devait avoir pour résultat forcé de

1 Recherches sur les finances, etc., t. I, p. 529.

2 Histoire de Colbert, etc., p. 182.

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