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villes mêmes, la voix reconnaissante du peuple dont vous avez fait cesser l'oppression, continuera de se faire entendre pour vous soutenir jusqu'à la fin de vos travaux.

Ce n'était ni des hommes puissants, ni des grands de la terre, ni même des hommes de son siècle, que Rousseau attendait de la reconnaissance. Il appelait de l'ingratitude de ses contemporains, de l'injustice de la génération présente, au jugement de la postérité. Ce jugement, Messieurs, je vous invite à le prononcer vous-mêmes. Les événements de plusieurs siècles se sont pressés dans le cours d'une seule année; vous avez devancé les temps : je vois déjà se dissiper sur le cercueil de J.-J. Rousseau, les nuages que ses ennemis avaient élevés pour ternir l'éclat de sa gloire. La pierre qui couvre sa cendre a du moins étouffé les injustes clameurs qui l'ont suivi jusque dans son tombeau. Le monument religieux qui renferme tout ce qui nous reste de lui, est sans cesse baigné des larmes que son souvenir fait répandre aux âmes sensibles. Il est placé dans un grand temple, dans celui de la nature, sous la voûte du ciel. Tandis que le nom méprisable de ses détracteurs est, dès à présent, condamné à un éternel oubli, l'immortalité s'est emparée des ouvrages de Jean-Jacques, elle les a marqués de son sceau, elle les garde pour les siècles à venir. C'est à vous, Messieurs, c'est à cette époque mémorable de notre régénération, qu'il appartient de leur assigner, dans les fastes de l'esprit humain, la place honorable qui leur est due. Plus heureux que nous, ceux qui nous succéderont n'auront ni les mêmes obstacles à surmonter, ni les mêmes passions qui les divisent. Que dans leurs importantes délibérations, l'image de J.-J. Rousseau soit sans cesse sous leurs yeux; réunis dans un seul et même intérêt, celui de trouver la vérité, tous la chercheront de concert et de bonne foi. Alors Rousseau sera leur guide: ils marcheront sùrement, éclairés par le flambeau de son génie, et la devise qu'il s'était choisie, Vitam impendere vero, gravée par les mains de la reconnaissance sur le piédestal de sa statue, en leur rappelant quel est l'usage qu'ils doivent faire de la confiance qui remit les destinées de la nation dans leurs mains, leur montrera le but qu'ils doivent s'efforcer d'atteindre.

En attendant, Messieurs, la justice que je réclame pour J.-J. Rousseau, sa veuve est dans l'indigence.

D'après ces considérations, j'ai l'honneur de vous proposer le projet de décret suivant. C'est l'appel de J.-J. Rousseau lui-même, à la postérité, que je porte devant vous. (1)

PROJET DE DÉCRET.

L'Assemblée nationale, considérant que JeanJacques Rousseau a été décrété de prise de corps par le parlement de Paris; que, par jugement de ce même tribunal, le livre d'Emile a été condamné et brûlé en place de Grève par la main du bourreau, sans respect pour les Etats de Hollande, dont il portait le privilège : voulant manifester à toute l'Europe son improbation de cet acte d'intolérance qui blesse à la foi le respect des droits mutuels de l'homme vivant en société, et les égards qui sont dus à une puissance voisine; youlant, de plus, rendre un hommage solennel à la mémoire de J.-J. Rousseau, montrer la haute

(1) Voyez sa lettre à l'archevêque de Paris. 1 SERIE. T. XXI.

estime qu'elle a conçue pour ses écrits, expier le jugement qui les a condamnés, et enfin `lui donner un témoignage de la reconnaissance que lui doit la nation française, a décrété et décrète ce qui suit :

Art. 1er. Il sera élevé, à l'auteur du Contrat social, une statue portant cette inscription: La nation française libre, à J.-J. Rousseau. Cette statue sera placée dans la salle des séances de l'Assemblée nationale: sur le piédestal sera gravé la devise, Vitam impendere vero.

Art. 2. Un exemplaire d'Emile, offert à l'Assemblée nationale par l'auteur de la motion est accepté par elle, et sera déposé dans ses archives.

ASSEMBLÉE NATIONALE.

PRÉSIDENCE DE M. ALEXANDRE DE LAMETH. Séance du mardi 30 novembre 1790, au matin (1).

La séance est ouverte à neuf heures et demie du matin.

M. Poulain de Boutancourt, secrétaire, donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier.

M. Arthur Dillon, député de la Martinique. La partie du décret rendu hier qui concerne les instructions que le roi donnera à celui à qui Sa Majesté confiera le gouvernement des îles du Vent paraît contenir la demande de la destitution de M. Damas, ce qui me paraît infiniment injuste. Cet officier rempli de zèle, et depuis longtemps respecté dans les colonies, avait été malade et n'avait pu prévenir les troubles qui avaient commencé avant son arrivée. L'Assemblée ne doit donc rien décider qui soit à sa défaveur; s'il est coupable, il faut qu'il soit jugé par une haute cour nationale. Je demande que la rédaction du décret soit changée.

M. Barnave. Le comité des colonies s'est occupé à chercher les expressions les moins condamnantes pour exprimer le désir que le gouvernement de la colonie fùt confié à un autre officier qu'à M. Damas, puisqu'il est à la tête d'un parti et par conséquent peu propre à concilier tous les esprits. Quant à la demande d'un jugement, j'observe que le gouvernement des colonies est une commission que le roi donne ou qu'il retire à volonté; mais je persiste à dire que je ne vois aucune condamnation dans les expressions du comité.

M. Castellanet, député de Marseille. Si j'eusse eu hier les preuves qu'un courrier extraordinaire de Marseille vient de m'apporter, je vous aurais dénoncé M. Damas comme traître à la nation et parjure à son serment. J'aurais présenté à l'appui de ma dénonciation la lettre qui a été trouvée dans les papiers d'un homme qui avait la confiance de M. Damas; elle est du gouverneur anglais de l'ile de la Dominique. M. Damas lui avait demandé des troupes pour seconder ses affreux desseins; et ce généreux ennemi, je me trompe, ce généreux ami de la nation française, refusait

(1) Cette séance est incomplète au Moniteur.

dans sa lettre des secours qui lui étaient demandés. Il écrivait à M. Damas de se ranger du côté de la nation. « Si vous ne suivez mon conseil, lui disait-il, vous serez toujours condamnable. » Jugez, Messieurs, si la conduite de M. Damas est pure.

M. Martineau. Je suis étonné de voir un agent du pouvoir exécutif menacé d'une dénonciation par une ville particulière. Nous avons fait une Constitution, nous devons veiller à ce que les principes en soient maintenus....

(L'Assemblée passe à l'ordre du jour et adopte la rédaction du procès-verbal.)

M. Moreau, député de la Martinique, propose ensuite une addition au décret qui a été rendu hier sur les troubles qui ont lieu dans les îles du Vent.

Cette addition consiste à insérer après ces mots: auquel il plaira à Sa Majesté de confier, dans cette circonstance, le gouvernement général des iles du Vent, ceux suivants et auquel il sera donné toute autorité nécessaire pour concourir avec les commissaires pendant la durée de leur commission.

M. le Président met l'addition aux voix. Elle est décrétée.

M. Camus, garde des archives, observe que d'après deux décrets de l'Assemblée, les matrices et ustensiles servant à la fabrication des assignats doivent être déposés aux archives, dans une armoire ou coffre fermant à trois clefs, et que les papiers destinés aux assignats pour passer à l'imprimerie, et sortant de l'imprimerie pour passer à la signature, doivent pareillement être déposés aux archives; que pour la sûreté de cet objet important, il lui paraît nécessaire de faire construire une armoire qui puisse les garantir du vol et de l'incendie autant qu'il sera possible; en conséquence, il demande à être autorisé à faire construire ladite armoire de concert avec le sieur Pâris, architecte chargé des ouvrages nécessaires pour l'Assemblée.

L'Assemblée lui donne toute autorisation sur ce nécessaire.

M. F.-P. Delattre, député du département de la Somme, se présente à la tribune et, au nom du comité d'agriculture et de commerce, fait un rapport sur la pétition des pêcheurs français de pouvoir s'approvisionner de sel étranger.

Vous devez, Messieurs, des encouragements au commerce; je dirai plus, vous lui devez une protection efficace et particulière c'est une vérité sur laquelle on ne saurait trop insister à cette tribune.

Un des heureux effets de notre mémorable Révolution, sera de jeter dans la carrière du négoce beaucoup d'hommes qui en méprisaient peut-être jadis la profession cependant hono

rable.

Des hommes qui, ne pouvant plus vivre d'abus, seront forcés de se livrer à des travaux utiles.

Des hommes qui jouaient leurs capitaux, et ceux d'autrui, dans un funeste agiotage, plutôt qu'ils ne les faisaient fructifier.

Eufin, des hommes laborieux, mais à qui des réformes nécessaires ont enlevé leur état, et qui déjà tournent leurs regards inquiets vers un négoce honnête et lucratif.

Toutes les branches du commerce français vont donc prendre une activité nouvelle, et celle que nous devons exciter le plus sans doute, c'est la grande pêche.

D'abord parce que depuis très longtemps elle languit, négligée, et mêine contrariée dans son

essor.

Ensuite parce qu'en elle nous trouverons les moyens de vivifier et d'agrandir notre marine marchande et militaire.

Enfin, parce qu'elle sera pour nous une source féconde de richesses et de jouissances.

Il appartient sans doute à votre comité d'agriculture et de commerce de traiter en grand l'objet de la pêche; il s'en occupera certainement, si ses travaux les plus pressants le lui permettent, et si les vôtres, qui sont aussi les siens, vous laissent aussi la faculté de l'entendre.

Mais en attendant, Messieurs, vous permettrez qu'il fixe votre attention sur une disposition particulière, sans laquelle nos grandes pêcheries ne peuvent plus même exister, et vous commencerez par accorder aux pêcheurs français une première faveur, augure favorable des autres avantages dont vous vous empresserez de les faire jouir, sitôt que vous aurez recueilli les lumières qui doivent éclairer votre justice.

Le sel, vous le savez, Messieurs, entre pour beaucoup dans la grande pêche; sans cet agent il n'y aurait point de grandes pècheries, c'est un fait incontestable.

Il est donc d'une essentielle importance aux pêcheurs français de se procurer le sel avec facilité, à bon marché, et de la meilleure qualité possible.

Si le sel étranger est moins cher que celui de France, s'il est meilleur, et qu'en même temps il reste interdit à vos pêcheurs de s'en approvisionner, dès lors vous anéantissez vos pêcheries. Vous leur fixez pour mesure la consommation du royaume, en accordant même qu'il puisse vous réussir complètement de repousser le poisson de pêche étrangère, auquel vos ports francs offrent déjà tant d'accès (1).

(1) Note du rapporteur. C'est à toutes vos manufactures et à vos pèches aussi que vos ports francs portent le plus fatal préjudice. Je n'attaque pas la franchise de Marseille; si c'en est une que ce qu'elle a, cette franchise aurait des motifs d'exception trop grands et trop respectables; mais les franchises de Bayonne et Dunkerque placent au milieu de nous deux foyers de contrebande qui ont dévoré nos manufactures et tous nos artisans. Ces villes n'ont pas besoin de franchise pour n'exercer qu'un commerce légitime; avec le nouvean tarif de nos douanes, elles n'auraient besoin que d'entrepôts. C'est en vain que l'on oppose que c'est la position geographique de ces deux places qui commande ces dérogations à l'égalité. Pour ne parler que de Dunkerque, et pour ne pas donner trop d'étendue à cette note, je dirai qu'Ostende n'envahira jamais le commerce de Dunkerque. L'Anglais fréquentera Dunkerque de préférence à Ostende, parce que le voisinage, les vents et le courant l'y entrainent; parce que le Smogleur anglais consumerait périlleusement une marée de plus pour se rendre à Ostende, que pour aller à Dunkerque. Les peuples du Nord viendront toujours à Dunkerque chercher nos denrées coloniales, les merveilles de notre industrie, et tous les objets qu'un luxe raffiné fait rechercher. Qu'est Ostende? Malgré tout ce qu'en a voulu faire Joseph II, vous l'avez vu briller d'un éclat éphémère et emprunté. Vous l'avez vu, pendant la dernière guerre, concentrer un instant dans son port, à cause de sa neutralité, toutes les affaires de l'Europe; mais s'y sont-elles fixées? Non : elles ont reflué bientôt vers leur pente naturelle, et Ostende ne s'est alors agrandi que pour nous offrir maintenant le spectacle d'une plus vaste solitude.

La Constitution le veut, et toutes nos manufactures

Vous ôtez à vos pêcheurs les moyens, que vous devriez leur fournir, de rivaliser avec les autres peuples. Vous les empêchez d'agrandir une navigation utile, d'étendre des entreprises qui doivent devenir profitables, vous frappez enfin de stérilité une des branches les plus productives de l'industrie des peuples navigateurs et commerçants.

Or, Messieurs, depuis l'abolition de la gabelle, soit accaparement, soit une plus grande consommation, le prix du sel a été porté au triple de sa valeur ordinaire, et ce prix est bien au-dessus de celui du sel étranger (1).

L'activité des demandes a été telle, que nos marais salants ont pu à peine y suffire. L'empressement des acheteurs a fait qu'on n'a pas même laissé à la denrée le temps de se perfectionner dans les marais; enfin le sel de France est plus cher, il n'est pas d'une si bonne qualité que le sel étranger (2).

Cet état de choses doit changer sans doute. Les propriétaires de marais salants vont redoubler d'efforts et d'industrie; de plus, le rétablissement de ceux de l'île de Corse et des côtes de la Méditerranée, en augmentant beaucoup la masse de cette denrée, nous fournira abondamment, par la suite, des sels de la meilleure qualité.

Mais si cet avantage est probable, le mal que je vous dénonce est certain.

Empressez-vous d'y porter remède, en permettant, au moins provisoirement, à nos malheureux pêcheurs de s'approvisionner de sel étranger. N'usez point envers eux d'une imprudente sévérité, qui, quand elle pourrait favoriser l'exploitation de nos marais salants, porterait d'une manière trop funeste sur les pêcheurs français, classe d'hommes précieux que nous devons seconder par tous les moyens qui sont dans notre puis

sance.

Ce que nos pêcheurs, et particulièrement ceux de Granville et Saint-Malo, sollicitent de votre bienveillance, ils l'obtinrent de l'ancien régime en 1772. Pendant trois ou quatre années ils jouirent de la faculté de s'approvisionner de sel étranger, la pêche française s'accrut sensiblement; mais les réclamations sordides de l'intérêt particulier, les plaintes exagérées des propriétai

vous implorent. Ces franchises ne sont que des privilèges, ils doivent être abolis. Quand les citoyens sont égaux, les cités doivent redevenir égales.

(1) Le sel de France coûte au moins 60 livres le tonneau, et le sel d'Espagne ne vaut à Cadix que 15 à 16 livres; mais comme la qualité en est, outre cela, plus parfaite, il en résulte qu'un armateur à qui il faut douze cents tonneaux de sel de France, et qui débourse pour cet approvisionnement 72,000 livres, n'aurait besoin que de huit cents tonneaux de sel d'Espagne, qui ne lui nécessiteraient qu'une avance d'environ 16,000 livres; car il faut compter pour peu de chose le transport de ce sel d'Espagne en France. Nos pècheurs, en général, mais ceux de Granville et SaintMalo surtout, vont porter, dans la Méditerranée, le produit de leur pêche. Ils reviennent sur leur lest au lieu de leur désarmement, ou avec un fret si modique quant au prix, qu'à peine sont-ils défrayés depuis Marseille; alors, au lieu d'y charger à vil prix, ou de revenir à vide, ils relâcheraient sur leur passage à Cadix, et ils en rapporteraient, pour ainsi dire, sans frais, le sel nécessaire à leur expédition prochaine.

(2) Le sel d'Espagne est moins fondant que le sel de France; ayant acquis dans l'œillet plus d'évaporation; il contient une moindre quantité d'eau; cette perfection de qualité en donne aussi une au poisson, il est mieux sale, moins corruptible et d'une plus agréable

saveur.

res de marais salants et des marchands de sel, parvinrent à faire révoquer une faveur, dont le ministre d'alors n'avait pas voulu apercevoir l'heureuse influence. Il ne vit dans l'habitude que contracteraient nos pêcheurs d'aller chercher leur sel à la côte d'Espagne, que l'importation funeste d'une denrée qu'il crut que notre sol pouvait suffisamment fournir, sans apprécier si le prix et la qualité pouvaient permettre à nos pêcheurs quelque concurrence avec l'étranger. Il ne voulut pas apercevoir que le sel appliqué à la pêche, ne doit être considéré que comme toutes ces matières premières dont nous favorisons l'importation, parce que les appropriant à notre industrie, nous en décuplons la valeur et que, modifiées par nos mains, nous les revendons aux étrangers, qui deviennent par là nos tributaires, même sur les objets des productions de leur propre sol.

Quoi qu'il en soit cependant, la permission fut révoquée. Le bien que fit une administration versatile et peu éclairée, votre sollicitude paternelle et sage le fera sans doute aussi, et elle ne le révoquera pas aussi légèrement. Les pêcheurs français attendent ce bienfait de l'Assemblée nationale; son comité d'agriculture et de commerce partage leurs espérances.

Réalisez-les, Messieurs, vivifiez par tous les moyens une branche d'industrie, base principale de notre marine. Jusqu'ici nos matelots se sont livrés à une pêche ingrate et ruineuse, rendez-la pour eux plus profitable, vous verrez bientôt tripler nos armements. Songez qu'en permettant à vos pêcheurs de s'approvisionner de sel étranger, Vous n'empruntez qu'une matière brute, dont même on ne vous demande pas l'introduction. Réfléchissez que vous payez peu à l'étranger ce que vous pouvez lui revendre beaucoup; songez enfin que, quand les lois sont mauvaises et impolitiques, elles sont toujours éludées.

En effet, vous empêchez vos armateurs de se fournir économiquement de sel étranger aux lieux d'origine, et vous les forcez d'aller furtivement s'approvisionner de sel d'Espagne et de Portugal, soit en Angleterre, soit à Boston, soit chez les Anglais de Terre-Neuve, où ils le payent deux à trois fois plus cher qu'ils ne l'eussent acheté en le tirant directement.

Observez surtout, Messieurs, que le sel de France (et les propriétaires de marais salants n'iront pas au contraire) n'est pas propre à la préparation de la morue blanche; qu'interdire le sel étranger, c'est renoncer de votre part à cette espèce de poisson, qu'il faudra vous soumettre à recevoir des Anglais et des Hollandais; et que, pour n'avoir pas voulu recevoir le sel étranger, Vous vous trouverez forcés, par une bizarrerié sans excuse, à recevoir à la fois, et le sel et le poisson étranger.

Votre comité vous porte, Messieurs, le vœu des marins pêcheurs des ports qui se livrent à la grande pêche, de presque tout le commerce: vous ne serez pas insensibles à un cri aussi universel.

Il ne peut pas vous dissimuler néanmoins que Vous devez entendre quelques réclamations; mais Vous y reconnaîtrez la lutte ordinaire de l'intérêt particulier contre le bien général. Cinq cents propriétaires de marais salants s'élèvent contre le vou de peut-être vingt-cinq mille pêcheurs. MM. les députés des ci-devant provinces d'Aunis et Saintonge crient qu'on les dépouille et qu'on les ruine impitoyablement, parce qu'il s'agit de soustraire au monopole, de malheureux pêcheur

sur lesquels il ne ferait que s'aggraver de plus en plus.

Cependant il faut connaître leurs objections principales. Je vais tâcher de vous les exposer sans les affaiblir.

Ils prétendent, d'abord, que proposer d'accorder aux armateurs, pour la pêche, la faveur qu'ils réclament aujourd'hui, c'est vous demander, Messieurs, de revenir sur un de vos décrets; sur le décret du 14 mai dernier, qui prohibe l'entrée en France du sel étranger.

Mais votre comité respecte trop l'Assemblée nationale pour lui faire la dangereuse proposition de revenir sur un de ses décrets. Il ne vous demande pas l'entrée en France du sel étranger: il demande par son projet de décret, l'entrepôt du sel étranger pour être exporté pour la pêche. Ils disent qu'il est abusif de laisser sortir le numéraire pour payer à l'étranger une denrée que la France fournit abondamment, et le comité répond qu'il ne peut pas être plus désastreux d'acheter le sel des Espagnols, que d'acheter leurs laines; qu'au contraire, il est bien entendu d'employer le sel espagnol, si son prix peut promettre à nos salaisons de pouvoir entrer en concurrence avec celles de l'étranger; car si, à raison de cette première fourniture, l'Espagne reçoit quelque chose de nous, nous nous en récuperons bien avantageusement sur l'étranger qui achète ces salaisons.

Ils exposent qu'admettre pour la pêche le sel étranger, c'est attenter à leur propriété et la proscrire, comme si vous n'aviez pas déjà fait assez pour eux par la suppression de la gabelle, opération qui vient de tripler le produit de leurs propriétés; et comme si, pour donner du prix à ces mêmes propriétés, vous deviez leur accorder un privilège à exercer sur une industrie qui est aussi la propriété, et peut-être la seule propriété des pêcheurs.

Les insensés! qui ne veulent pas voir que s'ils persévéraient dans leur opposition, et que si l'Assemblée nationale pouvait y avoir égard, ils accéléreraient nécessairement l'anéantissement de notre grande pêche; que bientôt il ne se ferait plus d'armements; qu'alors ils ne vendraient plus de sel aux pêcheurs, et que si la destinée de leurs propriétés est attachée à celle de la pêche, elles subiraient bientôt la même décadence.

Et plût à Dieu que cette prophétie fût mensongère, lorsqu'il ne suffira pour vous y faire ajouter quelque foi, que de mettre sous vos yeux, Messieurs, le déplorable tableau de la pêche des six dernières années de quelques-uns de vos ports les plus renommés (1), et qu'il ne tiendra qu'à vous d'acquérir la triste conviction, que bien loin d'avoir apporté quelques bénéfices, les six dernières années ont donné constamment une perte énorme à vos armateurs.

Les pêcheurs français ont à lutter contre deux grandes contrariétés qui s'opposent à la prospérité d'une des branches principales de leur pêche, celle de la morue sèche.

Ces contrariétés, ces désavantages, sont, comme j'ai déjà eu l'honneur de vous l'exposer, le haut prix et la mauvaise qualité du sel de France, d'une part, et la cherté considérable des armements de l'autre.

Nous pouvons peu corriger le dernier de ces inconvénients; mais quand il nous est donné de pouvoir remédier au premier, les marins français

(1) Voyez à la fin du rapport le tableau annexé.

ne doivent-ils rien attendre de notre justice, surtout lorsque nous avons des malheurs connus à réparer ?

L'excessive cherté des armements français (vous me pardonnerez cette courte digression, Messieurs) a pour cause principale, le défaut d'établissements dans l'île de Terre-Neuve. Chaque année il faut expédier nos navires, les fournir d'équipages d'autant plus nombreux et d'approvisionnements d'autant plus considérables, qu'il faut se livrer à certains travaux avant le commencement de la pêche; il faut porter et rapporter beaucoup d'ustensiles, voiturer jusqu'à des bateaux, pour remplacer ceux qui, abandonnés à la côte pendant l'hiver, s'y perdent ou y dépérissent; de là, la nécessité d'employer de plus grands navires et plus de matelots, de consumer plus de temps dans le voyage et dans les travaux préliminaires de la pêche; de là, une augmentation considérable dans les salaires des équipages et dans la dépense des nourritures.

Les Anglais, au contraire, propriétaires de l'ile, pêchent exclusivement sur les parties de la côte les plus abondantes en poisson. Ils ont des établissements fixes, les habitants renforcent au besoin leurs équipages, ils sont dispensés de traîner après eux et des bateaux et de nombreux ustensiles. A ce moyen ils emploient de plus petits navires et moins de bras; ils gagnent sur le temps du voyage, sur les salaires et les vivres de l'équipage, sur la mise dehors de l'armement. Enfin les Anglais font trois pêches, et nous n'en faisons qu'une; leurs armements coûtent moitié moins, et rapportent trois fois plus; avec des capitaux égaux aux nôtres, ils peuvent avoir six fois nos produits, et par conséquent vendre toujours à mieilleur marché que nous, en faisant encore de gros bénéfices.

Voilà des désavantages qui ne sont que trop constatés, Messieurs; je ne veux point vous fatiguer de vaines redites: mais ce que je ne puis me dispenser de vous répéter, c'est qu'il est instant que vous veniez, en ce qui dépend de vous, au secours de nos marios pêcheurs; c'est qu'il est de votre intérêt comme de votre justice, que vous leur donniez des facilités qui les encouraragent; c'est que, sans la liberté qu'ils réclament, ils ne peuvent plus exercer une industrie précieuse dont l'Etat doit retirer tant d'avantages. Rejetez leur demande, bientôt vous n'avez plus de pêches, et tout à l'heure plus de marins; c'est à la dure école de la pêche que se formeut et s'endurcissent les meilleurs matelots. Courageux et patient, actif et robuste, le marin pècheur sait affronter tous les périls, endurer le calme, se livrer à tous les travaux, supporter les vicissitudes de tous les climats. Sur une frêle barque, et souvent près des côtes et des écueils, il apprend tous les jours à braver les orages, à trouver et perfectionner des manœuvres nouvelles; il ne craint pas la tempête, il la brave, il la maîtrise par son art et son courage. Le pêcheur relâche rarement, il lutte plutôt contre la tourmente, et loin de rechercher le port, il ne fait, pour se soustraire à la tempête, que s'élancer plus loin du rivage.

Ce sont de pareils hommes que vous ne pouvez pas laisser sans assistance; ce sont des hommes utiles que l'on vous propose de secourir; c'est leur métier ingrat et dangereux qu'il s'agit d'améliorer et d'encourager.

Considérez, d'ailleurs, Messieurs, que nous ne vous demandons qu'une disposition provisoire; que les législatures seront toujours à même, s'il

en résultait quelque inconvénient, de retirer la faveur que nous réclamons; qu'enfin nous ne vous demandons rien que provisoirement.

Vous n'avez jamais accueilli la prolixité, Messieurs, je ne m'exposerai point à la défaveur qu'elle mène toujours après elle. Ce que j'ai dit doit suffire, ou ce que je dirai de plus serait encore insuffisant; on proportionne toujours l'attaque à la résistance que l'on attend, et je me persuade que je ne dois pas en éprouver, puisque je vous offre l'occasion d'un bienfait utile. Je me borne donc à l'exposition succincte que je viens d'avoir l'honneur de vous faire, et je vous propose, au nom du comité d'agriculture et de commerce, le projet de décret qui suit :

PROJET DE DÉCRET.

L'Assemblée nationale, après avoir entendu son comité d'agriculture et de commerce, décrète :

1o Les pêcheurs et négociants du royaume, qui

arment pour la pêche de la sardine, de la morue, du hareng et du maquereau, pourront provisoirement s'approvisionner en sel étranger, et en tirer la quantité nécessaire à la salaison du poisson de leur pêche seulement.

2° Pour prévenir tout versement frauduleux dans le royaume des sels étrangers déclarés pour lesdites pêches, les pêcheurs et négociants seront tenus de déposer lesdits sels dans les magasins, sous leurs clefs et celles des préposés de l'administration des douanes nationales, pour y rester surveiller jusqu'au transport sur les navires ou bateaux pêcheurs, et jusqu'à l'instant de leur départ.

Les fraudeurs encourront les peines prescrites par les ordonnances relativement aux autres marchandises prohibées, à l'exception néanmoins de toutes peines afflictives.

3o Le transport des sels étrangers destinées à l'approvisionnement des pêcheurs, ne pourra être fait que par des navires et bâtiments français, dont le capitaine et les deux tiers de l'équipage au moins soient français.

ETAT comparatif et général des produits bruts de la pêche faite sur la côte de l'ile de Terre-Neuve par les bâtiments armés, tant à Saint-Malo, Granville, que dans les ports de la baie de SaintBrieuc, depuis 1783, jusques et compris 1789, avec les dépenses, tant à l'armement qu'au désarmement, et le résultat des pertes et bénéfices qui en sont provenus.

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(L'Assemblée ordonne que ce rapport sera imprimé et distribué pour, trois jours après sa distribution, être soumis à la discussion.)

M. Gossin, au nom du comité de Constitution, présente un projet de décret pour l'établissement de tribunaux de commerce.

M. Coroller. Je demande, quant à présent, et jusqu'à ce que les administrés aient été consultés et qu'ils aient émis un vœu positif, qu'il n'y ait qu'un tribunal de commerce dans le département du Morbihan et qu'il soit établi à Vannes, chef-lieu de ce département.

Il n'y a ni danger ni inconvénient à remettre à d'autres moments de statuer sur les pétitions

avides et isolées de chaque ville, pour le placement des tribunaux de commerce. Les consulats et les amirautés sont en activité. Dans les villes où il n'y a pas de sièges de cette espèce, il y a des tribunaux de districts auxquels toutes les affaires de commerce peuvent se porter. Ne multiplions pas les tribunaux inutiles; soyons par tout très circonspects à établir ceux qui peuvent constituer les administrés dans de nouvelles dépenses.

M. Gossin. Les propositions du comité de Constitution sont faites après mur examen des demandes des intéressés et sur pièces justificatives fournies par les assemblées administratives des départements.

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