Page images
PDF
EPUB

Divers membres prennent encore la parole et, après une courte discussion, le décret suivant est rendu :

L'Assemblée nationale, après avoir entendu le rapport du comité de Constitution sur les pétitions des assemblées administratives des départements de Seine-et-Oise, du Morbihan, du Tarn, de l'Hérault, du Cher, des Bouches-duRhône, de la Somme, des Deux-Sèvres et de l'Aisne, décrète, ce qui suit:

« Il sera établi des tribunaux de commerce dans les districts de Provins, Vannes, Hennebond, Alby, Béziers, Bourges, lesquels siégeront dans ces villes, à l'exception de ceux de Béziers et de Hennebond, qui seront établis à Pezenas et à Lorient,

"

« Les pétitions des communes de Dunkerque, Strasbourg et Montauban sont ajournées et renvoyées aux administrations du Nord, du Lot et du Bas-Rhin, pour être statué ce qu'il appartiendra.

« Il sera nommé deux juges de paix à Bourges, trois à Aix, trois à Amiens, deux à Abbeville, deux à Niort, deux à Saint-Quentin.

« La pétition de la commune de Vienne pour l'établissement de deux juges de paix est renvoyée à l'administration de son département, pour ensuite être statué ce qu'il appartiendra. La demande de l'assemblée du département de l'Hérault pour l'établissement d'un tribunal de commerce dans la ville maritime d'Agde et son canton, et celle relative au port du canal de Béziers, sont renvoyées au comité de Constitution. »>

M. Le Chapelier, rapporteur du comité de Constitution, dit:

Il s'élève une difficulté sur la nomination des commissaires du roi. Vous avez décrété que nul ne pourra être élu juge, s'il n'est homme de loi exerçant depuis cinq ans au moins. Un très honnête citoyen, réclamé par tout son département, a été nommé commissaire du roi, sans avoir les qualités requises, puisqu'il n'est pas gradué. Votre intention n'a été, en exigeant des grades, que d'établir une présomption de capacité. Or, cette capacité est suffisamment prouvée, lorsqu'on a rempli des fonctions qui nécessitent la connaissance des lois. C'est pourquoi nous vous proposons de déclarer régulières ces nominations lorsque le pourvu a exercé pendant cinq ans les fonctions de juge ou du ministère public.

M. d'André. Je propose d'étendre la faculté d'élire des citoyens non gradués aux juges mêmes de district. Le texte de vos décrets n'exige que la quotité de juge et non celle de gradué.

M. Regnaud, député de Saint-Jean-d'Angély. Il faut distinguer entre les juges et les commissaires du roi; pour les premiers, il est nécessaire qu'ils soient gradués, sans quoi l'Assemblée aura indiqué aux choix du peuple tous les juges des seigneurs, parmi lesquels il y en a plusieurs qui sont huissiers ou praticiens avides; la loi romaine les appelait vultures togati. L'exception me paraît moins dangereuse pour les commissaires du roi. En ne m'opposant pas au décret proposé par le comité, je demande la question préalable sur la proposition de M. d'André.

Divers membres proposent la question préalable sur le tout.

L'Assemblée, consultée, décide qu'il n'y a pas lieu à délibérer.

M. Hernoux, membre du comité d'agriculture et de commerce, fait le rapport suivant sur le rétablissement des barrières au pays de Labour.

<< Messieurs, en ajournant la question relative aux ports francs, vous avez conservé provisoirement à Bayonne et au pays de Labour la libre circulation qu'ils ont avec l'étranger. Ce décret en nécessite un autre. Depuis plusieurs mois, les barrières qui existaient entre Bayonne et l'intérieur du royaume, et qui auraient été inutiles si Bayonne avait cessé d'être franc, ont été détruites. Si ces barrières n'étaient pas promptement rétablies, il en résulterait un mal incalculable. Si on voulait les rétablir sans un décret particulier, il pourrait y avoir de fortes oppositions de la part du bourg de Saint-Esprit et des pays adjacents, à la franchise, qui ont toujours souffert ces barrières avec impatience. Ces considérations ont fait penser à votre comité de commerce et d'agriculture qu'il convenait de rendre, pour le rétablissement de ces barrières, un décret semblable à celui que vous avez rendu le 15 de ce mois pour les barrières du Roussillon, qui avaient été détruites comme celles de Bayonne; j'ai, en conséquence, l'honneur de vous présenter en son nom le projet de décret suivant:

[blocks in formation]

« Les directoires de district et de département veilleront à l'exécution du présent décret; et pour assurer cette exécution, le roi sera supplie de donner des ordres aux troupes de ligne actuellement en garuison à Bayonne de prêter main forte aux municipalités et directoires de district et de département qui les requerront.» (Ce projet de décret est mis aux voix et adopté.)

M. le Président fait donner lecture d'une lettre de la dame Legendre et de ses fils, portant soumission de leur part d'entretenir les souterrains des environs de la capitale, pour une somme de 260,000 livres par an, au lieu de 400,000 livres qu'on donne au sieur Guillaumot, architecte du roi, intendant général de ses bâtiments, et directeur de la manufacture des Gobelins, et cependant de donner à chaque ouvrier 10 sous de plus par jour.

L'Assemblée ordonne le renvoi de cette lettre aux comités d'agriculture et de commerce.

M. le Président donne connaiss"nce à l'As

semblée que M. Fleury, cultivateur, et l'un des députés du département du Pas-de-Calais, est décédé hier en cette ville, à l'hôtel Berlin, rue Saint-Guillaume, près de celles des Saints-Pères, faubourg Saint-Germain, et que ce soir à 6 heures il sera inhumé à Saint-Sulpice.

M. Bonassat, curé de Saint-Fiel, député de Guéret, demande et obtient un congé de six semaines.

M. Goudard, membre du comité d'agriculture et de commerce, fait un rapport sur le tarif des droits d'entrée et de sortie du royaume.

Je viens appeler l'attention de l'Assemblée sur le tarif des droits qui seront perçus à l'entrée et à la sortie sur les objets qui en ont paru susceptibles. Ce n'est pas sans quelque défiance que je me présente à cette tribune, où vous avez daigné accueillir avec bonté le travail de votre comité d'agriculture et de commerce, que j'ai été chargé de vous soumettre. Lorsque je vous ai proposé de renverser ces odieuses barrières qui gênaient la circulation intérieure, je n'ai pas dû trouver des contradicteurs. Devant la liberté, ces chaînes fiscales que le commerce traînait après lui ont dû se briser. Vous avez reculé ces barrières aux extrêmes frontières... Le comité d'agriculture et de commerce a admiré cette théorie, qui repose sur la liberté indéfinie; elle honore ceux qui s'en sont déclarés les apôtres, et qui prêchent cette sublime doctrine au monde commerçant; mais il ne lui a pas paru sage de s'en faire les disciples uniques, et de donner un exemple qui ne serait point imité, parce que ce serait prononcer la destruction de notre industrie.

Il doit s'attendre pourtant que ce système séduisant trouvera parmi les vrais amis de la liberté des partisans et des défenseurs; il a toujours suffi de prononcer devant vous le mot de liberté pour rallier tous les esprits : les efforts ne coûtent rien alors, et les plus grands sacrifices ne vous arrêteront jamais. Moi aussi je viens, au nom du commerce, vous demander la liberté; elle est la devise du commerce, de l'agriculture et de toute industrie, mais elle est incomplète sans la protection et la sûreté. Je réclame la liberté dans ce sens qu'elle sera protection du commerce national et qu'elle veillera à la sûreté de nos manufactures; lorsque vous n'avez été arrêté par aucun obstacle qu'on a tenté de Vous opposer, lorsque vous avez triomphé de tous les préjugés, je vous demande d'accorder au commerce le liberté d'exister. La protection et la sûreté que vous lui devez ne peuvent se trouver, dans le système actuel de l'Europe commercante, que par une combinaison de droits à l'entrée et à la sortie qui attire tout ce qui doit favoriser l'industrie nationale et porter votre exportation au dernier terme possible.

Ce n'est donc pas pour l'intérêt du Trésor public que les droits sont établis, c'est pour l'intérêt, bien plus considérable, de l'agriculture, de nos manufactures et de nos arts.

Si votre comité, dont je suis l'organe dans ce moment, s'écarte de ces idées, qui paraissent vraies dans la spéculation, qui en imposent à tous ceux qui ne sont que théoriciens, parce qu'elles offrent à l'esprit de grandes vues politiques, j'espère au moins que vous entendrez avec indulgence les motifs d'une opinion qui ne parait restreindre la liberté qu'aux yeux de ceux qui n'embrassent pas le système commercial

dans tous ses rapports et qui oublient sans cesse que les faveurs que nous accorderions à nos voisins nous seraient refusées par eux.

Nous avons pu sans danger déclarer les droits des nations et offrir dans notre Constitution un grand exemple aux peuples qui vivent sous une autorité plus ou moins despotique que le reste de l'Europe soit esclave ou devienne libre comme la France, notre liberté n'en sera pas moins entière; mais faire des lois commerciales dans lesquelles nous stipulerions seuls et sans réciprocité la liberté indéfinie, votre comité a pensé que ce serait une fausse mesure pour une nation dont le système politique est aujourd'hui d'être une puissance purement agricole et commerçante, dont la splendeur dépend des progrès de son industrie, qui doit accroître sa population, la force de l'Etat, et assurer la prospérité de l'agriculture, qui en est la véritable richesse.

Votre comité, en s'occupant du commerce, n'a pas dù considérer uniquement ces spéculateurs que l'on confond trop souvent avec le véritable négociant; ces spéculateurs, vrais cosmopolites, à qui il importe peu de vendre ou vos productions ou celles des nations étrangères. Pour ceux-là, sans doute, ce ne serait point assez d'avoir repoussé les barrières aux frontières; il faudrait les renverser entièrement, pour faire de la France un grand comptoir, un port franc quvert à tous les peuples, d'où ces avides spéculateurs introduiraient chez les nations qui se gardent, qui prohibent nos productions, tout ce que leur intérêt leur prescrirait.

Mais que deviendraient nos manufactures dans ce système? Ce qu'elles deviendraient est facile à prévoir; elles s'anéantiraient et, avec elles, cette industrie si active qui occupe des milliers de citoyens.

Le spéculateur, seul dans son comptoir, fait des affaires immenses; le manufacturier est bien plus utile que lui. C'est donc cette industrie que vous avez eu en vue de protéger, d'encourager, de défendre, lorsque vous avez placé des barrières à vos frontières; et déjà vous avez jugé que ce grand intérêt exigeait des droits qui ne sont que l'effet de la protection que vous devez à l'industrie; ils servent à la sûreté des spéculations, parce qu'ils garantissent les manufactures qu'il ne sera rien introduit qui puisse soutenir la concurrence avec les productions nationales sans laisser à celles-ci tout l'avantage.

Votre comité a pensé que cette sûreté serait complète, si vous ajoutiez à des mesures si sages quelques prohibitions dont il lui a paru que la justice et la nécessité se démontrent facilement.

Cette dernière question me paraît la seule susceptible d'une controverse, et pourtant, en réduisant le problème à ses termes les plus simples, elle a paru à votre comité une conséquence nécessaire des droits protecteurs et conservateurs de nos manufactures, que sans doute personne ne proposera de supprimer.

Dès qu'il sera démontré que les droits d'entrée et de sortie sont indispensables pour favoriser notre commerce, il sera prouvé qu'il est de notre intérêt de prohiber tout ce qui nous devient inutile, tout ce qui serait nuisible à notre industrie nationale.

La discussion que vous allez ouvrir est impor tante; vous aurez à vous défendre vous-mêmes de cet enthousiasme de la liberté, sentiment qui se partage, mais qui pourrait vous conduire audelà de ce que vous devez. Songez que, si, philosophiquement, vous pouvez jeter les fonde

ments de la législation de tous les peuples, commercialement, vous avez, avant tout, à considérer l'intérêt national.

Avant de résumer les questions que vous aurez à examiner, je vous dois une observation générale sur le tarif; elle me paraît devoir en abréger la discussion. J'ai déjà eu l'honneur de dire à cette tribune que le tarif n'est pas l'ouvrage seul des comités d'agriculture et du commerce; depuis longtemps on s'en occupait dans l'administration; les députés des villes de commerce avaient été consultés; une nouvelle discussion y a introduit des changements utiles, et, depuis qu'il est connu de tous les commerçants, votre comité peut vous assurer que, dans l'immensité des lettres qu'il a reçues de différentes places de commerce, il n'a pas eu de réclamations contre ce tarif sur lesquelles il n'eût de lui-même fait droit, parce qu'il a été éclairé par les observations que les membres de cette Assemblée se sont empressés de lui faire et par les instructions qu'ils ont fournies. Il serait difficile que la discussion répandit plus de lumières sur ce tarif. Ce n'est que lorsqu'il nous a paru satisfaire, autant qu'il était possible, à tous les intérêts que nous avons cru devoir vous le présenter pour en ordonner l'exécution. Cependant, votre comité le répète, il est loin de penser que ce tarif soit aussi parfait qu'il le peut devenir; mais ce n'est pas une loi destinée à être immuable.

Le devoir des législateurs qui vous succéderont sera d'y faire des changements que l'expérience peut seule indiquer. L'Assemblée nationale ne peut délibérer successivement sur chaque article du tarif sans une perte de temps infinie. Pour l'en convaincre, il suffit de savoir que, depuis un temps considérable, le comité s'en occupe constamment, et il faudrait consacrer peut-être un mois entier si on voulait suivre cette marche. Mais quand l'Assemblée pourrait ainsi prodiguer son temps, elle ne devrait pas adopter ce mode de discussion, parce que cent articles divers ramèneraient cent fois la même discussion. Votre comité d'agriculture et de commerce a donc été obligé de chercher une méthode simple de faire décréter le tarif.

Il commencera par vous exposer les principes suivant lesquels il a cru devoir classer et taxer les diverses marchandises, soit à l'entrée, soit à la sortie. Si ces principes sont justes, il ne s'élèvera d'autre question que celle de savoir si telle ou telle marchandise appartient à la classe dans laquelle elle a été rangée. Les principes qui ont guidé votre comité peuvent se réduire à deux; le premier concerne l'entrée imposée sur les marchandises étrangères; il consiste en un droit d'autant plus fort que la marchandise sera moins nécessaire à notre consommation ou à nos fabriques, ou qu'elle aura reçu de l'étranger une valeur industrielle nuisible aux fabriques de même genre que possède le royaume.

Le second principe, qui est relatif à la sortie, est de favoriser, autant qu'il est possible, l'exportation du superflu des productions de notre sol et de notre industrie, et de retenir par des droits les matières premières utiles à nos manufactures. L'intérêt de notre industrie nous a même portés à vous proposer l'établissement de quelques prohibitions tant à l'entrée qu'à la sortie. Nous avons divisé les marchandises de notre commerce extérieur en huit classes pour l'entrée et autant de classes pour la sortie, avec des droits gradués de manière à donner le plus grand en

couragement aux matières premières et à l'exportation des marchandises ouvrées.

Voici d'abord ce qui concerne le tarif d'entrée. Nous proposons d'affranchir de droits les productions indispensables à la subsistance et les matières premières les plus utiles à nos fabriques, d'imposer au droit le plus léger les matières beaucoup moins indispensables sous le même rapport; elles forment la première classe des objets à imposer. Le droit affecté à cette classe ne peut être évalué depuis 1/2 0/0 de la valeur jusqu'à 1 1/2 0/0.- La seconde classe comprend quelques matières premières, dont les unes, comme l'indigo, peuvent nous être fournies par nos colonies, et les autres sont dans le cas d'être employées à des ouvrages de luxe ou de seconde nécessité; cette classe payera de 2 à 3 1/2 0/0.

La troisième classe, les marchandises qui, quoique matières premières pour les arts et les manufactures, peuvent nous être fournies par nos colonies; la quatrième classe, les comestibles consommés par les riches, ou en si petite quantité par toutes les autres classes de citoyens que le droit en est insensible; quelques matières première ouvrées, dont nous n'avons pas des quantités suffisantes, et le fer, dont nos fabricants sont surchargés. Ces différents objets sont soumis à un droit de 8 à 12 0/0. La cinquième classe, plusieurs objets manufacturés auxquels notre industrie peut suffire: droits, 15 à 20 0/0.

La sixième classe, les productions de pêche étrangère, qu'il est de l'intérêt de notre navigation d'écarter; les eaux-de-vie et liqueurs qui nuiraient aux productions de notre territoire: droits, de 20 à 30 0/0. La septième classe, les productions de même espèce que celles de nos colonies. La huitième classe, les charbons de terre la fixation du droit sera graduée sur le besoin des différents points du royaume.

Le tarif pour la sortie est également divisé en huit classes, qui ne comprennent qu'un très petit nombre d'articles; car nous proposons d'affranchir de droits les grains et les graines, nos productions industrielles, et tout ce qui, étant venu de l'étranger, se trouvera dans le cas d'y être réexporté par le commerce. Nous avons aussi une neuvième classe de marchandises contre lesquelles votre comité croit devoir vous proposer de prononcer une prohibition absolue pour être exercée sur les unes à l'entrée, et sur les autres à la sortie du royaume. Il ne s'est élevé aucune réclamation contre celle-ci; mais on a objecté au système prohibitif à l'entrée que, le taux de l'assurance pour l'introduction d'une marchandise prohibée n'étant jamais de 7 à 8 0/0 de la valeur, il était de l'intérêt des manufactures de préférer un droit de 10 à 12 0/0, qui s'acquitterait, à une prohibition qui serait toujours éludée. Nous répondons que, si on peut nous indiquer un moyen de faire acquitter aux manufactures étrangères un droit d'entrée de 10 0/0 de la valeur effective, nous renonçons aux prohibitions; mais si ce mode est impossible à trouver, si, pour obtenir un droit de 10 0/0, on est obligé d'en mettre un de 15 à 20, qui pour les uns ne soit que de 8 0/0, tandis qu'il sera de 12 pour les négociants de meilleure foi, nous excitons à la fraude celui qui ne pourra pas entrer en concurrence avec son confrère.

Alors nous ne pouvons opposer d'autre barrière que celle de la police relative aux droits de traites. Cette police est bien insuffisante; car, si la marchandise que le négociant veut introduire est permise, il peut la faire arriver dans nos

ports, l'y faire séjourner souvent pendant plusieurs jours avant d'être tenu à une déclaration, et il a tout ce temps pour essayer de verser sa marchandise en fraude; s'il ne réussit pas, il est quitte pour ressortir avec sa marchandise.

Il en est autrement des marchandises prohibées. Les petits bâtiments sont les plus dangereux, parce qu'ils peuvent se soustraire à la vigilance des préposés ; mais faisons, comme l'Angleterre, croiser sur les côtes des bâtiments légers autorisés à arrêter les marchandises de contrebande qui s'en approcheraient.

La prohibition seule peut nous préserver des versements avec armes et attroupements. Il n'en serait pas de même si les marchandises étaient admises avec un droit de 8 à 10 0/0 de leur valeur, qui est assez considérable pour exciter la fraude, parce que, ne pouvant être saisies à l'approche des côtes, elles arriveraient avec sécurité et même séjourneraient dans nos ports. Les introductions par terre, quand il s'agit de marchandises prohibées, sont, comme celles par mer, un obstacle de plus à surmonter; car elles sont saisissables par le seul fait qu'elles arrivent sur le territoire français. Ces considérations suffisent pour prouver que la prohibition est plus propre que le droit à repousser une marchandise préjudiciable à nos manufactures. Le comité n'at-il pas d'ailleurs, à l'appui de son opinion, le traité de commerce avec l'Angleterre? Lorsque les coopérateurs de cette convention désastreuse ont éprouvé des contradictions auprès du ministère, leur argument était que, les marchandises anglaises entrant dans le royaume nonobstant la prohibition, il importait à nos manufactures de commuer cette prohibition en un droit d'entrée. C'est pour s'en être rapporté à leur opinion que des centaines de milliers de bras précédemment occupés à la fabrication des articles que l'Angleterre nous fournit sont depuis plusieurs années sans travailler.

M. Goudard termine en présentant un projet de décret (1).

M. Malouet. Quoique les rapports commerciaux semblent être de droit naturel, il faut cependant les considérer sous un autre aspect; les circonstances dans lesquelles nous nous trouvons, la rivalité du commerce des nations, dont la concurrence se choque, nous force d'en circonscrire la liberté. Les lois prohibitives sont nécessaires, et, avant que nous les disposions, je demande, pour notre instruction, que le comité fass e imprimer avant la discussion: 1° l'état de celles de nos marchandises dont l'entrée est interdite chez les principales nations commerçantes de l'Europe; 2° l'état des droits que les nations étrangères imposent chez elles sur les marchandises dont l'importation est permise chez nous, et avec lesquelles elles rivalisent nos manufactures et ruinent principalement celles de toiles peintes et de toiles de coton.

M. l'abbé Maury. Je demande aussi qu'on veuille bien nous soumettre le produit de nos lois prohibitives sur les marchandises étraugères.

M. Ræderer. Les états que demande M. Malouet seraient le résultat d'un dépouillement des

(1) Voyez le tarif proposé par M. Goudard, Archives parlementaires, tome XVIII, page 317.

tarifs de toutes les nations, ce qui serait un ouvrage interminable. Quant à la proposition de M. l'abbé Maury, elle me semble inintelligible. Qu'est-ce, en effet, que le résultat des lois prohibitives? Ce sont les confiscations, les amendes, etc. Eh! qu'importent de pareils résultats? Je demande donc la question préalable sur les deux propositions.

(L'Assemblée décide qu'il n'y a pas lieu à délibérer.)

M. Louis Boislandry (1). Messieurs, il serait trop long de discuter chacun des articles compris dans le tarif qui vous est proposé; vous avez dû y remarquer une grande variété dans la fixations des droits. Plusieurs marchandises sont totalement prohibées, tant à l'entrée qu'à la sortie; d'autres assujetties à des droits prohibitifs : on appelle droits prohibitifs, ceux qui excèdent 15 ou 20 0/0. Les marchandises chargées de ces droits, ne laissant aucun bénéfice au commerce, le contrebandier seul peut les introduire avec avantage.

Ainsi la seule question à examiner est celle-ci : Convient-il à la nation française d'adopter ou de prescrire les prohibitions et les droits prohibitifs?

Votre comité d'agriculture et de commerce n'a pas hésité sur celui des deux partis qu'il devait préférer la pensé que nos manufactures et notre commerce ne pouvaient être efficacement protégés que par des prohibitions ou par des droits probibitifs: il nous a dit que, les fabriques de France ne pouvant supporter la concurrence des fabriques étrangères, il fallait interdire à ces dernières l'entrée du royaume que les étrangers ayant un besoin absolu de nos denrées et de nos ouvrages d'industrie, continueraient de s'adresser à nous malgré les prohibitions: enfin que la véritable liberté consistait à s'imposer des gênes et des privations, lorsqu'il en résultait un bien général. Tous ces motifs l'ont déterminé à vous proposer un tarif suivant lequel l'entrée d'un grand nombre de marchandises étrangères est prohibée, ou soumise à des droits prohibitifs de 15, 20, 30 et 40 0/0. Je m'empresse de rendre hommage aux intentions de votre comité; je suis convaincu qu'il n'a eu d'autre but que l'accroissement de notre industrie et de notre commerce. C'est concourir à ses vues que d'examiner avec attention les moyens qu'il vous conscille d'employer pour y parvenir.

Il était réservé à l'Assemblée nationale de porter la lumière dans les questions les plus difficiles; celle-ci est d'autant plus importante, qu'elle doit fixer nos rapports avec les nations étrangères et que de sa solution dépend la prospérité de l'Empire. Une si grande question exige une discussion approfondie; je vous prie de me permettre de la traiter avec une certaine étendue.

Les principales nations de l'Europe ont suivi, dans leurs relations extérieures, deux systèmes différents de commerce. Le premier est le systè.ne prohibitif privilégié, exclusif, qui vous est proposé par le comité.

Ce système ne peut être mis à exécution qu'à force de gênes, de précautions, d'entraves, d'inquisitions, de visites domiciliaires. Il ne peut être maintenu que par des lois pénales très rigoureuses, il peuple les cachots et les galères, et il

(1) Le discours de M. Boislandry est incomplet au Moniteur.

devient à la longue une arme très puissante entre les mains du gouvernement, pour accoutumer à l'esclavage la nation qui a eu le malheur de se soumettre à un pareil régime. Il nécessite de fréquents traités de commerce suivant lesquels la nation prohibitrice doit se faire accorder des avantages exclusifs sur toutes les autres.

L'Angleterre a depuis longtemps adopté ce système, qui cependant ne lui a-pas toujours réussi, car il lui a fait perdre l'Amérique septentrionale, et il avait excité la jalousie de toutes les nations de l'Europe à un tel degré, que, dans la dernière guerre, il ne restait aux Anglais un seu allié. Le maintien de ce même système prohibitif a été le sujet ou le prétexte des armements immenses qu'ils viennent de faire; il leur avait précédemment occasionné plusieurs guerres sanglantes et des dépenses énormes.

Le second système est celui de la liberté absolue d'importation et d'exportation.

La nation qui a eu le bonheur de l'adopter, n'exclut aucun peuple de commencer avec elle. Elle leur accorde à tous les mêmes faveurs et les mêmes avantages, parce qu'elle sait que plus elle aura d'acheteurs, et mieux elle vendra, et qu'en multipliant aussi ses vendeurs, elle achètera à meilleur marché. Elle regarde tous les traités de commerce comme inutiles et illusoires; elle n'en a pas besoin, parce qu'elle veut négocier avec tous les peuples sur le même pied. Elle rejette les prohibitions, parce qu'elle ne veut ni enrichir ni encourager les contrebandiers cette nation s'épargne encore la douloureuse nécessité des lois trop rigoureuses contre la contrebande.

Ce système de liberté est suivi par la Suisse, la Hollande, la Toscane, Gênes, Venise, par les villes impériales et les villes anséatiques; elles en ont recueilli des fruits si heureux pour l'accroissement de leur industrie et de leur commerce, qu'elles ne seront sans doute jamais tentées de s'en écarter.

Le régime prohibitif convient à un gouvernement arbitraire ou à une nation qui consent à sacrifier sa liberté même à son ambition et au vain plaisir de dominer passagèrement sur ses voisins.

Le système contraire est digne d'un grand peuple qui a conquis sa liberté, qui est résolu de la conserver et qui n'entend pas l'échanger contre desavantages chimériques; d'un peuple,qui regardant tous les autres comme des frères, a déclaré qu'il renonçait à troubler la terre pour de misérables querelles et qu'il voulait désormais vivre en paix avec tout le monde.

Cette généreuse résolution, qui a été applaudie de toute l'Europe, n'a pas seulement rapport aux intérêts politiques de la France, elle s'étend encore à ses relations de commerce, car les intérêts de commerce ont eu, depuis un siècle, une très grande influence sur la conduite des gouvernements. Eh bien, Messieurs, le tarif prohibitif du comité ne tend à rien moins qu'à anéantir cette sublime déclaration et à la démentir par une déclaration toute contraire. Si vous suiviez les vues du comité, nous dirions à tous les peuples qui nous environnent:

[merged small][merged small][merged small][ocr errors]

"pour l'avenir, à votre égard, un système prohi« bitif. »

Tel serait le langage que vous tiendrez à l'Europe étonnée, si vous décrétiez le tarif qui vous est proposé oui, Messieurs, un tarif prohibitif est un attentat au droit des gens, c'est une véritable déclaration de guerre, qui nous expose à de funestes représailles, les prohibitions, en écartant les marchandises que nous recevons des pays étrangers, tendent à y réduire à la mendicité les ouvriers occupés à des manufactures, dont les produits se consomment en France; mais comme elles autorisent et provoquent les nations étrangères à tenir la même conduite envers nous, l'effet certain en serait de condamner à la misère un bien plus grand nombre d'ouvriers français qui sont employés à des fabriques destinées à l'étranger.

S l'Assemblée nationale adopte le système prohibitif, l'Europe entière qui a les yeux fixés sur vos travaux, pensera que vous l'avez regardé comme le plus avantageux pour la prospérité du royaume, et tous les souverains se hateront d'imiter votre exemple.

Sans doute, avant de vous présenter ce tarif, votre comité s'est assuré des moyens d'exécution; il en a calculé les avantages et les dangers. Je vais parcourir la même carrière.

J'examinerai d'abord si le système prohibitif peut être maintenu dans un royaume tel que la France et sous une Constitution libre; ensuite si ce système serait avantageux à nos manufactures et à notre commerce, enfin s'il est nécessaire à leur encouragement?

L'invention des lois prohibitives est due aux Anglais. Ils en ont porté très loin la théorie et la pratique, ils ont multiplié à l'infini les précautions contre la fraude. Chez eux les délations sont encouragées, les visites domiciliaires y sont permises de jour et de nuit. Des amendes énormes, des peines rigoureuses sont établies contre les fraudeurs. Les commissaires de la douane sont juges souverains des délits; malgré cette extrême sévérité, il est peu de pays où il se fasse plus de contrebande qu'en Angleterre. Avant le traité de commerce, presque toutes les marchandises de France y étaient prohibées, cependant il y en était introduit des quantités immenses. Les membres des Communes, et ceux de la Chambre haute, tout en votant les lois prohibitives, étaient vêtus de nos beaux draps de Louviers, ils portaient des batistes de Valenciennes; leurs femmes ne se croyaient bien habillées qu'avec des étoffes, des dentelles et des parures de France. La contrebande servait mieux l'Angleterre que ses prohibitions. Car si les nations auxquelles elle fournissait des marchandises, n'avaient pas pu s'acquitter avec les produits de leur industrie, en les lui portant en fraude, son commerce avec elles aurait été anéanti.

Au reste que les Anglais s'efforcent d'écarter de leur pays la contrebande; placés au milieu de la mer, ils peuvent espérer d'y réussir des bâtiments légers font sans cesse la garde de leurs côtes et en chassent les fraudeurs. Mais la France qui a un développement de côtes de plus de 700 lieues, qui a un prolongement de frontières de 600 lieues au moins, pourra-t-elle jamais se flatter d'y parvenir ?

On a fait, vous le savez, Messieurs, d'inutiles efforts pour prévenir la contrebande qui se fait à Paris, sur certaines marchandises, qui comme le vin, chargées de trop gros droits, présentent un grand appât à la fraude; cependant Paris est

« PreviousContinue »