Page images
PDF
EPUB

juste, et son choix maintiendrait ceux de ses pasteurs qui auraient fait preuve de patriotisme,, ou qui auraient réparé le scandale de leur résistance à la loi.

Révolution les a fait remarquer dans toute la France, et les met encore en butte aujourd'hui à la haine et aux injures de leurs implacables confrères. Dans cet état de notre sacerdoce actuel, il m'est impossible, Messieurs, de me taire sur la nécessité pressante de chercher des précautions contre les terribles et innombrables abus dont cette partie de l'administration ecclésiasti– que couve maintenant les germes. Tant que vous n'aurez pas trouvé dans votre sagesse un moyen de faire agir ce ressort de la religion selon une détermination concentrique au mouvement du patriotisme et de la liberté, je ne saurais voir autre chose, dans les tribunaux sacrés qu'une loi sans doute irréfragable et divine a érigés dans l'enceinte de nos temples, que les trônes d'une puissance adverse et cachée, qui ne croira jamais remplir sa destinée, qu'autant qu'elle fera servir ses invisibles ressources à miner sourde

Le ciel et mon âme me sont témoins que personne ne souhaite plus sincèrement que moi, de voir nos évêques et nos curés prévenir le recours de l'Assemblée à ce moyen pénible; et je les conjure de réfléchir à la nécessité que leur caractère leur impose, de coordonner l'Eglise à la Constitution, et d'aider la patrie, encore chancelante sur ses nouvelles bases, à s'étayer de la force de la religion. Mais je dois ajouter, pour ne rien laisser en arrière des vraies dispositions dont je suis affecté, que si jamais je perds l'espoir de voir les ministres du christianisme sortir du coupable silence dont ils s'enveloppent, au milieu des écarts dont quelques-uns d'eux déshonorent le sacerdoce, je serai aussi le plus ardent à solliciter l'application du remède sévèrement les fondements de la Constitution. C'est dont je viens de parler; et je suis fondé à penser que des suffrages imposants par leur poids et par leur nombre soutiendront victorieusement

ma voix.

En attendant, Messieurs, le moment où vous jugerez de votre sagesse d'examiner et de décider cette grande question, il me paraît nécessaire qu'après avoir statué sur l'étonnante démarche des prélats députés à l'Assemblée nationale, vous preniez en considération quelques articles relatifs à l'institution ecclésiastique, qui ont aussi une relation trop directe à nos principes constitutionnels, pour être étrangers à la sollicitude du Corps législatif.

1. Vous avez attribué, Messieurs, à tous les évêques et à tous les curés du royaume le choix. de leurs coopérateurs dans le ministère ecclésiastique. Cette disposition, qui n'entraînerait aucun danger si tous les évêques et curés actuels étaient nationaux, c'est-à-dire de la création du peuple, ne me paraît bonne, en ce moment, qu'à procurer aux prélats et aux pasteurs aristocrates une facilité pour renforcer leur influence anticivique.

Le moindre inconvénient qui puisse résulter de la liberté accordée aux ministres du culte, de composer à leur gré leur presbytère, c'est la possibilité, ou plutôt la certitude qu'incessamment le petit nombre d'ecclésiastiques voués à la Révolution, qui sont employés dans les diocèses et dans les paroisses, se trouvent sans fonctions et sans existence, et que les opinions et les consciences n'aient plus pour guides que des prêtres fanatiques et contre-révolutionnaires. C'eût donc été une mesure pius digne de votre sagesse, Messieurs, de régler la distribution des places de vicaires, d'après la nécessité d'établir auprès des évêques et des curés une sorte de réaction contre leur tendance incurable à ramener le règne des anciens abus; raison très suffisante pour modifier un de vos précédents décrets d'un bon et salutaire amendement.

2o Le ministère privé de la confession qui peut être si utile au progrès de l'esprit civique et constitutionnel, par la force et la continuité de son influence sur les habitudes humaines, et par son ascendant sur les opinions et sur les mœurs publiques, peut aussi devenir un foyer d'antipatriotisme d'autant plus dangereux, que seul, i! peut se dérober à la surveillance de l'autorité, et que la loi ne saurait imposer aucune comptabilité à ceux qui l'exercent. Le nombre des confesseurs est prodigieux; et celui des prêtres vraiment citoyens est si petit, que leur zèle pour la

encore là un de ces grands maux qui exigent. l'application. d'un prompt et puissant remède.

3° Ce fut aussi, de tout temps, un grand mal, que cette multitude étonnante de prêtres, qui a été toujours croissante jusqu'à nos jours, et dont un tiers aurait suffi aux besoins réels du ministère ecclésiastique. Cette disposition si contraire à l'esprit et à la discipline des premiers siècles du christianisme, et qui a été une source intarissable de scandale et d'injustice, ne peut, à la vérité, se prolonger bien avant dans le nouveau régime que vous avez établi, et où le sanctuaire n'offrira plus à ceux qui le serviront, que de grands travaux à soutenir, et que de sobres jouissauces à recueillir.

Cependant, Messieurs, cet équilibre ne s'effectuerait que par des gradations trop lentes; et la génération sacerdotale actuelle, si prodigieusement grossie par la restitution que vous avez faite de leur liberté aux membres des instituts religieux, excéderait encore trop longtemps, par son nombre, celui des places à remplir dans l'Eglise, si vous n'attendiez le retranchement d'un inconvénient si fécond en funestes conséquences, que de l'influence tardive du gouvernement. Quelque rare que devienne désormais la vocation de l'état ecclésiastique, on doit pourtant s'attendre que si l'on n'apporte aucune interruption au cours des ordinations, il s'y présentera toujours assez de candidats pour entretenir, durant des siècles, cette surabondance de ministres des autels, et perpétuer par là tous les maux qu'elle a causés à l'Eglise et à l'Etat. Personne ne peut disconvenir que les plus beaux jours de la religion n'aient été ceux où les évêques n'ordonnaient ni prêtres, ni diacres, qu'autant précisément qu'il en fallait pour le service de leurs églises, c'està-dire de leurs diocèses. Et certes, la quantité n'en était pas nombreuse, puisque du temps du pape saint Corneille, l'an 250 de l'ère chrétienne, I'Eglise romaine n'avait que quarante-six prêtres (1), quoiqu'elle fût composée d'un peuple innombrable.

Telles sont, Messieurs, les considérations que, depuis quelque temps, j'ai eu vivement à cœur d'exposer à l'Assemblee, et dont l'objet me paraitde nature à provoquer toute la vigilance et toute la sollicitude des représentants de la nation.

En conséquence j'ai l'honneur de vous proposer le projet de décret suivant :

« L'Assemblée nationale, considérant que l'Exposition des principes de la constitution civile du

(1) Eusèbe, VI, note chap. XLII

clergé, récemment publiée par les évêques députés à l'Assemblée nationale, est directement contraire aux libertés de l'Eglise gallicane, et manifestement attentatoire à la puissance du Corps constituant, dont les lois, sur cette matière, ne peuvent être empêchées par quelque tribunal ou puissance ecclésiastique que ce soit;

Déclare déchu de son élection tout évêque convaincu d'avoir recours au saint-siège pour se faire investir de l'autorité épiscopale, entendant que chaque évêque élu s'en tiendra purement et simplement à des lettres de communion et d'unité, conformément à l'article 19 du titre II du décret du 12 juillet dernier;

« Déclare vacant le siège de tout évêque qui recourrait à la demande de nouvelles institutions canoniques, sur ce que la nouvelle démarcation des diocèses lui attribuerait des ouailles qui n'étaient pas auparavant soumises à sa juridiction;

« Déclare pareillement vacant le siège de tout métropolitain ou évêque qui, sur une réquisition dans les formes prescrites par les articles 16 et 35 du décret du 12 juillet, alléguerait d'autres motifs que ceux prévus par les articles 9 et 36 dudit décret, pour refuser la confirmation canonique aux évêques ou curés nouvellement élus;

Décrète, au surplus, qu'à compter de la publication du présent décret, tout ecclésiastique qui aura fait ou souscrit des déclarations ou protestations contre les décrets de l'Assemblée nationale, acceptés et sanctionnés par le roi, sera non recevable à demander le traitement qui lui est attribué, jusqu'à ce qu'il ait rétracté lesdites déclarations ou protestations;

2o Que tout ecclésiastique qui, soit dans des mandements ou lettres pastorales, soit dans des discours, instructions ou prônes, se permettra de décrier les lois ou la Révolution, sera réputé coupable du crime de lèse-nation et poursuivi, comme tel, par-devant les tribunaux à qui il appartient d'en connaître ;

"

3° Qu'en amendement des articles 22 et 23 du titre II du décret du 12 juillet, qui attribuent aux évêques et aux curés le choix de leurs vicaires, les évêques et curés ne pourront choisir leurs vicaires, que dans un nombre d'ecclésiastiques déterminé par l'élection antérieure des départements ou des districts;

4° Que chaque archevêque ou évêque enverra aux greffes de toutes les municipalités de son diocèse, un état signé par lui et par le secrétaire diocésain, de ceux des ecclésiastiques domiciliés dans chaque municipalité, qui sont approuvés pour le ministère de la confession, et que nul ecclésiastique ne pourra exercer cette fonction, qu'il n'ait, au préalable, prêté le serment civique par-devant sa municipalité;

5 Et attendu que le nombre des prêtres actuellement ordonnés, très augmenté par les religieux sortis des cloîtres et rendus à l'activité des fonctions sacerdotales, surpasse de beaucoup, et surpassera longtemps encore celui qui est nécessaire pour la desserte du culte, l'Assemblée nationale décrète que le cours des ordinations est dès maintenant et demeurera suspendu, pour tous ceux qui ne sont pas engagés dans les ordres sacrés, jusqu'à ce qu'il en soit ordonné autrement, d'après les instructions et représentations adressées au Corps législatif par les directoires des départements;

6° Que le présent décret sera présenté dans le jour à l'acceptation et à la sanction du roi.» (Après de longs applaudissements, l'impression

du discours de M. de Mirabeau est presque unanimement décrétée.)

M. l'abbé de Montesquiou. Il est donc de la destinée du clergé de ne voir jamais agiter dans cette Assemblée une question qui l'intéresse sans voir en même temps s'accumuler les reproches, les sarcasmes et les injures. Si quelques corps se permettent des protestations, on crie aux violences et aux fureurs; si des évêques présentent des observations d'un style modéré et digne de leur sagesse, c'est de l'astuce et de la perfidie. Je suis trop loin de ces horreurs pour les soupçonner avec tant de facilité; car celui qui voit toujours le mal ne le trouve qu'au fond de son cœur. Quant à moi, je blâme tout ecclésiastique qui oublie dans ses expressions la dignité de son caractère; j'approuve ceux qui disent la vérité, mais je voudrais ne voir applaudir dans cette Assemblée que ceux qui sont purs, éloquents, et simples comme elle. (On murmure.) On ne vous a parlé que de la paix; et moi aussi j'aime la paix; ils craignent la discorde; et moi aussi je la crains et je la hais; mais ce n'est pas dans des injures que je cherche l'une et que je m'occupe de prévenir l'autre; et c'est parce que je suppose. à l'Assemblée les mêmes sentiments que je me permets de lui exposer mes idées. On nous reproche de défendre nos biens en nous aidant de la religion; on dit que nous pensons que le doigt de Dieu doit défendre les dons des hommes; on vous oppose des principes; ce mot seul doit suspendre toutes les querelles et amener la méditation et le silence.

Quand on parle de principes, il n'est jamais qu'une chose possible: c'est d'examiner leur vérité; car, s'ils sont vrais, il faut que tout s'abaisse devant eux s'ils sont faux, il est utile de le démontrer et de rendre à la vérité tous ses droits; mais ces principes sont écrits partout, et il n'en est pas de plus faciles à connaître que ceux de la religion de nos pères. La religion catholique n'est pas une de ces religions mensongères qui cachent, dans une langue inconnue et dans une retraite sacrée, le livre de la loi. Il est donc facile de savoir si nous annonçons la vraie doctrine. Examinons si nous ne sortons pas des principes; si nous en sortons, faites-nous y rentrer; si vous Vous en écartez, vous êtes hommes, et vous vous condamnerez vous-mêmes. Le pouvoir des pasteurs est spirituel; ils ne peuvent rien sur la terre, et je déclare que nous ne demandons rien; mais Dieu nous a certainement donné la discipline particulière, les moyens d'observance, la coaction même. Jésus-Christ ayant confié ce pouvoir à Eglise, elle a pu le changer dans certains temps et s'en servir dans d'autres; nous ne dirons pas qu'il appartient à l'Eglise, mais elle seule peut établir sa discipline et ses moyens d'observance on ne peut être catholique et lui refuser ce pouvoir. (Il s'élève beaucoup de murmures.) Maintenant vous demandez s'il est inhérent a l'Eglise qu'un diocèse soit circouscrit de telle ou telle manière? Non; des raisons temporelles ont décidé ces limites; mais cependant il est inhéreut au pouvoir de l'Eglise de contribuer à l'établissement de telle ou telle chaire. Le Maître nous a dit: Allez et enseignez...

M. Massieu, curé de Sergy. Ajoutez toutes les nations.

M. l'abbé de Montesquiou. Je dis que l'au

teur de la religion a chargé ses apôtres et leurs successeurs d'aller et d'enseigner; il leur a laissé le soin d'établir des chaires de la loi dans tel ou tel lieu, par conséquent de contribuer à établir les chaires... (On murmure...) Lorsque l'histoire de tous les temps et de tous les lieux... (Les murmures redoublent.) On veut l'exécution des décrets de l'Assemblée... Je sais très bien qu'il doit vous paraître simple que l'Assemblée ait le droit d'envoyer des pasteurs dans tel ou tel lieu; mais si elle croit qu'elle a ce droit et que ses décrets s'exécutent, pourquoi répandre la discordre dans tout le royaume?... Ou me dit, dans mon voisinage, que si la sanction du pape, passez-moi ce mot, n'est pas arrivée, c'est la faute des évêques qui s'y sont opposés. Si la discussion ne tient qu'à cela, la discussion est finie; l'Assemblée n'a qu'à prier le roi d'écrire au pape. (La très grande majorité de l'Assemblée s'agite et murmure.)

Je sais que vous avez tous les moyens de coaction; mais, d'un côté, si l'Eglise vous montre le texte précis, de l'autre vous serez bien aise de répondre d'une manière terrible et déconcertante. Celui qui montre une difficulté qui tient à son devoir doit indiquer aussi le moyen de la lever; si l'on adopte ce qui vous est proposé, vous mortitierez des gens de bonne foi, et c'est un supplice d'appesantir son bras sur l'homme vertueux. (Une partie de la droite applaudit).

Deux moyens se présentent pour lever la difficulté; l'un, sévère et quelquefois injuste, établit et interprète ce principe. (Nouveaux murmures.) Je ne puis répéter à tout moment, et je vous prie, M. le président, de m'obtenir du silence. Le premier concile œcuménique, celui de Nicée, vous le dit en termes précis; et quel évêque peut aller contre le concile de Nicée, dont tous les jours nous répétons le symbole? Vous prétendez que tout prêtre, tout évêque reçoit, par sa seule consécration, une mission génerale sur tous les chrétiens. Le concile de Trente a défini le contraire; au delà de l'ordre, il faut la mission pour tel endroit. Et quand les évêques disent qu'il faut cette mission, ils ne disent pas que le peuple ne peut pas élire. Si les évêques disent la vérité, il faut s'humilier et se taire devant elle; s'ils se trompent, il faut ouvrir les livres saints, et montrer aux évêques qu'ils réclament une autorité que le Maître ne leur a pas donnée. Pourquoi ue pas s'entendre, lorsqu'on devrait tous ètre d'accord? (On murmure.) Que veut l'Assemblée? discuter une question presque métaphysique, cela n'en vaut pas la peine. (Les murmures redoublent. Plusieurs voix: La paix! la paix!) Je veux la paix, et, si mon opinion est un moyen de discorde, je descends de la tribune. L'autre, doux, légal, honnête et religieux. Choisirez-vous le premier? J'en doute.

Vous avez vu réunir des diocèses, des abbayes; depuis cent ans aucune contestation ne s'est élevée à cet égard: il n'y a pas eu d'obstacles pour les rois, et vous voulez que ces obstacles ne s'abaissent pas devant l'Assemblée nationale, et vous voulez que le pape ne soit pas effrayé par la crainte du schisme!... On me dit que je suis maladroit d'avoir nommé le pape. (La partie gauche murmure.) Je serais bien plus maladroit à sa place; car je déclare que je ferais tout ce que vous me demanderiez. Je conclus à ce que M. le président se retire par-devers le roi pour le prier de prendre les formes légales pour faire exécuter les décrets relatifs à la constitution civile du clergé. Je ne sais si ma proposition sera adoptée; mais je dé

sire, si vous la rejetez, que ce refus ne vous laisse aucuns regrets.

M. Camus. Je demande la parole.

M. Pétion monte à la tribune.

Divers membres, à gauche, demandent le renvoi à demain.

Le renvoi à la séance de demain au soir est prononcé.

La séance est levée à 10 heures.

PREMIÈRE ANNEXE

A LA SÉANCE DE L'ASSEMBLÉE NATIONALE
DU 26 NOVEMBRE 1790.

Considérations sur les limites de la puissance spirituelle et de la puissance civile, par M. de Fontanges, archevêque de Toulouse, député à l'Assemblée nationale.

Ce n'est point par l'autorité des siècles précédents, que j'entreprends de fixer les limites qui doivent régir les hommes dans l'ordre de la religion. Nous vivons dans un temps, où ce qui s'est fait avant nous ea impose peù a nos lumières vraies ou prétendues. C'est par la raison, et d'après les notions des droits des hommes en société, que nous voulons juger les questions du droit public, et non par les pensées et par les exemples des hommes qui nous ont précédés.

Quoique éloigné de croire que cette route mène plus sûrement à la vérité, je ne crains pas d'examiner, par les seules lumières de la raison, l'influence que doit avoir le pouvoir legislatif sur la religion.

Toute nation, réunie en société, doit avoir une religion; c'est le bien nécessaire de toute association politique. Il est, en effet, de toute évidence que les lois et la morale, sans lesquelles nulle société ne peut exister, trouvent dans la religion un appui et une force que rien ne peut suppléer; et qui s'unit parfaitement à tous les motifs qui attachent les hommes à l'observation de leurs devoirs.

La religion, sous le point de vue de son utilité, ne peut donc échapper à l'intérêt du Corps législatif. Cette vérité est encore plus certaine, s'il s'agit de donner des lois à une nation, qui a déjà une religion qu'elle croit bonne, sainte, et la seule qui lui soit permis de suivre. Le législateur serait insensé s'il entreprenait de la changer dans des points importants, et au moins imprudent, si sa conduite, ou ses lois, prouvaient son indifférence pour elle. L'opinion des peuples, en matière de religion, mérite toujours le respect de ceux qu'ils chargent de leur donner des lois, ou de réformer celle qui les ont régis.

La nation française suit et professe la religion catholique depuis quatorze siècles. Quelque effort qu'on ait fait, dans les derniers temps, pour affaiblir son attachement pour elle, et même pour la rendre indifférente à toute religion, c'est une vérité de fait, que la très grande partie des individus qui la composent, a, sinon le même zèle et la même piété que nos pères, du moins uue égale opposition à tout changement en matière de religion, et un respect, non moins grand pour

ses dogmes et pour sa morale. Il s'y trouve encore des classes entières qui ne se doutent pas même des efforts qui ont été faits pour la détruire.

La religion en France ne peut donc pas être étrangère au Corps législatif. Non seulement il ne doit pas la contrarier par ses lois, mais il doit la protéger et la conserver précieusement, comme l'institution la plus chère aux peuples, et comme le plus puissant des moyens de rendre les lois respectables à leurs yeux par le sceau qu'elle leur imprime. Elle seule est capable de mettre à la portée de tous les esprits les véritables principes de la morale, et d'en faire une règle sûre de conduite pour tous les hommes, en les appuyant sur des bases inébranlables. Mais les lois, qui concernent la religion, demandent de la part du législateur une grande circonspection. Il est, sans doute, des points sur lesquels elle est soumise à son pouvoir, mais il en est d'autres auxquels il ne peut atteindre, et qu'elle seule a le droit de régler.

Les bornes se découvrent d'elles-mêmes, s'il s'agit d'une religion que l'Etat n'a pas adoptée. Tout ce qui sort des límites de la conscience, est exclusivement du ressort de la puissance publique; elle peut tout interdire à ceux qui la professent, hors leur croyance qu'il serait encore plus extravagant que tyrannique d'entreprendre de violenter. Mais il n'en est plus ainsi, lorsqu'il est question d'une religion qui, comme la catholique en France, est la religion de l'Etat, et se trouve par là même avoir des rapports essentiels et nécessaires avec l'ordre social. Toute religion a ses dogmes, ses lois, son gouvernement et ses ministres, reconnus par tous ceux qui en font profession; c'est une véritable société qui, comme les nations elles-mêmes, a son organisation, sans laquelle elle ne saurait subsister. Mais un principe général est que cette espèce d'empire n'a nulle force extérieure par lui-même; il est, pour ainsi dire, invisible par sa nature, comme la conscience sur laquelle il s'exerce. La persuasion est le seul lien qui garantit l'obéissance, et tous ceux qui exercent quelque pouvoir au nom de la religion, ne peuvent exiger aucune soumission qui ne serait pas volontaire.

Tant qu'une religion, n'est point la religion nationale, la religion de l'Etat, son empire, sur ceux qui la professent, ne sort pas de ces limites. Elle conserve ses lois, sa police, son gouvernement, essentiels à toute société; mais ces lois, cette police, ce gouvernement sont intérieurs, et n'ont aucun effet au dehors. C'est ainsi que la religion chrétienne a existé pendant trois cents ans; c'est ainsi que la religion catholique existe en Angleterre, et dans les pays protestants; et c'est ainsi que les religions non catholiques doivent exister en France.

Mais, si elle est devenue religion de l'Etat, alors elle est reconnue par la loi et protégée par elle. Le pouvoir civil imprime à ses lois, à ses dogmes, à ses rites le respect que l'opinion des hommes attache aux choses saintes; il connaît ses ministres, il les fait respecter, il veille à leur subsistance, il leur attribue des honneurs, des distinctions, des prérogatives qui se concilient avec la sainteté de leur état, et qui sont propres à les rendre plus vénérables aux yeux des peuples; il leur accorde mê ne assez de confiance, pour les rendre, dans certains cas, les organes des lois. Il prête son appui à la religion, pour maintenir son gouvernement et sa police, en tout ce qui n'est pas contraire au bien de l'Etat, 1 SERIE. T. XXI.

mais il n'entreprend pas de lui dicter ni ses dogmes, ni ses lois.

Le pouvoir qu'elle a de déterminer les uns et de faire les autres, tient à son essence, et ne dépend nullement de sa qualité de religion de l'Etat. Elle l'a et l'exerce, lorsqu'elle n'est que tolérée, et même quand elle est persécutée. Elle n'est pas moins indépendante, parce qu'elle est devenue religion de l'Etat; ce qui lui donne droit de réclamer l'intervention de la puissance civile, et impose à celle-ci l'obligation de veiller à l'observation extérieure de ses lois, et à la défense de ses dogmes; mais il ne saurait atténuer le pouvoir exclusif qu'elle a sur l'un et sur l'autre.

Il existe donc dans toute religion un pouvoir qui a le droit de faire des lois, sur tout ce qui concerne les devoirs religieux. Ce pouvoir, qui tient à son essence, est, par sa nature, indépendant du pouvoir civil, en ce sens, qu'il ne tire point comme lui son origine du peuple, et qu'il s'exerce directement sur la conscience qui est hors de l'action de la puissance temporelle. Dans la vraie religion, c'est Dieu même qui a conféré médiatement ou immédiatement ce pouvoir à ceux qui en sont revêtus; dans les fausses religions, l'opinion lui attribue la même origine.

Il réside, suivant la religion catholique, dans les pasteurs, et il leur a été transmis au moyen d'une succession non interrompue par les apôtres, qui la tenaient eux-mêmes de Jésus-Christ. Chaque pasteur y participe, plus ou moins, dans l'étendue du territoire qui lui est assigné, et il l'exerce pour le bien spirituel des fidèles, non souverainement et arbitrairement aux règles générales, établies par l'Eglise, et sous l'inspection de ses supérieurs, dans l'ordre hiérarchique.

Dans les principes de la religion catholique, ce n'est que par le corps des pasteurs unis au souverain pontife, que le pouvoir de régler tout ce qui tient à l'ordre religieux peut être exercé dans toute sa plénitude parce que, suivant les promesses de Jésus-Christ, c'est cette seule grande corporation qui a le droit de déterminer, d'une manière infaillible, le vrai sens de la doctrine qu'elle veut enseigner aux hommes, et de leur tracer des règles de conduite, toujours conformes à la raison éternelle.

Partout où la puissance civile ignore, méconnait ou usurpe le pouvoir qui appartient essentiellement à la religion catholique, elle n'est pas, ou elle cesse d'être la religion de l'Etat; et alors elle rentre dans la classe de ces religions que les gouvernements souffrent dans leurs territoires, mais qu'ils ne connaissent que pour les défendre de la persécution.

Je suis loin de penser que l'Assemblée nationale de France veuille en venir à cette terrible conséquence, elle n'en a ni le droit ni le pouvoir. La nation entière a exprimé son vou, pour que la religion catholique soit de nouveau solennellement déclarée la religion de l'Etat; ses représentants ne peuvent pas en exprimer un autre.

Voilà le point fixe d'où il faut partir; la religion catholique est en France la religion nationale, la religion de l'Etat; il ne dépend de l'Assemblée nationale, ni de la changer, ni de cesser de la reconnaître, sous cette qualité. C'est une conséquence nécessaire, qu'elle reconnaisse en même temps le pouvoir indépendant et essentiel, qui, dans cette religion, fait des lois sur tout ce qui tient à l'ordre religieux. Le Corps législatif ne peut ni l'usurper, ni se l'assujettir.

Tant que les lois religieuses n'excèdent pas les

2

limites de la conscience, tant qu'elles n'intéressent pas la propriété ou la liberté du citoyen, tant qu'elles sont étrangères à ses devoirs civils, elles ont, par le seul pouvoir dont elles émanent, toute la force dont elles sont susceptibles. Le Corps législatif lui-même leur doit le respect et l'obéissance. Mais, lorsque, par leur objet, il devient nécessaire de les combiner avec les devoirs ou les droits des citoyens, ou lorsque leur exécution exige une force autre que celle de la conscience, le pouvoir religieux ne suffit plus. Il a besoin du concours de la puissance temporelle; elle vient à son aide, non pour détruire, ou pour s'arroger le pouvoir qu'il a d'imposer de véritables devoirs, mais pour joindre son autorité à la sienne, soit en permettant et en approuvant la promulgation, T'observation et l'exécution des lois religieuses, soit en les adoptant et en les mettant au nombre des lois civiles que la force publique est chargée de faire exécuter.

Ces principes qui sont fondés sur l'essence des choses, et qui s'appliquent à toute religion, vraie ou fausse, qui a la qualité de religion de l'Etat, conduisent à cette conséquence évidente, que la question sur les bornes du pouvoir religieux et du pouvoir civil, ne peut avoir lieu que lorsqu'il s'agit de matières qui ont rapport, en même temps, à l'ordre religieux et à l'ordre social; et que, dans ce cas, ils doivent, sans s'anéantir réciproquement, concourir pour atteindre le même but. Ce concours est sans doute un problème politique, difficile à résoudre, parce que les dépositaires des deux pouvoirs sont des hommes souvent égarés par les passions; parce que les limites qui séparent les sphères de leurs actions sont quelquelois des nuances légères; parce qu'enfin il n'est point d'autre pouvoir en ce monde qui ait le droit de les juger et l'autorité de se faire obéir. Il n'est cependant pas impossible d'assigner quelques bornes, qu'il ne leur est jamais permis de passer.

Deux choses sont à considérer dans la religion: ses dogmes et sa discipline. Il ne peut y avoir de doute sur le dogme. Le Corps législatif n'a pas la prétention en France de faire des articles de foi, ni de disputer à l'Eglise catholique le droit dé déterminer ce que les fidèles doivent croire. Ainsi l'Eglise est parfaitement libre et indépendante du pouvoir civil dans tout ce qui concerne les dogmes et l'enseignement de la foi.

Il ne faudrait cependant pas conclure de ce principe, que les ministres de l'Eglise, considérés d'une manière isolée, ou mème qu'une école de religion, peuvent impunément enseigner toute espèce de doctrine, sans que le pouvoir civil ait le droit de s'y opposer. Des ministres isolés, des écoles de religion, ne sont pas l'Eglise. Leurs opinions peuvent être erronées ou dangerenses pour l'ordre social; et, dans ces deux cas, le pouvoir civil peut et doit les réprimer, et s'adresser à l'Eglise pour les faire déclarer contraires à la foi, si ce moyen est nécessaire pour en arrêter le

cours.

Mais ces opinions, cet enseignement de quelques pasteurs de l'Eglise, ou de quelque école, ne doivent pas être confondus avec les dogmes et l'enseignement de l'Eglise catholique ; c'est-à-dire avec la foi et l'ensemble de la doctrine que professe et enseigne le corps des pasteurs, réunis avec leurs chefs. Cette foi, cette doctrine est la révélation elle-même, dont ils ont été constitués par Dieu même les gardiens et les interprètes infaillibles. Le pouvoir civil ne peut exercer aucun empire sur ce dépôt sacré, là soumission et le

respect sont les seuls sentiments que les souverains eux-mêmes doivent montrer.

La discipline de l'Eglise a plus de rapport que la foi avec l'ordre public des sociétés et présente par là plus de points susceptibles de l'influence du pouvoir civil. Par sa nature, elle tient moins à l'essence de la religion et peut se prêter aux diverses modifications que le bien des sociétés exige. Il est sans doute impossible de conserver une religion sans un régime quelconque. Puisqu'elle est faite pour les hommes, elle ne peut être purement spéculative. Elle doit avoir un rite, des ministres, des pratiques extérieures, et par conséquent des lois d'après lesquelles tous ces différents points soient dirigés. Mais ces lois ne sont pas toutes également importantes, également essentielles à ses yeux. Il en est qui tiennent à sa nature même, qui sont la suite nécessaire de ses dogmes et qui ont la même stabilité qu'eux. Ainsi, dans la religion catholique, la défense du divorce, l'obligation de la confession, la hiérarchie des pasteurs, etc., ne peuvent pas plus cesser d'être des lois de l'Eglise, qu'un article de foi cesser d'être enseigné par elle; et par une conséquence nécessaire, il est des points de discipline pour lesquels elle est aussi indépendante du pouvoir civil, que pour sa doctrine. Tout gouvernement qui la reconnaît pour religion de l'Etat, doit admettre aussi les lois essentielles qui la régissent, comme il admet le symbole qui contient ses dogmes. Il ne peut ni les changer, ni cesser de les protéger.

Mais il est encore d'autres lois, qui, moins liées à l'existence même de la religion, peuvent être modifiées suivant le génie des peuples et la nature des gouvernements; et c'est ici, à proprement parler, où commence l'influence du pouvoir civil sur la religion et le besoin qu'elle a du concours des différents magistrats, dans lesquels résident les pouvoirs qui régissent ces sociétés.

Les lois qui ne sont pas la suite des dogmes de la religion catholique, sont de deux classes différentes. Ou elles sont universelles dans toute l'Eglise et sont une partie essentielle de son régime et de son gouvernement, ou elles sont de simple police et d'une importance seulement secondaire.

Ces premières sont presque comme les lois fondées sur les dogmes mêmes, absolument indépendantes du pouvoir civil, qui, en adoptant la religion catholique comme loi de l'Etat, l'a adopté avec son régime et le gouvernement qui lui est propre et par conséquent avec tout ce qui s'y trouve essentiellement lié. Si cependant il est quelques-unes de ces lois dans lesquelles le pouvoir civil croit apercevoir des inconvénients, il peut en demander le changement à l'Eglise universelle qui seule a droit d'y consentir, et il doit avoir assez de confiance dans sa sagesse pour ne pas contrarier, par de nouvelles instances, la décision qu'elle aurait cru devoir porter.

Les lois religieuses que j'ai appelées secondaires, et qui sont de simple police, sont aussi indépendantes du pouvoir civil, dans ce sens, qu'il ne lui appartient, ni de les changer, ni dé les faire; mais elles ont besoin et de son approbation et de sa protection, lorsqu'elles ont des rapports avec l'ordre social. Il a le droit alors d'examiner, si elles ne lui sont pas opposées, de les rejeter et d'en défendre l'exécution, s'il les trouve contraires à la liberté, à la propriété ou aux droits civils des citoyens.

Pour développer davantage ces principes, je vais les appliquer à quelques exemples.

La défense du divorce est une loi fondée sur les

« PreviousContinue »