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Art. 5. Le propriétaire de la rente pourra racheter les droits casuels ci-devant seigueuriaux, à raison de la valeur de la rente seulement, encore que le propriétaire du fonds n'ait point racheté, ou ne veuille point racheter lesdits droits eu égard à la valeur de son fonds.

Art. 6. Si le propriétaire du fonds n'a racheté les droits casuels que eu égard à la valeur du fonds, le propriétaire desdits droits casuels pourra les exercer en cas de mutation ou d'aliénation de la rente, à raison seulement de la valeur de ladite rente; et réciproquement si le propriétaire de la rente a seul racheté les droits casuels eu égard à la rente, le propriétaire desdits droits casuels pourra les exercer en cas de mutation ou d'aliénation du fonds, à raison du fonds seulement.

Art. 7. Si le propriétaire du fonds rembourse la rente dont il est grevé avant d'avoir racheté les droits casuels du fonds et de la rente, il demeurera à l'avenir assujetti auxdits droits jusqu'au rachat d'iceux, à raison de la valeur totale du fonds, nonobstant le payement qu'il aura fait des droits à raison du remboursement de la rente.

Art. 8. Si le propriétaire du fonds a racheté les droits casuels, tant à raison du fonds que de la rente, audit cas il demeurera subrogé de plein droit aux droits du ci-devant propriétaire du fief dont le fonds était mouvant, tant pour la perception des droits casuels en cas de mutation ou d'aliénation de la rente, que pour la perception du prix du rachat des droits casuels, lorsqu'il sera offert par le propriétaire de la rente.

Art. 9. Tout propriétaire de fonds grevé de rente foncière, qui remboursera la rente avant que le rachat des droits casuels en ait été fait, sera tenu de faire contrôler la quittance du remboursement et de le dénoncer au propriétaire du ci-devant fief dont son fonds relevait dans le mois du remboursement, à peine d'être condamné au double du droit dont il se trouvera débiteur en conséquence dudit remboursement.

TITRE V.

De l'effet de la faculté du rachat vis-à-vis du propriétaire de la rente et du débiteur.

Art. 1er. La faculté du rachat accordée aux débiteurs des rentes foncières ne dérogera en rien aux droits, privi èges et actions qui appartenaient ci-devant aux bailleurs de fonds, soit contre les preneurs personnellement, soit sur les fonds baillés à rente; en conséquence, les créanciers bailleurs de fonds continueront d'exercer les mêmes actions hypothécaires, personnelles ou mixtes qui ont eu lieu jusqu'ici, et avec les mêmes privilèges qui leur étaient accordés par les lois, coutumes, statuts et jurisprudence qui étaient précédemment en vigueur dans les différents lieux et pays du royaume.

Art. 2. Néanmoins, la disposition particulière de l'article 8 du chapitre 18 de la coutume de la ville et échevinage de Lille est abrogée, à compter du jour de la publication du présent decret, sauf aux propriétaires des rentes foncières, régies par cette coutume, à exercer pour le pavement des arrerages les autres actions et privilèges autorisés par le droit commun et par ladite coutume.

Art. 3. La faculté e racheter les rentes foncières ne changera pareillement rien à leur nature immobilière, ní quant à la loi qui les régis

sait; en conséquence, elles continueront d'être soumises aux mêmes principes, lois et usages que ci-devant, quant à l'ordre des successions, et quant aux dispositions entre vifs et testamentaires, et aux aliénations à titre onéreux.

Art. 4. Les baux à rente, faits sous la condition expresse de pouvoir, par le bailleur, ses héritiers et ayants-cause, retirer le fonds en cas d'aliénation d'icelui par le preneur, ses héritiers el ayants-cause, deineureront dans toute leur force quant à cette faculté de retrait, qui pourra être exercée par le bailleur, tant que la rente n'aura point été remboursée avant la vente du fonds.

Art. 5. Aucun bailleur de fonds à rente foncière ne pourra exercer le retrait énoncé en l'article ci-dessus, si le bail à rente n'en contient la stipulation expresse, nonobstant toute loi ou usage contraire, et notainment nonobstant l'usage admis en Bretagne sous le titre de retrait censuel, lequel est et demeure aboli à compter du jour de la publication du présent décret.

Art. 6. Est et demeure pareillement abolie, à compter du jour de la publication du present décret, la faculté que les coutumes de Hainaut, Valenciennes, Cambrai, Arras, Béthune, Amiens, Normandie et autres semblables accordaient cidevant aux débiteurs de rente foncière irrachetable de la retraire en cas de vente d'icelle.

TITRE VI.

De l'effet de la faculté du rachat vis-à-vis des créanciers du bailleur.

Art. 1er. La faculté du rachat des rentes foncières ne changera rien aux droits que les lois, coutumes et usages donnaient sur icelles aux créanciers hypothécaires ou chirographaires des bailleurs, lesquels continueront à les exercer comme par le passé, sauf les modificatious ciaprès.

Art. 2. Les créanciers hypothécaires qui voudront conserver leur hypothèque sur les rentes foncières, soit en cas d'aliénation, soit en cas de remboursement d'icelles, seront tenus de former leur opposition au greffe des hypothèques du ressort du lieu de la situation des fonds grevés desdites rentes, sans préjudice de l'opposition qu'ils pourront en outre former, entre les mains du debiteur, au remboursement; mais cette dernière opposition ne pourra donner aucun droit de concurrence vis-à-vis des opposants au greffe des hypothèques; et néanmoins le prix du remboursement sera distribué par ordre d'hypothèque entre les simples opposants, entre les mains du débiteur, après que les opposants au sceau des lettres de ratification auront été payés.

Art. 3. Dans les pays où l'édit de 1771 n'a point d'exécution, l'opposition à l'effet de conserver l'hypothèque sera faite au greffe du tribunal de district du ressort de la situation du fonds grevé de la rente, et il sera payé au greffier du district le même droit que celui établi par l'édit de 1771. Art. 4. Les débiteurs de rente foncière n'e pourrout effectuer le remboursement qu'a rès s être assurés qu'il n'existe aucune opposition enregistrée au greffe des hypothèques, ou au greffe du district dans les lieux où l'édit de 1771 n'est point en vigueur.

Dans le cas où il existerait une ou plusieurs oppositions, ils s'en feront délivrer un extrait, qu'ils dénonceront au propriétaire sur lequel elle

sera formée, sans pouvoir faire aucune procédure, ni se faire autoriser à consigner que trois mois après la dénonciation, dont ils pourront répéter les frais, ainsi que ceux de l'extrait des opposants.

Art. 5. Pourront les parties liquider le remboursement de la rente et en opérer le payement en tel lieu qu'ils jugeront à propos. Les payements, opérés hors du lieu du domicile des parties, ou du lieu de la situation de l'héritage, et qui auront été faits d'après un certificat qu'il n'existait point d'opposition, délivré par le greffier qui en aura le droit, seront valables nonobstant les oppositions survenues depuis, pourvu que la quittance ait été contrôlée dans le mois de la date du certificat ci-dessus énoncé.

TITRE VII.

Article unique. Il ne sera perçu aucun droit de centième denier, ni autre qui y serait substitué, à raison du remboursement des rentes foncières.

Plusieurs membres demandent la parole sur l'article premier et présentent des amendements qui sont écartés par la question préalable.

M. Regnaud, député de Saint-Jean-d'Angély, propose de terminer ledit article par une disposition ainsi conçue: « Ainsi que les baux à vie, « même sur plusieurs têtes, à la charge qu'elles « n'excèdent pas le nombre de trois. » (Cette addition est adoptée.)

Les articles 1 et 2 sont ensuite décrétés en ces termes :

TITRE Ier

Quelles sont les rentes assujetties au rachat?

Art. 1er.

"Toutes les rentes foncières perpétuelles, soit en nature, soit en argent, de quelque espèce qu'elles soient, quelle que soit leur origine, à quelques personnes qu'elles soient dues, gens de mainmorte, domaine, apanagistes, ordre de Malte, même les rentes de dons et legs, pour cause pie et de fondation, seront rachetables: les champarts de toute espèce, et sous toute dénomination, seront pareillement, au taux qui sera ci-après fixé. Il est défendu de plus, à l'avenir, de créer aucune redevance foncière non rembourble, sans préjudice des baux à rente ou emphytéose, et non perpétuels, qui seront exécutés pour toute leur durée, et pourront être faits à l'avenir pour 99 ans et au-dessous, ainsi que les baux à vie, même sur plusieurs têtes, à la charge qu'elles n'excèuent pas le nombre de trois. »

Art. 2.

"Les rentes ou redevances foncières établies par les contrats connus, en certains pays, sous le titre de locaterie perpétuelle, sont comprises dans les dispositions et prohibitions de l'article précédent; sauf les modifications ci-après, sur le laux de leur rachat ».

(La suite de la discussion est renvoyée à jeudi au soir.)

(La séance est levée à 10 heures.)

ASSEMBLÉE NATIONALE.

PRÉSIDENCE DE M. ALEXANDRE DE LAMETH.

Séance du mercredi 1er décembre 1790 (1).

La séance est ouverte à neuf heures et demie du matin.

M. Coroller, secrétaire, donne lecture des procès-verbaux des deux séances d'hier.

M. de Menou observe qu'on a oublié d'insérer dans le procès-verbal de la séance du matin un article additionnel concernant le délai accordé aux municipalités sur l'achat des biens nationaux.

M. d'André réclame en disant que dans le procès-verbal on ne fait pas une mention assez claire du projet de décret presenté par M. Le Chapelier, rapporteur du comité de Constitution, décret qui tendait à faire décréter que les nongradues pouvaient être només aux places de commissaires du roi, auprès des tribunaux de district, pourvu qu'ils eussent exercé pendant cinq ans les fonctions de juges.

(L'Assemblée décide que la rédaction du procèsverbal sera modifiée dans le sens des observations qui viennent d'être faites.)

M. Chasset propose d'ajouter au décret concernant le payement des salaires du clergé un article qui est adopté dans les termes suivantes :

« Les receveurs des districts ne pourrout, sous le prétexte de l'exécution des articles précédents, ni sous aucun autre prétexte, se dispenser de verser, sans délai, dans la caisse de l'extraordinaire, le prix qu'ils ont reçu, ou qu'ils recevront des ventes des biens nationaux. »

M. Gossin, rapporteur du comité de Constitution, fait un rapport sur les pétitions de différents départements, pour obtenir l'établissement de quelques tribunaux de conmerce et une auge tation du nombre des juges de paix dans plusieurs villes.

Divers membres présentent des observations, après lesquelles le décret suivant est rendu :

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L'Assemblée nationale, après avoir enteadu le rapport du comite de Constitution sur les pétitio is des assemolees administratives des départements du Puy-de-Do ne, de la Marne, d'Intre-et-Loire, de la Vienne, d'Ille-et-Vilaine, de la Haute-Garonne, d Eure-et-Loir, de la Meuse, du Nord, de la commune de la ville de Martingues, décrète ce qui suit:

« Il sera établi des tribunaux de commerce dans les districts de Thiers, Chalons, Reims, Tours, Poitiers, Rennes, lesquels seront séants dans lesdites villes.

« Les tribunaux actuellement existants dans ces villes, continueront leurs fonctions, nonobstant tous usages contraires, jusq 'à l'installation des juges qui seront choisis, couformément aux décrets.

« Les nouveaux juges seront installés et prêteront serment en la forme etablie par l'a ticle 7

(1) Cette séance est incomplète au Moniteur.

du décret sur l'organisation de l'ordre judiciaire.

« sera nommé trois juges de paix dans la ville de Reims, deux à Châlons-sur-Marne, six à Toulouse, deux à Grenoble pour l'intérieur, un troisième pour l'extérieur de cette ville et ses faubourgs, deux à Chartres, deux à Verdun, cinq à Lille, deux à Valenciennes, Dunkerque, Douai et Cambrai; ils pourront être élus parmi tous les citoyens éligibles desdites villes et faubourgs, mais chacun d'eux résidera dans l'arrondissement dont les limites seront déterminées par les municipalités.

« L'alternat du directoire du district de Salon et Martigues sera supprimé le tribunal sera séant à Salon, et l'administration de district à Martigues, à commencer de la nomination prochaine des administrateurs qui seront tenus de s'y réunir. »

M. Chasset, au nom des comités ecclésiastiques et de Constitution, fait un rapport sur les articles que l'Assemblée nationale a ajournés, concernant les biens possédés par les établissements des protestants d'Alsace, à la suite duquel il propose le projet de décret ci-après, qui est adopté sans discussion :

«L'Assemblée nationale, ouï le rapport qui lui a été fait de la part de ses comités de Constitution et des affaires ecclésiastiques, décrète ce qui suit:

Art. 1°r.

« Les biens possédés actuellement par les établissements des protestants des deux confessions d'Ausbourg et Helvétique, habitants de la ci-devant province d'Alsace et des terres de Blamont, Clémont, Héricourt et Châtelot, sont exceptés de la vente des biens nationaux, et continueront d'être administrés comme par le passé. »

Art. 2.

« Sont comprises dans la classe des dimes inféodées, dont l'indemnité doit être prise sur les deniers du Trésor public, celles actuellement possédées par les mêmes établissements; mais il ne leur sera accordé, pour indemnité, que l'équivalent annuel de leur produit, sur le pied de l'éva luation qui en sera faite, lequel équivalent annuel leur sera payé par les receveurs des districts dans l'arrondissement desquels se trouvent lesdits établissements, et d'après la liquidation qui en sera faite par les directoires de district et de département, dans l'arrondissement desquels se perçoivent lesdites dims, suivant les règles établies par le titre V du décret sur l'administration des biens nationaux, du 23 octobre dernier. »

Art. 3.

« Les charges dont étaient grevés les biens nationaux, en faveur des établissements desdits protestants ou de leurs ministres, continueront d'être acquittées; savoir: celles affeciées sur les biens dont jouissent les corps, maisons, communautés, bénéficiers conservés, et auxquels l'administration en a été laissée provisoirement, par ces mêmes corps, maisons, communautés et bénéficiers; et celles affectées sur les autres biens nationaux, par les receveurs de districts dans l'arrondissement desquels sont lesdits établissements, d'après les ordonnances des directoires de département, données sur l'avis de ceux de district.

Art. 4.

<< Quant aux charges dont peuvent être grevés les biens et les dîmes des établissements protestants, elles continueront d'être acquittées au profit de ceux à qui elles sont dues; et celles qui le seraient à des bénéfices, corps, maisons ou communautés supprimées, et des mains desquels l'administration de leurs biens a été retirée, elles seront payé s aux receveurs du district où se trouvent les établissements des protestants qui les doivent. »

M. Chasset, au nom du comité ecclésiastique, propose le projet de décret suivant sur le payement de la valeur de la dime:

L'Assemblée nationale, après avoir entendu le rapport qui lui a été fait de la part de son comité ecclésiastique et des dimes, décrète ce qui suit:

« Les fermiers et les colons des fonds, dont les fruits étaient sujets à la dime ecclésiastique ou inféodée, seront tenus de payer, à compter des récoltes de l'année 1791, aux propriétaires, la valeur de la dime qu'ils acquittaient, suivant la liquidation qui en sera faite à l'amiable ou pardevant les juges qui en doivent connaître; il en sera de même par rapport aux baux passés pour des biens nationaux. >>

Plusieurs membres demandent la parole.

M. Martineau propose de retrancher de l'article tout ce qui est relatif à la résiliation de baux.

M. Chasset répond que la rédaction primitive a été modifiée et que l'article, tel qu'il vient d'être Ju, lui donne satisfaction.

M. Chabroud demande que tout ce qui a trait à la liquidation soit renvoyé par devant les juges de paix.

M. Chasset. Le comité fait mieux puisqu'il dit: par devant les juges qui doivent en connaître.

M. Moreau croit qu'il serait avantageux aux fermiers de pouvoir s'acquitter soit en argent, soit en nature. Il propose donc de les autoriser à payer la dime en nature.

(Cet amendement est écarté par la question préa.lable.)

(L'article est ensuite adopté dans les termes proposés par le comité.)

M. le Président. Le comité de jurisprudence criminelle demande à présenter un décret sur l supplique des prisonniers détenus à la Conciergerie.

M. Duport, rapporteur. Vous avez renvoyé votre comité de jurisprudence criminelle une si plique des prisonniers de la Conciergerie, qui mandent qu'on leur donne incessammen! juges, que l'on élargisse ceux d'entre eux sont détenus sur un jugement de plus ample informé. Le comité, avant de prendre u termination, s'est concerté avec les admi teurs de la police de Paris; il s'est info l'état des prisons: l'air y devient mep tant est grande l'affluence des prison comité, pour prévenir de si grands ma propose le projet de décret suivant :

"

L'Assemblée nationale, ouï le rap

comité de jurisprudence criminelle, prenant en con-idération l'état actuel des prisonniers de la ville de Paris, décrète que, provisoirement, et en attendant l'installation des tribunaux des six arrondissements du département de Paris, les juges qui sont et vont être nommés par les électeurs du département de Paris, autres que ceux qui sont députés à l'Assemblée nationale, formeront un tribunal pour juger les affaires criminelles seulement, venues par appel du Châtelet ou des autres sièges du ressort du ci-devant parlement, et par préférence les prisonniers qui sont sous un plus amplement informé dont le terme est expiré.

Ce tribunal jugera au nombre de dix; il commencera ses fonctions aussitôt qu'il y aura dix juges de nommés, et il les cessera dès que les six tribunaux ci-dessus entreron! en activité.

«Ils commettront un gradué pour servir d'accusateur public, et un greffier.

« Pour parvenir à l'execution des dispositions ci-dessus, le roi sera prie d'expédier incessamment des lettres patentes à chacun desdits juges, sur l'extrait du procès-verbal de leur nomination.

Lesdits juges, avant de comme cer leurs fonctions provisoires, prêteront serment à la maison commune, en présence des officiers municipaux.

« La municipalité de Paris est chargée de prendre des mesures pour procurer à ce tribunal l'emplacement qui lui est convenable ».

M. de Mailly Château-Renaud observe que la municipalité se plaint, depuis longtemps, du trop grand nombre de prisonniers qui se trouvent dans les prisons, et de la crainte qu'il y a d'y voir manifester quelque épidémie; il fait remarquer qu'une très grande partie de ces prisonniers sont des débiteurs insolvables, et il conclut eu priant l'Assemblée de prendre cet objet en consideration.

(Cette proposition est renvoyée au comité de jurisprudence.)

(Le projet de décret, proposé par le rapporteur, est admis par l'Assemblée.)

M. Viguier, député de Toulouse, demande et obtient un congé d'un mois.

M. le Président. L'ordre du jour est la suite de la discussion sur les droits d'entrée et de sortie ou tarif des douanes.

M. Bégouen (1). Messieurs, après avoir entendu hier la lecture du discours de M. de Boislandry, il ne m'a été possible de manifester mon opinion que par une seule phrase, et je crois qu'il est aujourd'hui de mon devoir de l'exprimer et de la développer d'une manière plus formelle. J'ai été beaucoup plus affecté que surpris d'entendre, à la tribune de l'Assemblée national, préconiser très ouvertement ce système de liberté plenière, l'une des branches favorites du système économiste qui, suivant les adeptes et les initiés de la secte, comblera de succès et de prospérité la nation qui l'adoptera la première et qui aura le courage d'en faire la base invariable de son organisation financière et commerciale. Si M. de Boislaudry, respectant votre décret qui transporte les douane aux frontières, ce qui nécessite un tarif d'entrée et de sortie, se

(1) Le Moniteur ne donne qu'un sommaire du discours de M. Bégouen.

fût borné à attaquer quelques dispositions de ce tarif, telles que celles, en petit nombre, qui prohibent certains articles au lieu de les imposer à des droits considérables, j'aurais gard le silence et laissé aux membres de votre comité d'agricultere et de commerce le soin de défendre leur ouvrage dans des détails dont je crois qu'ils ne seront pas embarrassés de vous donner des motifs très plausibles; mais M. de Boislandry ne s'est pas astreint à ces données, il a saisi l'occasion de vous présenter tous les prétendus avantages de la suppression totale des droits à l'entrée et à la sortie du royaume, du renversement des barrières; et, comme il n'a pu s'empêcher de sentir que nos manufactures pourraient en souffrir quelques petits dommages, il vous a proposé de leur destiner, en encouragements annuels, une somme de trois millions.

Trois millions! Messieurs, pour soutenir nos manufactures contre le débordement des manufactures étrangères! Je vous avoue que cette proposition m'a paru si disproportionnée à l'effet infaillible de pareilles mesures, que je n'ai pu me dispenser de vous proposer de couvrir en même temps la France d'ateliers de charité pour suppléer à vos fabriques si rien ne peut y suppléer; car la consommation seule peut soutenir des manufactures, et la plus grande consommation possible est leur véritable encouragement, celui que rien ne supplée et ne remplace.

L'honorable me mbre que j'ai déjà cité s'est permis d'abord d'atténuer extrêmement le produit probable des droits de traite : il ne les estime qu'à huit millions, sans doute pour diminuer vos inquiétudes sur le remplacement qu'il vous proposerait, tandis que votre comité vous présente ce produit comme un objet de vingt et un millions. C'est vraisemblablement, à l'imitation de M. Farcot, dont les opinions sont les mêmes que les siennes, quelque impôt direct et personnel qu'il vous proposerait en remplacement, c'està-dire un impôt àrbitraire, difficile ou presque impossible à percevoir; enfin le genre d'impôt reconnu pour être le plus mauvais de tous par les hommes qui ont écrit avec distinction sur la science de l'économie politique. Ce serait apparemment une imposition de cette nature, qu'on ne craindrait pas de vous proposer de substituer aux droits de traite, droits qui forment la branche la plus précieuse de vos revenus indirects, droits qu'il faudrait maintenir soigneusement pour leur seule utilité, pour leur seul effet moral et commercial, quand même ils ne seraient productifs d'aucun revenu pour l'Etat; et je le répète, Messieurs, leur produit sera d'environ vingt et un millions, et surtout leur effet inappreciable est de mettre les peuples en état de supporter la masse d'impositions que les circonstances vous forcent de leur demander et qu'ils seraient dans l'impossibilité absolue de payer si vos droits de traite, sagement combinés, ne protégeaient pas leur industrie, qui seule est capable de leur en fournir les moyens. Je dis que vos droits de traite sont la clef de la voùte de vos finances, que c'est en percevant ces vingt ou vingt et un milions que vous vous mettrez en état de percevoir le surplus des impositions, parce que c'est par là seulement que vous mettrez les peuples en état de les payer.

L'erreur de ceux qui adoptent le système que je combats vient de ce qu'ils appuient la prospérité nationale sur une fausse base. Ils la voient, cette prospérité, dans l'avantage d'acheter au meilleur marché possible par la concurrence libre de tous

les importeurs étrangers, tandis que cette prospérité n'a et ne peut avoir de base réelle et solide que le travail national, et ils poussent l'aveuglement jusqu'à prétendre que,« sous l'égide « de cette liberté générale, si elle était prononcée, nombre de manufacturiers anglais seraient • déjà venus en France nous instruire de leurs «procédés sur la trempe et le poli de l'acier, qu'ils auraient établi chez nous leurs mécani«ques de filature et de tissage, etc., etc. »

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Comme si l'introduction libre et franche de tous les ouvrages étrangers n'était pas, au contraire, le moyen le plus assuré de les faire rester chez eux, et que, s'il y avait un moyen propre à les forcer d'apporter en France et d'y fixer leurs personnes et leur industrie, ce seraient préciséiment des droits ou des prohibitions qui les priveraient des avantages de cette industrie tant qu'elle serait exercée hors du royaume.

C'est une observation qui n'a pas échappé à votre comité d'agriculture et de coinmerce; et j'ai lu et remarqué dans son rapport, que ç'a été la prohibition absolue des toiles peintes étrangères, prononcée par l'arrêt du conseil du 10 juillet 1785, qui avait obligé les manufacturiers de la Suisse et de Genève à transporter leurs ateliers en France; que l'arrêt du 17 du même mois avait jeté l'alarıne dans les fabriques de Birmingham; que déjà leurs ouvriers, déconcertés, venaient offrir leurs services pour travailer dans nos ateliers. Mais le traité de commerce fut conclu, et l'on put voir alors l'énorme différence qu'il y a entre la prohibition absolue, et des droits fixés à 10 et 12 0/0 par des tarifs. Le royaume fut bientôt inon é de marchandises anglaises; et c'est la date et l'époque du coup moriel porté à la plupart de vos manufactures. On vous a dit que ces speculations fausses et exagérées, ayant conduit à des ventes forcées et à vil prix, out ruiné tout à la fois les manufacturiers anglais et les vôtres, et l'on vous a dit vrai; mais les malheurs des manufacturiers auglais, dans ce te circonstance, font une triste compensation des nôtres; et d'ailleurs, Messieurs, cette compensation même n'existera plus à l'avenir. L'Anglais, éclairé par cette fatale expérience, Saura mieux mesurer ses envois à notre consomination; et sa supériorité dans les manufactures de gros lainag, et dans celles des cotons, est telle, que nous sommes probablement condamnés à voir languir ces deux importantes fabriques, chez nous, jusqu'à l'expiration de ce désastreux traité de commerce, qu'il faut cependant accomplir jusqu'à son terme, quoi qu'il en coûte, puisque la nation est liée par la foi des traités. Je sais bien que si un jour nous parvenions à améliorer et multiplier chez nous les troupeaux au mème degré qu'en Angl terre, nous atteindrions à la mème industrie dans les lainages; je sais que quant aux toiles de coton, leur grande supériorite ne tient qu'à la perfection et à la multiplicité de leurs machines; que ces machines ne sont pas inconnues en France; mais je sais aussi que les malheureuses préventions du peuple repoussent chez nous leur étabissement; que, presque partout, on a brùlé et détruit ceux qu'on a tenté d'établir en France; et que d'ici à vingt ans peut-être, il est difficile d'espérer de faire de grands progrès à cet égard. C'est de l'état des choses qu'il faut partir, quand : est question de règlements qui doiv ut décider du suri de plusieurs millions d'hommes sans propriété.

Commencez par rendre votre industrie supérieure à toutes les industries qui vous avoisinent,

avant de vous proposer de faire tomber devant vous des barriè es conservatrices de votre mind'oeuvre. E couragez, multiplicz de tous côtés l'usage des machines anglaises; prodiguez les primes à l'exploitation de vos mins de charbon de terre; parce que, sans l'abondance de ce coinbustible, vous serez toujours, comme vous êtes, une nation peu industrieuse.

Encouragez votre agriculture, et que vos champs soient couverts de troupeaux.

Jusqu'à ce que vous ayez fait chez vous toutes ces grandes améliorations, gardez-vous de livrer vos fabricants en toiles à la concurrence des fabricants de la Flandre autrichienne, de la Silésie et de l'Irlande. Gardez-vous de livrer vos fabriques en toiles de coton à la rivalité de celles de la Suisse, de l'Angleterre et de l'lade. Gardez-vous de prétendre soutenir, dans les lainages ainsi que dans toutes les manufactures à usines, la concurrence de l'Angleterre. En vain l'on vous dit que ces peuples ne peuvent acheter de vous, si vous n'achetez pas d'eux laissezleur le soin de trouver des débouchés pour leurs fabriques; ils sauront ben y réussir sans vous; c'est leur affaire la vôtre est de trouver des débouchés pour les vôtres. On a été jusqu'à exciter votre intérêt pour les ouvriers étrangers. Eh! je vous prie de conserver ce tendre intérêt pour vos propres ouvriers. C'est pour eux, et pour eux seuls, que vous devez avoir des entrailles de père.

Le travail, je vous le dis, Messieurs, après Smith, le travail, voilà le principe d'activité et de vie de toutes les nations; voilà la vraie source de leurs richesses. Si vous ne conservez pas à votre peuple la plus grande masse de travail pos sible, vous le conda nez nécessairement à la misère ou à l'émigration. J'ai déjà eu l'avantage, Messieurs, de vous le dire à cette tribine le commerce, bien dirigé, est le ressort le plus actif du bonheur et de la puissance nationale. Il n'est point de fardeau qui ne soit au-dessous de l'énergie de ce levier. C'est par lui que l'Angleterre a élevé l'édifice du plus prodigieux commerce qu'ait encore fait aucune nation sur le globe; c'est par lui qu'elle soutient, sans peine et sans fatigue, des taxes qui sembleraient devoir écraser une nation trois fois moins considérable que la nôtre en territoire et en population; et si nous lui sommes si inférieurs en tous points d'dustrie, nous qui tenons de la nature tant d'avantages de population, de sol, de climat, de position topographique, nous qui étendons nos bras du nord au sud; qui possédons une immensité de côtes baignées des deux mers: si, dis-je, si supérieurs à l'Angleterre en avantages naturels, nous lui cédons en commerce, en navigation, en agriculture, en industrie manufacturière, à quoi devons-nous nous en prendre, si ce n'est à la nullité de principe et de régime commercial chez nous ?

Quelle nation a porté plus loin que l'Angleterre le régime prohibitif?

A-t-elle jamais vac llé dans sa marche? Par quelle mesure les mers sont-elles couvertes de ses vaisseaux?

Par une mesure du genre le plus prohibitif, par son acte de navigation.

Comment prospèrent ses manufactures, si ce n'est par les plus sévères prohibitions, qui portent même sur les produits les plus importants de leur propre agriculture?

Comment fleurissent leurs pêches, si ce n'est

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