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M. Voidel répond que l'Assemblée l'a ainsi ordonné dans sa séance d'hier.

M. le Président. L'Assemblée passe maintenant à la discussion de l'affaire de Nancy.

M. Du Châtelet (1). Messieurs, personne n'a été plus affligé que moi des désordres d'un corps que j'ai eu l'honneur de commander pendant vingt années, et qui, jusqu'au moment où je l'ai quitté, avait été l'objet de ma plus douce satisfaction; aucune de ces punitions humiliantes n'y avait jamais été nécessaire pour le maintien de la discipline la plus exacte. Le zèle et l'intelligence des officiers et des sous-officiers, l'excellent esprit des soldats, des établissements qui leur étaient utiles, des soins paternels qui leur étaient prodigués, excitaient leur reconnaissance. Le régiment du roi ne formait qu'une grande famille, et les sentiments d'un attachement réciproque unissaient les officiers aux soldats, et les soldats aux officiers.

Comment l'esprit d'indépendance et d'insubordination a-t-il pu égarer ces mêmes soldats? Ce n'est point dans des circonstances particulières à la ville de Nancy et étrangères au régiment du roi, ce n'est pas dans une multitude de petits faits incertains ou dénaturés, dans d'autres isolés ou insignifiants, tous dénués de preuves, qu'il faut en chercher les véritables causes : c'est dans l'aveu même des soldats les plus coupables, les seuls que MM. les commissaires du roi aient pu interroger dans les prisons de Nancy; vous l'avez entendu hier, Messieurs, ils sont tous convenus qu'à l'époque de leur première insurrection, ils n'avaient eu qu'à se louer de la conduite de leurs officiers à leur égard, et ils ont avoué qu'on ne pouvait attribuer ces désordres « qu'au désir, ré

pandu depuis quelque temps dans le cœur de < chacun d'eux, d'essayer les fruits de cette liberté assurée à tous les Français» (2), et dont ils ne connaissaient ni la mesure ni les bornes dans leur rapport avec la discipline militaire.

Ce sont en effet, Messieurs, ces premières idées confuses, fomentées par plusieurs causes extérieures, et propagées par quelques esprits turbulents et intéressés à la licence, qui n'ont cessé d'entretenir depuis ce temps dans le régiment du roi une fermentation sourde, étouffée souvent par la vigilance des chefs et des officiers particuliers, mais toujours subsistante, et qui n'avait besoin que du plus léger prétexte pour produire une nouvelle explosion.

La première qui eut lieu au régiment du roi, au mois de septembre de l'année dernière, se manifesta comme un torrent qui renverse à la fois et dans un instant toutes ces digues; rien ne l'avait annoncé, et cependant les soldats passérent rapidement des prières à la désobéissance, et de la désobéissance aux menaces, elles eurent pour principal objet le major du régiment, officier du mérite le plus distingué, sans autre motif que celui de son attachement connu au maintien de la règle et de la discipline, et sur le simple soupçon d'avoir été un des plus opposés au succès de leur demande.

Cependant tous les officiers partagaient tous ces sentiments, ils sentaient le danger d'une première condescendance, ils demandaient tous

(1) Le Moniteur ne donne qu'un sommaire du discours de M. Du Châtelet.

(2) Page 8 du rapport de MM. les commissaires du roi.

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On en a fait hier le sujet d'un reproche contre l'officier qui, pour lors, commandait le régiment du roi, mais on n'a peut-être pas assez refléchi que, si les moyens violents qu'il eût fallu enployer avaient produit quelque événement funeste, ce même commandant aurait été accusé d'avoir commis une grande imprudence.

Je ne m'arrêterai point sur la discussion de plusieurs circonstances très légères qui sont consignées dans le rapport qui vous a été fait et qu'on a cru pouvoir vous indiquer comme le fondement de quelques conjecturès défavorables à la prudence de plusieurs jeunes gens du régiment du roi sans expérience, et dans lesquelles vous auriez déjà remarqué qu'aucun des anciens officiers ne se trouvent ici cités, ni compromis.

Je ne m'attacherai qu'à quelques faits principaux qui peuvent avoir fixé votre attention, et sur lesquels il me paraît nécessaire d'éclairer votre justice.

Le premier et le plus important, est l'aventure du nommé Roussière, sur laquelle on a essayé de jeter le jour le plus défavorable dans un libelle, publié au nom des soldats députés du régiment du roi, que leurs commettants ont désavoués depuis, et dans le récit que M. le rapporteur vous en a fait; je crois qu'il aurait été juste d'ajouter à ce récit, qu'aucune voie de fait n'a été commise en cette occasion par le nommé Roussière, qu'aucun accusateur ne s'est présenté, qu'aucune plainte n'a été portée contre les officiers, qu'aucun témoin digne de foi n'a été entendu, qu'il n'y en avait pas même contre le nommé Roussière, puisque le seul qui pût déposer contre lui était son délateur; enfin ce mème soldat, ce témoin unique, qui rapporte un propos tenu par un des jeunes gens compromis uniquement par lui dans cette affaire, propos qu'il peut avoir mal entendu, et qu'il est encore plus capable d'avoir dénaturé, ce témoin, dis-je, est maintenant chargé de fers dans les prisons de Nancy, et prévenu, d'après les premières informations, d'avoir été l'un des instigateurs les plus violents et les plus dangereux de tous les désordres.

Roussière fut condamné, non sur ce témoignage puisqu'il ne pouvait pas l'être ainsi légalement, mais par voie de discipline, à six mois de cachot, les fers aux pieds et aux mains, et ensuite chassé pour être sorti déguisé du quartier pendant la nuit; il eût été mis en jugement si les soldats, révoltés par les instigatious de son délateur, n'avaient exigé qu'il fût expulsé sur-le-champ: sa punition fut donc beaucoup moins sévère que celle à laquelle il avait été condamné et les officiers en gémirent, mais il fallut encore céder aux circonstances dans la crainte de plus grands désordres.

Quant aux quatre jeunes officiers dont on vous a dit, avec raison, que le plus âgé n'avait pas

(1) M. d'Haussonville et M. de Viomesnil.

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dix-huit ans, qui étaient soupçonnés, mais non pas convaincus d'avoir commis une grande imprudence, ils furent mis aux arrêts pendant plusieurs jours, et ce ne fut que pour prévenir les suites d'un éclat, qui pouvait n'être qu'un effet de la malveillance, que le commandant du régiment crut devoir prendre sur lui de leur accorder des congés pour se rendre dans leur famille où ils sont encore.

Je rends justice aux intentions de M. le rapporteur, quand il a cherché à intéresser votre indulgence en faveur de leur âge; mais je ne la réclamerai point pour eux, et si votre intention est, comme elle doit l'être, de faire poursuivre et punir les coupables, de quelque grade qu'ils soient, ils se représenteront à la voie de la justice, et si leur imprudence est prouvée, ils en subiront la peine.

On vous a rendu compte qu'un comité de soldats, que vous avez proscrit par vos décrets dans toutes les troupes, s'était formé clandestinement; les officiers supérieurs l'avaient souffert, et ce fut peut-être, de leur part, l'acte de faiblesse le plus répréhensible; ce comité s'arrogeait un despotisme qui révoltait un grand nombre de vieux soldats dont la voix n'était plus écoutée; ces soldats profitèrent de l'absence des grenadiers qui avaient été envoyés en détachement pour exiger que ce comité fût supprimé; les officiers ne prirent aucune part à cette démarche, mais ils ne pouvaient que l'approuver. Les grenadiers revinrent, les chefs du comité, qui s'étaient d'abord soumis, se sentant soutenus, cherchèrent à se venger; une querelle s'engagea dans un cabaret entre deux membres de ce comité, un soldat et un musicien; ceux-ci courent au quartier, rapportent qu'ils ont été menacés et insultés; les grenadiers viennent se saisir des deux soldats qui avaient été le sujet de la querelle, et qui étaient sans armes; ils se répandent ensuite dans les rues, et ils y arrêtent de même sept autres soldats désarmés qui ne firent aucune résistance; ils les traînent en prison dans une des chambres du quartier; les officiers les en font sortir, non pour les mettre en liberté, mais à la salle de discipline jusqu'à ce qu'on pût éclaircir leur affaire; il fallait au moins, avant que de les punir, si quelques-uns étaient coupables de quelque tort, les entendre et les juger, et la nouvelle loi ne permettait de les mettre en jugement, que sur la réquisition de leurs compaguies; elles furent consultées, plusieurs d'entre elles redemandaient leurs camarades, d'autres refusaient de les recevoir, et, dans cette incertitude, l'officier général décida qu'on attendrait les ordres du ministre et que jusque-là, ces soldats resteraient en prison: ces mêmes soldats y sont encore contre toutes les lois de la justice et de l'humanité, ce sont tous ou des appointés, ou de bons et anciens serviteurs de la patrie, avec lesquels je me fais gloire d'avoir longtemps servi et qu'on a transformés en spadassins, parce que le hasard a fait trouver parmi eux un des prévôts de la salle d'armes; je me ferai un devoir et un honneur de leur tendre une main secourable, quand la liberté, qui aurait dû leur être accordée depuis longtemps, leur sera rendue, et j'espère qu'on me fera la grâce de ne pas calomnier mes motifs, comme on a fait de ceux de M. de Compiègne, que M. le rapporteur a pleinement justifié.

Quant au propos indécent attribué à M. Damedor, il le nie entièrement, et il offre de s'en justifier.

Je passe à ce qui regarde M. de Montluc, l'aîné,

qui a un rapport plus rapproché et plus immédiat avec les derniers désordres; ce fait ne peut être interprêté de deux manières : ceux qui connaissent les règles du service, savent que tout officier commandant dans un poste, est obligé de suivre sa consigne, et que tout subordonné est obligé d'obéir à son commandant, sous peine d'être puni.

Or, la punition du nommé Bourguignon était si juste et si légère, qu'il est évident qu'elle n'a servi que de prétexte à une insurrection déjà méditée depuis longtemps.

En effet, ce sont les suites de cet événement, en apparence si frivole, qui a entraîné les plus fâcheuses conséquences; les grenadiers donnèrent l'exemple de la désobéissance la plus coupable, les autres compagnies ne tardèrent pas à l'imiter, l'autorité de tous les officiers fut méconnue et méprisée, les soldats ne voulurent plus recevoir d'autres ordres que ceux des chefs qu'ils s'étaient choisis eux-mêmes parmi les plus séditieux, bientôt les officiers n'eurent plus d'autre parti à prendre que celui d'opposer la patience aux outrages dans les postes que leur honneur et leur serment ne leur permettait pas d'abandonner, ils résolurent d'informer le roi de leur situation et de leur impuissance, et de supplier Sa Majesté d'accepter leur démission ou de leur procurer les moyens de pouvoir, au péril de leur vie, être encore de quelque utilité à son service; ce fut de leur part l'objet d'une députation dont il a été rendu compte dans le temps, au roi, au comité militaire et au ministre.

:

Dans cet intervalle, l'exemple de quelques garnisons voisines excita la même cupidité dans l'âme des soldats du régiment du roi; de ce moment, le désordre parvint à son comble les officiers supérieurs, entourés de baïonnettes, retenus au quartier, n'ayant aucun moyen de se concerter entre eux, forcés de faire une offre sur la caisse du régiment la portèrent à cent cinquante mille livres; elle fut acceptée avec quelque difficulté la distribution de cette somme et le mauvais usage qu'on devait prévoir augmentèrent le feu de l'insubordination: elle était déjà générale, elle devint extrême; les soldats s'oublièrent jusqu'à méconnaître ce que la loi a de plus respectable : malgré vos décrets, leurs comités continuèrent leurs assemblées, le reste de la caisse militaire fut enlevé, les autres régiments partagèrent la même ivresse, et tout ce qu'une licence raisonnée peut permettre d'excès fut commis successivement par la totalité de la garnison.

Cependant l'arrivée des deux députés des soldats ramenés par M. Pescheloche, aide-major de la garde nationale parisienne, à la conduite duquel je me plais à rendre un juste hommage, rétablit l'apparence de quelque tranquillité; les soldats promirent d'attendre la reddition de leurs comptes, il ont été vérifiés depuis conformément à vos décrets; j'avais désiré, j'avais demandé qu'ils pussent l'être depuis 1776; l'officier général, chargé de cet examen, s'y est refusé; mais ce compte a été rendu public, de même que la reconnaissance des députés désignés par le sort pour y assister, il a été prouvé et ils ont reconnu que la totalité de leurs prétentions, en suivant scrupuleusement ce qui est prescrit par les ordonnances, et sans aucune compensation pour les frais indispensables causés par des établissements qui leur étaient privativement utiles, ne montaient pour les six années qu'à une somme de six mille livres; ils s'en sont fait remettre en deux fois 198,720 liv. d'où il résulte, conformément aux termes de l'arrêté de l'officier général, qu'ils ont pris

192,720 liv. de plus qu'il ne pouvait dans aucun cas leur revenir, sans y comprendre une somme de 3,000 livres qu'ils ont exigé qui fût remise à leurs députés au moment de leur départ de Nancy.

M. de Malseigne arriva, les Suisses formèrent des prétentions au moins aussi exorbitantes: on ne put les satisfaire, ils refusèrent de partir, ils menacèrent les jours de cet inspecteur, il crut devoir abandonner une ville où sa vie ni sa liberté n'étaient plus en sûreté, le désordre recommença et il n'y eut plus bientôt que de nouveaux coupables; les officiers furent menacés et maltraités de toutes parts, plus de quinze d'entre eux furent blessés, quelques-uns mutilés en défendant la liberté et les jours de M. Denoue, commandant dans la ville et dans la province, et on vous fait remarquer, Messieurs, qu'au milieu de circonstances aussi cruelles et de dangers aussi pressants, aucun officier n'a fait usage de ses armes que pour défendre sa vie, et qu'aucun citoyen, aucun soldat n'en a reçu la plus légère blessure.

Bientôt M. Denoue et un grand nombre d'officiers furent jetés dans des cachots, ceux qui n'éprouvèrent pas le même sort ne purent mieux faire que de réunir tous leurs efforts pour épargner à leurs soldats le comble des horreurs et celui des crimes.

Leur attente n'a point été trahie, sans leur persévérance et leur courage, la déplorable journée du 31 août aurait été encore plus funeste; tous se sont montrés animés, avec moins d'éclat dans doute, mais avec le même zèle du patriotisme de ce malheureux jeune homme, dont vous ne pouvez plus honorer que la famille et la tombe: quelques forcenés se sont sans doute rendus coupables des plus grands crimes que des citoyens français puissent commettre, mais ces drapeaux si souvent distingués dans les champs de l'honneur, n'ont point été souillés, ceux des soldats qui ne les point abandonnes et qui ont écouté la voix de leurs officiers n'ont point participé à de pareils forfaits, et maintenant que ces soldats livrés au repentir ont reconnu leurs fautes, qu'ils rougissent de leurs erreurs, qu'ils ont improuvé la conduite de leurs députés, et désavoué les calomnies qu'ils avaient ose se permettre contre leurs officiers, ces mêmes officiers ont oublié leurs outrages et ne sont occupés qu'à les consoler et à les affermir dans le sentier du devoir; et comment d'après tous ces faits, comment a-t-on pu vous dire hier dans cette tribune que ces soldats avaient été en un instant sans chefs, sans guides et sans amis !

On s'est encore étrangement écarté de la vérité, quand on a cherché à vous persuader que la conduite des jeunes officiers du régiment du roi était en général peu surveillée; toutes les familles du royaume, tous ceux qui ont eu quelque rapport avec le régiment du roi peuvent attester que si la discipline était douce pour les soldats, elle était infiniment sévère pour tous les officiers et surtout pour les jeunes gens ceux qui ont connu la vigilance et l'activité de M. Denoue, qui a commandé si longtemps le régiment du roi, ne croiront pas facilement que la plus légère plainte portée contre quelqu'un d'entre eux, n'ait été aussi sévèrement que publiquement réprimée, l'union la plus parfaite, jusque dans ces temps, avait toujours régné entre les individus de tous les grades du régiment du roi et les citoyens de la ville de Nancy.

C'est par une suite de ces sentiments, qu'au mois de janvier ou de février dernier, d'après le

vœu général de la commune, la municipalité dépêcha un courrier pour demander au roi de révoquer l'ordre de son départ pour Metz, et cette démarche honorable est du moins une preuve convaincante, que jusque-là il n'existait aucun sujet de plainte contre le régiment du roi, aucun genre de discorde entre les officiers ou les soldats et les citoyens.

Si quelques querelles particulières ont eu lieu entre quelques jeunes officiers du régiment du roi et de jeunes citoyens, au moment de l'établissement des gardes nationales, on ne peut l'attribuer qu'à un excès de susceptibilité réciproque, que le temps seul pouvait affaiblir; l'arrêté que le corps des officiers prit à cet égard prouve combien, en général, ils étaient loin de l'approuver, et combien ils étaient occupés d'en arrêter les suites.

Telle a été et telle est encore aujourd'hui la conduite vraiment estimable des officiers du régiment du roi. Rejeter sur un corps nombreux l'imprudence de quelques officiers sans expérience, ce serait, je crois, une grande injustice; et d'ailleurs MM. les commissaires du roi et M. le rapporteur ont rendu un juste hommage à l'exactitude avec laquelle ils ont arboré les couleurs nationales, prêté le serment civique et exécuté tous les décrets de l'Assemblée nationale, sanctionnés par le roi, dès qu'ils en ont eu connaissance.

C'est d'après cette conduite généralement connue, généralement avouée, qu'il faut juger de leur patriotisme, et non sur des intentions qu'on leur suppose, sur des sentiments qu'ils n'ont jamais manifestés; c'est d'après ces faits qu'ils doivent être jugés, et je rougirais d'avoir à solliciter pour eux votre indulgence, quand ils n'ont à réclamer que votre justice, la plus impartiale et la plus sévère.

Je ne m'arrêterai point sur le projet de décret qui vous est proposé, et je ne vous ferai pas remarquer l'espèce d'inconséquence qu'il y aurait à prononcer sur le sort du régiment du roi et de Mestre-de-camp, sans vous occuper en même temps de celui du régiment de Châteauvieux, si ce n'est pour solliciter l'indulgence des cantons suisses en faveur d'un grand nombre de coupables de ce régiment, condamnés par une loi peut-être trop rigoureuse.

Je ne vous dirai point combien il pourrait paraître extraordinaire d'accorder, outre les masses, trois mois de paye indistinctement à des soldats, dont chacun a déjà pris plus de cent livres sur des fonds qui ne pourraient appartenir qu'à la nation.

Mais je ne peux m'empêcher de vous représenter que, par un licenciement pur et simple du régiment du roi et du régiment Mestre-decamp, et sans un jugement préalable et nécessaire des vrais coupabies, de quelque grade qu'ils puissent être, vous confondiez les innocents avec les criminels, et les coupables avec ceux qui n'ont été que leurs victimes.

Permettez-moi donc, Messieurs, en finissant, d'offrir à votre justice quelques réflexions à cet égard, elles serviront peut-être à vous faire adopter le projet de décret que j'aurai l'honneur ensuite de vous proposer.

Et d'abord je vous supplie de considérer que, sans la déplorable journée du 31, les soldats du régiment du roi vous auraient paru peut-être aussi excusables que ceux de plusieurs autres corps, qui, après s'être livrés à de grands dé

sordres, ont excité votre indulgence par la sincérité de leur repentir.

Car vous vous souvenez sans doute, d'après le rapport qui vous a été fait hier, que si dans cette fatale journée quelques forcenés, qui gardaient une porte très éloignée du quartier du régiment du roi ont donné le signal et l'exemple du carnage le plus criminel; s'il y avait, en effet, parmi eux, plusieurs soldats du régiment du roi, tous ceux qui n'avaient pas abandonné leurs drapeaux, et certes c'était presque la totalité, étaient déjà sortis de la ville sous la conduite de leurs officiers, pour se rendre au lieu que le général avait assigné pour recevoir leur soumission; et que si au bruit et à la surprise d'une attaque et d'une défense aussi inattendues, leur premier mouvement a été de rentrer dans la ville, ce n'a été que pour se renfermer dans les casernes et pour y attendre de nouveaux ordres du général, qu'ils ont ensuite exécutés sans résistance et sans murmure.

On doit sans doute attribuer une grande partie de cette heureuse inaction, de cette propension volontaire, à l'obéissance, au zèle, aux efforts et à la persuasion des officiers et des sous-officiers; mais ne peut-on pas aussi les rapporter à la voix de la patrie, au cri de la conscience, de l'honneur et du devoir qui parlaient encore au cœur de ces soldats, au milieu de leurs plus grands égare

ments?

Je ne prétends point, Messieurs, excuser ceux auxquels les soldats du régiment du roi s'étaient précédemment abandonnés sous ce point de vue, ils sont tous également répréhensibles; mais dans la journée du 31, tous n'ont pas été également coupables, les seuls vraiment criminels sont ceux qui, après avoir été les premiers instigateurs des désordres, ont persévéré jusqu'à la dernière extrémité dans leur résistance; ceux qui ont poussé l'audace jusqu'à faire usage, contre leurs concitoyens, des armes qui ne leur avaient été confiées que pour la défense de la patrie; enfin, ceux qui ont été arrêtés au milieu du tumulte de la revolte la plus coupable.

Les prisons de Nancy renferment encore ceux que la fuite n'a pas dérobés à la vengeance des lois; et pourriez-vous, Messieurs, avec justice confondre, comme on vous l'a proposé, dans une disposition générale, le sort de pareils coupables avec celui des autres soldats du régiment du roi, qui, dans cette même journée du 31 août, n'ont offert d'autre spectacle que celui de la consternation et d'une soumission aussi absolue que volontaire et ne répugnerait-il pas à votre équité d'infliger à tous une même punition, et surtout de la faire partager indirectement à des officiers et à des sous-officiers qui n'ont mérité que votre intérêt et votre estime?

Je ne peux m'empêcher de penser que le premier objet doit être remis constitutionnellement à la disposition du roi, comme chef suprême de l'armée, et que le second ne peut être rempli qu'autant que les vrais coupables seront abandonnés à toute la rigueur des lois militaires.

Mais, dans tous les cas, je dois recommander à votre justice le sort des officiers du régiment du roi, et fixer particulièrement votre attention sur un nombre considérable d'anciens officiers qui n'ont dû leur avancement qu'à leur mérite, et qui n'ont d'autre patrie que le corps où ils ont servi avec honneur dès leur plus tendre jeunesse; sur une foule d'excellents sous-officiers qui avaient les mêmes droits et le même espoir de parvenir aux mêmes récompenses,

Je conclus donc que ce n'est qu'en laissant un libre cours aux lois, que vous pourrez faire éclater votre justice, et que ce n'est qu'en vous en rapportant à la sagesse du roi, et qu'en recomman dant à sa bienveillance tous les individus qui lui paraîtront l'avoir méritée, que vous concilierez avec cette justice ce qu'on doit attendre de votre humanité.

C'est sous ce double point de vue, qui me parait également constitutionnel, également convenable aux circonstances, également conforme à la justice distributive, que je prendrai la liberté de vous soumettre le projet de décret suivant :

PROJET DE DÉCRET.

« L'Assemblée nationale, après avoir entendu le rapport de ses comités des recherches, des rapports et militaire, sur les désordres qui ont eu fieu dans la ville de Naucy, dans le courant du mois d'août dernier, et notamment dans la journée du 31 dudit mois;

« Décrète que le roi sera prié de faire établir incessamment une cour martiale ou conseil de guerre pour faire juger, suivant les formes constitutionnelles, les militaires, de quelque grade qu'ils soient, prévenus d'avoir été les auteurs ou les fauteurs desdits désordres, et qu'au surplus, l'Assemblée s'en rapporte à la sagesse du roi, chef suprême de l'armée, pour les mesures ultérieures à prendre, relativement aux trois régiments qui composaient la garnison de Nancy, à l'époque du 31 août dernier, à l'effet de concilier ce que le rétablissement et le maintien de la discipline dans l'armée exige avec l'économie des finances, l'avantage du serment et la justice distributive.»

M. l'abbé Grégoire. Je ne puis m'empêcher de remarquer dans le rapport une grande prodigalité d'éloges, quand je crois voir dans là conduite de M. de Bouillé une précipitation qui a fait verser le sang des citoyens. (On applaudit.) On a amplement déduit les torts des soldats; mais a-t-on suffisamment développé les causes qui les ont aigris et égarés? Eh! cominent n'auraient-ils pas été égarés quand leurs camarades suisses étaient passés aux courroies pour avoir demandé des comptes, quand M. de Malseigne parlait à des militaires avec une brutalité presque barbare, quand ils savaient qu'on distribuait arbitrairement des cartouches infamantes, quand leurs camarades députés à Paris étaient emprisonnés ? Comment n'auraient-ils pas été égarés quand des libelles insidieux, quand l'adresse aux provinces circulaient avec profusion dans le royaume ? On savait que les troupes autrichiennes avaient demandé passage sur le territoire de France; on savait que nos frontières étaient sans défenses; il arrivait de toutes parts des gardes nationales qui couraient contre un ennemi inconnu. On avait beaucoup parlé des lenteurs que M. de Bouillé avait apportées à la prestation de son serment civique, et M. de Bouillé commandait. La municipalité distribuait des armes, des cartouches, appelait les citoyens au service du canon, ordonnait enfin tous les préparatifs de la guerre. Que devaient penser les soldats? On parlait de contre-révolution; le patriotisme pur d'une société respectée avait été dénoncé; des troupes arrivaient, on s'armait contre elles; les soldats en les attaquant ont cru servir leur patrie. On a rassemblé beaucoup de nuages sur l'affaire de Nancy; on reconnaît assez cependant l'effet de quelques sourdes

ARCHIVES PARLEMENTAIRES.

et perfides machinations; mais je n'ai garde d'appeler la vengeance sur les coupables, je n'ai garde de demander la continuation d'une instruction qui perpétuerait le désespoir dans les départements de la Meurthe et de la Moselle. Notre malheureuse patrie ne demande pas à être vengée, mais consolée; rendons des frères à des frères, et n'attisons pas une haine qui divise depuis trop longtemps deux villes faites pour s'aimer et s'estimer. Ces tristes événements ont appris à nos ennemis que les gardes nationales sauront conserver la liberté, puisqu'elles savent périr pour la défendre. (On applaudit.) Ils osaient en douter, et vous avez ici même entendu leurs expressions dérisoires contre cette garde nationale qui a montré à Nancy le courage qu'elle montrerait partout. J'adopte le projet de décret qui vous a été présenté; j'observerai seulement que le 3 septembre vous avez voté des témoignages d'approbation à la municipalité de Nancy. Plusieurs de ses membres sont dignes de vos éloges; mais ce corps n'a pas développé tout le civisme qu'on attendait de lui, et je crois que vous devez aujourd'hui déclarer ces témoignages d'approbation

comme non-avenus.

M. Louis de Noailles. Livré depuis longtemps aux sentiments pénibles qu'a éprouvés tout citoyen au récit des malheurs de Nancy; profondément affecté des divisions qui ont eu lieu dans cette malheureuse ville et des suites désastreuses qu'elles ont eues; effrayé, comme toute la France, du nombre des victimes, nombre qui surpasse si considérablement celui des coupables, j'attendais, ainsi que vous, dans une impatiente inquiétude, un rapport qui, mettant la vérité dans tout son jour, pût enfin ramener parmi les citoyens de Nancy une tranquillité à laquelle ils ont droit de prétendre et à laquelle tout l'Empire a le droit de s'intéresser; un rapport qui vous fit connaître si les fonctions municipales et celles du département sont dans des mains dignes de les exercer; un rapport qui vous mît à même de donner un grand exemple à l'armée en plaçant la sévérité sous l'égide de la justice et en reconnaissant, soit dans les attaquants, soit dans les attaqués, deux classes réellement distinctes, les innocents et les coupables; un rapport enfin qui se hâtât de vous indiquer quels crimes étaient nécessaires à punir et quelles fautes vous aviez à corriger pour prévenir à jamais le retour de malheurs si affreux; un rapport qui pût vous permettre l'oubli désirable de tout ce qui, dans ces déplorables événements, a moins tenu à de coupables intentions qu'à l'effervescence des passions trop inconsidérément excitées d'une part et trop maladroitement réprimées de l'autre pour ne pas mériter votre indulgence. Le rapport qui vous a été soumis hier, et qui est le fruit, selon ce qu'on vous a dit, d'un long travail, ne vous a pas permis de rapprocher tellement les événements que vous ayez pu asseoir un jugement certain. Celui qui en a été chargé s'est laissé entraîner à son heureuse facilité; nous avons souvent cherché des faits où nous n'avons trouvé que des formes oratoires. Par cette raison nous allons, en prenant pour seul guide le rapport des commissaires, chercher à éclairer la déliberation que vous allez prendre; notre but est la justice, notre éloquence sera la vérité. J'examinerai successivement la conduite de la municipalité, celle du département, les torts réciproques des soldats et des officiers, sans excepter les généraux qui les commandaient, et

17 décembre 1790.]

enfin je prendrai en considération le sort des ci-
toyens de Nancy, contre lesquels je ne vois au-
cune accusation fondée, qui n'ont agi qu'en vertu
des ordres des organes de la loi, et contre les-
quels on publie que s'instruit une procédure cri-
minelle.

La conduite de la municipalité prouve plu-
sieurs actes de résistance aux décrets de l'Assem-
blée nationale.

Il fut proposé à la commune de réclamer l'exé-
cution du traité de Vienne. Des députés envoyés
à Paris le 22 décembre avaient pour instructions
de ne laisser entrevoir aucune adhésion ni oppo-
sition aux décrets... Au moment de l'arrivée de
M. de Malseigne, la municipalité ne fait pas connal-
tre les pouvoirs dont il est revêtu; elle ne prend
aucunes mesures pour instruire les citoyens des
motifs de l'arrivée des gardes nationales voisi-
nes. Le régiment du roi s'agite, s'inquiète; le
peuple partage ces agitations, ces inquiétudes :
la municipalité garde encore le silence.

La convocation de la commune est demandée;
la lumière que cette convocation aurait produite
devait dissiper les craintes, et le vœu légal des
citoyens est rejeté. Dans beaucoup d'autres cir-
constances importantes, des mesures aussi faus-
ses préparaient les malheurs qui suivirent...
M. de Bouillé s'approche; la municipalité ne fait
pas publier la proclamation de M. de Bouillé.....
Enfin, conspirant contre l'ordre et l'harmonie en-
tre les citoyens, la municipalité laisse battre la gé-
nérale; elle fait plus, elle ordonne de transporter
des canons aux portes de la ville, de placer des
gardes citoyennes parmi des soldats rebelles;
elle prescrit aux gardes nationales de faire le
service intérieur de la ville, et tout cela sous le
prétexte honteux ou dérisoire que telle était la
volonté des soldats du régiment du roi. Une
nouvelle députation de la municipalité est en-
voyée à M. de Bouillé; elle communique à ceux qui
sont dépositaires de sa confiance, sa faiblesse et
ses craintes cette députation se rend vers le gé-
néral, et ne retourne pas à Nancy pour achever
sa mission. A l'approche des troupes, les gardes
nationales, ces citoyens armés qui remplissent le
plus saint des devoirs, qui exécutent religieuse-
ment vos décrets, qui veillent à la sûreté, à la
défense de la patrie, qui vont être livrés au car-
nage, exercent les fonctions que leur a prescrites
la municipalité, qui ne leur donne pas l'ordre
de les suspendre et de se retirer. Au moment où
la paix est annoncée dans la ville, les munici-
paux ne vont pas au-devant de l'armée qui va
fondre sur les citoyens de Nancy; le carnage
continue, et les municipaux ne sentent pas que ce
que la générosité a inspiré à M. Desille était pour
eux un devoir de rigueur.

A peine M. de Bouillé est-il arrivé que la muni-
cipalité veut lui déférer une autorité dictatoriale;
elle lui demande des ordres pour casser la garde
nationale, pour détruire le club des amis de la
Constitution, pour emprisonner des citoyens; elle
souffre la proscription de tous les signes na-
tionaux, elle autorise les capitaines de la garde
nationale à retirer des mains de leurs soldats des
armes que la patrie leur avait contiées pour la
liberté..... Cette municipalité a de grands torts
à nos yeux, si elle n'est pas criminelle, et nous
ne pouvons connaître l'indulgence où le salut
public exige la sévérité des lois.

Le département a aussi commis de grandes fautes. Je ne conçois pas pourquoi cette députation à M. de Bouillé, dont l'objet public était de le sommer de retirer ses troupes; pourquoi cette

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