Page images
PDF
EPUB

apostolique, évêque de Châlons-sur-Marne, au clergé seculier et régulier, et à tous les fidèles de notre diocièse, salut et bénédiction en notre Seigneur Jésus-Christ.

Au milieu de tous les malheurs qui affligent la religion, nos très chers frères, vous êtes sans doute surpris de ne point entendre la voix de votre évêque. Vous demandez sans doute comment dans le temps même que vous avez le plus besoin de consolation et de lumières, nous semblons vous livrer à vos propres anxiétés et garder un pusillanime silence, quand tout nous fait une loi d'encourager votre piété et de soutenir votre foi.

Nous nous hâtons, N.T.C.F., de prévenir un tel reproche et comment pourrions-nous donc abandonner ainsi un troupeau qui nous est cher à tant de titres? Comment surtout oublier une ville qui a la gloire d'avoir réclamé la première pour la conservation de son siège, et qui gémit encore plus que toute autre de voir périr tous ses établissements religieux qui faisaient son plus bel ornement, pour être tristement remplacés par la misère, la ruine et la mort!

Permettez-nous donc d'épancher, dans votre sein, notre douleur profonde. Hélas! il n'est donc plus qu'un vaste désert ce temple auguste, non moins respectable par son antiquité que par sa prééminence! Elle est donc dispersée cette école sacerdotale, que nous voyions depuis plusieurs années prospérer sous nos yeux ! Ils n'ont donc plus de père et de soutien, ces jeunes élèves dont l'entretien faisait notre plus douce jouissance et notre plus sacré devoir? Qui a donc ainsi suspendu la majesté des cérémonies et la pompe du culte saint? Qui a donc condamné à la proscription les premiers coopérateurs de notre épiscopat? Qui a donc pu les dépouiller de leur état, au nom de la liberté, après qu'ils l'ont eue, et de leurs biens, au nom de la propriété ? Comment sont donc tombés tous ces monuments vénérables de la piété antique? Ah! si c'était des étrangers, des nations ennemies ou conquérantes, qui eussent ainsi porté la désolation et le deuil dans le sanctuaire, nous pourrions peut-être trouver quelque adoucissement à la douleur qui nous oppresse; mais que ce soient non seulement nos frères dans la société, mais encore nos enfants dans la foi; voilà, N. T. C. F., l'arrière-réflexion qui égale à notre tristesse, notre surprise et notre étonnement.

Que de malheurs et de ruines nous investissent de toutes parts! Si tout à coup le résultat de tant d'innovations funestes se fut présenté à vos yeux si, par une soudaine loi, on eût tout à la fois envahi les biens de l'Eglise respectés chez toutes les nations, dépouillé tous les titulaires, et anéanti d'un bout du royaume à l'autre toutes les fondations, chassé plus de cinquante évêques de leur siège, supprimé tous les monastères de l'un et de l'autre sexe, proscrit la perfection évangélique comme inconstitutionnelle dans la personne des religieux; renversé toutes ces basiliques augustes, dont la plupart sont plus anciennes que le trône et existent même avant la nation; et qu'on eût terminé cette fatale loi par le refus solennel de déclarer religion de l'Etat, la religion catholique que professe l'Etat; nous nous le demandons, nos très-chers frères, qui de vous n'eût pas été alarmé ? Qui de vous n'eût pas même douté de la possibilité de ces funestes entreprises? Cependant ce qui vous eût saisis d'effroi dans son ensemble ne vous a peut-être que faiblement frappés dans ses destructions progressives; avec quel art vous y a-t-on préparés! Et

par quelle gradation calculée êtes-vous enfia parvenus jusqu'à cette organisation dite civile du clergé qui vient mettre le comble à ses tribulations, et préparer son entière ruine!

Nous ne nous étendrons pas ici, nos très-chers frères, sur les principes constitutifs de l'Eglise, déjà développés dans l'Exposé des évêques, députés à l'Assemblée nationale, ni sur ceux qui sout discutés dans la lettre pastorale de notre vénérable collègue, l'évêque de Boulogne, que nous croyons devoir vous envoyer comme supplément d'instruction. Vous y verrez que des ministres de la religion ne peuvent être sous aucun rapport mandataires des peuples; que l'Eglise a reçu de son divin instituteur le droit de se gouverner elle-même; que ce pouvoir céleste ne consiste pas seulement à fixer les points de la doctrine, mais encore l'ordre même de la discipline; que sa législation est à elle, comme ses dogmes et sa morale; qu'en la privant du droit de régler elle-même son régime extérieur, on lui enlèverait jusqu'au moyen de se perpétuer; que la puissance civile est aussi incompétente pour régler le régime extérieur, que le fond même de la religion; et qu'ainsi la nouvelle organisation du clergé, comme émanée du seul pouvoir civil, ne peut qu'être et illégale dans son principe et nulle dans ses effets.

Mais que serait-ce, nos très-chers frères, si sous le nom de constitution civile du clergé, elle brisait réellement sa constitution spirituelle et divine; et que, croyant changer avec des mots la nature des choses, on pénétrât réellement dans l'intérieur du sanctuaire, en prétendant ne diriger que l'extérieur du temple? Nous le savons sans doute, que pour ménager encore la piété des fidèles, on ne leur montre ici que des arrangements purement temporels qui n'intéressent point la foi. Mais quoil n'est-ce donc pas un dogme catholique que la nécessité de l'institution canonique dans la seule et unique forme que l'Eglise prescrit? n'est-ce donc pas un dogine catholique que la supériorité des évêques sur les ministres inférieurs? n'est-ce pas un dogme catholique que le droit exclusif des premiers pasteurs à l'enseignement et à l'exercice de leur juridiction spirituelle? n'est-ce pas un dogue catholique que la primauté exercée de droit divin par le successeur de saint Pierre, primauté qui n'est point un vain honneur, mais un vrai titre de surveillance et de gouvernement qui ne le place ainsi au sommet de la hiérarchie, que pour en faire le suprême modérateur de l'Église universelle. Que fait cependant la nouvelle organisation du clergé? Elle nomme de plein droit les vicaires de l'épiscopat: elle transporte arbitrairement la juridiction spirituelle à ceux qui ne l'ont point, et l'ôte à ceux que l'Eglise en a déjà investis elle concentre l'autorité épiscopale et l'enseignement même dans une assemblée presbytérale: elle dénature le régime ecclésiastique, en y transportant une forme républicaine, essentiellement opposée à son esprit de subordination et d'unité: elle rend le souverain pontife, centre de l'unité, et chef auguste de tous les pasteurs, étranger au gouvernement de l'Eglise et déplaçant ainsi cette admirable distribution des différents degrés de l'ordre hiérarchique, elle crée un gouvernement tout nouveau, qui ne saurait même exister civilement, parce que tout corps où il n'y a ni inférieurs ni supérieurs, porte avec lui le principe incurable de sa dissolution.

Ce n'est pas, nos très-chers frères, qu'on n'ait eu soia de colorer ces entreprises inouïes de certaius

ménagements, mais ce n'est que pour tendre plus sûrement au but. C'est ainsi que l'on conserve au pape sa qualité de chef de l'Eglise, mais en la rendant nulle et sans exercice; aux métropolitains, leur prééminence, mais en n'en faisant qu'un droit précaire et illusoire; aux évêques et aux pasteurs, un fantôme d'institution qui n'est point celle que l'Eglise donne. C'est ainsi que l'on exige pour leur installation un serment sur la foi catholique; mais par une déclaration générale, à la faveur de laquelle on peut cacher toutes les bérésies; que l'on demande aux nouveaux évêques une lettre de communion au pape, mais dont la teneur est arbitraire, et qui, aussi vague que le serment, peut lui être adressée, comme on l'a vu souvent, par un évêque schismatique, de sorte que toujours soumis à l'Eglise et ne l'écoutant pas, lui laissant par le droit une autorité qu'on lui enlève tout entière par le fait; aimant mieux favoriser le schisme que de le prononcer, et dénouer insensiblement les liens de l'unité que de les rompre avec violence, on ébranle d'autant plus fortement l'édifice, que les coups qu'on lui porte sont moins directs et plus enveloppés.

Jugez maintenant, nos très chers frères, si toutes les nouvelles lois ecclésiastiques se bornent à de simples démarcations diocésaines, comme on le répète sans cesse; jugez ensuite si ces divisions territoriales, qui ne peuvent se faire sans diviser le pouvoir de l'Eglise, sont étrangères à l'Eglise; dites si la direction toute divine des âmes et des consciences peut être ainsi soumise, sans formes canoniques, à des convenances locales et purement symétriques: et prononcez enfin, d'après votre seule droiture naturelle, si, sans trahir notre conscience, nous pouvons donner les mains à une organisation prétendue civile, dont le moindre défaut est de nous être proposée par une puissance radicalement incompétente, dont il n'est pas un seul exemple dans toute la tradition, qui contredit ouvertement la discipline actuelle de toute la catholicité, et qui, par ses formes insolites et son tissu incohérent, serait autant une source féconde de malheurs pour l'Etat, que de scandale pour l'Eglise.

Il se présente ici pour vous, nos très chers frères, une réflexion bien importante: c'est que la .cause de l'Eglise est celle de tout le peuple catholique, que les prérogatives des pontifes sacrés sont essentiellement liés avec les droits des derniers des fidèles; qu'en défendant notre autorité sainte, nous défendons votre propre croyance; que nos évêques sont à vous, comme votre baptême est à vous, comme votre foi est à vous, comme le sang de nos pères qui l'ont professé est à vous; qu'on ne peut vous ôter arbitrairement les juges de notre doctrine et les pères de notre morale, sans exercer sur vous la plus injuste tyrannie, et que ceux qui oseraient prétendre avoir le funeste pouvoir de disposer de votre religion, violeraient la plus sacrée, la plus auguste de vos propriétés: celle de vos principes et de votre conscience.

Ainsi, nos très chers frères, notre conduite dans ces déplorables circonstances se trouve tout naturellement tracée. On vous assigne de nouveaux pasteurs, demandez qui vous les donne. On vous délègue de nouveaux évangélistes, demandez qui Vous les envoie. On établit de nouvelles chaires pontificales, demandez qui les fonde; si on vous dit que c'est l'Eglise, n'écoutez donc ici que la Voix de l'Eglise; si l'on prétend que c'est vous, abjurez un pouvoir que vous n'avez pas et un droit qui annulerait tous vos droits, puisque le

premier et le plus beau de tous est celui d'être sûrs que vous n'avez point de faux prophètes qui vous égarent; que les pasteurs qui vous conduisent ne sont pas des intrus; et que jamais vous n'obtiendrez cette précieuse certitude qu'en les recevant de l'Eglise et par elle de JésusChrist.

Il est un autre piège, Messieurs, contre lequel ilimporte beaucoup encore de précautionner votre foi. C'est de ne voir dans ces étranges nouveautés que le rétablissement des lois anciennes, et le retour à l'état primitif de l'Eglise, Ainsi ont parlé les hérétiques de tous les temps. Ainsi les prétendus réformateurs des siècles derniers, se vantaient-ils de ramener les temps apostoliques. Mais d'abord, dans quel temps et à quelle époque a-t-on fait d'importants changements dans l'Eglise, sans elle et malgré elle? quelle puissance peut les faire revivre ces lois, que celle qui les a abrogées ? N'est-ce pas une contradiction de forcer l'Eglise à reprendre des lois qu'elle a cru devoir changer? Est-il bien vrai d'ailleurs que la nouvelle organisation soit conforme au régime des premiers siècles? Est-il vrai que les pontifes aient été jamais choisis sans le concours du clergé? Est-il vrai que l'on ait vu dans aucun temps ces assemblées populaires, où le païen, le juif, l'athée déclaré, donnassent des pasteurs au peuple catholique? Et les plus ardents propagateurs de la nouvelle doctrine ne sont-ils pas encore à nous fournir un seul exemple d'une si scandaleuse discipline?

Et au fond, nos très chers frères, que veut-on dire, quand on feint de vous proposer de ramener les premiers siècles? Quoi! qu'il faut dépouiller les autels pour les rendre plus vénérables? Ou avilir les saints ministres pour les rendre plus utiles? Quoi ! que l'Eglise, d'abord faible et obscure dans le commencement, n'a pu acquérir de la splendeur et de la majesté en régnant sur un grand empire? Est-ce bien sérieusement qu'on nous rappelle le temps des catacombes! Est-ce donc bien pour la religion de l'Etat, dont l'étendard est placé sur la couronne des monarques, qu'on veut faire revivre ces jours de deuil, où elle ne comptait ses triomphes que par le nombre de ses martyrs ? Et il serait donc vrai que, persécutée sous les rois catholiques, comme elle l'était sous les empereurs païens, elle n'aurait ainsi marché de succès en succès, de conquêtes en conquêtes, que pour revenir après dix-huit siècles, aux humiliations et aux chaînes de son berceau.

Souffrez encore que nous vous le demandions, nos très chers frères : désirez-vous sincèrement de voir revivre l'église de Jérusalem? Viendrezvous donc mettre à nos pieds une partie de notre héritage pour le soulagement des pauvres ? Voulez-vous de bonne foi que nous reprenions l'ancienne autorité de notre ministère? Permettezvous que nous inspections vos mœurs et vos familles, et la manière dont vous remplissez les devoirs de votre religion? que nous réglions vos abstinences; que nous vous imposions les peines canoniques; enfin, que nous vous reprenions avec cette sainte vigueur qui caractérisé le zèle apostolique? Sans doute que, quelle que soit la dépravation actuelle, c'est à nous à donner les premiers l'exemple, et que le jugement doit toujours commencer par la maison de Dieu. Mais comment sera-t-il possible que le pasteur devienne la règle du troupeau, si le troupeau ne veut plus de règle ? Où seront nos devoirs de pères, si nous n'avons plus d'enfants! Et ne sommes-nous donc pas autorisés à juger à cet

égard de nos dispositions, par les scandales inouïs qui souillent en ce moment toute la face du royaume? O douleur! O afflictions sans bornes! La corruption des mœurs est réduite en politique et en système; la religion est bafouée sur les théâtres; la profanation du sanctuaire est devenue légale, les scènes sacrilèges se renouvellent de toute part; toutes les voies de Sion pleurent; le corps adorable de Jésus-Christ est livré chaque jour à des outrages sans exemples; les chaires de l'erreur vont être rétablies, et les biens destinés à les soutenir sont les seuls déclarés inviolables; un monument national élevé au patriarche des impies sur les débris des temples, et à la vue de tous ces attentats qui jettent les vrais fidèles dans un abîme de consternation, on ose nous parler de retour à l'esprit primitif de l'Eglise Nos très chers frères, est-ce donc notre zèle qui s'égare, ou le siècle qui est en délire? Sont-ce les pasteurs qui se trompent, ou les ouailles qui ne veulent plus de pasteurs? Et quelle set donc cette dérision monstrueuse, de Vouloir que nous soyons apôtres, quand vous nous dites hautement que voulez être païens ! Ne vous laissez donc pas éblouir, Messieurs, par cet esprit d'inquiétude et d'innovation, qui, sous prétexte de tout réformer, ne tend rien moins qu'à tout détruire. Renouvelons-nous sans doute dans l'esprit du christianisme qui ne s'est que trop affaibli; mais que ce soit dans l'ordre que nous trace la Providence. Songeons que Dieu n'a pas choisi d'autres moyens pour réformer l'Eglise, que l'Eglise elle-même. Demandez avec nous le concile national; c'est la seule voie que nous tracent les saints canons, la seule qui soit conforme à l'esprit primitif de l'Eglise. Là, seront rappelés tous nos anciens devoirs. Là, seront discutés avec circonscription les droits de Dieu et ceux de César; là, seront accordés tous les sacrifices que l'amour de la paix sollicitera, et tous les changements qui s'accordent avec la conscience. Nous refuser, Messieurs, un moyen si canonique et si conforme à la pratique constante de tous les siècles, ce serait dire ouvertement que ce n'est point la régénération de l'Eglise que l'on demande, mais sa destruction; que ce n'est point la continuation des abus que l'on craint, mais la restauration des saintes règles; qu'on aime encore mieux la retenir dans l'esclavage et l'humiliation, que de lui voir reprendre ses anciennes vertus et sa vigueur première.

Et cependant, Messieurs, nous le réclamons en vain, ce concile national conforme aux vœux exprès de tous les bailliages du royaume, cette assemblée salutaire qui concilie si bien notre soumission comme citoyens et notre autorité comme évêques; et, bien loin de nous l'accorder, on ose nous en faire un crime; et l'on souffre qu'un tribunal obscur (1) dicte ses lois suprêmes à toute l'Eglise de France; et pour que rien ne manque à cette entreprise inouïe, il faut que les pasteurs soient forcés d'y souscrire par un nouveau serment; et le refus d'être infidèles à leur état sera traité de rebellion; et au mépris du droit naturel, toute protestation sera punie comme le dernier des crimes; et au mépris de la Constitution même, on forcera des citoyens jusque dans leur conscience; et sans égard pour les scrupules des âmes timorées, on scrutera jusqu'à leurs opinions; el par une injustice sans exemple, on nous mettra dans la dure nécessité de perdre notre honneur ou notre subsistance, de périr

(1) Le comité ecclésiastique.

sous le glaive de la misère ou de mentir à nos principes!

Pouvons-nous, Messieurs, ne pas nous plaindre d'une oppression aussi barbare qu'elle est inconséquente? Les reconnaissez-vous ici ces droits de l'homme si vantés? Est-ce là cette liberté tant promise et achetée par tant de crimes? Est-ce ainsi que devait être bafouée la sainte dignité de notre apostolat? Et il est donc vrai maintenant que les juges mêmes de la conscience ne peuvent plus avoir une conscience à eux? Mon Dieu! peut-être y aurait-il plus d'héroïsme chrétien, d'adorer en silence vos décrets ineffables et de mettre humblement aux pieds de votre croix les opprobres amères dont il vous plaît de visiter votre Eglise; mais s'il y a des moments où il ne faut que se résigner et souffrir, il en est aussi où se taire est une prévarication. S'il ne s'agissait que de nous, nous pourrions dévorer en secret tant d'injustices et tant d'outrages; mais il s'agit de notre peuple, il s'agit des âmes qui nous sont confiées, pourrions-nous donc ne pas les avertir du péril imminent qui menace leur foi? Si dans les temps de calme nous avons été faibles; si dans les jours de la prospérité il nous est échappé des fautes, il est temps de les expier. C'est dans les grands malheurs que la foi se réveille. Heureux, Messieurs, si notre amour pour la vérité nous attirait de nouveaux outrages, et si, pour prix de notre zèle, nous pouvions mériter de souffrir pour Jésus-Christ!

Car il nous semble ici les entendre, ces apôtres de la liberté, trouver fort étrange que nous résistions aux ordres tyranniques que l'on intime à nos consciences; nous accuser de soulever les peuples, quand nous sommes les premiers à donner l'exemple de la soumission dans l'ordre temporel; d'être ennemis de la Constitution, quand nous avons promis d'y être fidèles dans tout ce qui ne touche point l'essence de la religion; de regretter nos propriétés sacrées, parce que nous gémissons de voir les pères des pauvres, à la charge des pauvres; de désirer le retour des anciens abus, parce que nous voulons rester catholiques et Français; et nous qualifier de factieux et de rebelles, parce que nous faisons ces légitimes réclamations que le plus violent despotisme ne nous eût jamais interdites. Et quels factieux, quels rebelles, nos très chers frères, que ces hommes qui ne cessent de dire: Dépouillez-nous, prenez nos biens, nos honneurs, notre liberté, nos vies mêmes, tout est à vous excepté notre foi et notre conscience.

Et c'est ce que nous vous disons encore ici, nos très chères frères. Loin de nous tout serment qui serait contraire à celui de notre sacre; loin de nous cette pusillanimité honteuse qui nous ferait abandonner notre troupeau, sans consulter cette même puissance qui nous l'a confié. Elle seule peut rompre ce lien spirituel qu'elle seule a formé. Ce n'est pas de l'Etat que nous tenons notre juridiction; l'Etat ne peut donc pas nous l'ôter. Les droits de la nation ne sont pas ceux de l'Eglise; et, sans être parjures à l'une, on peut sans doute être fidèles à l'autre. Nous persistons d'autant plus fortement dans ces résolutions, que nous ne pouvons pas être soupçonnés d'aucune vue intéressée et ambitieuse. Qu'avons-nous donc à attendre maintenant dans l'exercice de l'épiscopat? que des difficultés et des contradictions sans cesse renaissantes. Mais plus il nous présente en ce moment de peines et de dangers, plus notre cœur nous presse de nous y exposer sans crainte, et nous osons protester

devant Dieu, qu'il nous devient encore plus cher aux jours de ses disgrâces et de ses humiliations, qu'il ne le fût jamais au temps de sa grandeur et de sa gloire.

Vous savez, nos très chères frères, que le chef de l'Etat n'osant lui-même prononcer sur des objets inabordables à son pouvoir, a consulté le chef de l'Eglise. Nous attendons sa réponse suprême. Nous souscrirons sans balancer à une décision qui deviendra, par l'adhésion de l'Eglise de France, une loi sacrée à laquelle tout catholique doit respect et fidélité. Si, pour prévenir de plus grands malheurs, le Saint-Siège autorise les ménagements de la condescendance, sans compromettre la rigueur de ses principes, nous sommes prêts à tous les sacrifices. La séparation sera douloureuse, mais du moins elle sera légitime, et nous emporterons, au fond de notre retraite, cette satisfaction bien douce d'avoir su accorder la paix avec nos devoirs, et notre attachement pour vous avec notre respect pour l'Eglise.

Jusqu'alors, nos vénérables frères, vous êtes toujours revêtus de la juridiction spirituelle dont l'Eglise vous a rendus dépositaires: nous vous regardons toujours comme notre sénat sacerdotal. On a bien pu, par la violence, vous dépouiller de l'exercice de vos fonctions, on n'a pa pu vous en ôter les droits. Ah! s'il ne vous est plus permis d'offrir vos vœux en présence du peuple, gémissez du moins devant le Seigneur. Allez souvent pleurer entre le vestibule et l'autel, si vous ne pouvez plus prier dans le sanctuaire; et dans l'inaction déplorable où vous êtes réduits, sachez au moins acquitter plus que jamais la plus belle et la plus précieuse de vos fonctions, celle de vous montrer en tout l'exemple du clergé et l'édification du diocèse.

Et vous, pasteurs zélés, nos chers et bien aimés coopérateurs, c'est ici le moment de vous rallier autour de votre chef, pour opposer à l'orage nouveau qui gronde autour de vous, la fermeté de vos principes et la constance de votre foi. Avec quelle consolation nous avons vu un grand nombre de vos collègues prévenir mê.ne nos instructions et se hâter de nous manifester d'une manière solennelle la pureté de leur doctrine et de leurs sentiments. Tarderiez-vous de suivre leur exemple? Malheur aux ministres de la religion qui pourraient jamais oublier qu'il vaut mieux obéir à Dieu qu'aux hommes! Si quelques pasteurs isolés, sans caractère et sans mission, ne craignaient pas de trahir leur devoir par crainte ou par ignorance, vous connaissez la pierre ferme sur laquelle il faut vous appuyer. Là, où est le corps, dit Jésus-Christ, là doivent se rassembler les aigles. Voyez ce que deviennent les branches séparées du tronc. Songez toujours que votre gloire est inséparable de celle des premiers pasteurs, que votre véritable indépendance est toute dans la subordination, et que, comme l'épiscopat serait bientôt anéanti, s'il se détachait de la chaire principale, vous n'auriez bientôt plus qu'un ministère précaire et avili, si jamais on pouvait parvenir à vous détacher de l'épiscopat.

Nous revenons à vous, nos chers et bien aimés diocésains, car vous l'êtes encore, nous sommes toujours votre évêque, toujous chargé de vous distribuer le pain de la parole, toujours répondant devant Dieu du dépôt de la saine doctrine. Unissez-vous aussi à nous pour opposer tous les efforts de votre zèle à ce torrent de nouveautés qui menace d'engloutir l'ancienne foi de ce royaume. Ah! si vous craignez de nous en croire, croyez

en du moins à la joie et au triomphe des impies, qui se vantent tout haut d'être parvenus à leurs fins. L'auraient-ils donc conçu, ce projet insensé de livrer à l'irréligion une nation entière? Ou bien voudraient-ils nous donner une religion nouvelle? On nous feraient-ils croire que celle que nous professons va sortir de leurs mains impures et plus sainte et plus imposante? Et certes, nos très chers frères, où veut-on nous conduire? Croit-on que nous serons meilleurs citoyens quand nous serons plus raisonneurs, plus inquiets dans nos recherches, plus frondeurs dans nos opinions? Est-il bien conséquent, ce peuple qui, pour se régénérer, commence par anéantir l'autorité de la religion? Serait-il donc bien ferme sur ces bases, cet Empire qui n'enchaînerait pas sa destinée à celle de sa foi? Hélas! quand le crédit national n'existe plus, que toutes les sources de l'abondance sont taries, croit-on qu'il n'y ait d'autre moyen de sauver la chose publique, que de nous rendre impies, indifférents pour tous les cultes? Ecoutez un grand homme : «On énerve la religion quand on la change, et " on lui ôte un certain poids qui seul est capable « de tenir les peuples. Ils ont dans le fond du « cœur, je ne sais quoi d'inquiet qui s'échappe, "si on leur ôte ce frein nécessaire, et on ne leur « laisse plus rien à ménager, quand on leur permet de se rendre maitres de leur religion. (Boss). Pensées profondes dont nous n'éprouvons que trop la triste vérité. On nous parle déjà de la profanation du mariage, du scandale du divorce, de la dégradation du sacerdoce catholique; sacrilèges projets! Ne fussent-ils même que des projets ainsi les bornes antiques une fois remuées, on ne sait plus où s'arrêter. C'est le grand malheur des innovations religieuses, d'aller d'abîmes en abîmes jusqu'à ce que tout l'édifice s'écroulant, il ne nous reste plus qu'un vaste précipice. Nos très chers frères, il est temps d'ouvrir les yeux. Si la raison, si la foi se taisent, instruisez-vous du moins par nos malheurs. Voyez où vous a conduits le mépris de la religion; voyez où devaient aboutir ces principes philosophiques, qui, depuis cinquante ans, minaient sourdement

[ocr errors]
[ocr errors]

ce royaume.

Elle est donc démasquée pour jamais, cette philosophie si humaine, qui n'attendait que d'être la plus forte pour devenir persécutrice. Admirez comment, pour la flétrir aux yeux de toutes les nations, la Providence a permis qu'elle commençât son règne par la plus vile des intolérances, celle qui force à ne rien croire; et que le siècle des lumières ait surpassé en barbaries fanatiques, les siècles d'ignorance et de superstition. Repoussez donc les suggestions de ces sophistes orgueilleux, dont les systèmes destructeurs ont renversé tous les Empires. Revenez à ces principes invariables auxquels sont attachés nos plus chers intérêts : dans la morale, aimer Dieu et le prochain dans la religion, JésusChrist et son Eglise dans la politique, l'obéissance aux lois et l'amour pour le roi, cette seconde religion de l'Empire des Francs. Voilà tout le catéchisme, nos très chers frères, et n'en connaissez point d'autre; c'est le catéchisme de nos pères; c'est celui que douze siècles ont consacré; celui de tous les grands hommes qui ont fait la gloire et la splendeur de cette monarchie; et c'est encore celui sans lequel tous nos remèdes deviendraient pires que nos maux, et toutes nos nouvelles lois qu'une preuve de plus du néant de notre sagesse.

Et sera la présente lettre pastorale lue et pu

bliée aux prônes de toutes les paroisses de notre diocèse.

Fait à Paris, ou nous sommes retenu en qualité de député à l'Assemblée nationale, le 14 janvier mil sept cent quatre-vingt-dix.

+ A. JULES DE CLERMONT-TONNERRE, évêque de Châlons.

ASSEMBLÉE NATIONALE.

PRÉSIDENCE DE M. ALEXANDRE DE LAMETH.

Séance du samedi 27 novembre 1790, au matin (1).

La séance est ouverte à neuf heures et demie du matin.

M. Salicetti, secrétaire, donne lecture du procès-verbal de la séance du 25 novembre au soir.

M. Coroller, autre secrétaire, lit le procèsverbal de la séance du 26 novembre au soir.

M. Poignot, autre secrétaire, fait lecture du procès-verbal de la séance d'hier 26 au matin. Ces procès-verbaux sont adoptés.

M. Sentetz. J'ai à soumettre à l'Assemblée une observation qui intéresse infiniment le service public. Dans un grand nombre de districts on a nommé receveurs les membres des directoires. Des difficultés se sont élevées sur la validité de ces nominations; on a consulté séparément divers membres du comité de Constitution; ils ont différé dans leurs avis, et on a envoyé dans les districts des décisions contradictoires. Il en résulte de grands embarras dans la partie du service public qui concerne les recouvrements; il est pressant de les faire disparaitre. Je demande, en conséquence, que l'Assemblée veuille décider cette question, où du moins qu'elle charge le comité de Constitution de lui présenter un projet à cet égard.

M. d'André. Je demande que la question soit décidée à l'instant. Un membre du directoire ne peut être nommé receveur de district; mais cette disposition doit être restreinte aux nominations à faire; elle ne doit point avoir d'effet rétroactif, à cause des retards qui en résulteraient dans le service et le recouvrement des impôts qu'il est si intéressant d'accélérer.

M. Martineau. Je pense, comme le préopinant, que les corps administratifs ne doivent pas choisir dans leur sein les receveurs de districts. Ces places lucratives seraient pour eux des sources de corruption, et ils ne peuvent être en même temps chargés de rendre les comptes et de les recevoir. Je soutiens même que les nominations déjà faites doivent être annulées et recommencées.

M. Bouche adhère à l'opinion de M. Martineau.

M. Cochelet. Il y aura plus d'inconvénients à maintenir ces nominations qu'à les annuler. Le peuple est las de la fréquence des élections; il

(1) Cette séance est incomplète au]Moniteur.

est plus simple d'assembler un corps administratif pour nommer un receveur que des électeurs pour nommer un nouveau membre du corps administratif.

M. Le Chapelier. Il ne serait ni convenable ni même juste de déplacer des receveurs déjà en fonctions, et qui, ayant commencé une comptabilité, seraient réduits à rendre un compte à celui qui serait mis à leur place. Il en est même beaucoup qui, pour le bien du service, ont fait des avances considérables de leurs propres fonds. Je demande que les nominations déjà faites soient maintenues.

Sur la rédaction de M. d'André, le décret suivant est rendu :

« L'Assemblée nationale décrète ce qui suit : 1° Les membres des administrations et des directoires de district ne pourront, à l'avenir, être nommés receveurs de district;

« 2° L'élection des membres des administrations et des directoires de district, qui auraient été nommés receveurs à l'époque de la publication du présent décret, sera valable; mais ils seront tenus d'opter, ne pouvant avoir que l'une des deux places.

[ocr errors]

M. Bouche fait lecture d'une lettre du tribunal du district de la ville d'Aix, département des Bouches-du-Rhône, qui informe l'Assemblée de son installation.

M. Salomon lit une lettre du département du Loiret; elle contient des détails circonstanciés des malheurs causés par le débordement de la Loire. Le directoire demande qu'il soit ajouté de nouveaux secours à ceux que l'Assemblée lui a déjà accordés.

(L'Assemblée renvoie cette pétition à son comité des finances.)

M. le Président annonce que M. Gex fait hommage à l'Assemblée d'une Ode sur la Révolution française.

M. Le Chapelier, rapporteur du comité de Constitution, fait lecture des articles, déjà décrétés par l'Assemblée, sur l'organisation du tribunal de cassation.

L'Assemblée approuve cette rédaction, et ordonne que le décret général sera inséré au procèsverbal et incessamment présenté à l'acceptation et sanction du roi.

Suit ledit décret général :

« L'Assemblée nationale décrète ce qui suit : Art. 1er.

« Il y aura un tribunal de cassation établi auprès du Corps législatif.

Art. 2.

« Les fonctions du tribunal de cassation seront de prononcer sur toutes les demandes en cassation contre les jugements rendus en dernier ressort, de juger les demandes de renvoi d'un tribunal à un autre pour cause de suspicion légitime, les conflits de juridiction, et les règlements de juges, les demandes de prise à partie contre un tribunal entier.

Art. 3.

<< Il annulera toutes procédures dans lesquelles les formes auront été violées, et tout jugement qui contiendra une contravention expresse au texte de la loi.

« PreviousContinue »