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n'était plus agréable ni utile. Le ministre, en conséquence de cet avis, expédia des ordres à M. Biandos, commandant de la ci-devant province d'Artois, à l'effet de se transporter à Hesdin, d'y faire entrer des troupes cantonnées depuis quelques jours autour de cette ville, et là, au milieu d'un appareil de guerre qui pût imposer, de délivrer aux hommes qui lui seraient désignés par leurs officiers des cartouches de congé sur lesquelles il aurait soin de faire insérer la clause que les hommes congédiés seraient tenus de se rendre dans leurs pays... » Le 21 cet ordre a été exécuté; trente-six hommes, dont deux adjudants, neuf maréchaux de logis et deux brigadiers furent renvoyés. Dans cet intervalle, douze officiers de la garde nationale envoyèrent à l'Assemblée un mémoire expositif des faits dénoncés au comité militaire, qui avaient déterminé le décret d'improbation contre le régiment de Champagne dont je viens de parler. M. Dubois-Crancé lut le mémoire à l'Assemblée, qui le renvoya à l'examen des trois comités réunis. Quelques sousofficiers et grenadiers du régiment Royal-Champagne envoyèrent à l'Assemblée nationale une adresse pour applaudir au renvoi de leurs camarades. Les trois quarts du détachement refusèrent de la souscrire, sans cependant exprimer un vœu contraire. Cette adresse fut renvoyée aux trois comités.

« Les sous-officiers et cavaliers renvoyés, de leur côté, dénoncèrent à l'Assemblée nationale la conduite qu'on avait tenue à leur égard; leur pétition fut jointe aux autres pièces de cette affaire. A peine eut-on appris à Hesdin la démarche des sous-officiers et cavaliers renvoyés que les premières divisions qui avaient régné dans la ville et dans le régiment de Royal-Champagne se ranimèrent. Les cavaliers qui n'avaient pas souscrit la première adresse se hâtèrent d'en faire une dans laquelle ils protestaient de l'innocence de leurs camarades. En même temps, divers mémoires de la municipalité d'Hesdin et des citoyens de cette ville vous furent envoyés; les uns accusaient les cavaliers, les autres les justifiaient. Les pièces contradictoires lues à la tribune déterminèrent l'Assemblée à rendre, le 4 septembre, un décret conçu en ces termes :

« L'Assemblée nationale décrète que le décret qu'elle a rendu le 31 du mois d'août dernier aura son exécution entière pour l'examen des moyens qui ont été employés pour l'exécution de son décret concernant le régiment de Royal-Champagne en garnison à Hesdin, en date du... En conséquence, l'Assemblée nationale décrète que son président se retirera sur-le-champ par-devers le roi pour le prier d'envoyer deux commissaires civils à Hesdin, à l'effet d'informer sur tous les faits qui ont suivi l'exécution de son décret en date du... et d'en rendre compte à l'Assemblée nationale dans le plus court délai. »

«En conséquence de ce décret, le roi nomma MM. Dubois et Coppens pour se rendre à Hesdin et y informer. Le 4 octobre ils ont adressé leur travail à l'Assemblée; ces nouvelles pièces ont été jointes aux précédentes.

« Pour juger la conduite des cavaliers du régiment de Royal-Champagne, il faudrait rechercher si, depuis le 14 jusqu'au renvoi des trentesix hommes de ce régiment, il y a eu de l'insubordination dans ce corps; car l'Assemblée nationale, par le décret du 6 août, a tiré le voile sur tous les mouvements d'insubordination précédents. Mais nous avons à examiner la manière dont le décret du 6 et surtout celui du 7 ont été exécu

tés à Hesdin; et comme l'effet de cette exécution a été de chasser trente-six hommes d'une manière violente et sans jugement préalable, et qu'il a un rapport à la conduite tenue par les chefs du corps et la municipalité antérieurement au décret, il faut reprendre cette affaire dès son origine. Avant d'entrer dans ce détail, une question préliminaire se présente à examiner. Un décret du 6 août défend d'expédier des cartouches jaunes et infamantes aux soldats, si ce n'est après une procédure instruite et en vertu d'un jugement prononcé. Le congé donné, postérieurement à ce décret, à trente-six hommes, avec des cartouches blanches à la vérité, mais dont les termes sont infamants, n'est-il pas une infraction au décret ?

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« Cette punition arbitraire prend un caractère encore plus grave lorsqu'on considère que ce sont des adjudants, des sous-officiers à la veille de monter au grade d'officiers, qui ont été traités de cette manière. La plupart avaient quinze, vingt, vingt-cinq et même trente ans de service, et n'étaient parvenus au grade qu'ils occupaient que par une suite longue et honorable de bonnes actions,

Cependant, si ces hommes étaient coupables, il était aisé de les faire juger; car si le comité militaire avait pensé que le roi pouvait renvoyer des soldats sans formalité, il n'avait pas été d'avis que le ministre pût les flétrir arbitrairement. L'avis du comité d'ailleurs n'était pas un décret. Le ministre ne doit pas consulter le comité, mais les lois. Si le roi peut congédier un soldat sans formalité, il en peut congédier dix, cent; il peut licencier la majeure partie de l'armée, l'armée tout entière. Or, vos décrets n'ont pas mis en son pouvoir le licenciement de l'armée, ni d'aucune de ses parties. Cependant, si les hommes congédiés sont des factieux, s'ils ont mérité une peine sévère, quoique leur renvoi soit inconstitutionnel, il peut mériter l'indulgence de l'Assemblée dans un instant où, le nouveau régime n'étant pas suffisamment apprécié de tous les citoyens, ils peuvent omettre quelques formalités sans intentions coupables. Cherchons donc à démêler la vérité à travers une multitude d'exposés contradictoires. Je vous observe en passant que M. Davoux, souslieutenant de Royal-Champagne, qui avait défendu l'opinion des cavaliers, s'est trouvé enveloppé dans leur disgrâce; il a été détenu dans un cachot et au secret pendant soixante jours dans la citadelle d'Arras, par lettre de cachet; il n'en est sorti qu'en vertu d'une seconde lettre de cachet, et, pendant sa détention, on l'a contraint de donner sa démission. Je ne vous soumets pas ce délit. M. Davoux se propose de demander la prise à partie contre le ministre, et je ne cite ce fait que pour prouver que les cartouches données aux cavaliers étaient des cartouches infamantes.

«Deux partis s'étaient formés dans la ville d'Hesdin, comme dans d'autres villes du royaume, sur les opérations de l'Assemblée; cette division d'opinions s'est communiquée au régiment de Royal-Champagne. Cette vérité est attestée aux commissaires du roi par M. Bussi, porte-étendard; elle échappe même à deux autres officiers. Sur la fin d'avril la garde nationale se détermina à faire un pacte fédératif.

Ce projet est accepté par les deux adjudants de Royal-Champagne et les deux principaux sousofficiers. La municipalité d'Hesdin repoussa cet acte de civisme; les officiers de Royal-Champague en font autant de leur côté. Malgré ces oppo

sitions, le pacte fédératif fut juré entre les deux corps, à la face du ciel, sur la place d'Hesdin. Le procès-verbal de ce serment vous a été lu et vons y avez applaudi; l'Assemblée a même décrété que son président en témoignerait sa satisfaction au régiment de Royal-Champagne. Le témoignage flatteur de l'Assemblée nationale fut suivi presque immédiatement de l'ordre du ministre de quitter Hesdin. Cet ordre parut à la garde nationale une punition pour ses frères confédérés, et elle s'opposa au départ; les cavaliers l'envisagèrent sous le même point de vue et envoyèrent un de leurs adjudants à Paris. Il se présenta aux trois comités réunis. Le résultat de la négociation qui eut lieu avec le ministre à cette époque fut que l'ordre du départ serait suspendu, et que les comités, de leur côté, écriraient au régiment qu'il se rendait coupable en n'obéissant pas aux ordres du roi. Depuis l'époque du pacte fédératif jusqu'au milieu de juin, il n'y eut pas le moindre mouvement dans Hesdin. Ce fut alors seulement que les cavaliers firent des réclamations pour ce qui pouvait leur être dû. Elles furent d'abord mal reçues : les chefs consentirent ensuite à entrer en compte, les soldats se relâchèrent sur plusieurs points, et ce compte fut soldé pour une somme de 5 à 6,000 francs. Le 1er août, les officiers rendirent un repas à la garde nationale et à la municipalité; il fut précédé de la promotion de M. Odille au grade de sous-lieutenant. L'Assemblée nationale venait de rendre un décret qui défendait toute promotion jusqu'à nouvel ordre; les cavaliers crurent voir dans la promotion de M. Odille une infraction à ce décret. Le régiment se rassemble sans arines le lendemain devant la porte du major, et déclare qu'il ne reconnaîtra point M. Odille, pas plus que M. Fongard, promu à la place de maréchal des logis.

« M. Point, adjudant, invoque le décret sur lequel était fondée toute la résistance du régiment, qui se sépara après cette déclaration. Le corps des officiers députe à Paris pour dénoncer cet acte de rébellion; le régiment y députe de son côté MM. Point et Chevreuil. Un décret du 7 août improuve le régiment, qui devait commencer par obéir. Deux jours avant ce décret, M. Fournez, député à l'Assemblée nationale et commandant du régiment de Royal-Champagne, écrivit aux officiers de ce corps que le décret qu'ils sollicitaient du comité militaire serait sévère. Il leur conseillait de se mettre sous la protection de la municipalité, pour être à l'abri de la fureur des cavaliers, etc... La municipalité d'Hesdin se met dans un état de défense formidable, fait braquer quatre canons devant la maison commune, fait préparer une grande quantité de cartouches, etc... La garde nationale est instruite de ces préparatifs, s'en indigne et obéit, et la municipalité calomnie jusqu'à l'obéissance de ceux dont l'opinion n'est pas la sienne; elle écrit à M. Biandos pour lui demander une troupe suffisante pour faire exécuter le décret présumé de l'Assemblée nationale.

La demande de la municipalité est accueillie par le commandant de la ci-devant province d'Artois, et il lui envoie trois cents hommes. Plusieurs temoins affirment dans l'information qu'à cette époque la tranquillité n'était pas troublée... L'information volumineuse que nous avons eue sous les yeux ne devrait nous représenter que des faits postérieurs au 14, parce que le décret du 14 avait effacé tous les faits antérieurs; cependant cette information confond tou

tes les dates. Je vais vous faire l'histoire des opérations qui ont produit l'immense volume des pièces qui nous ont été produites, et peut-être penserez-vous que nous ne devons pas nous en occuper.

«Je me résume. Il n'y a eu dans le régiment de Royal-Champagne aucune insubordination depuis le 14 août, jour de la proclamation des décrets. Les sous-officiers et cavaliers chassés ont été punis sans cause, et punis par un acte arbitraire. Des cartouches infamantes leur ont été distribuées en violation des décrets de l'Assemblée nationale. Les officiers municipaux d'Hesdin à l'instigation des officiers des régiments de M. Biandos, de M. Fournez, ont provoqué cet acte arbitraire. La municipalité qui, au désir des officiers, s'est mise en avant, a de son chef, et au risque de porter le troublé et l'incendie dans la ville, tout préparé d'avance: elle a fait venir des troupes réglées pour une exécution militaire qui ne la concernait pas, elle a provoqué un ordre pour casser et chasser de leurs corps des militaires, comme si la police d'un corps militaire avait été de son ressort; elle a disposé cette exécution, elle y a présidé; elle a, pour la consommer, fait parcourir à la maréchaussée les territoires des communes voisines, à quatre lieues de distance; le commandant de la province lui-même n'a agi qu'en sous-ordre; elle a usurpé le pouvoir militaire dans toute sa plenitude; et lorsque les honnêtes citoyens dont elle compromettait la sûreté ont osé témoigner une opinion contraire à de pareilles mesures, elle les a outrageusement inculpés.

« Cette conduite de la muncipalité est d'autant plus répréhensible que, dans tous les temps, elle a tracassé la garde nationale, soit en l'empêchant de délibérer sur les objets qui la concernaient, soit en favorisant des projets qui tendaient à la dissoudre, soit en entrant dans tous les détails de service nécessaire pour exécuter ses réquisitions. En dernier lieu elle a fait proclamer une défense aux citoyens de sortir en armes hors du service, c'est-à-dire avec leurs sabres, puisqu'ils n'ont pas de fusils. La violation des décrets est démontrée, le mépris qu'en a fait le ministre est évident, le tort qu'a occasionné ce grand délit n'est pas douteux. Les ministres sont responsables, ils le sont dans tous les temps de leur vie, et quoique M. La Tour-du-Pin ait donné sa démission, il ne doit pas moins compte à la nation de la gestion de sa place. Nous devons à la nation un grand exemple: un ministre a prévariqué; il faut que ses pareils apprennent que la responsabilité n'est pas une chose vague. Des soldats ont été chassés ignominieusement et sans cause; il faut que l'armée sache que la justice nationale est égale pour tous. Voici l'instant de démontrer que l'ancien système est en effet anéanti, que vous lui avez substitué le règne de la loi; voici l'instant de faire voir aux soldats qu'en leur accordant de correspondre avec l'Assemblée nationale Vous ne leur avez pas accordé un vain droit; qu'en leur promettant de puuir leurs officiers lorsqu'ils manqueront à la foi vous ne leur avez pas fait une vaine promesse. »

M. le rapporteur propose, en terminant, un projet de décret portant en substance que les congés délivrés aux sous-officiers et cavaliers du détachement de Royal-Champagne sont nuls et de nul effet; qu'ils toucheront leur solde jusqu'à leur replacement; que le roi sera prié de les incor

porer dans la maréchaussée, conformément à la demande qu'ils en ont faite et suivant l'ordre de leur ancienneté et de leurs grades respectifs; que l'Assemblée improuve M. La Tour-du-Pin, cidevant ministre de la guerre, et qu'elle improuve pareillement la conduite de la municipalité, en ce qu'elle a excédé les bornes de son pouvoir.

M. du Châtelet. Je déclare que je ne discuterai point la question; le rapport que vous venez d'entendre vous en a déjà lassés: mais je vous demanderai par quel étrange renversement de principes il suffit, depuis quelque temps, d'exercer une autorité quelconque, civile ou militaire, pour avoir des torts, et pourquoi les subordonnés, quelque coupables qu'ils soient, ont toujours raison lorsqu'ils résistent à l'autorité de leurs chefs... Vous avez décrété comme article constitutionnel l'égalité; et quand vous ne l'auriez pas décrétée, les décrets immuables de la nature l'avaient établie; mais ce principe_ne détruit point celui de la subordination... Personne ne respecte plus que moi la profession des armes; deux militaires du même âge, de la même valeur, sont égaux à mes yeux. Jadis les grades supérieurs n'étaient accordés qu'aux classes privilégiées; cependant il fallait avoir rendu quelques services à l'Etat. Si vous ôtez toute considération aux chefs, si vous ne les soutenez, vous détruirez la subordination... Je respecte les soldats-citoyens répandus sur toute la face du royaume pour la défense de leurs foyers; mais ce n'est pas le nombre des troupes, c'est la discipline qui fait la force des armées manœuvrières... Je demande que, conformément au principe qui constitue le roi chef suprême de l'armée, vous ne vous occupiez pas davantage de cette affaire, et que vous prononciez qu'il n'y a pas lieu à délibérer.

M. Robespierre. Des punitions ont été prononcées sans jugement; donc il y a de l'arbitraire, de l'oppression. La forme des congés délivrés aux cavaliers de Royal-Champagne est illégale ; elle eût été considérée comme telle, même sous l'ancien régime. Les congés devaient dégager purement et simplement les soldats de leur service, et contenir témoignage de bonne conduite et bons services. Au contraire, les congés dont il est ici question intimaient aux soldats l'ordre d'aller chez eux. Ce sont très réellement des lettres d'exil; c'est une flétrissure terrible, arbitraire. Il est impossible que cet acte d'oppression vous soit dénoncé, et que vous ne prononciez pas la restitution de leur état à des soldats qui en ont été arbitrairement dépouillés. Il n'y a aucune déposition précise, aucune accusation contre eux; l'information ne contient aucun fait qui indique l'insubordination. Vous voyez, au contraire, que le prétexte d'insubordination a été l'un des moyens qu'on a employés pour expulser du corps les soldats les plus patriotes, les plus amis de la Constitution. Quelques mesures qu'on ait prises pour les provoquer, soit par un système combiné d'oppressions, soit par l'intermédiaire de quelques-uns de leurs camarades, ils ont constamment persisté dans la subordination, dans la fidélité à la loi. Ne pouvant réussir par les moyens que je viens d'indiquer, on a recours au despostime ministériel. Vous ne pouvez vous empêcher de rendre justice à ceux qui en ont été les victimes...

Quant à la municipalité, vous avez vu qu'elle s'est mise à la tête du parti antirévolutionnaire, qu'elle a provoqué les actes abitraires exercés

contre les cavaliers, qu'elle a usurpé le pouvoir militaire, et vous devez l'improuver... La garde nationale d'Hesdin est réduite aujourd'hui à un tel point d'avilissement qu'elle n'obéit plus à ses chefs, qu'elle est l'esclave du maire,qui s'est mis à sa tête, qui a réuni à ces fonctions celle de commandant de la garde nationale, pour protéger le parti contre-révolutionnaire. Vous devez un grand exemple de justice à l'armée; j'appuie le projet de décret de vos comités.

M. d'Estourmel. Ce projet de décret contient deux dispositions dont l'une tend à improuver la conduite du ministre et l'autre la municipalité. Vous vous rappelez que c'est en vertu du décret du 7 août que deux commissaires du roi furent envoyés sur les lieux; or, à coup sûr, on ne peut trop s'en rapporter à ces deux citoyens connus par leur patriotisme, puisque tous les deux ont été nommés présidents de leur départements. Je demande, par amendement, d'improuver votre comité militaire.

M. de Noailles. J'appuie la motion.

M. d'Estourmel. Au reste, ces improbations ne signifient rien ce qu'il importe à l'Assemblée, c'est de rendre justice à qu'il appartient; mais pour ce, il faut que des hommes prévenus soient jugés. Comment peut-il donc arriver que l'on vous propose de faire entrer les soldats du régiment de Champagne dans la maréchaussée avant de s'être innocentés. Il faut donc un conseil de guerre qui condamne les coupables, soit les soldats, soit les officiers.

Quant à la municipalité, je demande qu'il soit sursi jusqu'au jugement de la cour martiale.

M. de Murinais. Le rapporteur a inculpé les commissaires envoyés à Hesdin; il vous a dit qu'ils avaient effrayé les soldats, qu'ils n'avaient pas reçu les dépositions qui leur étaient favorables ou qui inculpaient les officiers. Eh bien ! ces commissaires sont d'excellents citoyens, puisqu'ils ont été nommés présidents de deux corps administratifs... On vous propose de rendre justice aux soldats, de les faire replacer dans la maréchaussée. Si l'Assemblée se mêle de juger les délits militaires, elle donnera à l'armée une forme monstrueuse d'où il résultera la dissolution de la monarchie. Je demande que les cavaliers de Royal-Champagne soient jugés par une cour martiale.

M. de Noailles. Lorsque vous avez agité la question de savoir s'il était utile de déclarer à l'Europe entière que les agents du pouvoir exécutif 'avaient plus la confiance de la nation, j'ai été un de ceux qui ont voté avec le plus de zèle, dans vos comités ou dans le corps constituant, en faveur de cette disposition. Aujourd'hui qu'un de ces mêmes agents, éloigné des fonctions ministérielles, est inculpé dans cette Assemblée sans preuves suffisantes pour établir une dénonciation et jugé sans avoir été entendu, je croirais manquer à un devoir sacré si je différais de prendre sa défense.

Vos comités réunis vous présentent un décret qui renferme trois dispositions: la première improuve la conduite de M. La Tour-du-Pin, cidevant ministre de la guerre; la seconde improuve la municipalité d'Hesdin; la troisième ordonne au président de se retirer par-devers le roi pour le prier de destiner les premières places de la

maréchaussée aux soldats, envoyés du régiment Royal-Champagne. On vous a dénoncé une trame odieuse contre quelques sous-officiers, cavaliers de Royal-Champagne, pour écarter de leur corps des défenseurs ardents de la patrie et de la liberté. L'on vous a dit que des cartouches infamantes avaient été délivrées à des hommes qui ne les méritaient pas; que des lettres de cachet avaient été prodiguées au mépris des décrets de l'Assemblée nationale; enfin que des manœuvres secrètes et condamnables, répétées, avaient été dirigées contre l'intérêt général. Ne nous laissons pas aller à croire à des inculpations certaines, ne cherchons pas des coupables où les faits n'en présentent pas évidemment à nos yeux. Rappelons-nous, s'il se peut, que trop de précipitation nous a fait donner à la municipalité de Nancy des éloges que nous avons été obligés de lui retirer après un mûr examen, et tremblons toutes les fois qu'au milieu des passions qui nous agitent, et qui sont inséparables d'une grande révolution, nous sommes forcés de juger avec rigueur et de compromettre la sûreté ou l'honneur de nos concitoyens.

Au milieu des déclamations contre M. La Tourdu-Pin, je n'ai pas vu qu'il ait été interpellé, qu'il lui ait été permis d'expliquer les motifs de sa conduite ou de la justifier. Eh bien! je ne crains point de révéler et d'affirmer que M. La Tour-du-Pin n'a rien fait dans l'affaire d'Hesdin sans avoir consulté le comité militaire et sans son aveu. Dès lors, vous ne pouvez improuver le ministre sans que cette disposition porte aussi sur votre comité. On nous parle de cartouches infamantes distribuées aux sous-officiers et cavaliers de Royal-Champagne; je déclare qu'il n'en existe pas, que les ordonnances n'exigent point que Pon' mette dans les cartouches autre chose que le nombre des années de services. J'en appelle aux militaires qui m'entendent.

Le seul acte contraire à la loi qu'on puisse reprocher aux agents du pouvoir exécutif est celui qui, méconnaissant les droits de l'homme, prive chacun des sous-officiers du régiment dé Royal-Champagne de se retirer où bon leur semble et leur assigne un lieu fixe pour domicile. J'ignore si cet ordre arbitraire, injuste, appartient à M. La Tour-du-Pin; rien ne le démontre dans le rapport: mais en le blåmant je pense que celui qui l'a dicté ne doit pas être condamné sans avoir été préalablement entendu. Les torts de la municipalité ne me sont pas assez démontrés pour la charger de l'improbation de l'Assemblée. Le véritable moyen de laisser à cette disposition suivre toute sa force est de ne jamais en user que dans les cas extrêmement graves et vraiment indispensables.

Je ne puis dissimuler mon étonnement sur la disposition du décret du comité qui concerne les soldats de Royal-Champagne. Coupables, ils doivent être jugés et punis; innocents, ils doivent être réintégrés dans leurs droits et rappelés à leurs fonctions.

On nous menace des troubles que pourrait exciter cette mesure dans le régiment de RoyalChampagne. Eh quoi! des hommes dont la conduite ne mériterait aucun blâme seraient repoussés par un corps qui ne connaît d'autres lois que celles de l'honneur et d'autres principes que la justice. Non, vous n'aurez point ce reproche à faire au régiment de Royal-Champagne; il convient aux soldats que leur innocence soit prouvée, que leur civisme soit connu, et qu'ils servent encore la patrie sous leurs étendards; il leur con

vient de se présenter à une cour martiale pour y être jugés, et, s'ils ne trouvaient pas d'avocats pour plaider en leur faveur, je me présenterais pour les défendre.

Les soldats de Royal-Champagne, soupçonnés même injustement, ne peuvent être admis dans la maréchaussée; ce corps respectable ne pourrait les recevoir sans qu'ils fussent justifiés d'une manière éclatante des torts qu'on leur a imputés et auxquels je suis loin d'ajouter foi. Ces observations rapides m'invitent à vous demander la question préalable sur le décret de vos comités et à vous proposer les dispositions suivantes :

« Sur le rapport qui a été fait à l'Assemblée nationale par ses comités réunis, l'Assemblée nationale décrète que son président se retirera pardevers le roi pour qu'il soit formé une cour martiale à l'effet de juger les faits postérieurs à la proclamation du 14 août contre les sous-officiers et soldats du régiment de Royal-Champagne, et sur la validité des cartouches qui leur ont été distribuées; qu'en attendant les mêmes sous-officiers et soldats jouiront de leurs solde et appointements. (Une grande partie de l'Assemblée applaudit.)

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M. Dubois-Crancé. Vos comités ont eu principalement en vue de conserver la paix au régiment de Royal-Champagne. L'Assemblée ne doit point donner d'effet rétroactif à son décret du 7 août. Les commissaires qu'elles a envoyés à Hesdin n'étaient chargés que de veiller à l'exécution de ce décret; si, au moment de sa proclamation, les soldats sont rentrés dans la subordination dont on les accuse d'être sortis, tout est fini; il ne faut plus de jugement: il ne s'agit que d'annuler les congés injustement et arbitrairement délivrés. Je demande donc que l'on se réduise à vérifier si le décret du 7 août a été exécuté de la part des cavaliers; ce n'est que dans le cas où on les accuserait de ne s'y être pas soumis qu'ils devraient être traduits devant une cour martiale.

M. Gourdan. Si l'Assemblée ordonne un jugement, elle suppose que le ministre a puni sans jugement, que par conséquent il a prévariqué: elle ne peut donc instituer un tribunal pour les soldats sans en instituer un pour le ministre.

M. de Murinais. Je demande que le roi soit supplié (Il s'élève des murmures), que Sa Majesté soit suppliée (Les murmures redoublent), que le roi soit prié de donner des ordres pour la formation d'une cour martiale.

M. de Crillon le jeune. Si les soldats sont coupables, vous ne devez point improuver le ministre ni la municipalité; vous feriez une disposition anticipée si vous prononciez ces improbations avant d'avoir fait juger les soldats.

M. Chabroud. Le projet de décret de M. de

Noailles répond très bien, quant au fond, aux différentes observations qui sont faites; mais il ne prononce point sur un autre objet très délicat. Le ministre a fait punir des militaires sans jugement légal; que les soldats soient coupables ou non, il faut écarter l'arbitraire. Je demande que les congés arbitrairement délivrés soient annulés, que les soldats soient rétablis dans leur état, et que, s'ils sont accusés, ils soient jugés.

M. Dubois-Crancé. Ce n'est pas le ministre qui a donné les congés, puisqu'il faut tout dire et qu'on m'y force; il les a envoyés en blanc et ce sont les officiers qui les ont délivrés à ceux des soldats qui leur déplaisaient, même après le rapport des commissaires, où nul d'eux n'est chargé. Les officiers ont du reste déclaré que, si l'on faisait rentrer dans le corps les cavaliers congédiés, ils donneraient leur démission. Voilà une insubordination qu'il faut punir.

M. Sallé de Choux. Les commissaires envoyés à Hesdin ont fait une information de deux cents témoins. Cette information ne contient aucune accusation d'insubordination contre le détachement de Royal-Champagne.

M. Boutteville-Dumetz. Le projet de décret de M. de Noailles, tendant à faire juger les cavaliers par une cour martiale, est bon; mais il ne suffit pas. D'abord, le ministre est coupable d'avoir puni arbitrairement, puisqu'il reste encore à juger; 2° on ne peut ordonner la formation d'une cour martiale avant qu'il y ait une accusation précisément intentée ; 3° il faut faire juger les officiers qui, sur des motifs ignorés, ont fait congédier leurs soldats, etc.; 4° il faut improuver la municipalité qui a outrépassé ses pouvoirs.

(Il présente un projet de décret dans ce sens.) L'Assemblée, délibérant sur le projet de décret de M. Dumetz, déclare qu'il n'y a pas lieu à délibérer, quant à présent, sur les dispositions tendant à improuver le ministre et la municipalité et décrète ce que suit:

« L'Assemblée nationale, après avoir entendu le rapport de ses comités réunis, militaire, des rapports et des recherches, sur les événements arrivés à Hesdin dans le courant d'août dernier,

« Déclare nuls et non-avenus les cartouches délivrés aux cavaliers, sous-officiers du régiment de Royal-Champagne; décrète en consé. quence qu'il leur en sera délivré de nouveaux, sauf à faire le procès suivant les lois aux cavaliers et aux officiers devant une cour martiale, s'il y a contre eux quelques accusations pour des faits postérieurs à la proclamation des décrets des 6 et 7 août; ordonne que, provisoirement, les cavaliers congédiés recevront leur solde depuis leur absence du corps, jusqu'à ce qu'ils aient été jugés, ou, à défaut d'accusation, jusqu'à ce qu'ils soient replacés.

M. le Président donne lecture d'une lettre de M. Duportail, ministre de la guerre, qui rend compte des plaintes des administrateurs du département du Nord, relativement aux excès commis par quelques soldats licenciés de l'armée patriotique des Pays-bas autrichiens, qui vont même jusqu'à exiger des habitants des rançons à main armée.

(L'Assemblée nationale ordonne le renvoi de cette adresse aux comités militaire et des rapports, réunis.)

M. le Président lève la séance à dix heures et demie.

ANNEXE

A LA SÉANCE DE L'ASSEMBLÉE NATIONALE DU 11 DÉCEMBRE 1790.

INSTRUCTION PASTORALE

De son Altesse Eminentissime Monseigneur le Cardinal de Rohan, prince-évêque de Strasbourg.

Louis-René-Edouard de Rohan, par la grâce de Dieu et l'autorité du Saint-Siège apostolique, cardinal de la sainte Eglise romaine, prince-évêque de Strasbourg, Landgrave d'Alsace, prince-état du Saint-Empire, proviseur de la Sorbonne, etc... Au clergé séculier et régulier et à tous les fidèles de notre diocèse, salut et bénédiction en notre Seigneur.

Il est consolant pour la religion, mes très chers frères, que déjà plusieurs évêques, dignes des premiers siècles de l'Eglise, se soient élevés contre des nouveautés que l'apôtre condamne (1), et qui portent la désolation dans le sanctuaire. Ces pasteurs, quoique dépouillés, poursuivis et persécutés, conservent néanmoins, au milieu des outrages, cette dignité modeste, qui convient si bien aux ministres de Jésus-Christ, et n'opposent aux vexations sourdes, que la patience et le courage de l'Evangile. Nous gémissons avec eux; élevons la voix comme eux.

Ne touchons-nous point, mes très chers frères, à ces temps dangereux prédits par l'apôtre (2), où des hommes plein d'amour-propre, ennemis de la paix, enflés d'orgueil, plus amateurs de la volupté que de Dieu, corrompus dans l'esprit et pervertis dans la foi, travailleront, de concert, pour miner le trône et l'autel? Du moins avonsnous lieu de le craindre, en voyant les secousses données à la monarchie la plus brillante qui fût jamais, et les dangers de la religion dans le plus beau royaume, qui s'est toujours fait gloire de porter le nom de très chrétien.

Le citoyen gémit sur les ruines de sa patrie, et le chrétien craint pour sa foi. Tous les liens de la subordination sont brisés. L'Eglise gallicane, cet antique édifice, fondé par les premiers successeurs des apôtres, arrosé du sang des martyrs, illustré par les lumières des plus grands docteurs, s'écroule sous nos yeux (3). La hiérarchie de l'Eglise est renversée; un schisme funeste peut en être la malheureuse suite. A la morale de l'Evangile on semble vouloir substituer les conseils et les préceptes d'une fausse sagesse.

Dans ces jours de troubles et de peine, vous demandez de nous des paroles de force et de consolation. Nous vous parlerons et malheur à nous, si la frayeur étouffait notre voix, au mo

(1) Devitans profanas vocum novitates. I. Tim., 6. 20. (2) Erunt homines se ipsos amantes..... sine pace.. tumidi, et voluptatum amatores magis, quam Dei.... homines corrupti mente, roprobi circa fidem. II. Tim., 3. (3) Les archevêchés de Vienne et d'Arles sont supprimés. Il ne reste pas un seul des évêchés suffragants de cette dernière Eglise si antique et si vénérable, qui fut le berceau du christianisme dans les Gaules, et qui compte dans ses annales un des premiers conciles de l'Eglise.

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