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Art. 20.

Dans le cas où la procédure aura été cassée, elle sera recommencée, à partir du premier acte où les formes n'auront pas été observées; l'affaire sera plaidée de nouveau dans son entier, et il pourra encore y avoir lieu à la demande en cassation contre le second jugement.

Art. 21.

« Dans les cas où le jugement seul aura été cassé, l'affaire sera aussitôt portée à l'audience dans le tribunal ordinaire qui avait d'abord connu en dernier ressort; elle y sera plaidée sur les moyens de droit, sans aucune forme de procédure, et sans que les parties ou leurs défenseurs puissent plaider sur le point réglé par un premier jugement; et si le nouveau jugement est conforme à celui qui a été cassé, il pourra encore y avoir lieu à la demande en cassation.

"Mais lorsque le jugement aura été cassé deux fois, et qu'un troisième tribunal aura jugé en dernier ressort de la même manière que les deux premiers, la question ne pourra plus être agitée au tribunal de cassation, qu'elle n'ait été soumise au Corps législatif, qui, en ce cas, portera un décret déclaratoire de la loi; et lorsque ce décret aura été sanctionné par le roi, le tribunal de cassation s'y conformera dans son jugement.

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« Si le commissaire du roi, auprès du tribunal de cassation, apprend qu'il ait été rendu un jugement en dernier ressort directement contraire aux lois ou aux formes de procéder, et contre lequel cependant aucune des parties n'aurait réclamé dans le délai fixé, après ce délai expiré il en donnera connaissance au tribunal de cassation; et s'il est prouvé que les formes ou les lois ont été violées, le jugement sera cassé, sans que les parties puissent s'en prévaloir pour éluder les dispositions de ce jugement, lequel vaudra transaction pour elles.

Art. 26.

Un greffier sera établi auprès du tribunal de cassation; il sera âgé de vingt-cinq ans au moins. Les membres du tribunal le nommeront au scrutin et à la majorité absolue des voix. Le greffier choisira des commis qui feront le service auprès des deux sections, quí prêteront serment, et dont il sera civilement responsable. Le greffier ne sera révocable que pour prévarication jugée.

Art. 27.

< Chacune des sections se nommera un président tous les six mois : celui qui l'aura été pourra être réélu. Lorsque les sections seront réunies, elles seront présidées par le plus ancien d'âge des deux présidents. Les autres membres du tribunal se placeront sans distinction et sans aucune préséance entre eux.

Art. 28.

<< Provisoirement et jusqu'à ce qu'il ait été autrement statué, le règlement qui fixait la forme de procéder au conseil des parties sera exécuté au tribunal de cassation, à l'exception des points auxquels il est dérogé par le présent décret.

Art. 29.

« L'installation du tribunal de cassation sera faite à chaque renouvellement par deux commissaires du Corps législatif, et deux commissaires du roi, qui recevront le serment individuel de tous les membres du tribunal, d'être fidèles à la nation, à la loi et au roi, et de remplir avec exactitude les fonctions qui leur sont confiées. Ce serment sera lu par l'un des commissaires du Corps législatif, et chacun des membres du tribunal de cassation, debout dans le parquet, prononcera Je le jure.

Art. 30.

« Le conseil des parties est supprimé, et il ces sera ses fonctions le jour que le tribunal de cassation aura été installé.

Art. 31.

« L'office de chancelier de France est supprimé. »

Forme de l'élection du tribunal de cassation.

Art. 1er.

« Les membres du tribunal de cassation ne seront élus que pour quatre ans; iis pourront être réélus. Tous les quatre ans on procédera à l'élection du tribunal de cassation en entier.

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Les départements de France concourront successivement par moitié à l'élection des membres du tribunal de cassation.

Art. 3.

Pour la première élection, on tirera au sort dans une des séances de l'Assemblée nationale, les quarante-deux départements qui devront élire chacun d'eux un sujet pour remplir une place dans le tribunal. A la seconde élection, les quarante-un autres départements exerceront leur droit d'élire, et ainsi successivement.

Art. 4.

"Huit jours après la publication du présent décret, les électeurs de chacun des départements qui auront été désignés par le sort pour nommer cette fois les membres du tribunal de cassation, se rassembleront, et éliront le sujet qu'ils croiront le plus propre à remplir une place dans ce tribunal.

Art. 5.

L'élection ne pourra être faite qu'à la majorité absolue des suffrages. Si les deux premiers

scrutins ne produisent pas cette majorité, au troisième scrutin les électeurs ne voteront que sur les deux sujets qui auront réuni le plus de voix au second; et en cas d'égalité de suffrages, le plus ancien d'âge sera élu.

Art. 6.

« Pour être éligible lors des trois premières élections, il faudra avoir trente ans accomplis, et avoir, pendant dix ans, exercé les fonctions de juge dans une cour supérieure ou présidial, sénéchaussée ou bailliage, ou avoir rempli les fonctions d'homme de loi pendant le même temps, sans qu'on puisse comprendre au nombre des éligibles les juges non gradués des tribunaux d'exception. Lors des élections suivantes, il faudra, pour être éligible, avoir exercé pendant dix ans les fonctions de juge ou d'homme de loi dans un tribunal de district, l'Assemblée nationale se réservant de déterminer, par la suite, les autres qualités qui pourront rendre éligible.

Art. 7.

« Les électeurs de chacun des départements qui nommeront les membres du tribunal de cassation, éliront en même temps, au scrutin et à la majorité absolue, un suppléant ayant les qualités ci-dessus fixées pour être éligible, lequel sera appelé, et remplacera le sujet élu par le même département que lui. Lorsque la place viendra à vaquer à l'époque du renouvellement de quatre ans en quatre ans, quelque peu de durée qu'ait eu l'exercice des suppléants, ils cesseront leurs fonctions comme l'eussent fait les juges qu'ils auront remplacés, et, comme eux, ils pourront être réélus.

Art. 8.

« Le président de l'Assemblée nationale présentera dans le jour le présent décret à l'acceptation du roi ».

M. le Président. J'ai reçu de M. Lambert, contrôleur général des finances, une lettre par laquelle il informe l'Assemblée nationale des obstacles et des retards qu'éprouve la perception des impôts. Je vais en donner lecture (1):

Paris, le 26 novembre 1790.

« Monsieur le Président, une voix s'est élevée dans l'Assemblée nationale du 5 novembre dernier, pour demander que je fisse connaître les efforts que j'avais faits pour procurer le payement des impôts. Toute inquiétude sur un objet capable de compromettre le salut de l'Etat, même légèrement conçue, porte avec elle, par son motif, sa justification, et interpelle un administrateur irréprochable. L'opinant qui a manifesté ses craintes sur mon exactitude et mon activité pour le maintien, le rétablissement, l'accélération des perception, les a vu languissantes ou interrompues dans beaucoup d'endroits. Un zèle ardent pour une partie aussi essentielle de l'ordre public, la conviction de la loyauté et du patriotisme de la majeure partie des Français redevables des contributions publiques, ces deux sentiments s'éclairant et s'entr'échauffant réciproquement en lui à la vue de l'affaiblissement énorme des rentrées publiques, lui ont inspiré plus que des soupçons et presque une indignation irrésistible contre les percepteurs, contre le ministre chargé de la surveillance générale: négligence, insouciance, peut

(1) Cette lettre n'a pas été insérée au Moniteur.

être mauvaise volonté intérieure, il a cru ces caractères presque évidemment imprimés sur leur conduite. Le royaume tout entier aurait pu, Monsieur le Président, faire parvenir à l'Assemblée, de toutes ses parties, des témoignages tout opposés il n'y existe aucun corps administratif qui n'ait été témoin des actes incroyables de fermeté, de persévérance, de zèle, d'un grand nombre de percepteurs; qui n'ait eu à s'entremettre, et souvent avec peu de succès, pour leur procurer sûreté de leurs personnes et liberté de leurs exercices. Des lettres multipliées, non seulement de percepteurs, mais de directoires de départements, m'ont attesté l'insuffisance de leurs moyens, le peu d'effet de leur influence, l'opiniâtreté des résistances, la connivence de plusieurs municipalités composées souvent des contribuables fraudeurs, la faiblesse et quelquefois la mauvaise volonté déterminée de gardes nationales.

Je suis en état, Monsieur le Président, si l'Assemblée le désirait, de lui articuler des faits sans nombre qui prouvent la réalité de ces causes irrésistibles de l'altération des revenus publics, causes qui ne sont pas les seules, et qui trouvent non pas leur excuse, mais au moins l'explication d'une grande partie de ce qu'elles ont d'étonnant, dans l'excessive misère d'une infinité de contribuables, qui m'est attestée par un si grand nombre de lettres, que l'Assemblée ne pourrait entendre, sans en être émue, cette affligeante consonance d'annonces gémissantes qui me parviennent de toutes les parties du royaume. C'est à présent, Monsieur le Président, sur ma surveillance seule que votre zèle peut encore s'alarmer. Que ne puis-je remettre sur le bureau de l'Assemblée l'énorme collection de toute ma correspondance, depuis que le désordre des perceptions en exige une qui ne fut jamais, jusqu'à présent, l'occupation du ministre des finances ! Vous seriez étonné qu'il ait été possible qu'elle fut aussi continuellement, aussi universellement, aussi infatigablement en activité, en lutte, contre tous les obstacles généraux et particuliers: vous y trouveriez l'insistance la plus continuelle et la plus ferme sur l'autorité des décrets de l'Assemblée nationale sanctiornés par le roi; vous y trouveriez l'énergie de tous les genres possibles de représentations, d'invitations, de reproches, d'annonces de la responsabilité encourue d'après quelques-uns des décrets, d'éloges, d'encouragements, donnés avec attention aux actes qui en ont pu mériter.

Le nombre de mes lettres écrites dans cet esprit à tous les corps administratifs du royaume, est au-dessus de tout ce qu'on croirait peut être avoir à supposer. Je me contenterai de vous dire, Monsieur le Président, que je me suis fait représenter celles de ces lettres seulement que j'ai écrites depuis la formation des directoires de départements, presque toutes à ces directoires, et que quoique toutes n'aient pas pu être encore recueillies de mes différents bureaux où elles sont réunies avec beaucoup d'autres objets de correspondances, j'ai actuellement sous les yeux une collection de mes lettres, au nombre de trois cent cinquante-huit, sans compter cinq lettres circulaires aux quatre-vingt-trois départements, toutes sur le seul point du maintien ou du rétablissement des impositions. Le seul département de la Somme où les perceptions sont plus persévéramment compromíses que dans beaucoup d'autres départements, a reçu de moi vingt-neuf lettres sur cet objet. Il me serait très aisé ou de communiquer, ou de rendre publiques ces lettres; et chaque partie

du royaume qui connaît déjà, par sa propre administration, quel est le zèle et l'activité que l'amour de mon devoir, plus que la satisfaction fréquente du succès, m'a inspirés sans aucun relâchement, aura la preuve de l'universalité de ce même zèle, également actif sur toutes les autres parties de ce vaste Empire. Au surplus, l'Assemblée nationale et son comité des finances ont déjà connaissance, par un nombre assez considérable de lettres que je leur ai écrites, d'une partie des faits les plus importants, à l'occasion desquels, en leur faisant connaître les soins que j'avais pris pour le retour de l'ordre, j'ai mis l'Assemblée à portée de reconnaître les causes et l'étendue des obstacles, et en même temps de déterminer et de mettre entre mes mains des moyens efficaces de les surmon

ter.

Je ne dirai pas cependant que tous mes efforts aient été infructueux je rends avec plaisir hommage au zèle et au concours loyal et patriotique de la plupart des directoires de départements; et plus d'un de ces directoires m'a procuré de temps en temps la satisfaction de voir des résistances surmontées ou cessées, et des perceptions rétablies, même après de longues interruptions.

Je crois, Monsieur le Président, vous avoir rendu le compte qu'un des membres de l'Assemblée a désiré de moi; j'aurai évité de le rendre, pour ne pas affliger l'Assemblée de récits pénibles, que je sais lui être quelquefois désagréables, et qui au fond sont moins essentiels à mettre sous ses yeux, que les moyens de faire cesser les désordres qui tarissent le Trésor public. Ces moyens résulteront sans doute de l'établissement entier d'une organisation générale, du retour de la subordination des peuples et de l'autorité des lois, du renouvellement des forces publiques. C'est au relâchement de ces ressorts, en même temps qu'aux fléaux physiques, que tient le dépérissement des revenus publics. Il ne peuvent se rétablir ni se conserver, que lorsque l'Assemblée aura pourvu à la première de ces deux causes de nos maux, par la sagesse de ses décrets; à la seconde, par les secours de sa bienfaisance. Mon zèle ne cessera jamais de seconder ses efforts, de seconder toutes les ressources dont j'apercevrai des germes, de mettre et de tenir sans relâche en activité tous les moyens dans lesquels je trouverai quelque principe d'énergie. Je dois et j'ai voué à la chose publique, au salut de ma patrie, aux devoirs de ma place, un zèle, un travail, une persévérance infatiguables. Ma conscience, mon véritable juge, et j'ose dire le royaume entier, seront les témoins et les garants de ma fidélité à ces engagements.

Je suis avec respect, Monsieur le Président, votre très humble et très obéissant serviteur. Signé LAMBERT.

:

M. d'Ailly, membre du comité des finances. Je dois garantir l'Assemblée des fausses alarmes qu'elle pourrait prendre, en l'avertissant que le zèle des administrateurs a, en grande partie, rétabli l'ordre, et qu'il a été perçu dans le mois d'octobre dernier 3 millions de plus que dans le mois précédent.

Un membre annonce qu'il s'est élevé dans plusieurs tribunaux de district des difficultés de la part des suppléants relativement aux fonctions qu'ils croient leur être attribuées pendant l'absence des juges qui, étant membres de l'Assemblée nationale, n'ont pu être installés. Des prétentions de diverses sortes sont en outre manifestées, soit

par les juges, soit par les suppléants et ce désordre est préjudiciable à la chose publique. L'orateur demande que l'Assemblée porte un décret à cet égard.

(L'Assemblée charge son comité de Constitution de prendre connaissance de ces objets et de lui présenter incessamment un projet de décret.)

M. le Président. L'ordre du jour est un rapport des comités de Constitution et de jurisprudence criminelle, concernant la loi sur la police de sûreté, la justice criminelle et l'institution des jurés (1).

M. Adrien Duport, rapporteur (2). Messieurs, vous avez décrété l'établissement des jurés en matière criminelle.

Dès les premiers moments de leur travail sur cet objet important, vos comités de Constitution et de jurisprudence criminelle réunis ont senti que cette institution nouvelle ne pouvait s'accorder en rien avec nos ordonnances et notre forme actuelle d'instruction; il leur a paru nécessaire de tout refondre pour pouvoir former un système complet où tout fût d'accord, et renfermer dans une seule et unique loi tout ce qui concerne l'administration de la justice criminelle; c'est ce travail qu'ils ont l'honneur de vous soumettre en ce moment.

Il est inutile de recommencer ici l'éloge d'une institution que vous avez adoptée, mais tant que l'expérience n'aura pas rendus évidents et sensibles les avantages qu'elle renferme, il faut beaucoup de méditation et d'étude pour pouvoir les apprécier avec justesse. Ce n'est que par de grands efforts que l'on parvient à réaliser dans la pensée un ordre de choses qui n'existe pas, et si l'on vient à juger ce travail, avec les premiers aperçus de l'esprit, borné à des résultats extérieurs et superficiels, l'on ne peut jamais apercevoir le tissu solide et caché qui en unit fortement toutes les parties. Aussi nous osons croire que l'on examinera avec attention notre travail avant de prononcer.

Ce n'est pas le juré des anglais que nous vous proposons d'adopter, Messieurs; nous avions devant nous le grand livre de la nature et de la raison: c'est là que nous avons cherché nos principes; et nos yeux accoutumés à y lire depuis près de deux ans, nous ont permis peut-être de le consulter encore avec fruit dans cette occa

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La loi que l'on présente ici est le fruit d'un long travail. Le rapport qui la précède a pour objet d'en retracer en peu de mots les bases, ainsi que les questions principales qu'elle présente; savoir: la division générale en police et justice, la formation et l'organisation de ces deux institutions, le système d'accusation, la nature des preuves, les moyens d'assurer la liberté individuelle, enfin la composition des deux jurés. Ces objets mêmes sont traités avec la rapidité que nous commandent la multiplicité de nos travaux et la juste impatience de les voir bientôt se terminer. On a tâché partout d'énoncer le principe et de laisser à découvert la chaîne des idées. Si cette méthode est la moins attrayante et la plus sèche, elle est au moins la plus sûre; le lecteur peut se sentir fatigué de cette marche, mais il arrive au but, et ses dégoûts pendant la route tombent souvent sur l'auteur et rarement sur le sujet. Cet inconvénient est léger, sans doute, et quiconque y serait sensible, prouverait qu'il a moins de patriotisme que de vanité.

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sion. Nous n'avons pas néanmoins négligé de nous aider de l'expérience d'un peuple libre et éclairé; elle nous a beaucoup servi: et dans les points importants, nous nous ferons un devoir de rapprocher l'institution anglaise de la nôtre, afin de vous mettre dans le cas de prononcer avec plus de connaissance sur notre ouvrage. Qu'il nous soit permis d'abord de présenter quelques vues générales sur l'objet même de ce travail.

Le but immédiat de l'établissement qui nous occupe, est la recherche et la punition de ceux qui troublent l'ordre public, qui attaquent la liberté publique ou individuelle; il est donc nécessaire de s'être formé d'avance une idée juste et saine de ce qui constitue vraiment l'ordre public dans une société. Il faut définir et assurer la signification précise de ce mot, dont on a tant abusé, l'ordre public; il faut arracher pour toujours au despotisme et à ses agents cette bannière, autour de laquelle ils ont essayé un moment de rallier leurs forces expirantes pour écraser les amis de la liberté; c'est à ceux-ci qu'elle appartient qu'ils la reprennent, eux seuls pourront l'honorer, eux seuls sauront la défendre.

De tout temps il s'est trouvé de ces hommes qui n'aiment dans l'autorité que l'autorité même, qui s'y attachent par le plaisir ou l'espérance de l'exercer, qui se font le centre de toutes les relations sociales et ne voient autour d'eux que des devoirs à leur rendre, pourquoi le peuple a toujours tort, et les agents de l'autorité toujours raison. De tels hommes se sont unis aux despotes pour appeler l'ordre public une tranquille servitude, une patience honteuse de l'injustice et de l'oppression. Ce n'est pas là, Messieurs, votre doctrine, ni la nôtre.

Le véritable, le légitime, le seul fondement de l'ordre public est la justice.

Nul homme ne peut être obligé que par la convention qu'il a souscrite, ou par la justice qui est la base de toutes les conventions (1); s'il en existe une seule dans laquelle on n'ait écouté ni ma volonté ni mon intérêt, elle est nulle à mon égard; et si l'on emploie la force pour me contraindre à y obéir, cette force, étant illégitime, n'est plus qu'une oppression je puis, je dois y résister. Les peines dont on menacerait ma désobéissance seraient également injustes; car les peines sont des moyens de force employés pour contraindre à l'observation de la justice, qui la supposent toujours et ne la suppléent jamais.

Maintenant, si les lois, qui ne sont que des transactions de plusieurs hommes entre eux, au lieu d'assurer à chacun les droits sacrés qu'il tient de la nature, et pour la garantie desquels il existe en société, au lieu d'être dirigées vers l'intérêt général des associés, n'ont pour but que de satisfaire l'intérêt de quelques individus; si elles n'existent, ne veillent, ue s'inquiètent, ne s'arment que pour une certaine classe d'hommes, et qu'elles négligent tous les autres, n'attendez d'obéissance de ceux-ci que jusqu'au moment

(1) C'est la combinaison de ces deux choses qui forme une Constitution vraiment libre. L'on peut ici remar quer en passant l'excellence du gouvernement représentatif sur tous les autres. Dans un gouvernement immédiat et purement populaire, la base de la loi est la volonté réelle des citoyens; cette volonté peut être et est souvent erronée et injuste. Dans un gouvernement représentatif, au contraire, c'est moins la volonté réelle des citoyens que leur volonté présumée, qui est la base des décrets de leurs représentants. Or la volonté présumée d'un peuple est toujours la justice.

où, éclairés sur leurs droits, ils se lèveront, et regardant autour d'eux, ils verront partout ces droits écrits de la main de la nature: ils les verront surtout dans la faiblesse de ceux qui les oppriment. Alors devenus terribles par cette légitime et respectable alliance de la justice et de la force, aussitôt qu'ils ne voudront plus être esclaves, ils auront déjà cessé de l'être.

Ainsi s'est opérée sous nos yeux cette glorieuse et sublime Révolution qui, en éclairant les autres peuples sur leurs droits, leur servira un jour de modèle, et d'effroi à leurs oppresseurs. Elle a détruit cette anarchie sourde, ce désordre réel du despotisme, pour y substituer l'ordre véritable, celui qui est fondé sur la justice et l'égalité des droits.

Qu'ils cessent de dire, ces hommes sans principes, que le succès l'a seul légitimée; et que, sans lui, les amis de la liberté eussent été coupables. Non la vertu n'est pas ainsi soumise aux caprices des individus, et aux hasards des événements: elle sourit au bonheur et fait tête à l'infortune; mais il ne dépend ni des hommes, ni des choses d'altérer son immuable essence.

De toutes les leçons que les hommes doivent à ce mémorable événement, la plus importante, sans doute, est celle qui, réalisant sous leurs yeux des maximes jusqu'alors abandonnées à la spéculation, a démontré à ceux qui président aux conventions sociales, que, si c'est leur devoir rigoureux de faire des lois justes, c'est aussi le plus sûr moyen de l'obéissance. On a vu détruire un gouvernement que tant de forces et de puissances combinées semblaient rendre immortel; et l'on s'est soumis, sans peine, à des lois que la raison et l'intérêt général ont seuls longtemps appuyées.

On ne peut nier néanmoins, qu'un système d'oppression et d'injustice ne puisse être maintenu longtemps. C'est un art bien connu des tyrans, et toujours employé avec succès, que celui de corrompre et de diviser; les temps actuels en fourniraient la preuve au besoin. L'on peut établir des peines cruelles ou des châtiments arbitraires, des exils, des lettres de cachet, tout cet appareil formidable de la tyrannie, inventé pour préserver les despotes des effets de l'exécration et de la vengeance des peuples.

Après tout, oserez-vous appeler ordre public, celui qui, blessant tous mes droits, arrache de moi une soumission douteuse, imparfaite, toujours prête à cesser avec la contrainte qui l'exige. Est-ce un ordre public que cette violence continue qui, pour avoir comprimé les effets des passions au dehors, n'en a pas pour cela détruit la cause; mais qui les forçant à rentrer au fond de l'âme, les contraint à y changer de nature et de caractère; et au lieu des passions généreuses et extérieures des hommes libres, produit des passions basses et viles, la méfiance, la crainte, l'hypocrisie, la fausseté, tous les vices des esclaves? Est-ce donc là les éléments du bonheur et de la paix publique? Et suffit-il, pour être en paix, de ne pas s'entr'égorger?

C'est une théorie également juste et consolante au contraire, que celle qui nous apprend que la justice, l'humanité et la politique, qui paraissent aux esprits superficiels, former trois sciences distinctes, et servir de ralliement à différentes doctrines bien analysées, ne sont qu'une même chose; qu'elles se rapportent non seulement au but, mais même dans les moyens d'y parvenir. Quelques savants, je le sais, s'affligent de tant de simplicité; moi, je suis honteux de la science

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