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de tant de grands hommes, qui n'a jamais su rien produire d'utile au genre humain.

Si, donc, au lieu de cette continuité de travaux, et de ces calculs barbares, nécessaires néanmoins pour consolider vos injustices; si les lois ne sont plus que l'expression d'une convention libre entre les hommes, ou si la justice en a dicté les dispositions, annoncez-les, vous serez obéis; vous n'avez plus besoin d'un art si difficile; vos peines peuvent être plus douces et plus rares (1) les lois deviennent alors l'intérêt le plus cher de tous les citoyens : c'est pour elles que l'on veut vivre; c'est pour elles que l'on est prêt à mourir. Qui ne connaît la force et la vivacité de l'amour de la patrie et des lois, de ce sentiment dont il faut souvent tempérer l'énergie, parce qu'il tendrait à effacer ceux de la nature et de l'humanité?

Eh! qui sait résister à la justice?

Voyez ce peuple furieux, irrité, prêt à tout renverser c'est la justice, ou au moins son image, qu'il poursuit dans son aveugle emportement; c'est par une action juste qu'il sera retenu. Comment des hommes paisibles et occupés ne seraient-ils pas dirigés par elle?

Soyez justes seulement, les peuples seront tranquilles; ils le sont bien sous le despotisme.

Sans doute, tout homme doit préférer la liberté à la paix, lorsqu'il est contraint de choisir entre elles; mais ce n'est que par leur union qu'il est vraiment heureux. C'est à l'ombre de la paix et de la justice qu'il développe sans effort ses facultés et ses talents, qu'il jouit des bienfaits de la nature et du fruit de ses travaux.

C'est dans ce sens, et avec ces conditions, que l'ordre public est vraiment le premier besoin des peuples policés; ces deux biens, la liberté et la paix, notre Constitution nous les assure: voilà pour nous l'ordre public; voilà celui que nous désirons avoir, et que nous saurons défendre; et si quelqu'un, malfaiteur ou despote, tentait de le troubler, saisissez-le sans hésiter; la justice ellemême vous arme du glaive de la force; déployez contre lui une légitime puissance. Vous avez le droit d'arrêter cet homme; vous avez celui de le punir il est l'ennemi de la société; il veut troubler, dans ses concitoyens, l'exercice des droits naturels que la loi leur assure. Maintenez l'ordre public, la justice, la liberté, la paix contre les atteintes qu'on veut leur porter. De la même main qui a terrassé le despotisme, et qui est toujours levée pour le combattre, arrêtez le malfaiteur, car l'un et l'autre troublent l'ordre public: qu'un ordre arbitraire ou un assassinat soient des crimes égaux à vos yeux, alors on voit que vous avez une juste idée du pouvoir et de la liberté; et les citoyens, loin de s'opposer à vous, sont prêts à se réunir pour vous soutenir vous avez autant d'instruments de votre autorité, qu'il existe d'hommes libres dans l'Empire.

En vain, en effet, aurait-on recherché avec soin ce qui est juste et utile à tous, si, lorsqu'il est connu, il n'est pas mis en usage. Ne pas exécuter la volonté générale, c'est la même chose que ne pas la consulter : c'est encore un nouveau despotisme; c'est celui de la faiblesse ou de la

(1) On pourrait dire que le plus ou le moins de rigueur dans les peines sont le thermomètre des gouvernements, et que la douceur des peines doit servir à prouver sa bonté, de même qu'en mécanique l'on juge de la perfection d'une machine par la simplicité des moyens employés pour la faire mouvoir.

perfidie on connaît cette ruse de rendre la liberté odieuse, et ses fruits amers aux citoyens; on connaît aussi ce moyen d'amener le peuplé au despotisme par le désordre; mais il n'a pu réussir, car les amis de la liberté le sont aussi de la justice. Ils sont dignes de leur cause par leurs sentiments; jamais l'idée du bonheur des hommes ne sort de leur pensée; ils n'ont qu'un but vers lequel ils dirigent constamment leurs actions; leurs principes sont les mêmes, soit pour obtenir, soit pour conserver la liberté, soit pour la défendre: ils savent que ce n'est pas par les moyens négatifs de la faiblesse ou de l'inertie que l'on maintient l'ordre public, mais par ce patriotisme sûr, éclairé et modeste, qui préfère la gloire d'exécuter à celle de l'invention, qui n'aspire qu'à être utile, et qui emploie sa volonté tout entière à faire exécuter celle de tous.

Il est donc, pour les nations, deux dangers différents à courir, entre lesquels réside la liberté : l'abus des pouvoirs publics qui produit l'oppression de tous, et la violation de la loi qui produit l'oppression des bons par les méchants.

Le seul moyen d'éviter ces dangers, c'est d'organiser avec soin les pouvoirs, les diviser avec précision, les limiter avec défiance, les diriger avec justesse vers leur but, les fonder sur l'utilité générale; mais ensuite les laisser agir avec toute l'énergie dont ils ont besoin car la devise des hommes doit être : « Laissez-moi mon indépendance, ou maintenez ma liberté ; je jouissais, sous l'empire de la nature, de droits indéfinis et illimités; je consens à en restreindre l'usage sous l'empire de la société, mais il faut qu'ils me soient garantis et assurés. Mes forces étaient toutes à moi, maintenant je les emploie au soutien de la société; mais il faut qu'en retour elle me protège et me défende pour ramener ces idées générales à l'objet particulier qui nous occupe; il faut que la société crée une puissance qui veille à ma sûreté, à ma liberté, à ma propriété; quelqu'un qui accueille mes plaintes, qui favorise mes justes réclamations, qui se joigne à moi pour poursuivre celui qui m'a attaqué.

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Si je suis accusé, au contraire, il faut que je sois certain qu'aucune de mes actions ne sera punissable que lorsque j'aurai pu d'avance l'avoir prévu; qu'aucune peine ne me sera infligée si je ne l'ai connue aussi d'avance; qu'enfin après avoir joui de tous les moyens de me défendre et de prouver mon innocence, des juges intègres, bien instruits de l'affaire, me jugeront avec impartialité et réflexion.

Les moyens d'assurer à chacun ces avantages et ces droits, c'est l'administration de la justice qui les renferme.

Aussi est-ce par cette institution que le but de l'association politique se trouve principalement rempli, et les hommes ne sauraient être libres et tranquilles, si la justice est mal administrée parmi eux.

D'autres membres de cette Assemblée sont chargés par vous, Messieurs, de vous présenter les institutions prévoyantes et sages, destinées à prévenir les crimes: c'est là que résident les grands secrets de l'art social et les véritables ressorts de la tranquillité publique. Nous leur envions cette douce et intéressante mission; la nôtre est, en supposant les crimes commis, de vous indiquer comment leurs auteurs seront arrêtés, poursuivis et jugés. Je passe ensuite aux moyens de la remplir.

Dans une Constitution libre, ainsi que nous venons de le voir, les bons citoyens sont détour

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nés de s'opposer aux lois par la justice; les méchants doivent l'être par la crainte.

La loi doit à cet effet chercher dans le cœur de l'homme quelque partie sensible par laquelle il puisse constamment être saisi et détourné du penchant qui le porterait à l'enfreindre; il redoute l'infamie, la douleur, la privation de sa liberté; la loi le menace d'être puni corporellement, déshonoré, privé de sa liberté, s'il viole ses décisions: tel est l'objet des peines.

Ce n'est pas sur l'homme qui la subit que la peine doit être considérée, car ce n'est pas pour lui qu'elle est spécialement établie; son objet véritable est de se montrer à la pensée de l'homme qui est prêt à se rendre coupable, de balancer ses penchants criminels; et lorsqu'il est prêt d'écouter l'intérêt momentané qui l'attire vers le crime, de le retenir et l'arrêter par la considération d'un intérêt plus fort qui le lui défend.

C'est donc beaucoup moins la peine actuelle que l'action qu'elle exerce à l'avance sur l'individu, qui doit occuper le législateur; c'est cette action qu'il doit chercher à fortifier et à rendre, autant qu'il le pourra, efficace et puissante: or, le meilleur moyen d'y parvenir est de la rendre certaine et presque inévitable; car c'est une vérité que la raison et l'expérience confirment, que la sévérité de la peine retient moins les hommes, que la certitude de la punition.

L'incertitude de la punition est un espace que le coupable place entre la peine et lui, dont il détermine à son gré l'étendue, et qu'il agrandit toujours par l'espérance. La certitude de la punition au contraire lui paraît être une conséquence immédiate et comme le contre-coup du délit qu'il - va commettre ces deux choses ne peuvent un instant se séparer dans son imagination; et si la violence de la passion ne ferme pas chez lui tout passage à la raison, la loi la plus irrésistible, celle de son bonheur et de son intérêt lui défend de commettre le crime.

S'il est prouvé que les peines doivent être, autant qu'il est possible, certaines et inévitables, il est évident que la seule manière d'y parvenir, c'est que l'on puisse aisément s'assurer des coupables. La société sans doute ne voudra pas qu'un homme puisse être condamné sans les preuves les plus fortes: mais si l'on attendait qu'elles fussent réunies pour saisir et arrêter un coupable, tous échapperaient à la justice. Il faut donc de toute nécessité qu'un individu puisse être arrêté avant la preuve complète, c'est-à-dire lorsqu'il n'existe encore contre lui que de simples, mais fortes présomptions: c'est un sacrifice qu'il doit faire à la société, puisque ce n'est que par là que la tranquillité, la sûreté, la liberté de lous sont assurées; et chacun retrouve avec usure, dans cette jouissance complète de tous ses droits, le sacrifice léger et possible d'un moment de sa liberté.

Mais ce n'est que provisoirement que la société peut agir ainsi; une condition essentielle et inséparable de ce droit qu'elle exerce d'arrêter un citoyen sur des présomptions, est d'examiner promptement s'il y a lieu à le laisser privé de sa liberté; c'est à ce prix seul qu'un homme peut consentir que l'on suspende l'exercice de ses droits naturels. Ainsi ne séparons jamais le droit de la société d'arrêter provisoirement un citoyen, du droit de chaque citoyen d'être promptement jugé, et d'après le plus haut degré de certitude possible: sans ces deux choses, ou les coupables échappent, ou les innocents sont punis; et dans

ces deux cas la liberté, la sûreté publique et individuelle sont violées.

Le moyen le plus sûr de suivre exactement ces distinctions et de respecter ces droits, c'est d'en rapporter l'exercice à des institutions différentes, dont l'une représente l'action de la société sur chaque individu, et l'autre renferme surtout les droits des individus contre la société. C'est d'établir des agents différents pour ces deux pouvoirs Il est évident d'ailleurs que ce n'est pas la même institution que celle qui arrête et celle qui juge, que celle qui se saisit du prévenu avant la preuve, ou celle qui n'agit et le condamne que d'après la preuve; celle-là est active et prompte, l'autre est passive et réfléchie; l'une est provisoire, l'autre est définitive; j'appelle l'une la police, l'autre la justice (1).

Leur confusion, jusqu'à ce moment, était une des principales causes de la mauvaise administration de la justice: il est clair néanmoins qu'avec le même but en général, elles ont chacune un objet particulier qui exige une organisation particulière et des moyens différents.

Si la justice continuait à être chargée de l'arrestation, l'opinion publique, qui juge naturellement sous le même point de vue les actes émanés des mêmes pouvoirs, verrait toujours une présomption odieuse et une sorte de condamnation dans le décret par lequel on s'assure de la personne d'un prévenu; l'homme arrêté conti nuerait à le voir ainsi : toutefois, c'est une méprise bien funeste à la sûreté publique, que cette opinion qui tend à flétrir d'avance l'homme qui vient s'acquitter d'un devoir aussi simple qu'important, celui d'éclairer la justice sur un fait qu'on lui impute, et lui déclarer la vérité qu'elle a besoin d'apprendre. Eh quoi! l'honnête homme est-il à l'abri d'une plainte mal fondée, d'une dénonciation injuste? Peut-il même éviter la réunion imprévue de plusieurs circonstances qui semblent conspirer contre lui, ou doit-il refuser d'aller lui-même dissiper les soupçons?

Mais un abus plus frappant encore de la confusion de la police et de la justice, c'est que le même homme puisse décréter et juger. Si cet homme est mon ennemi, il est à craindre qu'il ne me décrète que pour me condamner ensuite, ou qu'il ne me condamne que parce qu'il m'a décrété. Pourquoi exposer un individu à la tentation de commettre une injustice pour couvrir une erreur, d'échapper à la responsabilité d'une faute par une faute plus grande encore?

En remettant en des mains différentes la fonction d'arrêter le prévenu et celle de le juger, l'on fait cesser tous les abus: chaque institution conserve son caractère, son objet et ses moyens ; l'arrestation n'est plus que ce qu'elle doit être, une précaution nécessaire de sûreté et d'ordre public, à laquelle chacun se plie aisément; l'opinion publique l'appréciera sous ce rapport, personne ne sera tenté de s'y soustraire, et une police exacle et uniforme maintient, entre tous les citoyens, la tranquillité et l'égalité des droits. La surveillance générale de la société, pour prévenir les crimes, en constater l'existence, poursuivre les coupables, les arrêter, s'exerce par cette action prompte et provisoire qui s'appelle la police.

(1) L'on a fait un grand pas dans une matière difficile, lorsqu'on a saisi une distinction fondamentale et vraie. Tout se simplifie ensuite, tout se rapporte et se classe avec facilité. Tout problème est un mélange de parties obscures et claires, connues et inconnues; lorsqu'il est analysé, divisé, il est résolu.

Daignez, Messieurs, nous accompagner dans la marche de nos idées, et ne pas souffrir que votre imagination nous précède par des objections qui trouveront leur réponse dans la suite.

Ces préliminaires étaient indispensables pour l'intelligence de notre plan; nous allons à présent vous en tracer l'esquisse :

1. Division générale en police et en justice;

2. La police, exercée par les juges de paix et autres officiers, a pour objet de recevoir les plaintes, les dénonciations, dresser les procès-verbaux, arrêter les prévenus et les remettre au tribunal de district. Là finissent ses fonctions;

3. Un juré d'accusation dans chaque district, s'assemblant promptement pour décider si le prévenu doit ou non être accusé; dans le dernier cas, l'accusé est remis en liberté; dans le second, il est renvoyé au tribunal criminel;

4. Un seul tribunal criminel par département, composé de quatre juges, savoir du président élu par tout le département, et de trois autres juges pris dans les districts, et de service tour à tour auprès du tribunal;

5. Un accusateur public, également nommé par le département, chargé de poursuivre ceux que le juré d'accusation a remis à la justice, chargé aussi de surveiller les juges de paix et autres officiers de police;

6° Unjuré de jugement s'assemblant pour décider si l'accusé est ou non convaincu du crime qu'on lui impute, les juges appliquant la peine sur la déclaration du juré, et d'après la réquisition du commissaire du roi ;

7° Le commissaire du roi, dont la fonction est de veiller à l'exécution de la loi, de maintenir l'observation des formes, ayant le droit, ainsi que l'accusé, après le jugement rendu, et pendant le sursis déterminé par la loi, de porter l'affaire au tribunal de cassation;

8 Enfin ce tribunal pouvant casser le jugement pour violation de formes importantes, ou mauvaise application de la loi.

Développons en peu de mots ces bases et les motifs qui nous ont portés à les adopter.

Organisation de la police.

C'est une vérité bien connue, et que l'expérience a surtout confirmée, que la police journalière, celle qui agit immédiatement sur les individus, ne peut être convenablement exercée par un corps, mais qu'il vaut mieux la confier à un seul individu.

1o Elle doit agir avec célérité, et le mode d'action d'un corps est une délibération;

2. Un corps sert aisément d'abri pour couvrir les passions des individus qui le composent : il a de plus des passions, des préjugés, un amourpropre, des intérêts communs qui le font mouvoir;

3° Un corps n'est jamais lié aux moyens de son institution aussi étroitement qu'un individu. La responsabilité collective est comme impossible, au lieu qu'un seul homme est facilement contenu soit par l'action des lois, soit même par les regards du public et l'influence de l'opinion.

En plaçant cet individu dans la municipalité, la police y serait trop active ou nulle, elle prendrait un caractère d'inquisition et de tracasserie; et se mêlant trop aisément aux mouvements journaliers qui agitent les esprits dans chaque endroit, forcée de prendre parti dans les plus petits intérêts qui s'y débattent, elle serait une

cause de trouble au lieu d'y maintenir la tranquillité; enfin, l'autorité, trop subdivisée et trop confondue avec les citoyens, perd nécessairement du respect qui lui est dû.

D'un autre côté, nous avons pensé que, dans le district, la police serait trop écartée de ceux qu'elle doit surveiller; que tout recours à elle, devenant difficile, laisserait trop de penchant et de facilité aux vengeances particulières; et que rendant moins efficace la protection de la loi, la tranquillité des citoyens cesserait d'être assurée.

C'est donc dans les cantons que nous avons établi le premier instrument de la police, et nous avons choisi pour cela l'officier public que vous y avez déjà institué sous le nom de juge de paix.

C'est la véritable fonction du juge de paix que celle de veiller à la sûreté de ses concitoyens, de recevoir leurs plaintes et de s'assurer des agresseurs. Les habitants des campagnes, amenés par tous leurs intérêts auprès du juge de paix, s'habitueront aisément à le considérer comme l'arbitre général de tous leurs différends et le dernier terme de toutes leurs contentions; presque toutes les affaires y finiront; beaucoup de haines et de vengeances viendront expirer devant ce tribunal de conciliation et de paix, et n'iront plus fatiguer les tribunaux, scandaliser le public et ruiner les plaideurs. Les nouvelles fonctions que nous attribuons à ces officiers publics, ajouteront à la confiance que doit inspirer déjà le choix des citoyens. Car ceux-ci portent naturellement leur considération et leur respect vers celui qui est chargé de veiller à leur sûreté et à leur propriété. S'ils aiment ceux qui leur font du bien, ils respectent et considèrent ceux qui empêchent qu'il leur soit fait du mal.

Ces nouveaux devoirs, quoique très importants, n'ont rien de vraiment difficile, et n'exigent pas, de la part des juges de paix, une masse de connaissances plus grande que celle qui leur est nécessaire pour les fonctions qui leur sont déjà attribuées; néanmoins pénétrés, Messieurs, du besoin de donner à nos institutions naissantes, surtout à la police une grande énergie, et de marquer les premiers moments de la liberté par le caractère qui lui convient le plus, je veux dire une obéissance exacte aux lois, vos comités ont pensé qu'il serait utile de donner en ce moment aux juges de paix un secours, et aux citoyens un garant de plus de leur sûreté et de leur tranquillité. Nous croyons l'avoir trouvé dans une institution depuis longtemps consacrée à la police, investie de la confiance publique, et digne de cette confiance par de pénibles et continuels travaux, je veux parler de la maréchaussée. Il ne s'agit pas de lui rendre aucune part dans les opérations judiciaires, mais de lui donner de simples fonctions de police, dont leur zèle et leur intelligence les rendent très capables.

Vous verrez, dans le rapport qui va vous être fait incessamment pour l'établissement de la maréchaussée, qu'au moyen d'une distribution nouvelle de cette force civile, l'on placera dans chaque district un ou deux officiers commandants, plusieurs détachements ou brigades. C'est à ces officiers seuls que vos comités vous proposent d'attribuer, concurremment avec les juges de paix, les fonctions de la police.

Ils n'ont point vu de dangers réels dans cette concurrence, puisqu'elle tend, d'un côté, à présenter aux citoyens le choix entre ceux auxquels ils peuvent adresser leurs plaintes; et que, de l'autre, cette force publique est bornée, par son institution, comme par la nature des choses,

au seul maintien de la loi, et que même en s'exagérant les abus auxquels elle peut donner lieu, on va voir qu'ils seront facilement connus et promptement réparés.

Tels sont les instruments de la police. Voici en abrégé leurs fonctions: conservateurs de la paix, partout où elle est fortement troublée par des excès ou violences, ils se transportent, dressent des procès-verbaux, saisissent les coupables, ou donnent ordre qu'ils soint saisis; vengeurs officiels des attentats contre la société, ils tiennent d'elle la mission de poursuivre les auteurs des meurtres contre lesquels il n'y a point de poursuite privée, ainsi que les crimes qui intéressent le public; enfin, chargés de favoriser les poursuites des particuliers, ils reçoivent leurs plaintes, leurs dénonciations mêmes, les portent devant le juré d'accusation après s'être assurés du prévenu, si les circonstances l'exigent.

A cet effet, ils peuvent, d'après une information sommaire, donner un premier ordre, appelé mandat d'amener, pour faire comparaître le prévenu par-devant eux. Après avoir reçu ses éclaircissements, s'ils les trouvent insuffisants, ils peuvent le faire arrêter et l'envoyer devant le juré d'accusation en vertu d'un nouvel ordre appelé mandat d'arrêt. Tels sont leurs moyens, ou ce qu'on eût jadis appelé très improprement leurs droits. Tout homme, quel que soit son rang ou sa place, est obligé d'obéir aux différents maudats des officiers de police, sous peine d'y être contraint par la force (1).

Cet état de choses pourra paraître sévère, mais il est fondé sur l'égalité et la justice, et il n'est aucun ami véritable de la liberté qui ne doive l'approuver. Quant à ces hommes respectables par leurs motifs, mais dangereux dans leurs vues, qui n'entendent par ce mot de liberté que la jouissance des droits individuels, et oublient ce sacrifice mutuel qui en forme la garantie, je ne leur dirai pas que vos deux comités ont été unanimes; j'oserai me présenter seul à leurs objections, et sûrs qu'ils n'ont pas de la liberté un sentiment et plus pur et plus vif que le mien, je leur dirai qu'elle ne saurait exister sans une exacte soumission aux lois; que, dans un pays libre, le principe de l'obéissance étant change, le même pouvoir qui, sous le despotisme, aurail paru odieux et funeste, devient respectable et utile; que le despotisme, toujours composé de faiblesse et de tyrannie, est vigilant et actif pour satisfaire ses vues, négligent pour défendre ou protéger l'intérêt public; que, dans un pays libre, au contraire, l'intérêt général étant le seul mobile de la puissance, le régime y est sévère, parce que c'est la loi qu'on fait exécuter: Jé leur dirai que si quelqu'un doit souffrir dans l'association générale, če ne doit pas être les bons citoyens; que néanmoins, avec une police inactive et sans pouvoir, les méchants deviennent libres, les bons seuls sont opprimés; je leur dirai encore Vous voulez le bonheur des Français, eh bien! songez à ces immenses travaux de leurs représentants, tous ces droits qui leur ont été rendus tant de jouissances nouvelles et pures qui leur sont préparées, c'est l'ordre pu

(1) En Angleterre, les procès-verbaux de levée des corps se font par un officier appelé coroner, lequel à cet effet assemble sur-le-champ un jury, précaution que nous avons remplacée en exigeant que deux notables au moins signent le procès-verbal de l'officier de police. Il est inutile, sans doute, d'ajouter que ces officiers sont responsables de leur próvarication.

blic qui les leur assure et les retient près d'eux; l'anarchie et le désordre les détruiraient et les feraient évanouir: je leur dirai enfin, sachez séparer les temps, les circonstances et les moyens qui leur conviennent. Trois choses sont à distinguer ici: la Révolution, la Constitution, l'ordre public; la Révolution a détruit tous les genres d'esclavage; la Constitution a établi la liberté; l'ordre public doit la maintenir.

Lorsque vous fondez vos lois, que vous établissez votre Constitution, quittez tous vos préjugés et vos habitudes, donnez un libre essor à toutes vos facultés, n'écoutez que la raison, ne suivez que la nature. J'ai constamment ici professé ces maximes: mais elles sont faites ces lois, respectez-les, c'est votre volonté. Ce n'est pas tout de les suivre, il faut encore les chérir et réunir pour elles ce que vous devez à la justice, à l'humanité, à votre pays. Que la Révolution qui a changé votre gouvernement, change aussi vos mœurs. Vous étiez asservis à de frivoles usages, dominés par des préjugés ridicules ou honteux, soyez désormais fidèles à la loi ; laissez des hommes faibles ou corrompus encenser encore des idoles votre culte à vous, sont les lois; c'est, sur la terre, le seul digne d'un homme libre.

Songez enfin, qu'autant la résistance est juste et généreuse contre des volontés qui règlent arbitrairement la destinée des citoyens, autant elle est coupable et déshonorante (1) contre des lois émanées de la volonté générale, qui protègent le pauvre contre le riche, la faiblesse contre la force, la vertu contre le crime.

Les hommes n'ont que deux manières pour s'assurer de la vérité : l'analyse et la comparaison. Voyons donc ce qui se passe à ce sujet chez un peuple libre, chez les Anglais.

Là, un particulier arrêté par l'ordre d'un Justice, reste en prison jusqu'à l'arrivée du juge de circuit (c'est-à-dire, quelquefois six mois) avant que l'on ait déclaré seulement s'il doit où non être accusé: punition déjà très grave, laissée provisoirement à la décision d'un seul homme contre la présomption naturelle de l'innocence. Les Anglais, à la vérité, admettent le prisonnier à présenter requête à la Cour du banc du roi, à l'effet d'obtenir d'être élargi en donnant caution, lorsque son crime est baillable. Pour nous, nous avons craint de donner à la police un pouvoir aussi étendu que celui de retenir un citoyen en prison jusqu'à son jugement. Ce pouvoir d'arrêter est nécessaire, mais il ne saurait être trop tôt limité. Un juré s'assemble et déclare si le citoyen arrêté doit ou non être accusé et traduit devant la justice; alors, sans doute, la présomption de l'innocence se trouve affaiblie par un premier jugement, et il ne paraît étonnant à personne qu'un homme, que ses concitoyens accusent, soit privé de sa liberté jusqu'à la décision de son procès (2).

Mais avant même cette décision du juré, le tribunal de district, sans pouvoir examiner le fond de l'affaire, et en supposant le crime com

(1) Ce n'est pas à détruire l'honneur, c'est à l'identi fier avec la probité et l'amour des lois qu'il faut tendre. Il faut flétrir l'injustice et cesser d'honorer l'homme qui désobéit aux lois. Voilà le moyen d'avoir les mœurs fortes et prononcées qui favorisent l'action de la société au lieu de la combattre. Voilà le seul moyen de détruire le préjugé qui maintient encore le duel."

(2) Les Anglais ont aussi un juré d'accusation, appelé grand juré, mais il n'a pas le même effet que notre jur d'accusation.

mis, décidera s'il est de nature à mériter ou non une poursuite criminelle, et s'il y a lieu de présenter l'affaire aux premiers jurés; il décidera également si le prévenu est dans le cas d'être reçu à caution, car la loi ne peut vouloir que l'on arrête un citoyen lorsqu'il y a certitude morale qu'il ne s'échappera pas, ou qu'on pourra lui infliger la peine, quoique absent.

Ainsi, le fait et le droit, la forme et le fond, la question de savoir si le prévenu est assez fortement inculpé pour être accusé, et celle de savoir si le délit qu'on lui impute est de la nature de ceux que la loi veut qu'on poursuive criminellement toutes ces questions sont promptement, sûrement et convenablement décidées. On ne saurait porter plus loin, je pense, le respect pour la liberté individuelle.

Il est un autre point essentiel et sur lequel nous surpassons encore les Anglais dans leur honorableet touchante sollicitude pour les droits sacrés de l'humanité.

Chez eux, un prisonnier, même ses parents ou amis, peuvent donner requête aux juges, pour obliger tout geôlier ou autre individu de représenter la personne du prisonnier qu'il détient : disposition pleine de raison et d'humanité, mais insuffisante pour son objet. Je ne parle pas ici des effets de l'habeas corpus contre la possibilité des détentions arbitraires; vous verrez, dans notre travail, que nous les rendrons plus certains encore et plus efficaces je dis seulement que lorsqu'un homme, privé de l'exercice de ses facultés, privé conséquemment de tous moyens personnels de défense, même de celui de se plaindre et d'appeler autour de lui le secours de ses semblables, est confiné dans une prison, à la merci d'hommes que leur état rend au moins indifférents, s'il ne les rend pas durs et cruels; cet homme, oublié de ses concitoyens, sorti souvent de leur mémoire comme de leur présence, n'est-il pas en butte aux attentats et aux vengeances que l'on veut exercer sur sa personne?

On serait peut-être saisi d'horreur, si l'on pouvait révéler tous les crimes secrets des prisons; mais la société, qui, en m'arrêtant, m'ôte les moyens de me défendre, n'est-elle pas obligée de s'occuper plus exactement elle-même de mon sort? Elle protégeait ma conservation lorsque je pouvais y veiller moi-même; m'abandonnerai-elle au moment où la liberté m'étant ravie, je tombe dans la dépendance d'un autre ? Chez nous, non seulement les parents et amis pourront exiger que la personne arrêtée leur soit représentée, mais nous ferons un devoir aux officiers municipaux de veiller à l'existence et au sort des citoyens détenus, et à ce qu'il ne leur soit fait aucun mal, autre que la peine que la société veut leur infliger.

Nous avons poussé, aussi loin qu'il nous a été possible, ces soins recommandés encore plus qu'ordonnés aux municipalités. Unir tous les citoyens par les devoirs d'une protection et d'une surveillance communes; multiplier autour d'eux ces liens qui les attachent et les retiennent tout à la fois voilà la racine même de la société. En suivant cette idée, nous avons pensé que chaque citoyen français devait être regardé comme appartenant à une aggrégation, à une communauté particulière, qui fût à son égard, dans l'ordre de la société, ce qu'est la famille dans l'ordre de la nature; qui s'intéressât plus spécialement à son sort, et fût disposée à prendre part à ses malheurs. Si l'accusé n'appartient à aucune famille, la justice doit lui désigner celle qui remplira à

son égard cet office sacré. Ces familles, ce sont les municipalités. Etrangères à toute action judiciaire, nous avons voulu seulement qu'on leur donnât connaissance de l'arrestation, de l'accusation et du jugement de celui qui est plus particulièrement leur concitoyen; que par elles les parents ou amis fussent avertis de ce qu'il lui arrive. Par là l'affaire d'un citoyen devient un événement malheureux pour ses concitoyens: par là le progrès de l'instruction est toujours connu; les faits à l'avantage de l'accusé, les témoins de son innocence peuvent être facilement présentés à la justice. Le zèle de l'amitié ou les devoirs de la probité peuvent facilement s'exercer. Par là les injustices et l'oppression sont aisément découverts et réprimés par là enfin, l'homme déjà abattu sous le poids d'une accusation, ne sent pas ajouter à son malheur celui de se croire abandonné de tout l'univers. C'est dans l'infortune, c'est lorsque chacun se retire de vous, et vous fuit comme le malheur lui-même, que la société semble vouloir encore vous isoler davantage, et qu'elle vous refuse tout secours : c'est dans l'infortune néanmoins que l'homme cherche son semblable, et que l'humanité devient douce et nécessaire. Que l'accusé sache au moins qu'il existe au dehors des hommes qui s'intéressent à lui, qui s'affligent de ses maux, qui écarteront de lui l'injustice, qui faciliteront sa défense, et feront connaître son innocence. Ces idées, Messieurs, n'appartiennent pas seulement au sentiment. Tout serait dit en politique, et les hommes seraient heureux, s'ils voulaient considérer enfin l'égalité par les avantages qu'elle procure, et non par les privations qu'elle impose; les haines, les animosités cesseraient; chacun voudrait tirer son bonheur propre du bonheur général toutes les forces, toutes les passions, qui maintenant ne se développent que pour se nuire réciproquement, seraient employées désormais pour le profit de tous, et pour accroître le domaine commun du bonheur social.

Organisation de la justice.

Ici la scène change; les moyens, les agents ne sont plus les mêmes. La société, pour ne pas manquer un coupable, avait arrêté un citoyen avant d'avoir la preuve; elle va multiplier les précautions, pour assurer sa marche dans cette application toujours incertaine de la loi générale à un fait particulier (1). Elle semblait avoir perdu de vue les droits du citoyen, en l'arrêtant sur de simples indices: maintenant elle désire qu'il soit innocent; tous les moyens lui seront donnés pour se défendre; tous, jusqu'à son silence même; car la société se charge de la preuve.

La justice doit être organisée de manière que ses décisions puissent avoir le plus haut degré de certitude possible: c'est à ce point qu'il faut tendre par tous ses efforts. En effet, si la justice pouvait être infaillible, les hommes ne verraient en elle qu'une divinité tutélaire et bienfaisante; sûrs qu'en évitant, non les apparences, mais le crime lui-même, ils ne pourraient jamais être punis. Quel est l'homme, au contraire, qui, pensant aux erreurs de la justice, n'est pas quelquefois saisi et attristé de l'idée qu'il peut un

(1) Fixons bien nos idées. Il faut permettre, il faut favoriser cette hésitation, ce doute dans l'examen du fait; il faut que l'application de la loi à un fait prouvé soit inflexible et indubitable.

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