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ASSEMBLÉE NATIONALE.

PRÉSIDENCE DE M. PÉTION.

Séance du jeudi 16 décembre 1790, au matin (1).

La séance est ouverte à neuf heures et demie

M. l'abbé Lancelot, secrétaire, donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier qui est adopté.

M. Daubert, député d'Agen, rend compte d'une plainte du département de Lot-et-Garonne, contre la municipalité de Valence pour fait d'insubordination et de désobéissance contre trois de ses arrêtés.

(Cette affaire est renvoyée au comité de Constitution pour en rendre compte incessamment.)

M. Dupont (de Nemours), membre du comité d'aliénation, propose et l'Assemblée adopte le décret suivant portant vente des domaines nationaux :

L'Assemblée nationale, sur le rapport qui lui a été fait, par son comité de l'aliénation des domaines nationaux, des soumissions faites par les municipalité de Dijon, de Varrois et Chaignot et d'Albée, département de la Côte-d'Or, en exécution des délibérations prises par le conseil général de leur commune, pour, en conséquence du décret du 14 mai 1790, acquérir, entre autres domaines nationaux, ceux dont l'état est annexé à la minute du procès-verbal de ce jour, ensemble des évaluations ou estimations faites desdits biens, en conformité de l'instruction décrétée le 31 dudit mois de mai dernier;

Déclare vendre auxdites municipalités cidessus désignées, les biens mentionnés dans ledit état, aux charges, clauses et conditions portées par le décret du 14 mai, et pour les prix de 975,999 1. 8 d., à la municipalité de Dijon; de 23,377 l. 1 s. 4 d., à celle de Varrois et Chaignot; et de 19,878 l. 6 s. à celle d'Alhée, payables de la manière déterminée par le même décret, et suivant les décrets particuliers qui sont annexés à la minute du présent procès-verbal. »

M. Camus. Par votre décret du 7 de ce mois. Vous avez chargé un comité spécial de vous présenter un mode pour l'établissement d'un bureau de liquidation. Vos commissaires se sont inis à l'œuvre sans retard et vous ont fait distribuer un projet de décret dont je suis chargé de vous demander l'adoption.

M. de Folleville. J'objecte, sur l'article 1er, que la responsabilité du ministre des finances devient nulle en cette partie, par la surveillance donuée aux comites de l'Assemblée.

M. d'André. L'objection est sans portée, parce que l'établissement nouveau n'aura qu'une existence passagère.

M. Camus. J'observe, en outre, que le ministère n'est pas organisé et qu il est possible que, désormais, on se passe d'un ministre des finances, ainsi que la proposition en a été faite.

(1) Cette séance est incomplète au Moniteur.

Après ces observations, le décret est rendu en ces termes :

« Art. 1er.

« Il sera établi une direction générale sous les ordres d'un commissaire nommé par le roi, pour la liquidation de tous les objets qui vont être spécifiés; le travail général de cette direction sera surveillé par les comités de l'Assemblée, ainsi qu'il sera pareillement expliqué.

« Art. 2.

« L'objet de la direction générale de liquidation sera de reconnaître, déterminer et liquider l'arriéré de chaque département, tant en masse qu'individuellement;

« Les finances des offices de judicature et autres, dont le remboursement a été ou sera ordonné par l'Assemblée nationale;

« Les finances à rembourser aux engagistes qui seraient évincés des biens nationaux dont ils jouissent;

Les fonds d'avance et cautionnements des charges et commissions de finance;

«La valeur des dîmes inféodées, aujourd'hui supprimées;

"Les indemnités prétendues pour différentes causes non encore discutées et jugées;

« Les sommes dues à des porteurs de brevets de retenue, aux termes du décret du 5 novembre dernier;

« Les pensions dues pour services rendus à l'Etat;

« Les décomptes provenant de l'arriéré des anciennes pensions;

«La liquidation des droits ci-devant féodaux et fonciers, et autres charges qui se trouveront être dues sur les biens nationaux;

« Et tous autres objets dont l'Assemblée nationale aurait déjà décrété la liquidation ou la décréterait par la suite. »>

« Art. 3.

« Le commissaire qui sera nommé par le roi pour être à la tête de la direction de liquidation sera tenu de procéder à la vérification de tous les faits qui seront nécessaires pour parvenir à ladite liquidation; et il sera responsable de leur exactitude.

« Art. 4.

«La surveillance des comités de l'Assemblée sur la direction de liquidation consistera à se faire rendre compte, lorsqu'ils le jugeront à propos, des travaux relatifs à la liquidation des différentes parties à liquider; des bases sur lesquelles on opérera; des mesures qui auront été prises pour constater les faits; des notifs qui retarderaient quelques parties de travail; des plaintes qui seraient formées de la part des personnes intéressées à la liquidation.

« Art. 5.

«Le comité de liquidation surveillera les travaux relatifs à la liquidation de l'arriéré des départements (autres que celui de la marine), des dimes inféodées, des indemnités prétendues contre l'Etat;

« Le comité des finances, la liquidation des fonds d'avance, cautionnements et offices de finance;

Le comité des domaines, la liquidation des finances à rembourser aux engagistes qui seraient

évincés des biens nationaux dont ils jouissent; « Le comité militaire, la liquidation des finances des charges et emplois militaires;

« Le comité de la marine, la liquidation de l'arriéré de la marine des colonies;

"Le comité ecclésiastique, la dette des ci-devant corps ecclésiastiques séculiers et réguliers ;

Le comité d'aliénation, la liquidation des droits ci-devant féodaux fonciers, et autres charges existantes sur les biens nationaux ;

«Le comité de judicature, la liquidation des offices de tout genre, autres que ceux ci-dessus désignés ;

"Le comité des pensions, le travail relatif à la reconstitution des pensions, aux termes du décret du 3 août dernier, au décompte desdites pensions et aux sommes dues pour des brevets de retenue.

Art. 6.

Le travail de la liquidation sera réparti entre différents bureaux, selon les divers objets qu'il comprend; mais tout le travail se fera sous les ordres du seul commissaire du roi, responsable comme il a été dit.

Art. 7.

• Aussitôt après sa nomination, le commissaire du roi présentera à l'Assemblée nationale un plan pour la distribution de ses bureaux, le nombre de ses commis, le lieu où ils pourront être placés. Ce plan sera remis aux commissaires chargés par l'Assemblée de lui présenter le projet de l'organisation de la direction générale de liquidation; ils en rendront compte à l'Assemblée, pour être décrété par elle ce qu'elle estimera convenable.

Art. 8.

Les bureaux étant formés, et au 31 de ce mois, chacun des comités de liquidation, de judicature, des pensions, des finances, des domaines, militaire, de la marine et de l'aliénation, fera remettre au bureau correspondant toutes les pièces, renseignements et mémoires étant entre ses mains. Lesdites pièces seront paraphées par un ou plusieurs des secrétaires commis attachés au comité, que le comité nommera à cet effet, et il en sera dressé un bref état, au pied duquel le commissaire du roi se chargera desdites pièces. Il sera fait deux doubles de l'état : l'un sera laissé au commissaire du roi et l'autre sera remis au comité.

Art. 9.

« Les mémoires tendant à obtenir le rétablis sement des pensions supprimées ou la création de nouvelles, dans les cas prévus par le titre III du décret du 3 août dernier, continueront à être remis au comité des pensions, qui les fera passer au bureau correspondant, paraphés et accompagnés d'un bref état, ainsi qu'il est dit dans l'article précédent.

Art. 10.

« Chacun des bureaux chargés des différentes parties de la liquidation suivra, dans son travail, T'ordre établi par le comité correspondant, et examinera les objets à liquider dans le même rang où ils l'auraient été par le comité. S'il ne se trouvait pas d'ordre encore établi pour quelque partie, il en serait établi un par les comités, de concert avec le commissaire du roi.

Art. 11.

< Chaque semaine, le commissaire du roi remettra ou fera remettre aux comités respectifs, au jour et heure par eux indiqués pour leur séance, le travail relatif aux objets qu'ils sont chargés, par l'article 5, de surveiller. L'état du travail sera signé du commissaire du roi; les pièces qui auront servi de base au travail seront représentées, et le commissaire du roi, ou celui qu'il aura chargé de le remplacer, rendront sommairement compte du résultat du travail.

Art. 12.

<< Chacun des comités fera ensuite le rapport du même résultat à l'Assemblée; le rapporteur y joindra les observations du comité; el sur ce rapport, l'Assemblee décrétera les différentes parties de liquidation, soit en masse, soit individuellement, ou prononcera tel autre décret que le cas exigera.

Art. 13.

« Le décret du Corps législatif ayant été sanctionné par le roi, le commissaire du roi dressera les reconnaissances de liquidation à présenter, par les parties prenantes, à l'administrateur provisoire de la caisse de l'extraordinaire, à l'effet d'obtenir de lui les ordonnances de payement. Le décret de l'Assemblée et sa sanction seront datés dans la reconnaissance délivrée. Le commissaire du roi sera responsable des reconnaissances qu'il délivrera. Il fera également expédier les brevets des pensions qui seront decrétées par l'Assemblée et sanctionnées par le roi, et il les enverra au ministre du département dans lequel les pensionnaires auront servi l'Etat, pour être signés du roi et du ministre du département. Le decret de l'Assemblée, ainsi que la sanction du roi, y seront rapportés et datés.

Art. 14.

«Tous les décrets prononcés par l'Assemblée nationale, acceptés ou sanctionnés par le roi, relativement aux différentes parties de liquidation ordonnées par l'Assemblée, continueront à être exécutés conformément à ce qui est exprimé par le présent décret (1).

Art. 15.

«Les affaires qui ont été examinées par les comités désignés en l'article 5 ci-dessus, et dont le rapport est ou sera en état d'être fait d'ici au 31 décembre présent mois, seront incessamment rapportées par lesdits comités aux jours qui leur seront indiqués par l'Assemblée. »>

M. Liliaz de Croze, député du département de l'Ain, demande et obtient un congé d'un mois.

M. Thèze, envoyé en France par la ci-devant assemblée coloniale de Saint-Domingue, obtient la permission de se retirer dans sa famille sur le continent, à charge de se représenter à la suite de l'Assemblée nationale à chaque réquisition.

MM. Cigongne, Boéry et Giraud-Duplessis, qui étaient absents par congé, reprennent leur place à l'Assemblée.

M. le Président. L'ordre du jour est la suite

(1) Voy. l'addition décrétée dans la séance du 17 décembre.

de la discussion sur les articles relatifs à la suppression des offices ministériels.

La troisième question posée dans la séance d'hier et qui a été ajournée à la séance d'aujourd'hui était la suivante :

« 3° Oui ou non y aura-t-il des avoués auprès « des tribunaux pour l'instruction des procès ? M. Legrand. L'homme en société, le citoyen, ne peut jouir de toute l'étendue de sa liberté qu'autant que cette latitude de l'exercice de ses droits ne nuit pas à ceux d'autrui. La communication des pièces d'un procès exige la plus grande précaution; elle ne doit être faite qu'à un homme public; c'est l'intérêt de tout plaideur qui choisit un défenseur, c'est surtout l'intérêt de sa partie adverse. Pour assurer à chaque citoyen les choix les plus propes à ses intérêts, je propose d'établir, auprès des tribunaux, des avoués, et cependant je ne ferme point la porte des tribunaux aux défenseurs officieux. C'est ainsi que nous avions autrefois des hommes de loi pour la défense du fond, et d'autres officiers pour la défense des formes, pour le dépôt des pièces, etc... Voici mon projet de décret:

« Art. 1er. Il sera, près de chaque tribunal de district, dressé un tableau où se feront inscrire tous ceux qui se destineront à défendre en jugement leurs concitoyens. Les règles d'admission, les études préliminaires qui seront exigées seront incessamment déterminées.

« Art. 2. Néanmoins tous ceux qui sont pourvus d'offices de procureurs près les ci-devant cours souveraines, les bailliages et tribunaux royaux, autres que tous ceux d'exception; tous ceux qui exerçaient les fonctions d'avocats du roi, d'avocats généraux, etc., pourront être inscrits près des tribunaux où ils voudront s'établir. Tout citoyen aura le droit de défendre la partie qui l'aura chargé de sa défense; mais la cominuĢication des pièces ne pourra être faite qu'entre les mains des avoués inscrits. >>

M. Prieur. Y aura-t-il des avoués? Jobserverai, sur cette question, qu'il n'est pas un d'entre nous qui n'ait remarqué, dans la délibération d'hier, que les meilleurs esprits se sont trouvés placés entre la crainte de porter atteinte aux droits des parties et celle de compromettre l'organisation judiciaire que vous avez décrétée. Est-il nécessaire de conserver auprès, des tribunaux, des foudés de procuration où des avoués, chargés exclusivement de faire, pour les parties qui ne voudraient pas elles-mêmes instruire leurs causes, les actes nécessaires à l'instruction? Tel est, ce me semble, le véritable sens de la question. Avant de se transporter dans un état de choses futur ou incertain, dans des hypothèses d'une simplification parfaite des lois et de la procédure, il faut envisager l'état actuel. Il me semble qu'il est en ce moment impossible de confier à tout citoyen l'instruction des procès, sans ajouter au malheur du procès celui de faire courir aux plaideurs les risques de perdre la cause la plus juste par l'ignorance des formes. Il suffit de lire l'ordonnance de 1667 pour être convaincu que ce n'est que par le secours d'une longue expérience qu'on peut se familiariser avec ces formes nombreuses et compliquees. L'intérêt des justiciables exige donc qu'il y ait auprès des tribunaux des hommes expérimentés pour l'instruction des procès et pour la conservation des formes... Il n'y a qu'à réformer la procédure civile, dit-on. Non; nous ne pouvons pas la faire, cette réforme salutaire; c'est une entreprise de trop longue haleine, dont l'Assem

blée actuelle ne doit pas s'occuper. J'ai peine à concevoir comment le génie de ces hommes qui ont créé une Constitution hardie, élevée et sublime, pourrait descendre à ces misérables détails et les discuter froidement. (Il s'élève des murmures.) Si vous n'avez auprès des tribunaux des hommes avoués par la loi pour la défense des plaideurs, il faudra que chaque défenseur se fasse délivrer par sa partie une procuration par devant notaire; le juge sera obligé de la vérifier, de l'enregistrer au greffe; de là des frais, des embarras, etc... Mais il y a des inconvénients plus graves à confier des procurations à des hommes sans caractère public, non avoués auprès des tribunaux; mon fondé de pouvoir gagné par la partie adverse disparaît; me voici soumis à un appel... (Interruption.)

J'ai déjà dit qu'il n'y a qu'une longue expérience qui puisse donner l'art de l'instruction d'un procès. Les plus habiles jurisconsultes ont souvent consulté les procureurs. Nous avons des exemples de la nécessité de réduire aux hommes de loi expérimentés et avoués auprès des tribunaux le nombre des défenseurs publics chargés de la direction et de l'instruction des procès. Dans les temps reculés de notre monarchie, lorsque les formes n'étaient point encore compliquées, on n'avait pas même osé imaginer les projets dangereux qui vous sont aujourd'hui proposés; nos rois déployèrent successivement toute la puissance des lois pour diminuer le nombre de ces procureurs non avoués, qui trahissaient la confiance trop facile des plaideurs et déjouaient la surveillance et la sagesse des juges... Rendez les fonctions actuelles des officiers ministériels parfaitement libres, et vous verrez l'avidité d'une foule d'intrigants faire des spéculations sur l'ignorance et sur la bonne foi des citoyens : vous verrez bientôt des hordes impures souffler l'esprit de chicane parmi les citoyens paisibles, les exciter aux procès pour se partager leurs dépouilles. On voit malheureusement que les praticiens les plus méprisables sont ceux qui sont recherchés par les gens de campagne; et dans quel temps vous propose-t-on d'ouvrir à cette classe d'hommes si dangereuse l'entrée des tribunaux, de lui confier l'instruction et la direction des procès ? C'est dans le moment où les lois sont relâchées, où un grand nombre d'habitants des campagnes voudrait éluder les luis dans les échanges des droits casuels, dans le mode et le taux des remboursements.

Vous n'avez pas oublié que c'est un de ces praticiens qui a excité les troubles des différentes provinces du royaume. Calculez, s'il est possible, les conséquences de ce funeste système : voyez une foule d'intrigants égarant le peuple par une fausse popularité, et trahissant la confiance du plaideur abusé; imaginez-vous des maux mille fois plus grands que ceux dont on se plaignait lorsque des professeurs exerçaient le droit de délivrer des certificats à des ignorauts, etc.

La conséquence des observations que je viens de présenter est de ne confier l'instruction des procédures qu'à une classe d'hommes publics, avoués, établis à cet effet auprès des tribunaux. Vous ne devez pas perdre de vue les autres considérations politiques qui vous ont dirigés dans toutes les parties de l'organisation sociale; vous avez été obligés de modifier les principes d'une liberté indéfinie. Dans votre constitution ecclésiastique vous avez décrété qu'aucun prêtre ne pourrait être curé avant d'avoir exercé pendant

un certain temps les fonctions du vicariat; que nul ne pourrait être élu évêque avant d'avoir été curé, etc. Dans le militaire, vous avez établi des gradations de services et des règles d'avancement, etc. Ces études préliminaires, ces conditions d'admissibilité sont une garantie pour la société, un gage que lui doit tout fonctionnaire public. Les études sont ouvertes à tous les hommes... Vous blessez, m'objecte-t-on, la liberté du citoyen. Les institutions sociales ne peuvent remplir leur objet, celui de l'utilité de la société entière, qu'autant que chaque citoyen fait le sacrifice de l'exercice de quelques droits particuliers.

Il ne s'agit donc plus que de déterminer l'espèce d'hommes auxquels vous confierez le droit exclusif de représenter les autres. Vous ne devez les choisir que parmi les citoyens qui ont des titres certains à la confiance de la société. Vous avez les auciens hommes de loi, qu'il est important d'investir de la confiance publique et d'encourager par l'émulation. Lorsque vous leur aurez ôté le droit d'acheter à prix d'argent la confiance de leurs concitoyens, je ne vois plus de motifs de se défier de cette classe d'homines sur laquelle on a depuis longtemps jeté de la défaveur. Peut-être dira-t-on que je donne aux avocats les depouilles des malheureux procureurs. Toute distinction entre les avocats et les procureurs doit désormais être anéantie.

Si vous accordez aux premiers le droit de póstuler, vous accorderez aux seconds le droit d'exercer toutes les fonctions des avocats. Il y avait plusieurs villes où ces fonctions étaient réunies; il est possible qu'elles le soient à l'avenir; il est même de l'intérêt général de changer aux yeux de la société jusqu'au nom du procureur. Je n'entrerai pas dans de plus grands détails; je dis qu'une bonne Constitution doit améliorer les hommes. (Il s'élève quelques murmures.) Ne croyez pas que j'aie entendu vouloir faire une satire ou une épigramme; je n'attaque pas les homines, mais l'abus de l'institution des procureurs c'est du vice des lois, c'est de la coupable insouciance des juges qu'ont dérivé ces abus. Après avoir supprimé ces abus, après avoir détruit les offices, nous devons élever les procureurs à la diguité d'avocats, et leur confier avec assurance le soin de l'instruction des procès... (M. Prieur conclut par un projet de décret conforine à celui de M. Legrand.)

M. Fréteau. Les observations que j'ai à vous présenter ne vous permettent pas d'adopter les propositions vagues qu'on vous fait; elles vous prouveront que vous porteriez aux droits des citoyens des atteintes plus fâcheuses que celles qui leur étaient portées autrefois. L'ordonnance de 1667 elle-même a soustrait au ministère des procureurs un grand nombre de causes. Les citoyens ont acquis par cette ordonnance, en certaines matières très importantes et très nombreuses, le droit de se défendre eux-mêmes, d'instruire eux-mêmes, de diriger eux-memes leur procès. Dans toutes les affaires sommaires de 100 pistoles, ils avaient le droit d'une défense entière, et j'observe que 100 pistoles représentaient 1,000 écus de notre monnaie, et même 4 à 5,000 livres à cause de la difference qui s'est introduite entre la valeur du nu éraire et le prix des denrées. Les matières consulaires avaient le même avantage et n'étaient soumises en aucune manière au ministère des avocats et des procureurs; il était enjoint aux parties de se défendre

elles-mêmes. Je sais qu'il s'est introduit depuis des procureurs dans quelques tribunaux consulaires; mais les parties ont été toujours parfaitement libres de la direction des procès et surtout des conclusions. Si la partie etait absente, elle pouvait dresser des mé noires de défense, sé faire représenter par un ami muni d'un simple billet, et les juges prononç ient sur la lecture du mémoire. Enfin il y a une autre matière où l'intervention des procureurs ne doit pas être nécessaire: c'est la matière criminelle. Vous avez établi des jurés et vous avez voulu que la liberté de défense des accusés restât tout entière; vous avez voulu que tout homme qui se présenterait en justice pour défendre un accusé en eut le droit entier, quand même il ne serait lié avec lui que par les rapports de l'amitié, ou quand même il ne lui serait attaché que par les sentiments de l'humanité...

Je rappelle ces faits pour vous faire voir combien il serait dangereux de prononcer, d'une manière générale, que l'instruction des procès sera exclusivement confiée à des officiers ministériels... J'ajoute quelques autres observations.

On ne defend un homme, eu matière criminelle ou civile, qu'en prenant des conclusions pour lui, et celui qui prend ces conclusions est le véritable défenseur. Je voudrais que ce droit exclusif de prendre des conclusions fit supprimé, et que l'avocat de la partie en eût le droit comme le procureur. Il n'est personne parmi vous qui ignore les inconvénients de cette difference de ministère et de pouvoirs qui existait entre ces deux professions. Le procureur était le maître absolu de la défense de l'accusé, et c'est contre cet abus que je réclame, parce que les propositions qu'on vous a faites tendraient à le consacrer. Ce serait le plus grand mai que de rendre les procureurs, comme autrefois, les arbitres du sort des parties. L'avocat qui scrutait les textes des lois et épuisait pour la défense de sa partie tout ce qu'il pouvait trouver d'arguments dans le droit naturel, le droit national et le droit positif, n'avait pas la faculté de conclure. S'il s'apercevait que le procureur donnait des conclusions nouvelles, il était obligé de se faire assister d'un procureur pour les faire rectifier. En vain aurez-vous décrété que les citoyens ont le droit de la defense naturelle; ce droit sera ilusoire si l'avocat n'est pas maître des conclusions.

Je pourrais présenter une foule d'observations semblables pour prouver que les projets de décret qu'on vous a proposés tendent tous à auéantir les droits les plus précieux des justiciables. Je réponds à quelques objections. Il faut, a-t-ou dit, diriger le choix des parties. Peu de gens aisés connaîtrout assez peu leurs intérêts pour livrer leur confiance à des hommes inconnus, à ces praticiens auxquels on a dit qu'il fallait fermer l'entrée des tribunaux. Quant à ceux à qui le défaut de fortune et d'éducation, à qui le défaut de rapports sociaux ne permet pas de faire le choix des hommes les plus expérimentés, n'avez-vous donc rien fait pour eux? Vous avez établi les bureaux de paix; vous avez chargé les juges de motiver leurs sentences, de revoir les conclusions, de véritier si elles ne contiennent aucun défaut de formes; vous avez décrété qu'il serait nommé d'office des conseils aux parties. Avec toutes ces reformes, devez-vous douter que le pauvre plaideur n'obtienne une entière défense? Si, au contraire, vous adoptez le projet de décret qui vous est proposé, vous renversez tout ce que vous avez fait; si vous ne laissez pas la liberté

de la défense, vous manquez le but de l'organisation judiciaire. Je demande donc que vous ne limitiež pas la liberté que doivent avoir les parties dans le choix de leurs défenseurs.

M. Mougins. Je pense que l'intérêt de la justice et le bien public exigent que vous placiez près les tribunaux de district des hommes qui ouvrent, si j'ose m'exprimer ainsi, le temple de la justice par le secours des formes encore existaules et avouées par la loi. L'ordonnance de 1667 existe; sa réforme ne peut être l'ouvrage d'un jour, mais celui de plusieurs législatures. Un magistrat célèbre a dit qu'elle contenait dans sa majeure partie des dispositions sages et salutaires parce qu'elle tablissait des formes qui étaient, pour ainsi dire, l'âme de la justice et la sauvegarde des lois. Or, le droit d'apprécier la nature et l'esprit de ces formes, d'en être dépositaire au nom de la société et d'en maintenir la conservation, ne peut être confié indistinc ement à toutes sortes de citoyens. Il doit exister des hommes publics qui répondent à la société de linobservance de la loi..... Si la liberté d'instruire les procès est prononcée, vous ouvrez la porte à cette classe que nous appélions solliciteurs de procès, à ces vampires qui désolent nos campagnes. Si, au contraire, vous établissez des avoués près les tribunaux, le choix du plaideur, sans être précisément forcé, s'exercera sur le nombre des individus que la confiance du peuple aura désignés. Que, dans le système d'une liberté indefinie, un citoyen soit affligé d'un procès; une foule de vampires tomberont sur lui comme des vautours, lui enlèveront ses pièces, et lui feront payer cher la liberté de son choix... Je réponds à l'opinion de M. Fréteau en observant qu'il ne s'agit pas en ce moment de déterminer les fonctions des avoués, mais de décider s'il existera des avoués. Si dans l'ancien regime ils n'avaient pas le droit exclusif de postuler près les tribunaux de commerce, de police, et dans les matières au grand criminel, ils ne l'auront pas non plus dans les nouveaux; ainsi les objections de M. Fréteau ne combattent pas la nécessité de confier à des gens expérimentes l'instruction des procès. L'étude des formes a toujours été le séminaire de la magistrature. Les procureurs, dépositaires de ces formes, sont chargés par la société de diriger la marche d'un plaideur. Quelle serait la responsabilité de celui qui exercerait ces importantes fonctions sans être avoué auprès des tribunaux? Je conclus à ce qu'il soit décreté qu'il sera etabli des avoués près les tribunaux de districts, pour diriger l'instruction des procédures civiles.

M. Tronchet. Commençons par bien fixer l'état de la question; écartons les nuages par lesquels on a cherché à l'obscurcir. Vous n'organisez en ce moment que les tribunaux de districts; il ne s'agit point des tribunaux de commerce ou des tribunaux pour le criminel. Vous ne devez donc pas vous occuper maintenant des observations de M. Fréteau. Y aura-t-il près les tribunaux de districts des officiers avoués, chargés exclusivement de certaines fonctions? Voilà, ce me semble, à quoi se réduit la question. Ma réponse consiste en un mot: ces avoués importentils à l'intérêt public? oui. Vous devez donc les établir. J'ecarte cette misérable objection tirée de la dénomination de privilège.

Les officiers ministériels ne seront point une classe privilégiée, si c'est la nécessité publique qui exige que vous leur attribuiez des fonctions

exclusives; mais leurs fonctions seront un privilège de la société entière... Avant d'entrer en matière, j'écarterai une autre objection. On vous a dit que les fonctions des avoués étaient incompatibles et inconciliables avec l'un de vos décrets, qui permet à tout citoyen de se défendre, soit par lui-même, soit par celui qu'il aura librement choisi. A-t-on cru pouvoir embarrasser la marche de l'Assemblée nationale par ces prétendues fins de non-recevoir? A-t-on cru se faire une arme d'on décret rendu au moment où l'on n'apercevait ni ses conséquences, ni les exceptions qui doivent le suivie? Je ne connais pas de fin de non-recevoir contre la raison, contre l'intérêt public. Si l'intérêt public l'exige, le décret doit être abrogé; mais il s'en faut beaucoup qu'il soit inconciliable avec celui que je vous propose. Dans tous les temps, et chez les peuples qui ont laissé la plus grande latitude au droit de la défense des citoyens, il y a eu des hommes publics chargés de veiller à l'observation des formes. Dans tous les temps, les formes ont été nécessaires; leur inobservance pouvait entraîner la perte d'un procès. Votre décret ne vous empêche donc pas de conserver ces formes et ceux qui en sont les dépositaires; seulement il exige que vous portiez remède à un abus qui s'est introduit par une trop grande extension des pouvoirs de procureur. Voici quel était cet abus. Les procureurs faisaient dans leur requête une répétition inutile de l'exposition des faits contenus dans le plaidoyer de l'avocat; il en résultait un double emploi et une multiplication de frais. Lorsque cet abus aura éte détruit, ainsi que celui du privilège exclusif que les procureurs se sont arrogé de prendre les conclusions, je ne vois pas en quoi il sera possible de porter atteinte au droit de la défense des parties. Le plaideur pourra défendre lui-même sa cause; il pourra la confier à un défenseur officieux, et aura le droit de restreindre les fonctions du procureur à la direction du procès et à la confection des actes de forme, nécessaires à la régularité de la procédure. Voilà, je crois, l'exécution eutière du décret qui accorde aux parties la liberté du choix de leurs défenseurs.

Maintenant est-il vrai que l'intérêt public exige l'existence des avoués auprès des tribunaux? Ici l'intérêt public est l'intérêt du justiciable; car c'est pour lui que les tribunaux sont établis. Cet intérêt est composé et de celui du plaideur qui fait le choix de son défenseur, et de celui de la partie adverse. Comme le principal but de l'organisation judiciaire est de favoriser le peuple et le pauvre, prenant des exemples dans ces classes, je dis qu'accorder au pauvre le droit de contier ses intérêts à un défenseur officieux, c'est le plus grand mal que vous puissiez lui faire. Vous frémiriez si je vous développais toutes les ruses de ces charlatans qui, sous le titre de défenseurs officieux, entoureraient les tribunaux, abuseraient de la confiance du pauvre et du faible, s'empareraient de leurs pièces, les accableraient de frais. J'ai vu de ces praticiens se faire payer la moitié du gain d'un procès. Si vous voulez venir au secours du pauvre, faites des établissements patriotiques tels que celui qui existait à Paris avant la Revolution. Cet établisssement est compose de jurisconsultes honnêtes et éclairés, qui donnent des conseils aux plaideurs, les avertissent si leur affaire est bonne ou mauvaise, leur choisissent d'honnêtes défenseurs, se liv eut à l'instruction gratuite des procè, et défendent au près des tribunaux les droits de l'innocence opprimée. Voilà les établissements publics et utiles

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