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ces mêmes administrations de départements sous l'autorité et l'inspection du roi,

La seule question qui reste donc à examiner, est de savoir si l'on confiera au chef suprême du pouvoir exécutif, la suprême administration de l'impôt indirect et de la trésorerie publique.

Personne ne méconnaît plus ce principe, que le gouvernement doit toujours être subordonné à la souveraineté nationale; et l'on sait aussi que, par sa nature, il tend toujours à l'usurper.

Il faut donc, non seulement que la mesure de son pouvoir soit fixée avec précision, mais encore qu'elle ne puisse jamais être excédée.

Ainsi, le nombre des fonctionnaires publics qui lui sont subordonnés, la division de l'autorité entre eux, la nature de leur dépendance doivent être exactement déterminées sur le besoin public.

Ce n'est pas tout; l'argent est un principe de pouvoir; avec l'argent on l'étend; avec l'argent on en perpétue l'abus. La mesure d'argent que la nation départit au chef du gouvernement, doit donc être exactement calculée sur la mesure du pouvoir politique que la Constitution lui départit.

Ainsi, les fonds dont il aura personnellement la disposition, doivent être déterminés, et ceux qui sont destinés à diverses dépenses publiques doivent ne pas pouvoir en être détournés un seul instant.

Ces principes posés, voyons s'ils ne seraient pas blessés par le système qui laisserait au gouvernement l'administration entière de la finance.

C'est un des inconvénients attachés aux contributions indirectes, qu'elles n'offrent qu'un produit incertain et dépendant d'une foule de circonstances.

Donc si vous laissez au gouvernement la nomination des régisseurs de cette espèce de contribution, la suprême direction de leurs opérations, et la recette générale de leurs perceptions, vous placez la nation entre plusieurs dangers.

1 Vous lui faites courir le risque d'être trompée sur les produits;

2o Vous ne le garantissez pas d'un forcement de perception qui mettrait aux mains du gouvernement un excédant de recette imprévu, dont l'emploi n'aurait pas été décrété, et dont, par cette raison, il serait possible de faire un usage funeste;

3°Vous ne la garantissez pas de l'excès contraire, c'est-à-dire d'un relâchement prémédité dans la perception, d'un amoindrissement de produit sourdement préparé, à dessein de rendre l'usage du crédit nécessaire, de légitimer des emprunts aux moins passagers, de créer ainsi des ressources illimitées au pouvoir exécutif, et de mettre à sa disposition, de lier à ses vues cette foule de gens de finance qui, vivant de la substance du peuple sous les gouvernements déprédateurs, sont autant d'apôtres du pouvoir arbitraire;

4° Enfin, yous laissez le gouvernement maître de détourner, pour des vues particulières, des sommes destinées aux dépenses publiques et à l'acquittement des engagements nationaux.

Ainsi, dans ce système, la nation, après avoir Bagement limité les dépenses du gouvernement, lui laisserait la faculté d'augmenter sa recette après avoir sagement départi le pouvoir exécutif, elle laisserait le gouvernement, chef suprême de ce pouvoir, réunir en ses mains les salaires de tous ceux qui les partagent, et par là étendre son pouvoir sur tous.

Vous n'avez pas voulu laisser au pouvoir

gislatif la faculté de paralyser diverses parties de la Constitution en refusant l'impôt nécessaire à leur soutien ; le gouvernement aura-t-il ce privilège, et par le fait du moins, pourra-t-il tout arrêter et tout suspendre en détournant des fonds, en suspendant des payements, en retenant des salaires?

Un autre inconvénient des contributions indirectes est d'exiger pour leur perception un nombre infini d'employés, chèrement soldés, liés les uns avec les autres par une mutuelle correspondance, subordonnés à des chefs de qui ils reçoivent toutes leurs directions, en un mot, formaat une corporation considérable, et intéressée à la cohésion qui fait la force.

Cet inconvénient ajoute à l'autre. Car, Messieurs, si toutes les places supérieures de ces régies sont à la nomination du gouvernement, et sous son inspection, le gouvernement aura évidemmment à sa disposition une armée très nombreuse, très redoutable; il aura de plus la foule des gens qui aspireront à en faire partie; car on enchaîne bien plus encore les hommes par l'espérance dont on les flatte, que par les biens qu'on leur assure; et avec trente mille emplois à donner, le gouvernement pourra captiver cent mille individus. Il résultera donc de ce système que la finance, qui ne doit être que l'aliment du pouvoir exécutif sagement circonscrit, sera elle-même un grand accroissement de pouvoir politique, et qu'ainsi le moyen tournera contre la fin que la nation a dû se proposer.

Qui peut calculer les effets d'un semblable ordre de chose? Si le gouvernement veut employer la force ouverte pour l'exécution de desseins pervers, ne trouvera-t-il pas de terribles ressources dans le pouvoir fiscal que vous lui aurez donné ?

Vous avez voulu, Messieurs, que les troupes françaises, dont vous avez déclaré le roi chef suprême, ne pussent jamais, et sous aucun prétexte, même dans les cas provisoires et urgents où l'ordre public l'exigerait, être employées contre les citoyens, à moins qu'elles ne fussent requises par les municipalités qui deviendraient ainsi garantes de chaque action où la force des armes serait mise en usage.

D'après ce principe, comment concevoir un ordre de choses, où une milice armée, disciplinée, considérablement soldée, destinée par la nature de ses fonctions à agir sans cesse sur les citoyens, serait formée uniquement de créatures du gouvernement, serait entièrement dépendante de chefs nommés par le gouvernement?

Vous bornez-vous à supposer que le gouvernement veuille faire ce à quoi le gouvernement d'Angleterre réussit toujours si bien, je veux dire, corrompre la législature et même les électeurs? Considérez, dans cette hypothèse, très admissible, combien la multiplicité des places de finances, en France, pourra lui gagner de suffrages !

Et ensuite, Messieurs, étendez vos regards sur les conséquences de la corruption elle-même. Il en est une bien effrayante! c'est que la corrup→ tion des législatures, opérée par un système de finances vicieux, rendrait toute réforme de la finance désormais impossible, protégerait même les abus d'où elle procéderat, se perpétuerait et se propagerait ainsi dans le plus long avenir.

Mais ce n'est pas assez, Messieurs, que le pouvoir exécutif ne puisse s'étendre par l'administration des finances au delà des limites qui lui sont assignées; il faut que la nation puisse

arrêter et peut-être réduire ce pouvoir, dès qu'il tendra à abuser des moyens d'action et d'influence qui lui sont propres; il faut, par exemple, qu'elle puisse sans effort, sans bruit, sans combat, anéantir une armée qui menacerait la liberté publique. Or, cette faculté dépend du pouvoir de faire cesser à l'instant la solde de cette armée. Elle tient donc à l'administration des finances. La finance doit donc être considérée comme le régulateur du pouvoir exécutif. Ce régulateur donc ne doit pas être à la disposition du pouvoir exécutif.

On nous parle toujours de la responsabilité des ministres Elle est nécessaire, sans doute, comme une loi pénale pour tout crinie public; mais elle n'est pas suffisante. Il est difficile de convaincre d'exaction, de concussion; il est rare que des crimes de cette nature soient punis: c'est aussi une triste et impuissante ressource que celle de punir.

Ce n'est pas par leurs lois pénales que les nations se préservent des grands crimes, c'est par leurs lois de prévoyance. Ce n'est pas par leurs bourreaux que les nations contiennent les scélérats, c'est par la sollicitude paternelle d'un gouvernement éclairé qui s'assure des actions, soit en dirigeant les volontés par l'éducation, les mœurs et l'aisance du peuple, soit en les contenant par une police à la fois vigilante et réservée, active et circonspecte.

C'est à prévenir, non à punir les attentats politiques, qu'une nation doit s'attacher. Eh! quand le crime d'un ministre est d'avoir corrompu les juges devant lesquels il est soumis à la responsabilité, à quoi peut servir sa responsabilité ? Quand le crime d'un gouvernement est d'avoir arrêté l'exercice de la souveraineté nationale, qu'est-ce que sa responsabilité devant la nation? Qu'est-ce que la responsabilité du despotisme et de la tyrannie devant la servitude et la corruption.

Au reste, Messieurs, l'autorité de plusieurs exemples, celle de quelques opinions particulières, celle de l'opinion publique, celle de vos propres principes, se joignent aux observations que je vous ai présentées pour vous conduire au même résultat.

Au mois de décembre de l'année dernière, le premier ministre des finances vous a proposé une Trésorerie nationale, et il vous a dit que le crédit public dépendait de cet établissement.

Si vous-mêmes, Messieurs, vous avez décrété que les receveurs de l'impôt direct, ainsi que les trésoriers de district, seraient nommés par le peuple; si vous avez cru sage de mettre à la garde des préposés du peuple les premiers réservoirs des contributions directes, dont il est impossible de faire un usage contraire à la liberté publique, vous devez trouver nécessaire aussi de placer des préposés du peuple autour du réservoir commun dans lequel entrent les produits des receties particulières, et où s'accumulent ainsi de redoutables moyens de puissance; et si cette précaution est nécessaire pour la Trésorerie générale des contributions directes, elle doit l'être pour celle des contributions indi

rectes.

Quant à l'administration des finances, ce qui vous reste à faire est aussi tracé par ce que vous avez fait.

Puisque vous avez décrété que les administrateurs immédiats de l'impôt direct seraient nommés par le peuple, les chefs au moins des régies

nationales doivent tenir leurs pouvoirs du peuple.

Si les fonctions administratives suprêmes, qui concernent les contributions directes, sont entièrement séparées du gouvernement par vos décrets, les fonctions administratives suprêmes, qui concerneront les contributions indirectes, ne doivent pas lui être unies.

Eh! sur quel prétexte les unirait-on ? Les contributions indirectes ne sont-elles pas de la même nature politique que les autres? Les différences qui les distinguent ne sont-elles pas purement économiques?

Ces différences, si elles devaient changer quelque chose à leurs rapports avec le gouvernement, conduiraient à tenir l'administration des contributions indirectes, encore plus séparée du gouvernement que celle des contributions directes. En effet, comme nous l'avons déjà remarqué, les contributions indirectes ne peuvent être levées que par des régies nationales; autrement il n'y aurait point d'uniformité, point d'accord dans la perception. Ces régies ne peuvent opérer que par des agents de leur choix, par des agents étrangers aux lieux où ils exercent leurs fonctions, par des agents armés de lois pénales qui menacent le citoyen, et de la force qui le contraint. Au lieu que les contributions directes sont réparties, reçues, gardées par des citoyens choisis dans la section même où leurs fonctions doivent s'exercer, et toujours exempts de la nécessité d'attenter à la liberté individuelle pour assurer la perception. N'est-il donc pas évident que ce serait la première et la plus redoutable de ces administrations qu'il faudrait davantage se garder d'unir au plus redoutable des pouvoirs?

Messieurs, le régime qui était utile au clergé et aux pays d'Etats, ne peut pas être inutile à la nation. Ce qui a été longtemps le palladium de leur liberté, ne peut pas être indifférent à la nôtre.

Enfin, le vœu unanime de la France vous indique assez ce que vous avez à faire. Ouvrez vos cahiers, partout vous verrez que la finance doit être mise hors de l'atteinte du gouvernement.

N'hésitez donc pas à repousser loin de vous tout projet qui tendrait à faire passer dans ses mains et l'administration des contributions indirectes et la trésorerie générale de toutes les contributions.

Moins de danger, sans doute, et moins de disconvenances s'opposeraient à ce que la Constitution remit ces fonctions au Corps législatif; mais il y en aurait encore.

Le pouvoir législatif est dans le corps politique ce que les facultés intellectuelles sont dans l'homme il représente la raison publique ; il est l'organe de la volonté générale.

L'autorité du pouvoir législatif est incompatible avec toute responsabilité, car l'autorité de la raison publique qu'il représente ne doit point reconnaître de supérieure ni d'égale.

Toute fonction exécutive, au contraire, toute action, tout exercice des bras du corps politique est essentiellement soumis à la responsabilité. Le Corps législatif se dégrade donc quand il agit; il perd donc son autorité quand il exerce une puissance active.

Le pouvoir législatif doit aussi s'exercer sans distractions, planer sur les temps, sur les lieux, les embrassant tous, ne se fixant sur aucun : le pouvoir administrauf, au contraire, se traîne dans une route marquée, et s'arrête devant chaque

objet déterminé. Ce sont deux marches trop différentes pour convenir en même temps aux mêmes esprits.

Il faut donc n'associer aux fonctions législatives que celles qui, dans l'administration des finances, ne pourraient être remises à d'autres mains; il faut la borner à une surveillance continuelle et à l'examen de la comptabilité.

Ces réflexions nous ont conduits à penser qu'il convenait 1o de décréter que les régisseurs des contributions indirectes recevraient leur pouvoir du peuple; 2° d'instituer et de placer à la cime des corps administratifs un directoire d'administration suprême des finances, dont les membres seraient élus par chaque législature, après sa dernière session, et hors de son sein.

Ce directoire aurait sous sa direction immédiate, et sous une étroite responsabilité :

1o La trésorerie nationale dont le trésorier serait élu par la législature, et présenté par les administrateurs;

2o Les administrations de département en ce qui concerne les contributions directes;

3o Les régies générales des contributions indirectes.

Il est évident qu'en établissant une pareille administration, vous préservez la nation des dangers qu'elle court, si vous laissez au gouvernement le soin de la suppléer, et vous ne l'exposez à aucun autre.

Des administrateurs particuliers ne peuvent abuser de l'argent ni des subordonnés, pour attenter à la liberté publique. Entre leurs mains, l'argent ne sera pas joint à un grand pouvoir politique, à un grand ascendant d'autorité morale; entre leurs mains, les subordonnés ne seront pas le renfort d'une grande armée, l'auxiliaire d'une grande masse d'hommes achetés, ou toujours prêts à se vendre.

La responsabilité des administrateurs nous garantira d'ailleurs des déprédations privées.

D'un autre côté, en ordonnant que les élections ne se feront qu'à la fin de chaque législature, vous éviterez que le Corps législatif n'exerce en même temps, et le pouvoir de faire des lois, et une grande influence sur l'administration: ce qui arriverait, si les administrateurs devaient remplir leurs fonctions sous l'inspection de leurs propres électeurs. Vous éviterez aussi par le même moyen de réunir dans les mêmes personnes, le caractère de législateurs et les fonctions électorales; car lorsque celles-ci commenceront, l'autre n'existera plus.

En décrétant, comme nous le proposons, que les membres de la législature ne seront point éligibles, vous préviendrez les intrigues qui pourraient agiter sa session, et dégrader sa dignité.

Nous ne nous sommes pas dissimulé que, si la partie de ce système qui concerne l'administration était réalisée sans modification, elle pourrait compliquer, à un certain point, le jeu de la machine politique, et nuire à cet accord de mouvements qui doit se rencontrer dans toutes les parties de l'établissement public; mais nous avons trouvé sans peine un moyen de prévenir cet inconvénient. Nous avons pensé qu'il était possible de séparer dans l'administration des finances la délibération de l'action.

Le directoire d'administration nationale aurait la délibération des affaires, et un commissaire du roi près de ce directoire serait chargé d'en faire exécuter les décisions; il entretiendrait à cet effet la correspondance avec les administrations de département, et disposerait des moyens coactifs

que les circonstances pourraient rendre nécessaires.

Ce commissaire du roi remplirait encore un autre objet. Il surveillerait l'administration nationale et la trésorerie; et s'il pouvait s'y introduire des abus, s'y commettre des prévarications, il en serait le dénonciateur près de la législature.

Suivant ce plan, il en serait de la finance à peu près comme de la justice: des dépositaires particuliers de la confiance du peuple, composant le tribunal, ont seuls le droit d'y délibérer; et des agents du pouvoir exécutif, sous le titre de commissaires du roi, ont seuls le droit d'agir pour l'exécution des jugements.

A l'égard du roi, il n'y aurait de différence entre l'ancien état des choses et celui que nous proposons, qu'en ce qu'au lieu d'un conseil royal des finances par qui le ministre était censé dirigé, il y aura un conseil national, par qui il le sera réellement selon les décrets du Corps législatif. Les ordres de ce ministre n'auront que plus de poids dans les départements, l'obéissance ne sera que plus prompte et plus entière, le nom du roi ne sera que plus respecté. Le gouvernement n'aura perdu que le pouvoir d'abuser.

Voilà, Messieurs, les motifs du plan que nous avons adopté.

En dernier résultat, il consiste: 1° à séparer, et du pouvoir législatif et du gouvernement, la suprême direction des finances, et la trésorerie nationale, parce qu'elles ne pourraient être unies à l'une des deux, sans danger pour la Constitution; 2o A confier cette administration à un corps électif et populaire, incapable de s'en servir contre la nation, et en tout cas responsable;

3o A laisser au roi seut le pouvoir d'agir pour l'exécution des délibérations qui seront prises par les administrateurs;

4° A placer le corps administratif sous la double surveillance du roi et du Corps législatif.

Ainsi en détruisant presque la possibilité des abus, néanmoins nous multiplions encore les moyens de les découvrir s'il s'en introduit, et de les réformer aussitôt.

Non seulement ce système offrirait à la liberté publique une puissante garantie, mais encore il servirait à dissiper les inquiétudes du peuple sur l'emploi des deniers publics, inquiétudes qui aug. mentent pour lui la peine de payer des contributions; il servirait à assurer la sécurité du gran nombre de citoyens qui vivent de salaires ou do rentes payées par le Trésor de l'Etat. Il n'existerait plus une dette nationale, dont le payement pût être désormais différé; pas un service public dont le salaire pût être suspendu. Le crédit, dont tout favorise d'ailleurs la renaissance, serait affermi pour jamais, et nous offrirait les plus importantes ressources, soit pour augmenter notre prospérité, soit pour repousser des malheurs inattendus.

Nous finissons par une observation propre peut-être à concilier à notre plan, les esprits mêmes qui ne voient jamais dans ce qu'on fait pour la liberté, qu'une atteinte portée au gouvernement monarchique.

C'est que si l'Assemblée nationale sépare des fonctions royales, la suprême administration des finances et la trésorerie nationale, si elle place entièrement dans les mains des représentants du peuple, le véritable, le seul régulateur du pouvoir exécutif suprême, alors elle pourra donner d'ailleurs à ce pouvoir une très grande énergie; alors elle pourra et devra, sans délai, eu étendre la mesure; alors il n'y aura ni raison ni prétexte

de la laisser faible ou incertaine de sa force sa force ne pourra jamais être que celle de la loi et de la volonté publique, lorsque les dépositaires particuliers de la volonté publique et de la loi auront la faculté et l'obligation de la tempérer dans ses excès, ou de l'arrêter dans ses écarts.

Voici notre projet de décret; il renferme non seulement les dispositions nouvelles que nous croyons devoir vous proposer, mais encore quelques autres dispositions déjà décrétées, et qu'il nous a paru nécessaire de joindre ici, soit à raison de leur connexité avec ces premières, soit parce qu'elles n'ont pas encore été décrétées constitutionnellement.

PROJET DE DÉCRET.

Art. 1. Les légistatures pourront seules régler le mode des contributions, en fixer la somme ou le taux, et répartir entre les départements celles dont le montant sera déterminé. Leurs décrets seront présentés à l'acceptation du roi.

Art. 2. Les corps administratifs et les municipalités pourront seuls répartir et percevoir les contributions directes; la collecte immédiate et les recettes particulières des deniers qui en proviendront seront confiées à des receveurs ou trésoriers élus. Une ou plusieurs régies seront chargées de la perception des contributions indirectes. Les régisseurs seront nommés par la législature à la fin de chaque session, sur la présentation des administrateurs de la Trésorerie, et ils nommeront leurs préposés.

Art. 3. Des administrateurs généraux, élus par chaque législature après sa dernière session et hors de son sein; un trésorier élu de même et sur la présentation des administrateurs, auront seuls la garde des deniers provenant des recettes de l'Etat et en seront responsables.

Art. 4. Les deniers publics ne sortiront de la trésorerie nationale, que pour être employés immédiatement et à mesure du besoin, aux diverses dépenses qui auront été décrétées par la législature,

Art. 5. Un commissaire du roi assistera aux assemblées des administrateurs de la trésorerie. Il proposera chaque semaine la distribution des fonds votés par l'Assemblée nationale, pour les dépen-es générales. Il sera entendu dans toutes les delibératious, mais n'y aura que voix consultative; et conformément à ce qui aura été déterminé dans ces délibérations, il correspondra avec les corps administratifs et régies, et surveillera la rentrée des deniers publics.

Fait au comité de l'imposition, le 10 décembre 1790.

Signé: ROEDERER, LA ROCHEFOUCAULD,
DAUCHY, DEFERMON, D'ALLARDE,
JARRY.

M. d'André. Voilà un troisième pouvoir qu'on vous présente, celui des finances. On l'a appuyé sur des motifs très séduisants, et que je ne puis en ce moment ni adopter ni combattre, parcequ'il faut le temps de la réflexion. Je demande l'impression du rapport de M. Roederer, et l'ajournement de la discussion à vendredi prochain.

(Cette motion est immédiatement adoptée.)

M. Camus. Le comité de l'imposition vient de vous proposer une question importante, qui tient à l'organisation du ministère. Je désirerais

que ce plan fût communiqué au comité de Constitution, en le chargeant de vous présenter en dix jours un plan sur cette organisation.

M. Briois-Beaumetz. J'appuie cette motion d'autant plus fortement qu'il n'y a point d'organisation qui demande plus d'ensemble que celle du ministère. Je demande en outre que le rapport de M. Ræderer soit communiqué dans le jour au comité des finances.

(Ces deux motions sont adoptées.)

M. Dupont (de Nemours). Quoique je sois du comité de l'imposition, je ne partage point l'opinion qu'il vient de manifester et j'espère que l'Assemblée ne l'adoptera point.

M. Démeunier. Il est impossible au comité de Constitution de faire ce qu'on lui demande d'ici à vendredi, ainsi que cela résulterait de la motion de M. d'André. Je ne crois pas du reste que la partie des finances soit liée à l'organisation du ministère, de façon à ne pouvoir en être distraite.

(L'Assemblée ajourne à dix jours le rapport du comité de Constitution sur l'organisation du ministère.)

L'ordre du jour est ensuite un second rapport des comités réunis des finances, d'imposition et des domaines sur les apanages.

M. Enjubault de La Roche, membre du comité des domaines et rapporteur, dit (1):

Messieurs, vous avez décrété, dans la séance du 13 août dernier, la suppression des apanages réels, mais la loi importante, dont vous avez posé les premières bases, n'a point encore reçu son dernier complément. Vous avez ajourné plusieurs articles essentiels du projet de décret qui vuus a été présenté. Vos comités réunis vont les Foumettre de nouveau à votre délibération, avec les modifications que des circonstances et des réflexions nouvelles leur ont suggérées; ils vous rappelleront aussi les divers amendements qui en ont été l'occasion; et ils classeront, dans un ordre convenable, les dispositions additionnelles que vous avez voulu qui vous fussent présentées. La fixation de la rente apanagère, l'entretien de la maison des deux frères du roi, les secours que sollicitent les trois apanagistes, sont les premiers objets sur lesquels nous allons fixer conjointe ment vos regards. Ils ont entre eux une telle connexité, qu'il nous est impossible de les con sidérer séparément.

Les apanages réels, que vous avez abolis, doivent être remplacés par une rente annuelle. Pour en déterminer la quotité, vos commissaires ont consulté les usages anciens et les titres modernes. Ils vous ont présenté un tableau comparatif de la valeur nominale des espèces avec leur valeur effective aux différentes époques où ils ont cru devoir s'arrêter; ils ont opposé nos mœurs ac tuelles avec les mœurs anciennes; ils ont balancé le faste important des derniers siècles, avec le luxe plus délicat de nos temps modernes.

C'est, d'après ces différents termes de comparaison que nous vous avons proposé d'élever, à un million de notre monnaie, la rente annuelle qui doit être substituée au produit réellement progressit des domaines concédes. Des considé

(1) Le rapport de M. Enjubault de La Roche est incomplet au Moniteur.

rations postérieures, fondées sur des faits qui nous étaient alors inconnus, nous ont fait penser que cette proposition était suscentible de quelques modifications. Vos commissaires, dans leur premier rapport, n'avaient pas porté leurs vues plus loin; ils avaient abandonné au comité de finances le soin d'agiter les questions relatives à l'entretien des maisons des deux frères du roi. Vous nous avez imposé l'obligation de faire entrer la solution de ces questions accessoires dans le nouveau plan dont vous attendez le projet. Nous avons tâché de nous mettre en état d'exécuter vos ordres.

Pour y procéder avec méthode et en écarter l'arbitraire, nous avons fait des recherches sur l'origine, la nature et la quotité du traitement accordé aux princes au dessus de leurs apanages; nous avons cherché à nous assurer si ce traitement pécuniaire avait été jusqu'ici d'un usage constant, s'il y avait entre lui et le produit de l'apanage quelque proportion déterminée, si enfin il existait une échelle qui en réglât la décroissance en raison de la distance qui se trouve entre le trône d'où il émane et le prince qui l'obtient. Nos découvertes sur tous ces points n'ont pas été extrêmement satisfaisantes. Nous avons reconnu qu'à partir d'époques assez reculées, les enfants des rois avaient communément obtenu des traitements annuels destinés à soutenir l'éclat de leur rang et la splendeur de leur maison; que ces traitemen's d'usage diminuaient successivement dans les degrés inférieurs et finissaient par s'anéantir en s'éloignant de leur source; mais nous n'avons trouvé sur tous ces points aucun usage constant, aucune règle certaine; nous avons cru remarquer, au contraire, que rien n'était si variable que l'étendue de ces sortes de grâces; qu'elle dépendait de la générosité, de la faiblesse, de la prodigalité du monarque qui en était le dispensateur; des services réels ou supposés, de l'adresse ou de l'intrigue du prince qui se la faisait accorder, et surtout du grand art de se faire valoir, qui fait le principal talent des cours; qu'en un mot, ces sortes de faveurs avaient toujours été parfaitement subordonnées aux circonstances. Vos comités n'en citeront qu'un exemple choisi dans cette longue suite de princes, qui, depuis les frères de Charles IX jusqu'à nous, ont été plus ou moins largement stipendiés par le Trésor public. En 1626, Gaston de France, qui jouissait d'ailleurs d'un immense apanage, fit porter son traitement à 660,000 livres le marc d'argent était alors à 20 livres 5 sols 4 deniers, et le setier de blé à 9 livres ces deux valeurs, rapprochées des valeurs actuelles, élèvent cette soimme au-dessus de 1,700,000 livres. Or, on sait combien, à cette époque, des malheurs de tout genre avaient appauvri l'Etat; mais on sait aussi combien cette circonstance-là même, mettait ce prince inquiet et turbulent dans le cas de faire la loi. (Voy. MS de Brienne, 243.)

Quant aux deux apanagistes, frères du roi, nous n'avons pas porté nos recherches au delà de leurs mariages. Leurs contrats respectifs promettent, à chacune des deux épouses, une somme convenable, proportionnée à leur naissance et à leur rang, pour l'entretien de leur état et maison; et des déclarations du roi, registrées dans les cours, établissent séparément ces maisons et celles de leurs maris. Des états, qui y sont annexés, déterminent le titre et le nombre des officiers dont elles seront composées. Les maisons des deux princes étaient, pour nos finances, une charge d'environ 2,200,000 livres : celles des prin

cesses coûtaient chacune au moins 1,300,000 livres, c'était une dépense de 7 millions, au total : on y ajoutait les cassettes, les étrennes, la foire, ce qui s'élevait à plus de 300,000 livres, des événements particuliers donnaient lieu à des gratifications extraordinaires: on faisait les frais de l'éducation des enfants; de sorte que, chaque année, ces dépenses réunies excédajen 8 millions; le traité de l'administration des fiannces les porte à 8,300,000 livres, et l'état des dépenses fixes au mois de mal 1789, à 8,240,000 livres.

Il est vrai que les princes étaient chargés de payer les appointements de leurs officiers domestiques, civils et militaires, et que ces gages représentaient l'intérêt de finances versées au Trésor public. Ces gages, dont 1 détail serait aussi inutile que fastidieux, étaient très considérables et diminuaient beaucoup les sommes dont les princes pouvaient disposer. Au reste, dès le mois de mai de l'année dernière, Monsieur se détermina, de son propre mouvement, à une réduction de 500,000 livres; et bientôt après, vous avez réduit ce double traitement à 4,700,000 livres, au total, y compris 700,000 livres, pour l'éducation des enfants de M. d'Artois.

D'après ces indications on peut admettre, comme un fait certain, que, depuis très longtemps, les fils et les petits-fils de France ont habituellement obtenu des trait ments pécuniaires et annuels, distingués de leurs apanages et bornés à la personne à qui ils étaient accordés. Le fils, le frère d'un rol, placé tout près du trône, devait, d'après nos préjugés, tenir un état de maison qui répondit à ce rang sublime; et le traitement annuel était destiné à lui en fournir les moyens. Dans les générations suivantes, cette poinpe d'étiquette diminuait, en s'éloignant de sa source, et elle finissait par être tout à fait retranchée. Le traitement suivait la même marche, il s'affaiblissait et s'éteignait avec elle.

Ici s'élèvent deux questions importantes acCordera-t-on à l'avenir de nouveaux traitements aux enfants de nos rois ? Conservera-t-on aux frère du roi régnant une portion au moins de ceux dont ils jouissent, et en faveur desquels ils peuvent alléguer des titres et une sorte de possession?

Sur la première de ces questions, vos commissaires se sont unanimement déterminés pour la négative; ils ont soulevé le voile qui couvre à nos yeux le sort des empires; ils ont envisagé avec un vif transport, avec un religieux enthousiasme, les suites heureuses de la Constitution que vous avez créée. Le luxe des cours s'est évanoui devant elle. Les enfants des rois seront à l'avenir des citoyens; ils se distingueront par leurs vertus, leur modération, le mépris du faste; un modique apanage suffira à leurs besoins; une noble économie préparera des établissements solides à leurs enfants. Le traitement n'était fait que pour fournir aux frais d'une vaine étiquette; et l'étiquette ne sera plus. Il ne leur faut point de traitement.

Mais nous approchons de ce terme heureux : nous n'y sommes pas encore parvenus. Les deux petits-fils de Louis XV, élevés à la cour fastueuse et prodigue de leur aïeul, n'ont pas appris de boune heure à mépriser ce luxe séduisant, dont l'éclat a fixé leurs premiers regards; une longue habitude leur a fait des besoins factices; un immense superflu leur est devenu nécessaire. lis ont, pour réclamer un traitement, des titres revêtus de toutes les formes qui suffisaient alors pour les faire valider et pour les ériger en loi:

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