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droit utendi, fruendi, et les fruits que la nature produit, qui se consomment par le premier usage.

Ces sortes d'obventions (la commise, la confisation, etc.) sont in fructu, c'est-à-dire qu'étant au nombre des productions de l'héritage, elles en suivent le sort par rapport à l'usufruit, comme par rapport à la propriété. Bien loin de se consommer par l'usage, elles se joignent à la substance de la chose, par une espèce d'alluvion ou de retour au premier état; elles en font donc partie, et n'ont par conséquent d'autre sort que celui de la chose, quant à l'usufruit, comme quant à la propriété, sauf à l'usufruitier, son indemnité, à raison de ce qu'il peut avoir déboursé; il faut donc, ajoute-t-il, subdiviser les fruits civils en deux classes: l'une des obventions extraordinaires qui résultent de la nature de la chose et ne se consomment pas par l'usage, mais à titre d'accroissement, augmentent la substance de la chose: l'autre des obventions ordinaires qui imitent les fruits de la nature, et comme eux se produisent et se reproduisent et se consomment par l'usage; avec cette subdivision, on aura la clef de la matière.

Constant dans son système, et le suivant dans tous ses développements, le même auteur dit encore, en parlant du retrait féodal, que l'apanagiste qui l'exerce peut déclarer qu'il est dans l'intention de concéder de nouveau le fief qu'il retire, qui, par conséquent, ne s'unira point au corps féodal; qu'il peut se le concéder à luimême et le tenir comme séparé; mais que, s'il n'a point mis ces explications, le fief retiré, suivant le droit commun, sera uni et incorporé; et que lors de l'extinction de l'apanage, il y aura, dans la succession de l'apanagé, à la place du fief, une action pour le remboursement de ce qui a été déboursé par le retrait féodal, comme dans le cas du retrait lignager.

Vos commissaires, Messieurs, n'ont point dessein d'élever des doutes sur une question que vous avez résolue d'une manière implicite, en adoptant la rédaction proposée, lors de la première discussion; ils pensent comme M. Tronchet, qu'il est très juste de ne soumettre à la loi du rachat, que les domaines engagés, dont les apanagistes auraient exercé le retrait domanial; mais ils croient prudent de l'énoncer d'une manière expresse, afin que les autorités et les exemples que l'on pourrait citer, au contraire, ne puissent faire naître à l'avenir aucune contestation.

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à chaque époque, par la législature en activité. Art. 2, décrété. Toutes concessions d'apanage antérieures à ce jour sont et demeurent révoquées par le présent décret; défenses sont faites aux apanagistes, à leurs officiers, agents ou régisseurs de se maint nir ou continuer de s'immiscer dans la jouissance des biens et droits compris auxdites concessions, au delà des termes qui vont être fixés par les articles suivants.

Art. 3, décrété. La présente révocation aura son effet à l'instant même de la publication du présent décret, pour tous les droits ci-devant dits régaliens, ou qui participent de la nature de l'impôt, comme droits d'aides et autres y joints, contrôle, insinuation, centième denier, droits de nomination et de casualité des offices, amendes, confiscations, greffes et sceaux, et tous autres droits semblables, dont les commissionnaires jouissent à titres d'apanage, d'engagement, d'abonnement ou de concession gratuite, sur quelques objets ou territoires qui les exercent.

Art. 4, décrété. Les droits utiles, mentionnés dans l'article précédent, seront à l'instant même réunis aux finances nationales; et dès lors ils seront administrés, régis et perçus, selon leur nature, par les commis-agents et préposés des compagnies établies par l'administration actuelle, dans la même forme et à la charge de la même comptabilité, que ceux dont la perception, régie et administration leur est actuellement confiée.

Art. 5, décrété. Les apanagistes continueront de jouir des domaines et des droits fonciers, compris dans leurs apanages, jusqu'au mois de janvier 1791; ils pourront même faire couper et exploiter à leur profit, dans les délais ordinaires, les coupes de bois qui doivent être coupées et exploitées dans le cours de l'hiver prochain, ainsi qu'ils auraient fait, si le présent décret n'était pas intervenu, en se conformant par eux aux procès-verbaux d'aménagement, et aux ordonnances et règlements intervenus sur le fait des eaux et forêts.

Art. 6. Il sera payé tous les ans, à partir du mois de janvier prochain, par le Trésor national, à chacun des trois apanagistes, dont les apanages réels sont supprimés, à titre de remplacement, une rente apanagère d'un million pour chacun

d'eux.

Art. 7. Après le décès des apanagistes, les rentes apanagères, créées par le présent décret ou en vertu d'icelui, seront divisées par portions égales entre tous leurs enfants mâles, sans aucun droit de primogéniture, à l'exclusion des filles et de leur représentation: ces rentes leur seront transmises, quittes de toutes charges, dettes et hypothèques autres que le douaire viager dû aux veuves de leurs prédécesseurs, auquel ces rentes pourront être affectées, jusqu'à concurrence de la moitié d'icelles, et la même division et sousdivision aura lieu aux mêmes conditions, dans tous les degrès et dans toutes les branches de la ligne masculine, issue du premier concessionnaire, jusqu'à son extinction.

Art. 8. En cas de défaillance d'une ou de plusieurs branches masculines de la ligne apanagée, la portion de la reute apanagère dévolue à cette branche, passera à la branche ou aux branches masculines, les plus prochaines ou en parité de degré, selon l'ordre des successions qui sera lors observé.

Art. 9. A l'extinction de la postérité masculine du premier concessionnaire, la rente apanagère sera éteinte au profit du Trésor national, sans autre affectation que de la moitié d'icelle au

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douaire viager, tant qu'il aura cours, suivant la disposition de l'article 7; et les filles, en leur représentation, en seront exclues dans tous les cas. Art. 10, décrété. Les fils puînés de France, leurs enfants et descendants, ne pourront, en aucun cas, rien prétendre ni réclamer, à titre héréditaire, dans les biens-meubles et immeubles, relaissés par le roi, la reine et l'héritier présomptif de la couronne.

Art. 11. Il sera payé à chacun des apanagistes, frères du roi, au-dessus de la rente apanagère, pendant leur vie seulement, pour l'entretien de leurs maisons réunies à celle de leurs épouses, conjointement et sans distinction, à partir du premier janvier prochain, une pension ou traitement annuel d'un million; et si leurs épouses leur survivent, elles toucheront, chaque année, 500,000 livres, pour la même cause, tant qu'elles habiteront le royaume et qu'elles seront en viduité.

Art. 12. Il ne sera plus accordé à l'avenir aux fils ou petits-fils de France, aucunes sommes, rentes où traitements pécuniaires, distinguées de l'apanage, pour l'entretien de leurs maisons et celles de leurs épouses, ou sous quelque autre prétexte que ce soit, sans exclusion néanmoins des rétributions, gages ou appointements attachés aux fonctions publiques dont ils pourront être revêtus.

Art. 13. L'Asemblée nationale décrète que, sur les sommes, dont le Trésor public bénéficiera (1) par les suppressions et réductions ci-dessus ordonnées, il sera payé dans le cours de l'année 1791, à Monsieur, frère du roi, un million que cette somme décroitra chaque année de 500,000 livres, jusqu'à la douzième année inclusivement, où elle se trouvera réduite à la somme de 450,000 livres, qui lui sera encore payée, après quoi elle sera éteinte, sans qu'il puisse être fait d'autre payement ultérieur; qu'il sera payé, à M. d'Artois, second frère du roi, pareille somme d'un million, l'année prochaine, laquelle décroîtra aussi de 50,000 livres par an, et sera par ces décroissements successifs éteinte au bout de 20 ans; qu'enfin, il sera payé une autre somme d'un million, aussi l'année prochaine, à M. d'Orléans, laquelle décroîtra successivement de 80,000 livres par an, jusqu'à la treizème année, qu'elle sera réduite à 40,000 livres, et entièremement éteinte l'année suivante (2).

Art. 14. Au moyen des sommes respectivement accordées par l'article précédent, les apanagistes renonceront à toutes demandes en répétition ou indemnité résultant des améliorations, réfections ou constructions nouvelles faites sur leurs apanages ou sur les terrains qu'ils y auraient annexés, desquels il sera fait abandon au profit de la nation; ils renonceront à demander aucune coupe ou portion de coupes arriérées, dans les bois et forêts desdits apanages, sauf à eux à poursuivre le recouvrement des autres genres de revenus échus à l'époque du 1er janvier 1791, et à continuer les coupes et exploitations qu'ils ont été autorisés à faire par le présent décret et par les précédents, et sans que la présente disposition puisse s'étendre aux domaines engagés, dont ils auraient exercé le retrait domanial.

Art. 15, décrété. Les baux à ferme ou à loyer

(1) Si l'on compte de l'année 1788, le bénéfice sur lequel ces sommes seront prises, sera de plus de 9 millions par an, et seulement de 5,700,000 livres, si l'on compte du mois de mai 1789.

(2) Ces trois progressions décroissantes coûteront à l'Etat, pendant 20 ans, 25,960,000 livres.

des domaines et droits réels compris aux apanages supprimés, ayant une date antérieure de six mois au moins au décret du 13 août dernier, seront exécutés selon leur forme et teneur; mais les fermages et loyers seront payés, à l'avenir, aux trésoriers des districts de la situation des objets compris en iceux, déduction faite de ce qui sera dû à l'apanagiste sur l'année courante, d'après la disposition de l'article 5.

Art. 16, décrété. Les biens non affermés ou qui l'auraient été depuis six mois seront régis et administrés comme les biens nationaux retirés des mains des ecclésiastiques.

Art. 17, décrété. Les décrets relatifs à la vente des biens nationaux s'étendront et seront appliqués à ceux compris dans les apanages supprimés.

Art. 18. Le palais d'Orléans ou du Luxembourg et le Palais-Royal sont exceptés de la révocation d'apanage prononcée par le présent décret et celui du 13 août dernier les deux apanagistes auxquels la jouissance en a été concédée, et les aînés mâles chefs de leurs postérités respectives, continueront d'en jouir au même titre et aux mêmes conditions que jusqu'à ce jour.

Art. 19. Il sera avisé aux moyens de fournir, quand les circonstances le perimettront, une habitation convenable à Charles-Philippe de France, second frère du roi, pour lui et les aînés chefs de la branche, au même titre d'apanage, à la charge de réversion au domaine national, aux cas de droit.

Art. 20 (1). Les acquisitions faites par les apanagistes, dans l'étendue des domaines dont ils avaient la jouissance à titre de retrait des domaines tenus en engagement, dans l'étendue de leurs apanages, continueront d'être réputés engagements, et seront à ce titre perpétuellement rachetables; les acquisitions par eux faites à tout autre titre, même de retrait féodal, confiscation, commise ou déshérence, leur demeureront en toute propriété.

M. le Président. La discussion est ouverte sur les articles non décrétés.

M. Levassor (ci-devant de Latouche). Je suis si convaincu de la justice de cette Assemblée, que c'est beaucoup moins pour implorer cette justice que j'ai demandé la parole que pour mettre sous Vos yeux quelques observations sur la situation particulière de M. d'Orléans. Je commencerai par répondre à une note, n° 1, du rapport fait au nom du comité. Ai-je dù, dans l'état de situation de M. d'Orléans que j'ai fait remettre par son ordre à chacun des membres de cette Assemblée, employer autrement qu'en note instructive l'état des biens de M. d'Orléans? Ne sont-ils pas distincts de la fortune de son épouse? Les créanciers de M. d'Orléans peuvent-ils se fonder sur cette ressource, et n'ai-je pas eu l'attention, en parlant de la nécessité d'obtenir un traitement personnel de subsistance et d'entretien pour M. d'Orléans et ses enfants, de ne pas parler de madame d'Orléans, ses revenus pouvant faire face à sa dépense? Secondement, en présentant un aperçu des produits des biens patrimoniaux de M. d'Orléans, j'ai dû nécessairement comprendre dans les charges les frais de justice et d'enfants trou

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vés, puisqu'au moment où je formais ces états, ces objets étaient exactement payés par les receveurs et les régisseurs. Ces charges, se trouva t supprimées par vos décrets, diminuent en effet le déficit de près de 120,000 livres; mais ce produit pouvait-il faire face aux impositions que j'ai approchées beaucoup au-dessous de ce qu'elles coûteront à M. d'Orléans, parce que je ne connaissais pas alors le système adopté par l'Assemblée nationale sur l'impôt?

Je répondrai, en troisième lieu, à l'observation faite par le comité, qui retranche du déficit la somme de 148,343 livres portée pour l'intérêt des dettes exigibles. J'ai cru devoir l'énoncer sans faire mention des intérêts que M. d'Orléans pour. rait exiger des sommes qui lui sont dues. Je dois vous faire connaître mon motif; le voici: j'ai pensé qu'il était juste de tenir compte aux ouvriers, entrepreneurs et fournisseurs, du retard que les circonstances forceraient d'apporter à leur payement, et qu'il serait peut être trop sévère d'exiger des intérêts de la part des créanciers et autres redevables de M. d'Orléans. J'ai pensé que l'Assemblée ne pouvait improuver cet esprit de justice et de bienfaisance de sa part.

J'avouerai que j'ignorais, lorsque je travaillais à cet état, les dispositions des derniers articles du projet de décret qui vous est présenté, qui accorde la jouissance à titre d'engagement, aux ci-devant princes apanagistes, des domaines qu'ils auront réunis à leurs apanages. Ces objets s'élèvent, dans la fortune de M. d'Orléans, à 200,000 livres. C'est en effet cette somme qu'il faut déduire sur le déficit énoncé. Je conviens de toute la justice de cette quatrième partie de l'observation du comité, en réclamant contre les trois autres. Après avoir donné les éclaircissements que je crois vérifiés, je dois appeler votre attention sur une vérité que je crois incontestable: c'est que l'Assemblée, en supprimant les apanages qui ne pouvaient plus subsister, n'a sûrement pas entendu priver un possesseur de cent vingt-neuf années des avantages de la propriété, quand ils étaient dus à une bonne administration.

Si la maison d'Orléans eût employé en acquisition de domaines toutes les somines qu'elle a dépensées en amélioration au profit de l'apanage sur la jouissance duquel elle devait co ler, la dépossession qu'elle éprouve aujourd'hui ne ferait pas un vide aussi considérable dans sa fortune. Or, comme c'est la nation qui profite seule de toutes ces dépenses, c'est aussi à elle à indemniser convenablement M. d'Orléans. Je bornerai là mes réflexions, laissant à la justice de l'Assemblée à statuer sur la quotité de l'indemnité annuelle à accorder à M. d'Orléans.

M. l'abbé Maury. Je ne puis m'empêcher d'observer qu'il est fâcheux que le comité n'ait pas consulté un excellent mémoire sur les apanages, composé en 1771 par M. l'abbé Terray. J'ai eu connaissance de ce mémoire; le comité aurait pu se le procurer aisément; il est sans doute au contrôle général.

M. Prugnon s'élève contre l'inégalité des indemnités accordées par le comité aux trois apanages. Il propose ensuite une longue série de questions que l'Assemblée n'adopte pas.

M. Chasset déclare qu'il est nécessaire d'aller aux voix sur les nouveaux articles du comité en commençant par l'article 6, puisque les cinq premiers ont été décrétés. Il observe qu'on ne

doit pas fixer la rente apanagère avant d'avoir décidé sur l'indemnité.

M. Ræderer répond que la rente apanagère n'est pas un traitement personnel, mais une rente qui passe à la famille de mâle en mâle.

M. Levassor propose de dire que la rente sera payée de six mois en six mois. Cet amendement est adopté. L'article 6 est ensuite décrété en ces termes : Art. 6.

« Il sera payé tous les ans, à partir du mois de janvier prochain, par le Trésor national, de six mois en six mois, à chacun des trois apanagistes dont les apanages réels sont supprimés, à titre de remplacement, une rente apanagère d'un million pour chacun d'eux.

M. Enjubault, rapporteur, relit l'article 7.

M. Regnaud (de Saint-Jean-d'Angély) demande comment seront dotées les filles des princes si ceux-ci épousent la vertu sans fortune et s'il n'y a pas de biens du chef de la mère. Il demande que les filles des princes soient admises au partage des rentes apanagères.

(Cet amendement est rejeté.)

Un membre propose un léger changement, en ce qu'après ces mots, seront divisés par portions égales entre tous les enfants mâles, on ajoute ceuxci, ou leurs descendants par représentation. Cet amendement est adopté.

L'article 7 'est ensuite décrété dans la teneur suivante :

Art. 7.

« Après le décès des apaganistes, les rentes apanagères, créées par le présent décret ou en vertu d'icelui, seront divisées par portions égales entre tous leurs enfants mâles où leurs descendants par représentation en ligne masculine, sans aucun droit de primogéniture, à l'exclusion des filles et de leur représentation: ces rentes leur seront transmises, quittes de toutes charges, dettes et hypothèques, autres que le droit viager, dû aux veuves de leurs prédécesseurs, auquel ces rentes pourront être affectées, jusqu'à concurrence de la moitié d'icelles ; et la même division et sous-division aura lieu aux mêmes conditions, dans tous les degrés et dans toutes les branches de la ligne masculine, issue du premier concessionnaire, jusqu'à son extinction. »

Les articles 8 et 9 sout décrétés sans discussion et sans aucun changement. Ils sont ainsi conçus :

Art. 8.

«En cas de défaillance d'une ou de plusieurs branches masculines de la ligne apañagée, la portion de la rente apanagère dévolue à cette branche passera à la branche ou aux branches masculines les plus prochaines ou en parité de degré, selon l'ordre des successions qui sera alors observé.

Art. 9.

A l'extinction de la postérité masculine du premier concessionnaire, la rente apanagère sera éteinte au profit du Trésor national, sans autre affectation que de la moitié d'icelle au douaire viager, tant qu'il aura cours, suivant la disposi

tion de l'article 7, et les filles, en leur représentation, en seront exclues dans tous les cas. »

M. Enjubault, rapporteur. L'article 10 ayant été antérieurement décrété, je vais relire l'article 11.

M. Charles de Lameth. Avant de délibérer sur cet article et sur les suivants, je crois indispensable de résoudre les trois questions que voici : Première question. Outre la rente apanagère, les apanagés actuels auront-ils une indemnité ?

Seconde. Cette indemnité sera-t-elle égale aux revenus attachés aux apanages actuels, déduction faite de la rente apanagère ?

Troisième. Quels revenus entreront dans la composition de ceux des apanages?

M. de Mirabeau. Je demande l'ajournement de cette discussion afin de vous entretenir d'une affaire urgente.

(L'ajournement est prononcé.)

M. de Mirabeau. Je demande la parole pour vous rendre compte des mesures provisoires que Vous avez chargé les députés de la ci-devant province de Provence de vous proposer au sujet des événements arrivés à Aix.

M. de Foucault. Je désirerais qu'on nous accordât, au sujet des troubles du département du Lot, la même faveur qu'aux députés de Provence. Dans le Quercy tout est en feu; il n'y a ni liberté Di sûreté; trente châteaux ont été brûlés.

M. de Mirabeau. C'est simplement sur les mesures provisoires à prendre, dans la situation très critique où les administrateurs du département des Bouches-du-Rhône craignent que tous les moyens ne leur manquent à la fois, que, d'après les ordres de l'Assemblée nationale, nous avons eu à nous concerter. Voici le projet de décret que la députation nous a chargés de vous présenter; si on le croit nécessaire, je donnerai les motifs qui nous ont engagés à les rédiger ainsi :

Ouï la lecture des lettres du président du département des Bouches-du-Rhône et de celle des corps administratifs en date du 14 de ce mois, l'Assemblée nationale décrète que le roi sera prié de faire passer à Aix et dans le département des Bouches-du-Rhône un nombre de troupes de ligne suffisant pour rétablir la tranquillité publique, et d'envoyer trois commissaires civils dans ladite ville, pour, jusqu'à ce qu'il en soit autrement ordonné, ces commissaires civils être chargés exclusivement de la réquisition de la force publique. »

Ce projet de décret a été adopté à l'unanimité par la députation, sauf un seul mot, et ce mot a lui-même été agréé à une majorité de quinze contre quatre: c'est le mot exclusivement.

J'ai déjà dit que nous sommes loin de préjuger la conduite des administrateurs; mais nous ne pouvons nous dissimuler que, là où il y a eu un grand désordre, les administrateurs sont parties, et que la réquisition de la force publique doit être confiée à d'autres mains. Il faut toujours suivre une marche impartiale dans un pays où les citoyens sont partialisés; il est nécessaire de donner au rétablissement de l'ordre des organes qui ne soient d'aucun parti, qui ne partagent pas les passions qui ont excité les mouvements qu'il faut apaiser. Quand un chef d'administration,

d'accord avec tous les corps administratifs, dit : Tous les moyens m'échappent, il faut que la force publique vienne à son aide. Teis sont les motifs qui nous ont déterminés. Les membres de la députation que le mot exclusivement a choqués ont pensé qu'il était constitutionnel de faire agir de concert les administrateurs et les commissaires du roi. La majorité s'est, au contraire, attachee à ce principe que, où il y a eu de grands désordres, les administrateurs sont parties.

M. Démeunier. Si les commissaires ont des dangers à courir, pourquoi ces dangers ne seraient-ils pas partagés par les corps administratifs? Pourquoi d'ailleurs détruiriez-vous la res-ponsabilité à laquelle ces corps sont soumis? Je vais plus loin; si les corps adininistratifs ont fait leur devoir, ils doivent concourir à la réquisition de la force publique. Si la députation a connaissance du contraire, si les corps administratifs inspirent de la défiance, j'adopte le projet de décret; mais c'est dans ce seul cas. Que la députation s'explique donc, autrement je pense qu'il doit être amendé.

M. l'abbé Maury. Vous vous occupez des moyens provisores; cette malheureuse province serait anéantie si l'ordre n'était pas rétabli avant qu'elle ait reçu vos secours. Mais si malheureusement il n'est pas en notre pouvoir de prevenir de pareils événements, quand un grand crime a été commis, lorsque la proclamation de la loi martiale n'a pas été faite, et qu'on s'en excuse en disant qu'elle était inutile...

M. de Mirabeau. Les administrateurs n'ont jamais dit cela.

M. l'abbé Maury. La loi martiale n'a pas été proclamée; les prisons ont été forcées, et l'on n'a pas tiré un seul coup de fusil; les victimes ont été choisies; le peuple s'est attribué la souveraineté particulière. Dans ce département on a vu, et on a vu surtout dans l'affaire de M. Bournissa, combien on a cherché à le pénétrer d'une opinion qui ne peut tendre qu'à le dépraver. Si un général apprenait qu'un poste est forcé, il enverrait des trounes; rien de plus naturel; mais que le Corps legislatif envoie des troupes lorsque trois citoyens ont été massacrés, n'est-ce pas faire croire que nous comptons pour rien la mort de nos frères ? (On entend des applaudissements et des murmures. Plusieurs personnes observent qu'il ne s'agit que d'une mesure provisoire, et que l'Assemblée, disposée à sévir, a renvoyé cette affaire au comité des recherches.)

Je ne préjuge pas le fond: il tient aux personnes, et mes propositions appartiennent aux principes. L'Assemblée ne peut s'occuper des événements que j'appelle de grands crimes sans déclarer les coupables criminels de lèse-nation au premier chef. Puisque les moyens provisoires sont très lents, puisque vous ne pouvez montrer votre patriotisme que par un décret, puisque vous avez fait souvent des préambules inutiles, je demande un préambule énergique contre ces insurrections, contre ces crimes qui déshonorent la nation. (Il s'élève des murmures.) Je ne sors pas des bornes des moyens provisoires; un mois s'écoulera jusqu'à ce que vous puissiez prendre des mesures définitives pour punir. Il faut cependant que le peuple sache que vous avez été pénétrés d'horreur; une prétérition serait une approbation; il faut manifester que vous ne regardez

plus comme citoyens des individus qui sont descendus de ce rang à celui de bourreau. Dans un moment où plusieurs provinces sont dans l'insurrection, pourrons-nous balancer à dire à des assassins qu'ils sont des scélérats, qu'ils sont criminels de lèse-nation, que la nation les désavoue, qu'elle gémit de ne pouvoir les livrer à la justice? Les crimes ont été commis en présence des administrateurs, leur devoir était de périr... (La droite applaudit avec transport; et plusieurs membres crient à la gauche : Applaudissez donc!)

M. Girod (ci-devant de Chévry). Que M. l'abbé Maury s'élève aussi contre les assassins qui ont attaqué les patriotes avec des pistolets et des épées!

M. l'abbé Maury. Je n'imaginais pas qu'un grand intérêt national pût donner lieu en ce moment à une querelle personnelle. Ces formules me sont connues; je les dédaigne, et je m'attache à la question. Je prie les personnes qui ont des avis à me donner de me les donner en particulier; je suis toujours prêt à les recevoir. (Il s'élève beaucoup de murmures.) Je crois ne heurter l'opinion de personne; j'estime assez les membres de cette Assemblée pour me croire leur interprète quand j'exprime l'horreur que m'inspirent des crimes qui déshonorent la nation. Je demande donc que la députation acquitte la dette de l'Assemblée nationale en manifestant cette horreur dans un préambule énergique, en manifestant notre regret de ne pouvoir à l'instant faire punir les assassins. Pourquoi, dans le projet de décret, cette énonciation vague de secours suffisants? Quelles sont les bornes de la suffisance de ces secours dans un pays entièrement en insurrection, dans un pays où le peuple, comme sur un tribunal, dévoue à la potence au gré de sa haine? Soyez persuadés que l'ordre ne se rétablira que par de grands exemples. (La partie gauche applaudit.) J'entends des exemples de justice consommes par la loi (Les applaudissements de la partie gauche redoublent), et non ces exécutions qui seraient des crimes quand bien même la colère du peuple serait juste. Je demande donc que, sans désemparer, on rende ce décret que nous avons attendu pendant deux jours, et qui me semblait pouvoir être rédigé en moins de temps.

M. de Mirabeau. Les crimes commis à Aix sont trop grands, trop déplorables pour avoir besoin d'être exagérés. Sans doute, c'est un grand crime de verser le sang humain, mais ce n'est pas un crime de lèse-nation. Si je voulais, j'op-| poserais déclamations à déclamations, j'opposerais des faits attenants à des exagérations, j'indiquerais la filiation de ces événements; mais l'Assemblée ne s'occupe que des moyens provisoires; elle a assez manifesté l'intention de faire punir les coupables en renvoyant l'examen de cette affaire aux comités des recherches et des rapports. Je ne suis donc monté à la tribune que pour relever un fait qui inculpe les administrateurs; ils n'ont pas dit que la loi martiale était inutile. Quiconque articule ce fait se souille d'une grande calomnie. Le défaut de publication de la loi martiale est un délit social; mais si cette publication a été impossible, les administrateurs ne sont pas coupables. Les portes des prisons ont été brisées, c'est un délit social; mais il n'est pas vrai pour cela que les administrateurs soient coupables. Trois citoyens ont été massacrés, et, au grand danger des administra

teurs, ils l'ont été devant eux; mais pour cela les administrateurs sont-ils coupables? On fait aisément une phrase redondante en disant qu'ils devaient périr; l'ont-ils pu, ces hommes qui avaient la confiance du peuple, lorsque dans ces mouvements excités par des causes qu'on connaitra, par des agressions déjà connues, il leur a été impossible de rassembler la garde nationale et la force publique? Ont-ils pu être immolés quand ils le voulaient? Je ne crois pas que, dans une aussi malheureuse circonstance, la chaleur, les mouvements oratoires soient dignes de notre affliction. Etait-elle nécessaire cette éloquence qu'on vous a étalée quand les faits parlaient à votre cœur? Je ne répondrai donc à tout ce discours qu'en lisant la lettre du président du département. On verra qu'il est plus difficile de jeter de l'odieux sur une conduite irréprochable que de surprendre quelques applaudissements. Je demande la permission d'ajouter un seul fait. Le président du département jouit de l'estime de son pays, il s'est soumis à la loi. Il est de notoriété publique qu'avant que la loi le soumit ses habitudes et ses manières étaient plus près du méridien aristocratique que du méridien démocratique. Qu'un Provençal me démente. Je vais lire la lettre adressée par le président du département au président de l'Assemblée nationale, en date du 14 décembre (1).

Quant à l'épigramme faite à la députation à la fin du discours de M. l'abbé Maury, quoique nous y soyons plus sensibles, je dois dire que l'Assemblée nous ayant chargés, samedi soir, de lui présenter des mesures provisoires, nous n'avons pas mis une heure à lui obéir. Hier nous demandions la parole, mais le cours de la discussion n'a pas permis de nous l'accorder. En présentant notre projet de décret nous n'avons pas voulu jeter de la défaveur sur les administrateurs. Je réponds à M. Démeunier: il nous a paru que cette disposition était nécessaire pour que, dans un pays partialisé, ils conservassent la confiance dont ils avaient besoin. Au reste, la députation adopte tout ce que l'Assemblée jugera convenable. Mais je persiste dans mon principe : quand il y a eu grand désordre, les administrateurs sont parties, et ne peuvent concourir à la réquisition de la force publique.

M. Charles de Lameth. Ce n'est pas la première fois que l'Assemblée a observé une tactique assez connue. On égare le peuple pour lui donner des torts, et pour demander qu'on ordonne des peines contraires à la liberté et à la Constitution. (On applaudit.) On égare les troupes pour faire marcher des soldats contre des soldats. (Les applaudissements recommencent.) Quand je vois l'éloquente sensibilité de M. l'abbé Maury, je m'étonne qu'il ne l'ait pas montrée lorsqu'il a été question de l'assassinat du maire de Varaise, des malheurs de Perpignan...

M. l'abbé Maury. Je n'étais pas à l'Assemblée.

M. Charles Lameth. Je suis loin d'excuser le peuple lorsque, poussé à bout, il a commis des crimes; mais je ne sais comment les personnes qui trouvent dans leur cœur tant de reproches à lui faire... (Il s'élève des murmures.) On accuse le peuple; je le défends. Si on envisage tous ces événements sous leur vrai point de vue, on re

(1) Voyez cette lettre, séance du 18 décembre au soir.

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