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les comparer, quels moyens en auront-ils? Comment pourra-t-on convaincre les témoins de parjure? comment, après avoir entendu quinze ou vingt dépositions, les jurés pourront-ils se former une opinion? Autrefois les juges les plus distingués par leurs lumières et par leur expérience sentaient les plus affreuses perplexités quand ils étaient obligés de chercher le résultat des dépositions écrites pour condamner un accusé, et quelquefois même ils finissaient par se tromper. Comment confier ce droit terrible à la seule mémoire des jurés? En matière de délit, les plus petites circonstances sont précieuses : ce sont les détails qui perdent les faux témoins. Ceux qui ont eu le bonheur de sauver des innocents savent que ce n'e- t que par le rapprochement des détails, et en faisant, pour ainsi dire, un câble avec des cheveux, qu'ils sont parvenus à découvrir la vérité. Il est un moyen bien simple d'écrire les dépositions; il ne s'agit que d'employer des tachygraphes qui relèvent fidèlement les discou's de nos orateurs. En Angleterre, tous les greffiers sont obligés de savoir la tachygraphie. Si les dépositions ne sont point écrites, la voie de la revision est détruite; l'accusé ne peut avoir la consolation de se venger de la calomnie. Je demanderai à vos comités si on peut faire pendie un homme sur parole... Je demande que les dépositions faites par-devant jurés soient écrites.

M. Sentetz. Les premières délibérations que Vous avez à prendre sur le projet qui vous est présenté doivent, à mon avis, se fixer sur trois questions principales. Il est d'autant plus intéressant de ne point commencer votre marche par des décisions accessoires qu'elles vous lieraient malgré vous à un plan que vous auriez pu librement rejeter en suivant une autre route. Ainsi, par exemple, si vous commenciez par déterminer les fonctions de l'officier de maréchaussée dans les procédures criminelles, vous seriez nécessai rement entraînés à admettre l'intervention des officiers de police dans ce genre de procédure.

Du sort des trois questions que j'ai l'honneur de vous proposer, dépend celui des sept premiers titres du projet de votre comité. Ce sont les trois points fondamentaux de tout ce qui précède 1 s fonctions du jury du jugement.

Première question. Les officiers de police seroutils chargés de faire les premiers actes de la procédure criminelle? C'est une grande et belle question que de savoir s'il est dangereux ou salutaire d'employer les mêmes agents dans les divers degrés de la procédure, et s'il est de l'intérêt public que la justice criminelle soit plutôt violente et prompte que prudente et circonspecte.

Si cette question est décidée en faveur des officiers de police, alors vous pourrez examiner quel degré de confiance mérité un juge de paix ou un officier de maréchaussée, quelles devront être les bornes de leurs fonctions. Vous verrez, par exemple, si, comme vous le propose votre comité, ils doivent être autorisés sur une simple plainte à se faire amener un citoyen, à l'interroger, à l'envoyer en prison; si la loi ne doit exiger de ces officiers d'autre garantie contre leur sévérité ou contre leur mollesse que l'opinion qu'ils prétendront avoir conçue de l'accusé par des réponses fugitives et non écrites; enfin si nous aurions à regretter les anciennes formes qui, malgré leur imperfection, étaient, au moins dans les premiers actes de la procédure, bien plus favorables à la liberté des accusées.

Seconde question. Y aurait-il une partie pu1re SERIE. T. XXI.

blique chargée de rendre plainte et de poursuivre les crimes? Il me paraît de la première importance, dans tous les systèmes, que vous fixiez vos regaris sur l'utilité de cet officier, que votre comité supprime et qui jouait un rôle si essentiel dans l'ancienne procédure criminelle; car on ne prétendra pas sans doute qu'il est remplacé par l'accusateur public qui vous est proposé, et qui ne serait chargé que de fonctions presque iutiles. Je pense donc que vous avez à déterminer aussi préliminairement la mesure qui assurera à la société que tous les crimes seront poursuivis et aux accusés qu'ils auront toujours des adversaires responsables. Vous avez à juger si, comme vous le propose votre comité, il faut appeler tous les hommes à dénoncer publiquement leurs concitoyens, leur en faire même une loi cruelle; si cette loi sera très propre à prévenir ou à réprimer les crimes; si elle ne sera pas un sujet de terreur pour la vertu et de triomphe pour la vengeance; si décorer du titre imposant de dénonciation civique un acte que nos mœurs réprouvent n'est pas violer imprudemment cette pieuse chasteté de l'opinion publique. Vous devez décider si ce n'est pas une institution plus noble et plus utile d'établir un officier chargé par le peuple du devoir honorable de dénoncer et de poursuivre tous les crimes, à la charge de la responsabilité.

Troisième question. Y aura-t-il un jury d'accusation? Le comité vous propose d'établir dans chaque district une liste de trente jurés, dont huit seront tenus, sous des peines, de se réunir pour examiner s'il y a lieu à accusation, c'est-àdire si un homme qui est déjà en prison doit être décrété de prise de corps. Vous ne pouvez vous dispenser de décider encore préliminairement si cet appareil et cette multiplicité d'agents sont utiles à l'accusé ou à l'ordre public; s'ils sont nécessaires pour condamner avec équité un homme à l'état de prise de corps; enfin s'il ne serait pas plus simple et aussi sage d'introduire le jury du jugement au moment où on propose de faire agir celui d'accusation.

Je reprends les trois questions principales que je propose de soumettre d'abord à votre délibération:

Première question. Des officiers de police seront-ils chargés de faire les premiers actes de la procédure criminelle?

Seconde question. Y aura-t-il une partie publique chargée de rendre plainte et de poursuivre les crimes?

Troisième question. Y aura-t-il un jury d'accusation?

M. Rey. Le citoyen doit-il être exposé au caprice d'un seul officier de police, au ressentiment d'un seul citoyen? Tel est le vrai point où se trouve la question après l'examen du projet de décret de vos comités. Quel est le citoyen qui voudrait vivre dans cet empire s'il pouvait être prívé de sa liberté sur une simple procédure prévôtale et sans aucune présomption légale? Les juges de paix seront toujours instruits dans leur canton des crimes publics qui s'y commettront; ils pourront toujours faire arrêter les citoyens prévenus. Pourquoi vous propose-t-on de confier ces fonctions délicates aux officiers de la maréchaussée, dont la fonction devrait être exclusivement d'exécuter le mandat de l'officier de police?... Le projet de votre comité présente un autre défaut : celui d'empêcher la révision de la procédure et de promettre l'impunité aux témoins calomnia

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teurs. Autrefois on faisait le récolement des témoins en présence de l'accusé; les magistrats, suivant plutôt l'esprit que la lettre de la loi, permettaient même la communication des charges.

M. Fréteau. Je dois à mon caractère de juge de déclarer que ce fait est faux. J'ai failli être chassé du parlement de Paris pour avoir pris connaissance d'une procédure, quoique j'eusse la permission du roi et l'agrément du président de la Tournelle. On trouve dans les ouvrages de Delolme sur la constitution de l'Angleterre, que l'accusé a dans tous les pays la connaissance des charges. En France ce fait est faux; non seulement l'accusé n'avait pas le droit, mais encore aucuns moyens humains ne lui donnaient la faculté de connaître les charges de la procédure ; et quand on dit que le projet de vos comités est plus absurde que les anciennes ordonnances c'est une chose que j'ai droit de nier au nom de la magistrature entière.

M. Goupil. Et moi j'atteste qu'au parlement de Rouen on donnait aux accu-és une copie des charges lorsqu'ils la demandaient. J'ai eu dans mon cabinet les charges de diverses procédures, je les ai citées dans des mémoires en lettres italiques. Si le préopinant veut consulter les ordonnances, je lui prouverai qu'il est tombé dans une erreur capitale. Il n'est pas vrai que l'ordonnance de 1670 ait défendu absolument la communication des charges aux accusés; elle défend seulement que cette communication soit faite sans l'ordonnance des juges. L'ordonnance pour la marine, rédigée en 1681, sous les yeux des mêmes magistrats et dans le même esprit, n'interdit pas aux juges le droit de faire donner aux accusés la communication des charges.

M. Fréteau lit, à l'appui de son opinion, un article de l'ordonnance qu'il vient de citer.

M. Rey. Dans le ressort du parlement de Toulouse la communication des charges était en usage; mais je reviens à mon opinion. L'accusé avait, dans l'ancien système des procédures, le temps d'examiner les dépositions, de rassembler les preuves de la défense, de prouver la mauvaise foi des témoins, de les interpeller, de découvrir les contradictions qui pouvaient se trouver dans les témoignages. On vous propose de substituer à ces usages une procédure verbale devant des juges sans expérience, sans donner aux accusés le temps de réfléchir ni de repousser la calomnie. Avec un tel ordre de choses, de quelle utilité seront les conseils? Quel est l'homme de loi qui puisse assurer n'avoir jamais eu besoin de se recueillir pour se former une opinion sur le résultat des preuves? Cependant le comité vous propose de n'accorder à la défense de l'accusé qu'une seule séance des jurés. Pour faire sentir de plus en plus l'injustice du plan de votre comité, je reimarquera que, pour les accusés contumaces, il vous propose la forme de déposition par écrit, tandis qu'il refuse ce bienfait à l'accusé qui sera mis volontairement dans les liens de la loi. Aujourd'hui que l'organisation des jurés ne peut pas encore nous garantir la justesse de leurs vues, aujourd'hui que la France est divisée en deux partis, qui peut me répondre que les jugements des jurés ne soient influencés par l'esprit de parti ou par des ressentiments particuliers? Je réclame douc en faveur des accusés les deux degrés de juridiction qui existaient autrefois. Je

demande: 1° que les tribunaux puissent recevoir les procédures de jurés; 2o qu'il y ait huit jours d'intervalle entre les dépositions et le récolement des témoins, et huit jours entre le récolement et la prononciation des jurés.

M. Thouret (1). Messieurs, voici la troisième séance de discussion ouverte sur le plan que vos comités vous ont proposé. Il est bien désirable qu'elle ne se passe pas sans que vous ayez fixé quelques résultats.

Je ne viens pas vous proposer de prendre dès aujourd'hui votre détermination sur tous les objets qu'une contracdiction prématurée a déjà parcourus dès l'ouverture du débat; il n'y a ni facilité ni sûreté pour le travail à traiter ainsi à la fois et confusément les parties très diverses que l'ensemble d'une bonne institution de jurés présente à l'examen.

Plus cette institution est importante, plus vous avez jugé intéressant de l'incorporer à notre Constitution, et plus il est convenable sans doute que vous cherchiez à vous assurer, par une discussion approfondie, si le plan qui vous est offert en remplit bieu l'objet. Permettez à vos deux comités, à qui vous avez imposé cette tâche họnorable et laborieuse, permettez-leur, pour prix des peines que ce travail leur a coûté, de penser qu'il n'est pas indigne d'une discussion très sérieuse, et qu'il serait injuste de ne le juger que d'après des impressions routinières, et des aperçus superficiels.

J'irais ici contre l'objet que je me propose, si j'examinais en détail toutes les objections qui ont été faites, qu'il faudra bien cependant traiter

ticipées. Qu'il me soit seulement permis de vous représenter comme un motif de suspendre toute Opinion indélibérée, que le plan que nous vous apportons, a été le sujet de quatre mois de recherches, de méditatious, et d'application continue de vos deux comités reunis, et dirigés par le seul désir de préparer toute l'étendue du bien que vous avez voulu faire en décrétant le juré criminel.

Toutes les objections faites à la tribune ont été prévues, débattues, analysées dans nos séances particulières. Non seulement nous nous sommes éclairés par tout ce qui a été écrit, et par ce qui est pratiqué avec succès chez un peuple voisin, qui possède le juré depuis plusieurs siècles; mais Lous avons encore eu l'avantage de conférer amplement avec un des premiers hommes de loi, et un des officiers de justice d'Angleterre qui ont passé quelque temps en cette capitale; enfin, nous avons comparé ce qui, à côté de nous, est consacré en maxime, et éprouvé par une longue exécution, avec les principes élémentaires pulsés dans la nature et dans la raison; et les vérités que nous avons ainsi reconnues, nous les avons modifiées, lorsqu'il a été necessaire, par les couveuances du caractère national. Nous vous rendrons compte de tout sur chaque objet particulier, quand la discussion se trouvera uulement amenée à traiter les détails dans leur ordre analytique.

Je crois que, dans le moment actuel, il y a un premier pas, aussi facile qu'utile à faire, et qu'il faut s'y attacher preliminairement. Nous vous proposons de diviser, et d'organiser separément la Police de sûreté el la Justice criminelle. Si

(1) Le discours de M. Thouret est incomplet au Moniteur.

quelqu'un contredit cette première proposition, c'est à cet unique point qu'il faut réduire le débat. Si personne ne la contredit, voilà un premier décret à rendre. Si en adoptan la division, quelques points de l'organisation de la police viennent à être contestés, voilà une seconde matère à débats et à décrets: mais au moins, en fixant ainsi la marche du travail, il va devenir clair, et par la facile et expéditif.

Remarquez, Messieurs, que tout ce qui concerne la police est une partie du plan, detachée de celle qui concerne le juré ; je dirai plus, c'est un objet préalable, et il n'est pas préalable seulement à l'examen du mode réglementaire quelconque qui doit être établi pour la procédure par jurés, il serait même préalable à la question de l'établissement des jurés, si c lle-ci était encore indécise.

En effet, la police de sûreté est antėjudiciaire : elle est à la justice criminelle ce que la justice de paix est à la justice civile. Dans tout pays bien organisé, quel que soit le système de la procédure criminelle, la police est nécessaire primitivement pour détourner du crime par la certitude de ne pas échapper à la peine, et secondairement pour rechercher les crimes commis, pour saisir les prévenus, et pour préparer ainsi sur les faits et sur les personnes l'activité de la 'ustice.

Les jurés ne sont évidemment qu'une partie dans l'établissement de la justice criminelle : cette partie y est essentielle sans doute, mais nous n'avons pas à la faire seule, il faut constituer l'établissement complet qui comprend aussi, comme artie antécédente, l'organisation de la police sous les rapports que je viens d'énoncer.

Ainsi, quand il est nécessaire de commencer par con-tituer la police, ce qui est la première partie du plan, et lorsqu'elle n'est pas encore constituée, il est prématuré de disse ter sur les questions relatives au juré, qui appartient, non à la police, mais à la justice, et qui ne vient ainsi que dans la seconde partie du plan.

L rsque nous en serons au juré, et au mode de procédure à faire devant lui, alors nous examinerous utilement, par ordre, tous les points qui le concernent.

Nous verrons avec l'un des préopinants, s'ils n'y a que des spéculations philosophiques et une théorie impraticable, dans une institution qui ne différera de cele qui est en pleine et facile activité chez nos voisins, que parce que nous l'avons organisée avec plusieurs moyens d'exécution plus sûrs et plus faciles.

Nous vérilierous avec le même adversaire, s'il a été tolérable de penser une seule minute que l'établissement des jurés pût se concilier avec la marche et les formes de l'ordonnance de 1670, conservée dans ses parties fondamentales, et recufiée seulement dans quelques-unes de ses plus intolérables dispositions. Je détuontrerai alors ce que j'annoncai à l'Assemblée en cette tribune lorsqu'il fut question de décréter le juré, que l'exécution en serait impossible tant que l'ordonnance ne serait pas, non simplement corrigée, mais totalement refaite qu'il ne suf firait pas d'essayer de simples raccordements; qu'il faut une refonte totale: que les principes et l'exécution matérielle de la procédure, tout enfin, devait être changé, avant que le juré dût être mis en activité.

Nous examinerons, non pas en ne regardant que les raisons qui peuvent faire désirer à quelques personnes que chaque tribunal de district jugeât criminellement, mais en comparant à ces

raisons celles beaucoup plus fortes et plus im portantes pour le bien de la justice, et pour la sûreté de l'innocence, qui les écartent, si l'on peut se dispenser, au mois pour les premiers temps de l'institution, d'établir un seul centre des jugements criminels en chaque département; et comme après le plus mûr examen, nous avons tous été unanimes sur ce point, nous espérons que sur cette question bien éditée et bier approfondie, il ne subsistera pas de dissentiment.

Nous poserons vis-à-vis des défenseurs des preuves écrites, la question sous son vrai jour, et nous la presserons jusque dans ses derniers termes, pour arriver à la découverte du seul point véritablement décisif, qui est de savoir dans lequel des deux procédés se trouve réellement, et abstraction faite de tout préjugé d'habitude, le plus haut degré de probabilité, et le plus solide fondement de conviction humaine; car voilà tout ce que la justice des hommes doit exiger, et tout ce qu'elle peut obtenir. Voici, en atten dant que le moment de développer à fond cette grande matière soit arrivé, quelques questions dignes de la plus sérieuse méditation de tous ceux qui sont appelés à les résoudre.

La règle de vérité sur les points de fait n'estelle pas dans la conviction acquise par les hommes appelés à vérifier le fait, que le fait est vrai?

La puissance publique peut-elle poser des règles infaillibles de conviction qui soient applica bles à toutes les circonstances de fait variables à l'infini?

Si elle ne peut pas poser ces règles infaillibles et généralement applicables, doit-elle se permettre, a-t-elle même le droit d'en prescrire de fautives, pour suppléer à la conviction réelle, lorsqu'elle n'existe pas, ou pour la rendre inutile, lorsqu'elle existe?

Le système des preuves écrites ne consacre-t-il pas ce système absurde de la conviction légale qui violente la conscience des juges, et qui a été la source constante des assassinats judiciaires?

La puissance publique ne remplit-elle pas mieux son devoir, et n'atteint-elle pas plus sûrement son but, lorsqu'après avoir institué un certain nombre de juges du fait, pris parmi les citoyens, et épurés par de suffisantes récusations, elle dit: ce que ces hommes honnêtes et non suspects, après avoir verifié eux-mêmes le fait, trouveront en leur âme et conscience, et par une conviction uniforme de dix sur douze, être la vérité, je le tiendrai pour la vérite?

Le degré de probabilité qui se trouve dans cette conviction réelle et libre de dix ho umes sur douze, n'est-il pas infiniment supérieur à celui qu'on peut supposer daus la conviction forcée et artificielle, dictée au juge par la loi, et souvent désavouée par la conscience d juge?

Je passe sur tous les développements, sur tous les accessoires de ces idées primitives; j'écarte tous les autres points de vue de la question; J'omets et l'impossibilité matérielle de faire avec des jurés des procédures écrites, et l'impossibilité morale que des jurés puissent jamais étre de bous juges de preuves légales. Encore une fois, je n'ai pas entendu traiter ii à fond cette importante matière; il suffit d'avoir monté qu'il s'en laut bien que la discission soit encore suf fisamment faire, et surtout que les attaques qui nous ont été livrées, nous aient vaincus.

Je dois ramener ici votre attention sur l'objet plus instant de votre délibération, l'organisation de la police de sûreté.

Il est parfaitement inutile de montrer combien

cette police est nécessaire; et il suffit de dire qu'il
est indispensable qu'elle soit expressément cons-
tituée. Mais sur quels principes doit-elle l'être?
Nous en avons adopté deux, qui nous ont paru être
des conséquences nécessaires de la Constitution
même: le premier est que la police soit très expé-
ditive, très énergique, et même sévère; le second
est qu'elle forme une institution très distincte de
la justice, et qu'elle soit exercée par des fonc-
tionnaires particuliers.

J'observe, à l'appui de notre premier principe, que plus un pays est libre, plus il est dans l'esprit et dans la nécessité de sa Constitution que la police y ait une grande et puissante activité. La garantie de la liberté est le respect pour les lois; son respect en effet est la plus grande sûreté légale des droits individuels. Celui qui, dans un pays libre, viole les lois émanées de la volonté générale, est bien autrement coupable que celui qui, dans une terre asservie, désobéit aux édits d'un despote. Celui qui, dans un pays libre, attente à la sûreté et à la propriété de ses concitoyens, détruit à leur égard tout l'avantage qui leur était garanti par la constitution du pays; il forfait à la Constitution même.

C'est donc pour maintenir au profit de tous la liberté et la sûreté, qui sont les premiers biens d'une Constitution libre, que celle Constitution commande une répression très active contre ceux qui, par leurs défits, violent les droits particuliers et alarment la tranquillité générale. C'est donc une grande vérité, dont il nous importe fort de nous bien pénétrer en cet instant, que celle exposée à la page 21 du rapport, qu'avec une police inactive et sans pouvoir, les méchants seuls sont libres, et les bons seuls sont opprimés.

Si dans quelque circonstance la liberté individuelle se trouve gênée par cette activité de la police, par cette nécessité de déférer à ses mandats, la plainte serait dérisoire dans la bouche de l'homme criminel et à l'égard de l'honnête citoyen, faussement inculpé, peut-il lui en coûter de marquer son respect pour la loi? Son obéissance est un sacrifice passager qu'il doit à l'intérêt social, et à la volonté générale dont la sienne fait partie. N'a-t-il pas en retour la protection constante et efficace qui lui est assurée à ce prix vis-à-vis de tous ses concitoyens soumis réciproquement pour son avantage personnel, à l'action de la même autorité?

Quant à la séparation de la police et de la justice, les avantages en sont évidents, tant parce que l'institution de la justice a des principes et un esprit tout différents, que parce que les pouvoirs qui s'exercent immédiatement sur la personne du citoyen, sont ceux qu'il faut tenir divisés avec le plus grand soin, pour éviter qu'ils n'acquièrent, par leur réunion dans les mêmes mains, une intensité dangereuse et qui pourrait devenir oppressive.

Je demande que M. le président mette aux voix cette proposition, uniquement destinée à régler l'ordre du travail, que l'Assemblée va s'occuper immédiatement de l'organisation de la police: et comme il n'est pas présumable qu'il yait sur cela le moindre dissentiment, les articles relatifs à cette organisation serout de suite proposés à la discussion. Quand nous serons arrivés à la partie de la justice, l'Assemblée decrétera avec plus de sûreté et plus de facilité les bases du juré, parce que chacun aura eu davantage le temps de les méditer.

(La proposition de M. Thouret est adoptée).

[28 décembre 1790.)

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Art. 2.

Le juge de paix de chaque canton sera chargé des fonctions de la police de sûreté; il y aura dans chaque département un certain nombre d'officiers de la gendarmerie nationale chargés d'exercer, concurremment avec les juges de paix, les fonctions de la police.

M. Robespierre. La première question est de savoir si, comme vous le propose le comité de Constitution dans le second article de son projet de décret, les officiers de maréchaussée doivent exercer les fonctions de la police concurremment avec le juge de paix. C'est sur cette proposition que je demande la question préalable.

M. Fréteau. Je demande que l'Assemblée ait égard a l'article 12 du titre Ier de l'ordonnance de 1670, qui défend aux ofliciers de maréchaussée d'arrêter les citoyens dans la ville de leur domicile. Cette formalité nécessaire est une subdivision de la question soumise à votre délibération.

M. Duport, rapporteur. Le principe qui a déterminé vos comités d'attribuer aux officiers de maréchaussée des fonctions de police est la nécessité pour les officiers de police d'une concurrence qui excite leur émulation. Si l'officier de police n'est pas impartial, s'il n'est pas étranger aux ressentiments particuliers, il est important que les citoyens puissent s'adresser à un autre fonctionnaire public chargé des mêmes fonctions. Je pense donc que, pour prévenir les suites de la partialité ou de la négligence, des fonctions aussi délicates et aussi importantes que celles de la police doivent être exercées concurremment par deux officiers. Je pense aussi que les officiers de la maréchaussée n'ont aucun caractère de réprobation, que l'attribution que nous vous proposons de leur donner ne saurait être dangereuse, puisque l'arrestation provisoire des citoyens ne sera que de vingt-quatre heures. Il n'est pas nécessaire de Vous rappeler que les hommes s'ennoblissent par les fonctions qu'on leur confie. Si l'établissement que nous vous présentons a des inconvénients, les législatures suivantes qui en seront les témoins pourront réduire les fonctions des officiers de la gendarmerie nationale à l'exécution des mandats des juges de paix. Je pense donc que dans ce moment ce serait risquer beaucoup que la police manquât dans plusieurs parties du royaume que de la confier à des juges de paix, dont plusieurs ont été nommés sans avoir les connaissances nécessaires à l'administration de la police.

M. Pétion. L'argument par lequel le préorinant vient de terminer son discours me paraît spécieux; mais il ne sulfit pas pour déterminer l'Assemblée. La concurrence qu'on vous propose d'établir comme moyen d'émulation serait plutôt

un objet de rivalité et de haine entre des officiers dont les fonctions sont naturellement incompatibles. Un militaire chargé d'exécuter la loi, habitué à agir sur-le-champ et sans examiner pourquoi, n'est pas l'homme à qui on peut confier les fonctions difficiles de la police. (On applaudit.) Quand la loi est obligée de confier à un officier public l'exercice arbitraire d'un pouvoir redoutable, elle doit choisir l'officier qui a la confiance de ses concitoyens, qui a été élu pr eux. Je ne vois, au contraire, dans l'officier de maréchaussée aucun caractère qui inspire la confiance. Il est nommé par le roi, il est amovible; enfin il a cet esprit militaire si incompatible avec les fonctions de la justice de paix. Je crois donc que, s'il était nécessaire de faire concourir deux officiers à l'exercice de la police, il faudrait plutôt nommer un second commissaire par Canton que d'employer les officiers de la maréchaussée.

M. Prieur. Il est impossible que vous pourvoyiez à la police des campagnes si vous ne donnez aux juges de paix un surveillant qui puisse les remplacer en cas de négligence. Ne croyez pas que je veuille faire douter du civisme de ces juges; mais je vous assure que dans les campagnes toutes les familles se tiennent. Il n'est pas dans la nature qu'un officier public fasse arrêter son parent, son ami. Cette rigidité de principe n'est pas présumable, et la loi doit venir au secours de l'humanité même. Je propose donc que l'un des juges du district soit chargé de coucourir avec l'officier de police.

M. Robespierre. L'Assemblée me paraît convaincue ql est impossible d'attribuer à des officiers de maréchaussée le droit de donner et d'exécuter en même temps les mandats d'arrêter les citoyens, de dresser les procès-verbaux, de faire les premiers actes de la procédure. Personne o'ignore combien cette cumulation de pouvoirs serait nuisible à la liberté. S'il faut aux juges de paix des surveillants, je vous rappellerai que les municipalités étaient autrefois chargées de la police. Faites concourir avec le juge de canton le maire ou le procureur de la commune où s'est commis le délit.

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et que nous ne délibérions pas qu'il y aura des officiers sans savoir ce qu'ils auront à faire.

M. Prieur. J'appuie cette proposition. D'après cela on pourra déléguer la police des villes aux juges de paix, et celle des grandes routes ou des forêts aux officiers de la maréchaussée.

(L'Assemblée ordonne le renvoi du titrefer à ses comités de Constitution et de jurisprudence criminelle.)

L'ajournement prononcé du titre premier paraissant entraîner nécessairement l'ajournement du titre II, l'Assemblée passe à la discussion du titre III: des fonctions particulières de l'officier de police.

M. Duport, rapporteur. Vous avez paru désirer que vos comités vous présentassent le tableau des fonctions qui seraient attribuées aux juges de police; elles sont renfermées dans le titre III. La suite des articles vous les mettra successivement sous les yeux.

M. Duport, rapporteur, fait lecture de l'article 1er du titre III.

M. Fréteau. Il me semble qu'il faudrait ici poser un principe général. Ce ne sont pas seulement les meurtres qui peuvent troubler la société. Je demande donc qu'il soit ajouté à l'article, après ces mots : « dont la cause est inconnue et suspecte, ceux-ci : « et de tout acte qui pourrait troubler la tranquillité publique. »

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L'article 1 est décrété dans la forme suivante :

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M. Boussion. Il me paraît convenable d'ajouter que le juge se rendra sur les lieux « avec les experts décrétés par la loi ».

M. le rapporteur. J'adopte ce dernier amendement rédige ainsi : « avec un médecin ou un chirurgien. Je réponds à M. Thévenot que l'ordonnance du juge n'est pas nécessaire, et que la présence de l'officier de police suffit pour prévenir les inhumations précipitées. Je deinande donc la question préalable sur son amendement.

M. Fréteau. Je m'oppose à la question préalable. Toutes les lois exigent que l'inhumation soit ordonnée par le juge.

M. de Beaumetz. Il y a ici une inversion d'idées. L'objet de l'Assemblée est de donner à

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