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Aucun dépositaire de la force publique ǹe pourra entrer dans la maison d'un citoyen, pour quelque motif que ce soit, sans un mandat de police ou ordonnance de justice. »>

Plusieurs membres du comité d'aliénation proposent de vendre des biens nationaux à diverses municipalités.

L'Assemblée prononce le décret suivant :

"L'Assemblée nationale, sur les rapports qui lui ont été faits, par plusieurs membres du comité d'aliénation, des soumissions faites suivant les formes prescrites, par différentes municipalités ci-après nommées, a déclaré leur vendre les biens nationaux dont l'état est annexé aux procèsverbaux respectifs des évaluations ou estimations desdits biens, aux charges, clauses et conditions portées par le décret du 14 mai 1790, et pour ies sommes ci-après, payables de la manière déterminée par le même décret;

Savoir :

"A la municipalité de Châlons, département de la Marne, pour la somine de 857,973 l. 8 s. 2 d. A celle de Broussy-le-Petit, pour la somme de 4,506 liv. 19 s. 6 d.

A celle de Soisy-aux-Bois, pour la somme de 24,640 livres.

A celle de Châlons, département de la Marne, pour la somme de 134,516 liv. 19 s. 6 d.

A celle de Saint-Lumier, pour la somme de 22,634 1.8 s.

vres.

"

vres.

A celle de Broyes, pour la somme de 16,512 li

A celle de Péas, pour la somme de 9,900 li

A la municipalité de Nesle, pour la somme de 210,668 liv. 7 s. 8 d.

A la municipalité d'Amiens, pour la somme de 2,339,992 liv. 15 s. 11 d.

« A celle de Villiers-Saint-Orient, pour la somme de 28,331 liv. 8 s. 7 d.

A celle de Bonneval, pour la somme de 69,392 liv. 16 s.

"

A celle de Gasville, pour la somme de 19,902 liv. 6 s.

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A celle de Brancourt, pour la somme de 364,302 liv. 15 s. 4 d.

«Le tout ainsi qu'il est plus au long porté aux décrets annexés au procès-verbal de ce jour.

M. le Président informe l'Assemblée de la mort de M. Lefranc, ci-devant archevêque de Vienne, député à l'Assemblée, qui sera inlumé à sept heures du soir dans l'église Saint-Sulpice. (La séance est levée à trois heures.)

ASSEMBLÉE NATIONALE.

PRÉSIDENCE DE M. D'ANDRÉ. Séance du jeudi 30 décembre 1790, au soir (1).

La séance est ouverte à six heures et demie.

Un de MM. les secrétaires fait lecture des adresses suivantes :

(1) Cette séance est incomplète au Moniteur.

Adresse des officiers du tribunal du district de Castelj loux, de ceux du district de Toulouse, du district de Fougères et du district de Prades, qui, avant de commencer leurs fonctions, présentent à l'Assemblée nationale le tribut de leur admiration et de leur dévouement. Les juges du district de Prades proposent plusieurs questions relatives à l'ordre judiciaire.

Adresse de la société patriotique de jurisprudence de Provins, et de la société des amis de la Constitution séant à Tartas; elles supplient l'Assemblée d'approuver leur établissement,

Adresse de la société des amis de la Constitution établie à Amiens. Elle demande que les séances des corps administratifs soient rendues publiques.

Adresse de la société des amis de la Constitution de Clermont-Ferrand, seant aux Jacobins, contenant un rapport imprimé de deux députés de cette société et de celle établie à Issoire, auprès de celle établie à Lyon, au sujet des derniers troubles arrivés dans cette ville; il résulte de ce rapport que le sieur Money, ouvrier à Lyon, a mérité les éloges du civisme, en déconcertant, avec autant de prudence que de zèle, les projets infâmes des ennemis de la Révolution.

M. Bracq, curé de Ribecourt, député du département du Nord, prête son serment dans les termes prescrits par le décret du 27 novembre dernier.

Le sieur Royllet, qui a déjà fait hommage à l'Assemblée d'un mausolée exécuté à la plume et consacré à la mémoire de Benjamin Francklin, vient lui offrir deux tableaux faits pour accompagner ce mausolée. L'un contient l'explication des allégories que présente le mausolée; l'autre offre à l'Assemblée une couronne de laurier national, dans laquelle est inscrite la lettre que l'auteur avait adressée à M. Merlin, alors président.

(L'Assemblée agrée avec satisfaction ce nouvel hommage patrio ique du sieur Royllet, et lui accorde les honneurs de la séance.)

M. le Président fait introduire à la barre une députation des dames de la halle de la ville de Paris; une d'entre elles adresse à l'Assemblée le discours suivant:

« Messieurs, c'est avec le zèle le plus ardent, la satisfaction la plus pure, que nous saisissons l'occasion que nous offre le renouvellement de cette année, de nous acquitter du plus sacré de nos devoirs envers l'auguste Assemblée des représentants de la nation française, dont nous avons l'honneur de faire partie; nos cœurs embrasés du feu divin de la liberté que vos sages lois nous préparent, viennent en rendre hommage à vos vertus sublimes, dont elles sont émauées; ce ne sont plus de vils esclaves qui viennent ramper aux pieds de leurs maîtres, pour en obtenir des grâces, mais des âmes libres qui, d'abondance de cœur, vous jurent un éternel dévouement.

O précieuse liberté, dont nous vous sommes redevables, tu nous retraceras sans cesse les nombreux travaux de ces héros français qui, au mépris de la mort même, out affronte les périls les plus imminents pour parvenir à leur but, le bonheur de la France ! Peuple français lais succéder la joie à cette morne tristesse qui t'accable depuis tant d'années; jouis à présent d'une vie que tu regardais auparavant comme un pré

sent funeste; bientôt tu vas recueillir les fruits
de notre sainte Constitution; c'est au courage de
ces braves défenseurs, à la sagacité de ces pru-
dents législateurs, et à leur désintéressement
épuré, que tu dois ta félicité.

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Et vous, départements de cet Empire, au retour de vos représentants, décernez les honneurs du triomphe à ces vainqueurs de l'orgueil; ils les méritent à juste titre. Pour nous, après avoir eu le bonheur de posséder dans notre ville des têtes aussi chères, nous en conserverons le souvenir jusqu'au tombeau, et ne cesserons de former les vœux les plus ardents pour la conservation de vos précieux jours.

M. le Président applaudit, au nom de l'Assemblée, au zèle et au patriotisme des dames de la Halle, et leur accorde les honneurs de la séance.

(L'Assemblée, consultée par M. le président, décrète que le discours des dames de la Halle sera imprimé et inséré en entier dans le procès-verbal de ce jour.)

Des députés extraordinaires de la commune de Saint-Pierre de la Martinique sont admis ensuite à la barre. Un d'eux fait lecture de l'adresse suivante :

« Nous arrivons de la Martinique, que nous avons laissée en proie aux plus funestes divisions: envoyés par la ville de Saint-Pierre, pour solliciter vos secours aux maux dont nous avons été les témoins, nous venons vous demander la paix pour ses malheureux habitants. Nous avons su en arrivant que votre sollicitude s'en était occupée; nous avons vu, dans votre décret du 29 novembre, des puissants moyens pour nous rendre Ja tranquillité; permettez-nous d'en solliciter la prompte exécution. Déjà un mois s'est écoulé, et chaque instant peut amener des désastres que tous vos efforts réunis ne sauraient réparer... Vous êtes instruits des principaux événements de la Martinique. Notre vou, comme le vôtre, est que tout soit connu. Nos commettants verront avec joie examiner leur conduite et les motifs qui Jes out mus; ils attendront avec sécurité ce moment qui doit être pour eux un moment de triomphe. Vous verrez les troubles de la colonie commencer presque au même instant où la régénération de la mère-patrie devait nous faire jouir d'une nouvelle prospérité les colons s'élancent vers la liberté; le général Vioménil, ennemi des nouvelles opinions, ignoraut sur la politique des colonies, est par imprudence le principe de tous nos malheurs; il met la division entre les colons, il arme les mulâtres contre les blancs, et déclare la guerre à tous ceux qui ne sont pas de son opinion. Une assemblée coloniale se forme, s'arroge le pouvoir législatif... Nous devions tous trouver la paix dans le décret du 8 mars, et les instructions du 28; mais l'assemblée coloniale abuse de la faiblesse de M. Damas pour se maintenir, et elle obtient par son secours la confirmation des paroisses... Vous connaissez l'expédition contre la ville de Saint-Pierre.

« C'est en méconnaissant l'autorité des tribunaux, c'est en voulant retenir dans les fers des citoyens qu'ils avaient déclarés innocents, que l'Assemblée a éte cause de nos derniers malheurs. Les soldats qui gardaient les prisonniers les ont mis en liberté; la garnison presque entière s'est déclarée en faveur des patriotes; ils se sont vus maîtres des forts; leur première démarche a été de proposer des paroles de paix : vaines tentatives.

[30 décembre 1790.]

M. Damas, entraîné par l'assemblée coloniale, se prépare à la guerre, se procure, dans les îles étrangères, des armes et des munitions. Des commissaires de quatorze paroisses se réunissent au fort Bourbon ils proposent encore la paix et sont refusés. La Guadeloupe et toutes les îles voisines envoient à notre secours des gardes nationales et des troupes de ligne. M. Damas leur ordonne de reto rner à leur garnison.

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Nos adversaires ont armé les nègres par une aveugle fureur, aussi fatale pour eux que pour nous. Déjà plusieurs blancs ont péri. Savonsnous si la ville de Saint-Pierre n'est pas anéantie, et si l'on n'a pas prononcé contre ses habitants un arrêt de mort, quand on a mis le fer et le feu dans les mains des esclaves?... Nous attendons avec sécurité le résultat des recherches de vos commissaires. Ce que nous vous demandons avec instance, c'est l'exécution de vos promesses, c'est un nouveau gouverneur, des commissaires, des forces, et les nouvelles instructions qui doivent organiser les colonies. Nous idolâtrons la Révolution; nous avons combattu pour elle en Amérique; mais nous devons vous dire que les colonies sont perdues, que leur population disparaîtra de la surface du globe, si Vous ne conservez pas la ligne de démarcation qui doit séparer le blanc de l'affranchi, et l'affranchi de l'esclave. Les philosophes, dont les écrits ont pénétré dans les colonies, out été la cause de beaucoup de troubles, et si leur malheureuse doctrine se propageait, dans le bouleversement qu'elle opérerait, ceux mêmes qu'on invite à l'insurrection, en seraient les premières victimes... Pénétrés de notre douleur, à peine vous avons-nous parlé de vos travaux, de notre respect, de notre reconnaissance. Nous sommes Français, unis à la mère-patrie par d'indissolubles liens; elle nous est devenue plus chère encore, depuis que vos lois lui ont rendu toute sa dignité; au milieu de nos malheurs, notre seule consolalation était de tourner nos regards vers elle; notre seul espoir est dans ce qu'elle fera pour

nous. »>

(L'Assemblée renvoie cette adresse à son comité (colonial.)

M. de Carondelet, membre du ci-devant chapitre de Seclin, député du département du Nord, sollicite un congé d'un mois, qui lui est accordé par l'Assemblée.

M. Rabaud prend la parole pour tranquilliser les ouvriers fabricants de boutons qui, d'après le faux exposé d'un papier public, ont pris l'alarme; il dit que l'Assemblée n'a rien changé à son décret du 24 décembre, concernant le nouveau bouton des gardes nationales du royaume, et qu'il sera exécuté selon sa forme et teneur.

M. Paul Nairac fait lecture à l'Assemblée d'une lettre écrite à MM. les administrateurs du directoire du district de Cadillac (Gironde), par M. Batcave, curé de la paroisse de Tourne, au canton de Langoiran, le 12 décembre 1790, et de la réponse qui lui a été faite par MM. les auminis

trateurs.

Ces deux pièces sont ainsi conçues :

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Lettre de M. Batcave.

Messieurs, j'ai eu déjà l'honneur de vous déclarer que j'entendais contribuer aux besoins de l'Etat de la somme de 900 livres et acquitter

ladite somme tout à la fois sur celle de ma pension de cette année 1790; et comme peut-être les recouvrements souffrent quelque retard, et que la caisse de M. le trésorier pourrait, à l'époque fixée pour les payements, n'être pas suffisamment pourvue, j'ai l'honneur de vous prévenir que mon intention est de ne recevoir ni le surplus de ma pension de cette année, ni le premier quartier de celle de l'année prochaine, que lorsqu'on pourra les solder commodément et sans la moindre gêne.

« Cette attention de ma part est assurément bien peu de chose, mais le denier de la veuve ne fut pas dédaigné; et si cet exemple pouvait avoir quelque influence, plusieurs de ces deniers accumulés formeraient une somme considérable.

« Vous le savez parfaitement, Messieurs, et votre dévouement civique, joint à la sagesse de votre administration, le démontre évidemment à tout notre district. Nous nous devons tous à la chose publique, et surtout au maintien de notre auguste, sublime, admirable Constitution.

« Ah! Messieurs, qu'il est doux aujourd'hui, qu'il est consolant de sacrifier nos plus chers intérêts, notre vie même, s'il le faut, pour la gloire et le bonheur de l'auguste et loyal restaurateur de la liberté française! Quelle délicieuse volupté que celle d'expirer d'amour pour une patrie si chère désormais à tous les vrais citoyens, pour une patrie si merveilleusement constituée!

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Non, Messieurs, les annales du monde, depuis sa création, n'offrent rien d'humain qui lui soit comparable.

« Gest avec ces sentiments, gravés dans mon cœur en traits de feu, que j'ai l'honneur d'être, avec un profond respect, Messieurs, votre très humble et très obéissant serviteur.

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Votre lettre est encore plus rare, par l'expres sion de vos sentiments patriotiques; non content de donner ce que vous avez, vous craignez même, et vous différez de réclamer ce qui vous se a dû par la nation, que vous voudriez encore doter de ce qui vous reste, quand elle est forcée de demander ou de retirer plus qu'elle ne l'aurait souhaité. Mais votre traitement vous sera remis dès que vous paraîtrez au district, dussent ses administrateurs vous céder tout leur traitement pour compléter le vôtre.

"

« Vous feriez naître l'émulation de la générosité, même dans les âmes les plus étroites. La vôtre paraît s'élever à toute la hauteur de la Constitution. Celle-ci, sans doute, est un bienfait à vos yeux qui remplace et compense tous les sacrifices.

« Oui, Monsieur, elle fera tôt ou tard le bonheur de ses ennemis, de ceux qu'on prévient et qui préviennent contre elle. Après la religion, qui n'est point un ouvrage de Tesprit humain, rien n'a paru dans le monde aussi beau que c tte Com-tit tion décriée par ceux qui devraient la prê her. Soyez l'apo re de l'une et l'autre eusemble, et vous les verrez se soutenir à l'envi. Le directoire vous remercie de cet exemple de dévouement; mais plus on louerait votre dōn, et ire SERIE. T. XXI.

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la grâce que vous y mettez, moins on le relèverait à vos propos regards, trop purs et trop modestes pour y voir rien d'extraordinaire.

« Nous sommes, avec un zèle de patrie et de fraternité civique égal au vôtre, etc. »

(L'Assemblée décrète que ces deux pièces, seront imprimées et insérées en entier dans le procès-verbal de ce jour.)

Un membre du comité de judicature fait un rapport concernant les contestations qui se sont élevées entre les anciens fermiers des devoirs de la ci-devant province de Bretagne, et sur lesquelles un premier rapport a déja été fait à l'Assemblée, au mois de septembre dernier; il s'agit de savoir à quel tribunal ces contestations seront portées.

(L'Assemblée renvoie cette question à l'examen du comité de Constitution.)

M. Chasset présente une pétition que le club des artistes adresse à l'Assemblée, relativement au monument public qui doit être érigé à J.-J. Rousseau, d'après le décret de l'Assemblée. (Cette pétition est renvoyée au comité des pensions.)

M. de Boufflers, au nom du comité d'agriculture et de commerce, fait un rapport relatif aux encouragements et aux privilèges à accorder aux inventeurs de machines et de découvertes industrielles.

Ce rapport est ainsi conçu (1):

A fructibus eorum cognoscetis eos.

Messieurs, il entrait aussi dans vos desseins paternels de vivifier, ou, pour mieux dire, de ressusciter l'industrie française, car les arts ont partout un droit de cité, partout leurs intérêts sont les mêmes que ceux des citoyens; comme eux, ils ont besoin de liberté et de lois; comme eux, ils sont fondés à vous demander une constitution.

Les principaux éléments de ce travail, si digne de vous, Messieurs, ne tarderont pas à vous être présentés par votre comité d'agriculture et de commerce; mais comme tous les arts, et ceux dont nous jouissons, et ceux dont nous jouirons, ont une mère commune, et que tous doivent ou devront leur naissance à l'invention, il paraît à propos de fixer d'abord vos regards sur les inventeurs dont la seule dénomination rappelle à votre pensée les premiers, les véritables bienfaiteurs du monde, et promet encore à la société de nouveaux bienfaits. Tels sont les hommes jusqu'à présent trop peu connus, trop mal accueillis, dont votre comité vous porte aujourd'hui les plaintes pour le passé, les vœux pour l'avenir, au sujet d'une protection spéciale qu'ils réclament à si juste titre, et que la nation a tant d'intérêt à leur accorder.

Avant de vous soumettre le projet de cette loi si nécessaire et si désirée, votre comité a cru devoir remonter d'abord aux principes de ia theorie qui doit dicter la loi, pour descendre ensuite aux formes d'exécution que la loi doit prescrire; et, dans cette vue, il s'est proposé à lui-même les questions suivantes :

(1) Le rapport de M. de Boufflers n'a pas été inséré au Moniteur.

Quels sont les droits des inventeurs? et quelles obligations la société peut-elle leur imposer ? Quelle a été, jusqu'à présent, notre législation à cet égard? quelle est celle des autres nations? et quels sont les différents effets de ces législations différentes?

C'est après avoir succinctement exposé les premières vérités, qui, dans la marche que nous nous traçons, doivent nous servir de but et d'alignement; c'est après avoir suivi, dans leurs procédés et dans leurs résultats, les gouvernements qui s'écartent de ces vérités ou qui s'en rapprochent; enfin c'est après avoir examiné ce qui se doit, ce qui se fait et ce qui se peut, que votre comité d'agriculture et de commerce osera vous présenter un projet de décret sur un objet aussi évidemment et aussi étroitement lié aux plus grands intérêts de l'Empire français.

S'il existe pour un homme une véritable propriété, c'est sa pensée; celle-là du moins paraît hors d'atteinte, elle est personnelle, elle est indépendante, elle est antérieure à toutes les transactions; et l'arbre qui naît dans un champ n'appartient pas aussi incontestablement au maître de ce champ, que l'idée qui vient dans l'esprit d'un homme n'appartient à son auteur. L'invention, qui est la source des arts, est encore celle de la propriété; elle est la propriété primitive, toutes les autres ne sont que des conventions; et ce qui rapproche et ce qui distingue en même temps ces deux genres de propriété, c'est que les unes sont des concessions de la société, et que l'autre est une véritable concession de la nature: peut-être même la seule étymologie du mot suffirait-elle (1) pour nous prouver que dans l'origine des choses la propriété a été regardée comme le partage du premier, et par conséquent comme le droit de l'inventeur.

:

Tant qu'un inventeur n'a pas dit son secret, il en est le maître, et rien ne l'empêche, ou de le tenir caché, ou de fixer les conditions auxquelles il consent de le révéler. Il est libre en contractant avec la société, comme la société en contractant avec lui le contrat une fois passé, elle est engagée envers lui comme il est engagé envers elle; et tant qu'il est fidèle à ses engagements, elle ne lui doit pas moins de protection dans les moyens qu'il prend pour le développement de sa nouvelle idée, qu'elle ne lui en accorderait pour l'exploitation de son patrimoine.

C'est d'après ces premières notions, qu'en ce moment les auteurs de plusieurs nouvelles découvertes (soit qu'ils les aient déjà fait connaître au public, soit qu'ils en difèrent encore la manifestation), demandent seulement que ce genre de propriété leur soit garanti par le corps social, afin d'être défendus contre tous les préjugés et tous les intérêts privés qui pourraient tenter de les troubler, de les supplanter ou de les rivaliser dans l'exercice de leurs droits les plus sacrés; et leur ambition se borne à percevoir exclusivement les fruits d'une faveur que la nature leur a faite exclusivement.

(1) Le mot propriété signifie le partage du premier. Il faudrait bien peu connaître l'organisation de la langue latine pour ne pas voir que le mot proprietas est formé de la particule pro et pri syllabe radicale des mots qui désignent la primauté. L'étymologie des mots, alors qu'elle est incontestable, est en général d'une grande ressource pour leur définition. Elle a éclairci plus d'un doute; et dans la plupart des questions de ce genre, nous n'avons pas de meilleur parti à prendre que de nous en rapporter au grand sens des premiers inventeurs du langage.

Voici donc, si je ne me trompe, à quoi peut se réduire le premier contrat entre l'inventeur et la société. L'inventeur désire qu'on le laisse jouir paisiblement d'une chose qui vient de lui, qui est à lui et la preuve qu'il en offre, c'est qu'elle n'est connue que de lui; il demande pour cela qu'on interdise d'avance à tout autre de s'en emparer quand il l'aura fait connaître, et ce n'est qu'à cette première condition qu'il manifestera ce qu'il appelle sa découverte. Or, cette première proposition, ainsi que la condition qu'on y attache, est essentiellement juste, et le corps social ne peut s'y refuser, car l'exposé de l'inventeur est vrai ou faux dans le premier cas, la société a quelque chose à gaguer; dans le second, elle n'a rien à perdre.

:

Mais pour que l'inventeur ne soit point troublé dans sa jouissance par des concurrents avides ou jaloux, il faut qu'il soit ouvertement protégé par la puissance publique envers laquelle, dès lors, il contracte deux obligations indispensables.

Sa première obligation est de témoigner une confiance entière dans l'autorité protectrice, et de lui donner une connaissance exacte de l objet pour lequel il la requiert, afia que la société sache positivement à quoi elle s'engage, et afin que, dans tous les cas, l'inventeur ait un titre clair et précis auquel il puisse recourir.

La seconde obligation du citoyen, protégé par la société, est de s'acquitter envers elle; ce qu'il ne peut faire qu'en partageant avec elle, de manière ou d'autre, l'utilité qu'il attend de sa découverte. Or, la forme la plus naturelle de ce partage, est que le particulier jouisse, pendant un intervalle donné, sous la protection du public; et qu'après cet intervalle expiré, le public jouisse du consentement du particulier.

Cependant, comme les avantages que l'inventeur promet à la société, et qu'il se promet à luimême, sont encore éloignés et douteux, et que la protection qu'il en réclame, et que la sécurité qu'il lui doit, sont un bien actuel et réel, il conVient qu'il dépose des arrhes entre les mains du corps social, avec lequel il vient de transiger; et le contractant lui-même fera volontiers cette proposition: 1° pour convaincre qu'il est dans l'intention de tenir son marché; 2° pour dédommager la partie publique des services qu'il en recevra; 3° pour donner un gage de l'utilité qu'il attache à sa découverte, en offrant d'avance à la patrie des prémices réelles pour des fruits encore en espérance.

Avant de rien arrêter, il est bon de nous assurer s'il ne se trouve personne de lésé dans un pareil contrat: et quelle serait la partie plaignante? serait-ce la société ? mais elle acquiert des jouissances nouvelles, sans avoir rien perdu des anciennes. Serait-ce l'inventeur? mais il jouit du fruit de son génie sous une sauvegarde qu'il a luimême invoquée. Seraient-ce eutia les autres agents de l'industrie nationale? mais ils ne se trouvent gênés ni dans leur travail ni dans leur commerce. Ils ne sont privés de rien, ils restent comme ils étaient; ils jouiront un jour de la découverte qui vient d'éclore; et quels que soient leurs intérêts présents (1), s'ils prétendaient s'op

(1) Est-ce bien aux agents de l'industrie à redouter les inventeurs, eux qui ne doivent jamais perdre l'espérance de le devenir? Mais s'ils ne deviennent pas inventeurs, qu'ils deviennent au moins citoyens et qu'ils voi ent eux-mêmes sur quoi porte leur inquietude. Ils craignent qu'une nouvelle invention ne vaille mieux que tout ce qu'on a trouvé jusque-là dans le même

poser à cette nouvelle disposition, ils se rendraient coupables, ou d'un acte de tyrannie contre l'inventeur, en le dépouillant du droit naturel qu'il avait sur son idée, ou d'un attentat contre la société, en faisant avorter les avantages qu'elle pouvait attendre de la publicité de l'inven ion.

Et ceux qui voudraient donner à un pacte aussi raisonnable et aussi juste le nom, devenu odieux, de privilège exclusif, reviendront bientôt de cette erreur, et re onnaîtront la différence immense qui existe entre la protection assurée à tout inventeur, et la prédilection accordée à tout autre privilégié,

Un privilège exclusif d'entreprise, c'est-à-dire un monopole dans les objets actu llement connus d'industrie et de commerce, est une concession qu'on ne pouvait pas faire. Un titre d'inventio, au contraire, est une autorisation qu'on ne pou vait pas refuser: l'un attaque les droits de la grande communauté, l'au re les étend; l'un donne à un particulier ce qui appartient à tous, l'autre assure au particulier ce qui n'appartient qu'à lui; et, en protégeant sa propriété contre l'invasion, il l'excite à la mettre en valeur au profit de la société.

Après avoir établi les premiers principes que la raison nous présente, il est temps d'examiner ceux que notre gouvernement a constamment suivis sur un objet aussi important pour le bonheur individuel et pour la prospérité publique.

Nous serions-nous donc trompés jusqu'à présent sur notre patrie? notre sol est-il ingrat? notre climat est-il sauvage? nos mœurs sout-elles barbares? nos concitoyens sont-ils stupides? Car pourquoi les arts languissent-ils ? pourquoi nos manufactures tombent-elles ? pourquoi l'industrie d'un au re pays triomphe-t-elle de notre industrie et dans ses moyens et dans ses résultats? et pourquoi l'étranger vient-il constamment lever des tributs sur un peuple auquel il porte euvie? La nature a tout fait pour nous; mais nous n'avons pas aidé la nature; elle avait déposé sur ces riantes contrées tous les germes du bonheur et de la richesse; mais une influence maligne les a toujours desséchés; c'était à de bounes lois à les féconder; mais nous avions un fisc, et nous n'avions pas de lois. Combien et pendant combien de temps tous les efforts de notre industrie n'ont-ils point été contrariés par un tissu de règlements contraires à tous les progrès des arts, à tous les développements des facultés naturelles, à toute invention autre que celle d'enchaîner les talents?

Quelle barbarie n'a point exercé contre l'amour de la nouveauté, si naturel et si reproché aux Français, ce respect superstitieux pour la routine, qui defend d'ouvrir de nouvelles routes, et qui rend les anciennes impraticables? E lorsque des hommes extraordinaires out osé sortir des chemins battus, ou, pour mieux dire, dégradés, quels obstacles ou quels pièges n'ont-ils points rencontrés sous leurs pas? Ignorant dans le bien, habile

genre, car autrement la perte serait pour l'inventeur et non pour eux. ils craignent donc que les arts ne fassent un pas de plus; ils craignent donc que l'esprit humain n'acquière une connaissance de plus; ils craignent donc que l'Etat ne soit un peu plus florissant; ils craignent donc que les hommes ne soient un peu plus heureux. Non, non, ils ne se livreront point à ce découragement immoral; et s'il leur reste quelque inquiétude, le sentiment de leur devoir et celui de leurs ressources ne tarderont pas à les rassurer.

dans le mal, ne craignons pas de le dire, le fisc a tout gâté; il a vicié les intentions les plus sages, il a faussé toutes les bonnes directions; toujours enhardi par les besoins publics que ses perfides secours ne cessaient d'augmenter, il s'est a mé de toute la force qu'il a ravie à l'autorité légale pour faire la guerre à tous les intérêts légitimes; il a tout dégradé, et nos principes, et nos incurs, et nos lois, et notre génie, il a tout écrasé du poids des impôts,.tout, jusqu'au travail, sans penser, sans voir que le travail est lui-mêine un premier impôt, une juste corvée que l'homme paye à la nature et à la société; qu'il est la source de la richesse, et que l'impôt doit porter sur les produits et non sur les moyens, sur la récolte, et non sur le labour.

Les arts eux-mêmes, ainsi que toutes les professions utiles qui s'honorent de les servir, le fisc s'en est emparé; il les a isolés, il les a comprimés, il les a dénaturés, il en a fait autant d'institutions fiscales (1); et bientôt ces mêmes arts, qui sont tous frères, ce arts dont la force et dont la gloire sont dans leur union, ces arts dont plusieurs sont appelés libéraux, et qui devraient l'être tous, sa sont montrés inquiets, jaloux, intéressés, ennemis les uns des autres et ce beau royaume de France, où tout les appelait pour étonner l'univers, est devenu le théâtre de leurs guerres, au lieu d'être celui de leurs prodiges.

Ne craignons point de porter nos regards sur

(1) Nous avons dit, avec tous ceux qui ont médité sur ces matières, que tout privilège exclusif, dans les objets actuellement connus d'industrie et de commerce, était un monopole; et pour s'en convaincre, il suffit de jeter les yeux sur ces corporations connues, depuis plusieurs siècles, sous le nom de maitrises et jurandes, c'est-à-dire sur ce nombre fixe d'hommes à qui seul il est permis de faire et de vendre ce que les autres hommes pourraient faire et vendre aussi bien qu'eux. Il est cependant un témoignage honorable que nous devons et que nous rendons bien volontiers à ces antiques associations, c'est que dans tous les temps elles ont toujours été composées des hommes les plus honnêtes, et que nulle autre classe de citoyens, au milieu des progrès de la corruption générale, n'a plus religieusemient conservé la décence et la simplicité des mœurs de nos pères: quoique l'institution soit vicieuse, la profession n'en est pas moins estimable; aussi parmi

ces hommes, il en est une partie qui ne se doute point de la charge dont ils sont pour l'Etat, et une autre qui en gémit; et même en conversant sur ces matières avec la plupart d'entre eux, il est aisé de reconnaître que ces sortes de corporations sont en effet autant de privilèges exclusifs, mais au profit du fisc, et non des privilégiés: il est aisé de juger que ces privilégiés sont les premières victimes des faveurs qu'on leur envie, et que c'est eux que l'on vexe en leur donnant le droit de vexer.

En effet, si l'on considère ce qu'il doit en coûter à ces communautés en emprunts autorisés par le fisc, en prêts exigés par ce même fisc, en lettres de maîtrises, en finances d'offices, en frais d'apprentissage et de compaguonnage, en frais de réception, en frais d'assemblée, en frais de loyer ou d'achat de maison commune, en frais d'administration, de deniers communs, en frais de procédure, de consultation, de saisie, de poursuite, et mi le autres de cette nature, on verra que le fisc a voulu de bonne heure partager, avec un nombre déterminé de fournisseurs, des profits, qu'il les autorisait et même qu'il les forçait à rendre excessiïs; on verra que le fisc a de tout temps imaginé de prélever sur les marchands un impôt qu'il leur ordonnait de lever sur les peuples; on verra que le fisc s'est toujours placé entre le abricant et le consommateur, pour empêcher l'un de mieux faire, et l'autre d'acheter à meilleur marché; enfin on verra que le fisc a toujours eu l'ambition d'être l'entrepreneur du bonheur public; mais quel bonheur et à quel prix?

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