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les premières causes de tant de maux prêts à finir. Que d'embarras, que d'obstacles, que de chagrins, que de dégoûts, de tout temps réservés à ceux qui osaient se présenter à notre administration, comme inventeurs de découvertes utiles au genre humain! Peignez-vous un de ces hommes simples et tels que l'incompréhensible nature se plaît à les choi. sir pour ses plus intimes confidents: peignez-vous, dis-je, cet homme, admis avec bien de la peine, auprès d'un sous-ordre, qui s'applaudit de ne pas lui ressembler, et qui se croit en droit, non de l'entendre, mais de le condamner. Le malheureux client, que son Aristarque intimide, ose à peine lui présenter ce mémoire, objet de tant d'espérances, et fruit de tant de veilles; on le reçoit d'un air importuné, on le parcourt d'une air distrait, on le rend d'un air dédaigneux, et presque toujours on y joint cette ancienne maxime qui, sur ce point, renferme presque toute la jurisprudeuce des bureaux Sur cent projets de cette espèce, il n'y en a pas un de raisonnable; réponse outrageante et plus absurde encore que les plus absurdes projets, puisqu'elle a plus d'une fois sacrifié sans retour les avantages de la nation à la tranquilité d'un commis. Et tel est cependant, et tel sera toujours le sort des meilleures choses, quand elles dépendront du caprice des homines, et non de la bienveillance des lois.

E, pourtant, cet arrêt insensé d'un juge, inconnu à la loi, a bien souvent été definitif; car le vrai talent, presque toujours fier dans sa modestie, a peine à s'exposer deux fois à de pareils rebuts. Mais si par hasard l'inventeur ne se rebutait point, s'il trouvait un accès plus favorable, s'il obtenait que le rapport de son affaire fût porté à l'admiDistrateur en chef, ordinairement on lui nommait des commissaires, c'est-à-dire une censure, pour donner et motiver un avis sur la chose proposée.

Ce serait peut-être ici le lieu de montrer l'inJustice et l'inconséquence rélie de cette ancienne manière de procéder, si juste et si sage en apparence. Et qu'est-ce en effet que des censeurs en pareille occasion? C'est un tribunal, qui juge des choses qui n'exist nt point encore, et qui, à son gré, leur permet ou leur défend de naître; un tribunal, qui craint d'être responsable lorsqu'il autorise, et qui ne risque rien lorsqu'il proscrit; un tribunal, qui n'entend que lui-même, qui procède sans contradiction, et qui prononce sans appel dans des causes inconnues, où l'experience serait la seule procédure convenable, et où le public est le seul juge compétent. Et, à quels hommes osait-on confier une aussi etoonaute magistrature à exercer dans le domaine de la pusée? Les mieux choisis, sans doute, etai nt les savants; mais le savants eux-mêmes ne sont-ils pas quelquefois accusés d'ètre parties au procès? ont-ils toujours été justes envers les inventeurs? Convenons-en: l'etude a peine à croire à l'inspiration; et des bommes accoutumés à tracer les chemins qui mènent à toutes les connaissances, supposent diflicilement qu'on puisse y être arrivé à vol d'oiseau. Quelquefois les censeurs étaient des agents de fisc, attachés, par état et comme par religio, à l'intolérance administrative; quelquefois c'étaient des membres de ces corporations exclusives d'arts et métiers, qui, dans toute nouveauté, voient le germe d'une concurrence dangereuse, et qui regardent un inventeur comme un ennemi qu'il faut étouffer en naissant. On voit aisément que, d'après de tels principes, les hommes les plus habiles étaient les plus à craindre, et les pre wiers écartés. Aussi, combien de citoyens précieux, après avoir négligé le soin de leur fortune, pen

[30 décembre 1790.]

dant les plus belles années d'une vie consumée en études, en recherches, en méditations; après avoir épuisé leur patrimoine en fabrications, en frais inutiles, en essais infructueux, et surto it en vaines démarches, ont vu souvent leur espoir le plus cher et le mieux fondé s'évanouir tout-àcoup? Combien d'entre eux, en proie à tous les besoins, privés de ressources, accablés de regrets et d'inquiétudes, se sont expatriés, ou bien ont langui dans des asiles ignorés ou souvent homiliants? Et, qui sait même si des créanciers inexorables n'ont point traîné dans les prisons des hommes à qui l'antiquité, plus juste dans son ignorance, aurait peut-être élevé des temples?

Quelques-uns, plus heureux ou plus adroits, se présentaient avec des attestations souvent équivoques, avec des recommandations souvent mendiees, et recevaient une récompense arbitraire pour un mérite encore incertain.

Jusqu'à présent nous avons reproché des toris personnels envers les inventeurs : voici le moment de relever des erreurs politiques au sujet des inventions. En partant du principe incontestable, qu'il était juste de récompenser et de publier une idée nouvelle, alors qu'elle est utile, on a cru satisfaire à tout par une transaction quelconque entre l'inventeur et le gouvernement, et cette manière d'acheter en heroes les moissons du génie, trouve encore des défenseurs. Alors, diton, la société demeure quitte envers l'auteur, et l'industrie nationale acquiert les avantages que renfermait la découverte. Je n'examinerai point s'il est impossible à un intrigant habile d'exagérer au gouvernement le prix d'une chose inconnue; je n'examinerai point non plus si un acquéreur tout-puissant comme le gouvernement, ne pourrait jamais se prévaloir de sa force et de la faiblesse, ou mème de l'indigence du vendeur : je suppose un moment que dans la transaction les deux parties contractantes ont été parfaitement sincères et parfaitement libres, et je demande encore si la transaction peut être parfaitement juste. Vous ne connaissez pas ce que vous achetez, pourrait-on dire au gouvernement : la chose peut être utile, ou ne lê re point; car l'uSage est le veritable indicateur de l'utilité, et l'utilité le véritable in ficateur du prix mais ce prix indéterminé est la mesure exacte de la propriété de l'inventeur; puisqu'il est essentiellemout renferme dans son idé. C'est au proprietaire de cette ée à la faire valoir; il en a le droit, il ne lui faut plus que la sécurité. Protégez-le donc, et ne le payez point: en ne le protégeant point, vous lui refuseriez ce qui lui est dû; en le payant, Vous lui donneriez autre chose que ce qui lui est dů; en un mot point de marche, car ce marché sera libre ou force; s'il est force, vous êtes tyraus; s'il est libre vous êtes témeraices.

Dans cet étrange marché, qui sera l'appréciateur? sera-ce le gouvernement qui achète, ou l'inventeur qui ved? et, dans tous les cas, où est l'acheteur assez riche pour payer un hom ne ce qu'il s'estime? où est Tho ume assez modeste pour ne s'estimer que ce qu'il vaut? où est l'expert en état de les mettre d'accord?

Quelques partisans de la liberté indéfinie croiront voir à nos príncipes des conséquences dangereuses, et nous diront: quoi! dans un mʊment où tout retentit du cri de la liberté, où tous les intérêts s'iminolent d'eux-mènes à la liberté, où la loi n'est elle-même que le soutien, l'instrument, le ministère de la liberté, vous allez nous proposer des gènes et des contraintes!

Où sera la liberté, nous diront-ils, si elle n'est

dans l'industrie et dans le commerce? et où sera la liberté de l'industrie et du commerce, si vous établissez le despotisme du talent et la tyrannie des inventeurs? Essayons de prouver à nos estimables adversaires que nous l'aimons autant qu'eux cette liberté, mais que peut être nous la connaissons mieux; montrons-leur qu'un louable enthousiasme les égare, et qu'en ce moment, ils défendent le mot contre la chose.

Qu'eutend-on par liberté? Est-ce la faculté de disp ser de ce qu'on a, ou de ce qu'on n'a point? Si on ad pte la seconde définitio, il n'y a plus de loi ni de société; si, au contraire, il faut, avec toutes les honnêtes gens, s'en tenir à la première, que peut-on trouver dans la théorie que nous avons d'abord exposée, qui donne à l'inventeur au delà du droit d'us r de ce qui est à lui, et qui porte la moindre atteinte à ce droit chez les autres membres de la société ?

Remontons à os principes: l'idée nouvelle de l'inventeur lui appartient-elle, ou non? tout ce que cette idée contient, et le développement de ce contenu ne lui appartient-il pas aussi par une conséquence nécessaire? quel autre que lui peut avoir droit à ces choses avant de les connaître ? et quel autre peut connaître ces choses sans l'aveu de celui qui les possède, ou, pour mieux dire, qui les renferme?

Ne peut-il pas dire je ne les découvrirai qu'à condition que personne n'en usera que de mon consentement? ne peut-il pas dire à la force publique garantissez-moi cette condition, et je parle si on je me tais; et la force publique serait-elle une force protectrice, si elle répondait je ne veux me mêler en rien de ce qui vous regarde, je ne m'informe point si la chose est utile ou non, c'est à vous à le savoir et à le montrer. Si vous êtes troublé, défendez-vous comme vous pourrez pour moi, je ne m'en charge point? Mais, répon irait l'inventeur, s'il osait, je Vous demande de contenir ceux qui voudraient envahir ma propriété; c'est contre l'usurpation, contre la fraude, contre le vol que je vous implore, et non contre les droits de personne; je demande à mettre ma récolte, bonne ou mauVaise, sous la foi publique. Sera-t-il donc défen u de tou her aux autres récoltes, et permis d'enlever la mienne?

Osera-t-on encore nous répéter que, sous des termes déguisés, nous demandons des privilèges excl sifs? et confondra-t-on toujours, sous la même dénomination, ce qu'il y a de plus sacré avec ce qu'il y a de plus injuste? Toute préférence personnelle, lorsqu'elle est gratuitement donnée par les hommes ést arbitraire, et par conséquent absurde, et dès lors elle est révocable, mais elle est respectable, quand elle est donnée par la nature.

Pourquoi cette distinction? C'est que nous pouvons deinander raison aux homines de ce qu'ils sont, et que la nature n'est point obligée de nous en donner de ce qu'elle fait; nous ne saurons jamais pourquoi il lui a plu d'etablir les différences qui nous frappent entre des hommes qui paraîtraient avoir des droits égaux à ses dons, comme elle leur a donné des droits égaux à nos soins; elle ne l'a pas fait : elle a répandu, comine au hasard, la force, la grâce, l'adresse, l'intelligence et tous les divers attributs dont elle pouvait douer les êtres sortants de ses mains; et en les traitant ainsi, elle a donné à chacun tout ce qui devait résulter de ces premiers avantages.

Ainsi donc, une loi qui contrarierait le libre développement de tous ces dons naturels, tant

que l'exercice n'en serait point immoral, au lieu d'être une loi de liberté, serait une violence et une vexation perpétuelle; et, par la même raison, une loi qui laisse chacun comme il était, et qui permet à chacun d'être ce qu'il peut être, ne doit point être regardée comme un privilège, mais comme une protection voilà précisément le cas où se trouvent les inventeurs. La loi que nous sollicitons en leur faveur n'est qu'une pure et simple protection; c'est l'esprit inventif, c'est l'invention elle-même qui est un privilège, et celui-là, nous ne pouvons ni le confé er, ni le révoquer.

:

Mis, dira-t-on, l'Assemblée nationale ellemême a décrété l'emploi d'une partie des revenus publics à l'encouragement de l'industrie. A cela je réponds, que son intention est sans doute que ce genre de secours ne soit accordé qu'à des homines qui les mériteront, et qu'à des hommes auxquels ils seront nécessaires. A Dieu ne plaise que je veuille interdire aux inve iteurs de participer à ces encouragements, comme les autres agents de l'industrie. Il leur sera toujours libre de traiter, s'ils l'aiment mieux, avec l'administra tion; mais il ne sera pas toujours libre à l'administration de traiter avec eux. Il est beaucoup d'objets trop futiles e eux-mêmes pour mériter l'attention du corps social, et qui cependant peuvent devenir une source de bien pour celui qui les a découverts: et dans les inventions d'u e plus grande importance, il en est beaucoup dont le mérite ne peut être reconnu que par des épreuves, la plupart du temps incertaines et dispendieuses; or, ces épreuves, aux frais de qui seront-elles faites? sera-ce aux frais du gouvernement? Mais à quels risques ne s'expos ra-t-il point? Sera-ce aux frais de l'inventeur? Mais la plupart du temps où seront ses moyens? L'annonce d'une invention nouvelle, en fait d'industrie, est un titre sans doute, mais un titre non encore vérifié, et qui ne donne point droit aux récompenses; car si l'invention est utile, elle porte sa récompense avec elie; si elle ne l'est pas, elle n'en mérite point: et si des notions de la justice on voulait descendre à celles de l'administration, il serait encore aisé de prouver, que presque tout ce que l'on achète ainsi pour publier après, reste sans utilité pour la nation, parce que l'inventeur, malgré sa confiance dans sa découverte, n'a pas ordinairement assez de moyens pour soutenir la concurrence de toute l'industrie nationale; parce que tous les autres agents de cette mène industrie ont chacun la même crainte; parce que la plupart joignent à cette considération un doute plus ou moins fondé sur l'utilité réelle d'une invention qu'eux-mêmes n'ont point conçue; enfin parce qu'il est naturel de considérer une invention récente comme un enfant qu'il faut laisser, pendant les premiers temps de son existence, entre des mains amies, et qu'on ne doit point exposer à la lutte avaut l'âge de la force.

Mais qu'arrivait-il autrefois de ces transactions entre l'inventeur et le gouvernement? Ou le secret, dès le premier instant de sa manifestation, était condamné à un éternel oubli, et alors l'utilité ou l'inutilité de la découverte revenait au même, en périssant avec elle; on si quelqu'une échappait à cette fatalité, on se déterminait enfin à éprouver si elle était réelle ou chimérique, avantageuse ou nuisible: alors de deux choses l'une, ou l'essai manquait, et le prix de l'invention achetée était perdu; ou il réussissait, el bientôt une foule de concurrents, effrayés d'une idée utile, comme

d'un stratagème de guerre prenaient les mesures convenables pour en empêcher l'exécution; et les moyens manquaient rarement pour de pareils desseins, sous un régime hérissé de mille formalités au moins aussi favorables à la ruse qu'au bon droit. Voilà comme chaque lumière nouvelle, allumée pour un instant dans le champ des arts, était pour jamais éteinte par le souffle impur de l'envie qu'elle offusquait; voilà comme, depuis des siècles, notre industrie et notre administration ont erré d'un pas égal dans les mêmes ténèbres. Et par la réunion et par le funeste enchaînement de tant et tant d'obstacles, entre lesquels il s'en trouvait toujours un insurmontable, le génie de l'invention, tantôt assoupi, tantôt enchaîné, tantôt découragé, tantôt indigné, ou ne se montrait point, ou ne prospérait point, ou fuyait vers des nations plus hospitalières, enlevant à la France des richesses dont on avait méconnu la source, et portant à nos rivaux une supériorité que la nature nous avait inutilement desti ée (1).

Sur ce point, tous les peuples de l'Europe sont encore plus ou moins éloignés de connaître leurs vrais intérêts: un seul a vu la lumière; un seul a pris sur les autres les avantages des clairvoyants sur les aveugles. Chez les Anglais, aucun essor de l'esprit n'est arrête; chez eux, tout homme qui se croit inspiré d'une idée utile a droit de la faire connaître et d'en partager les avantages; chez eux, une découverte est déclarée la propriété de celui qui l'a manifestée; chez eux enfin, l'intelligence humaine est regardée comme un domaine illimité, où la sagesse publique encourage les nouvelles cultures; et un coup d'oeil rapidement jeté sur cette partie savante de la législation anglaise vous montrera Messieurs, combien l'accueil que depuis près de deux siècles cette nation éclairé fait à toutes les nouvelles inventions, assure de supériorité à son industrie sur celle de tous les peuples du monde.

En Angleterre tout inventeur de nouvelles dé couvertes ou de nouvelles perfections, en fait d'arts et métiers, s'adresse à la loi qui ne repou-se persoone; la chancellerie est obligée d'appointer sa requête, et sur-le-champ, il signifie un acte d'opposition connu sous le nom de caveat, pour prendre date de sa déclaration et prévenir toutes celles qui pourraient se faire sur le mêine objet; on dresse aussitôt des patentes avec une clause de rigueur, qui oblige l'inventeur à fournir, dans

(1) Il semble que ce soit pour nos inventeurs français qu'ont été fails ces vers si conuus: Sic vos non vobis, etc. Entre beaucoup d'exemples que je pourrais citer, quelques-uns me suffiront. Le balancier pour frapper les médailles fut imaginé, en 1615, par Nicolas Briot, qui, ne pouvant le faire adopter en France, trouva plus d'accès en Angleterre; et, sans l'autorité du chancelier Séguier, peut-être l'usage du balancier nous serait-il encore in

connu.

Le moulin à papier et à cylindre, inventé en France en 1630, fut porté en Hollande, et n'est revenu que depuis peu dans sa véritable patrie.

Le métier à bas fut d'abord inventé à Nimes. L'inventeur, contrarié en France, passa en Angleterre où il fut magnifiquement récompensé; mais les Anglais, dans leur générosité, eurent, dit-on, une faiblesse dont ils seraient incapables aujourd'hui : ce fut d'envier la gloire de cette belle découverte à un Français, et de l'attribuer à un de leurs compatriotes. Les Anglais nous doivent de même une nouvelle matrice pour la monnaie, un nouveau métier à gaze, la teinture du coton en rouge, et plusieurs autres decouvertes dont les auteurs n'ont point ėte prophètes dans leurs pays. Ne regrettons rien, réparons tout, et tâchons seulement que desormais nos abeilles ne portent plus leur miel hors de la ruche.

l'intervalle de quatre mois, une description exacle, appelée spécification, de la découverte qu'il vient d'annoncer; et sur cette spécification, on lui delivre un extrait de la patente, afin de lui servir de titre pour la fabrication et la distribution exclusive de sa nouvelle découverte; mais sous la double condition que les moyens spécifiés par l'inventeur n'ont point encore été employés dans les fabrications nationales, et que l'inventeur ne se servira que des moyens détaillés dans la spécification qu'il dépose. Ces mêmes patentes autorisent celui qui les obtient à céder son droit à qui bon lui semble, ou à ouvrir une souscription pour rassembler les fonds nécessaires à l'entreprise, à la charge toutefois de ne pas admettre plus de cinq associés ou souscripteurs à l exercice de sa patente.

Les frais de ces diverses expéditions s'élèvent environ à 80 guinées, et la taxe des patentes devient, par leur nombre, une branche du revenu public: le reste va de soi-même; et la patente une fois expédiée, le gouvernement ne s'informe point si l'inventeur a été sincère ou non dans sa déclaration,s'il est ou non fidèle à ses engagements; la loi est faite s'il y contrevient,si d'autres y contreviennent,c'est à la partie lésée à se plaindre et aux tribunaux à prononcer; et qu'on ne soit point effrayé pour ces tribunaux de la tâche qui leur est imposée; quand une fois les droits réspectifs de chacun sont fixés avec précision, il est aisé d'y comparer les prétentions respectives; alors, tous les obstacles disparaissent, toutes les obscurités s'éclaircissent, toutes les complications se simplifient; et ce qui répond à tout, c'est que depuis cent cinquante ans, dans un pays où la plainte est libre, où la presse est libre, où les hommes sont libres, on n'a connaissance d'aucune réclamation contre les applications les plus rigoureuses de cette loi tutélaire de l'industrie.

Nous ne discuterons point les perfections dont cette loi serait encore susceptible; nous n'examinerons point si des spéculations fiscales n'ont point trop élevé la taxe des patentes; nous ne rechercherons point si la limite impo-ée au nombre des actionnaires est vraiment utile, et si en Angleterre l'intérêt de manufactures établies et celui de la banque nationale obligent à porter cette atteinte apparente au droit primitif et absulu de l'inventeur.

A quoi mèneraient ces discussions? Ce n'est point à l'Angleterre que nous devons nos conseils. Summe--nous d'ailleurs en droit de la juger sur cet article? et la splendeur dont elle joint ne serait-elle point une réponse victorieuse à toutes nos objections?

Revenons plutôt sur nous-mêmes, et pour ne voir encore que la partie la plus excusable de nos erreurs, c'est-à-dire les prétendus encouragements prodigués depuis plusieurs siècles aux pretendus auteurs de nouvelles découvertes, évaluons, si nous l'osons, si nous le pouvons, et ces achats dispendieux de mille et mille secrets, où que l'on connaissait auparavant, ou dont on ne s'est point souvenu depuis, et ces protections offensives, et ces franchises injustes, et ces attributions de revenus publics, si souvent, si témérairement accordées à des entrepreneurs intrigants; et tant de bâtiments lastueux, mais encore plus chers, élevés, à la sollicitation de ces mêmes hommes et sous leur direction, aux frais du gouvernement; et tant et de si fortes avances auxquelles ce même gouvernement n'a cessé d'ajouter de nouveaux secours, et tant de prêts qui ne lui furent et qui ne lui seront jamais rem

boursés, et tant d'actions, tant de parts d'entreprises dont il a si souvent fait les fonds, et si rarement touché le dividende. Ce serait peu d'additionner toutes ces munificences: il faudrait encore les apprécier, et par les valeurs de l'argent aux différentes époques de notre monarchie, et par la pénurie habituelle de notre Trésor, et par l'intérêt toujours croissant à mesure qu'on remonte vers des périodes plus reculées ; enfin, il faudrait, après avoir supputé ce que ces dépenses ont dû coûter, y ajouter ce qu'elles auraient pu valoir, et chercher ce qu'elles ont rapporté.

Comparons à présent cette marche fantasque, incertaine et ruineuse, avec celle d'un gouvernement, qu'une loi juste et prudente éloigne de tant d'écueils, qui toujours favorable aux nouvelles entreprises, ne partage aucun de leurs dangers; qui ne fait aucune avance, et recueille toujours quelque avantage; qui, dans chacune de ses opérations, offre un bienfait et rencontre un profit; et que la reconnaissance et la prospérité toujours croissante de sa nation, récompense à chaque instant du respect religieux qu'il conserve pour les droits de l'homme, et de la sage protection qu'il accorde à ceux du citoyen. Et qui de nous ne penserait, en observant ce triste contraste, que nous nous sommes toujours mis en frais pour payer les moyens d'assurer notre décadence, et que chez les Anglais, au contraire, la fortune elle-même semble acheter le droit de les combler de ses dons?

Et que serait-ce donc, Messieurs, si je vous faisais observer cette insidieuse variété de fabrications anglaises étalées avec faste et chez tous nos marchands, et chez tous nos citoyens, et dans toutes nos cités, et dans toutes nos demeures, pour reporter ensuite vos regards sur nos monotones productions dans les mêmes genres d'industrie, qui demeurent installées et comme emprisonnées au fond des magasins de nos manufactures désertes, et les chefs mêmes de ces manufactures découragés et réduits souvent à l'humiliante condition de facteurs du commerce anglais ? Nos goûts, nos fantaisies, nos caprices, nos modes sont dans les intérêts de l'Angleterre, et notre vanité même nous méprise. Tout s'avilit ici par la routine; là, tout se régénère par l'invention. C'est l'invention, toujours reconnaissante envers sa patrie adoptive, qui en Angleterre, par des moyens et des effets toujours sûrs et toujours imprévus, inspire sans cesse à l'opulence de nouveaux désirs, et prescrit au travail de nouvelles tâches. C'est elle, qui présentant toujours aux riches de nouveaux moyens d'enrichissement (1), entretient leurs

(1) Les nouvelles entreprises en tout genre d'industrie sont depuis longtemps en Angleterre, et seront bientôt en France la manière la plus avantageuse de placer des capitaux; et si l'on veut y reflechir, de tous les moyens d'accroître une grande fortune, il n'en est point de plus séduisant pour l'intérêt personnel et de plus satisfaisant pour le patriotisme. Chaque découverte utile qui pros. père, est une conquête sur l'ignorance et un tribut sur tout le genre humain; et ceux qui de leurs moyens pécuniaires ont contribué à sa réussite, loin de devenir odieux à leur patrie, lui montrent dans leurs profits le thermomètre de sa prospérité. Je laisse à comparer cette maniére vraiment civique de s'enrichir avec cet obscur agiotage vers lequel tous les calculs et toutes les méditations de nos égoïstes et de nos prétendus financiers ne cessent de se tourner. Qu'ils rentrent en eux-mêmes, et qu'ils voient si les premiers éléments de la morale permettent de spéculer incessamment sur de nouvelles variations, et par conséquent sur de nouvelles convul.

fonds dans une circulation toujours plus rapide, grossit le Trésor public, ajoute à la fortune commune, rend la cupidité même utile, et banhit l'aspect affligeant de la pauvreté, loin d'un pays qu'elle favorise; c'est encore elle qui, tourmentant sans relâche un fol amour to jours prêt à se refroidir, le féconde, le ranime, et répand sur les campagnes anglaises un éclat et une vie dont la nature et le climat s'étonnent également. C'est elle enfin, c'est toujours l'invention qui assujettit l'Europe, que dis-je le monde, à un tribut volontaire, mais régulier, envers une nation qu'on peut regarder tout entière comme une grande corporation d'arts et métiers : effrayante association, dans laquelle et les plus habiles ouvriers et les premiers manufacturiers et surtout les génies les plus inventifs de toutes les nations s'empressent à se faire agréger.

Nous le savons trop bien, Messieurs, les Anglais ne travaillent pas seuls pour l'Angleterre : chez eux, sur plus de mille privilèges d'invention, actuellement en exercice, on en voit les n uf dixièmes accordés à des étrangers; et les citoyens que nous compterions dans cette armée auxiliaire de l'industrie anglaise, pourraient, en ajoutant à nos regrets, relever aussi nos espé

rances.

Voilà comme ils trouvent, jusque dans leurs rivaux, des instruments de leurs triomphes; voilà comme ils nous opposent à nous-mêmes, semblables à ce grand roi du Nord qui battait ses ennemis avec leurs propres soldats.

Cependant, malgré tant de ressorts d'une part, malgré tant d'entraves de l'autre, notre industrie, en plus d'un genre, a conservé sa supériorité sur l'industrie des Anglais; ils ne l'ignorent pas; ils savent que notre nation ne leur cède en rien, ni pour l'aptitude au travail, ni pour les facultés de l'esprit, ni pour les dons du génie, et que la France est plus riche en population; ils savent que notre terre est plus féconde, que nus productions sont plus variées, que notre sol offre de lui-même la plupart des matières premières que leur commerce va chercher au delà des mers; ils savent que chez nous une étendue plus vaste, une position plus heureuse se prêteraient à presque toutes les cultures, et que notre

sions dans l'état des affaires publiques; qu'ils jugent dans leur conscience si la détresse commune est un champ qu'un bon citoyen puisse mettre en valeur ; qu'ils conviennent, s'ils l'osent, et des fausses alarmes, et des fausses sécurités qu'ils ont l'art de répandre à propos dans des esprits plus simples que les leurs, soit qu'ils veuillent vendre trop cher ou acheter trop bon marché; qu'ils nous expliquent enfin ce jeu scandaleux où les hommes les plus rusés font tous les gains, où les honnètes gens font toutes les pertes, et dont l'état paye tous les frais. Est-il question, au contraire, d'une nouvelle découverte, le particulier qui en a conçu l'idée, et ceux qui lui ont fourni les fonds nécessaires pour la mettre en activité, proposent à leur nation une entreprise dont ils font les premières avances, dont ils courent les premiers hasards, et dont ensuite ils partagent avec elle tous les avantages et ceux de leurs concitoyens dont les dépenses volontaires ont contribué à les enrichir, n'en sont-ils pas amplement dédommagés, et par les jouissances nouvelles qu'ils se sont procurées et par l'accroissement de prospérité de leur commerc national? En un mot, l'agioteur dans les fonds publics désire sans cesse; et lorsqu'il le peut, il occasionne à sa patrie toutes les pertes dont il pense tirer un profit; l'entrepreneur d'une nouvelle invention, au contraire, commence par faire tous les sacrifices dont l'Etat peut tirer quelque avantage, et ne trouve.ses profits qu'après avoir assuré ceux de ses concitoyens.

climat est à la zone tempérée, et que cette zone
elle-même est aux autres climats.

Ainsi donc, les deux peuples ont chacun leurs
avantages; mais ceux des Anglais, nous pouvons
les acquérir, et les nôtres ne seront jamais qu'à
nous. La nature nous a plus favorisés que nos
rivaux; joignons-y, comme eux, la liberté et la
loi. Donnons aussi à la vivacité française un
libre essor, dans une juste direction; appelons
aussi le génie de l'invention à notre aide, ou
seulement ne le repoussons point; il est indi-
gène en France, il habite parini nous qu'il soit
libre enfio; qu'il rentre dans ses droits. et bien-
tôt nous le reconnaîtrons à ses bienfaits (1):
bientôt, il saura découvrir à mille citoyens des
trésors cachés au fond de leur pensée; bientôt,

(1) On aurait peine à se représenter combien un premier rayon d'espoir de recouvrer une propriété qu'on peut regarder comme celle de soi-même, a fait germer d'idées nouvelles dans l'esprit de nos artistes français. Mais on en pourrait juger par une première esquise que j'ai sous les yeux, des efforts inattendus auxquels de toutes parts on se dispose; je ne la présenterai point ici: il me suffira d'annoncer que mille genres d'industries, ou qui n'étaient point encore venus dans la pensée des hommes, ou qui demeuraient ensevelis avec leurs premiers auteurs, ou que d'autres peuples avaient eu soin de conserver mystérieusement à leur usage et à leur profit, vont enrichir la France; et il aisé de prévoir que les sciences vont tracer aux arts de nouvelles routes, en même temps que les arts vont offrir aux sciences de nouveaux moyens de réaliser leurs grandes conceptions.

Et qui pourrait calculer tout ce que la physique et la chimie, la chirurgie, préparent de secours et de consolation à notre faiblesse et à nos infirmités ? qui pourrait se représenter toutes les merveilles que la mécanique, cette extension incalculable de la force et de l'adresse humaine, est sur le point d'opérer? Il semble qu'un nouvel ordre de choses soit prêt à paraître, et que les imaginations françaises deviennent autant d'ateliers invisibles où se préparent des suppléments à tout ce que nous connaissons. Mais au milieu de cette grande fermentation, une pensée se présente la première à mon esprit, c'est que toutes ces idées, toutes ces m ditations, tous ces essais, tous ces travaux se dirigent et tendent avec une sorte d'émulation au soulagement et à l'embellissement de la société. Servir le monde, ou lui plaire, voilà le but commun de tous les inventeurs. Je vois les uns étudier et proposer ce qui manque à la perfection des filatures et des tissus; d'autres songent à multipher les moyens d'économie et de sûreté dans l'intérieur de nos demeures; un autre cherche à diminuer pour l'Etat la consommation excessive des matières combustibles; là, ce sont d'infaillibles précautions récemment imaginées contre les dangers multipliés des voyages; ici l'on présente à l'homme une armure ingenieuse qui doit le rendre insubmersible; plus loin, on lui offre la facilité de vivre dans un autre élément et de travailler sous les eaux, pendant qu'ailleurs on croit avoir trouvé des procédés plus sus et plus prompts pour rendre les marais à la culture et à la salubrité; et que plus loin, on s'occupe de porter à peu de frais l'arrosement et la fécondité dans des terrains qui paraissent condamnés par la nature à une éternelle sécheresse.

Quand d'aussi belles tâches ne seraient pas parfaitement remplies, ne devrait-on pas toujours quelque estime aux hommes qui se les proposent? Sans doute, une véritable gloire attend ceux qui réussiront dans ces grandes entreprises mais ceux-là mêmes qui s'exerceront sur des objets moins importants, ne resteront pas sans honneur; car les hommes tiennent compte de ce qui leur est agréable, comme de ce qui leur est utile.

Pourrait-on regarder, sans interêt, les efforts industrieux de celui qui s'empresserait à saisir et à fixer les plus imperceptibles lineaments, les nuances les plus fugitives de chaque herbe et de chaque fleur, et qui se promettrait d'offrir une collection comme vivante de toutes les plantes de l'univers?

[30 décembre 1790.]

n'en doutons point, il viendra dans nos ateliers seconder nos efforts, faciliter nos travaux (1), perfectionner nos ouvrages, inspicer (de préférence peut-être) nos plus modestes artisans, et les faire passer soudain, d'une longue obscurité à tout l'éclat de la fortune et de la renominée. Cet espoir n'est point une illusion; un mot peut le réaliser, et les Anglais alors n'auront plus qu'à se glorifier de nous avoir montré la route du bonheur.

Serait-on indifférent pour un de nos artistes qui, par des procédés ignorés, parviendrait à ressusciter l'art presque oublié du filigrane, el rière lui les plus patients et les plus adroits ouvriers laisser bien loin derde l'Indoustan?

N'applaudirait-on pas encore à celui qui confierait au tissu du velours les traits, les couleurs, les lumières, les ombres, les demi-teintes du tableau le plus fini, et qui parviendrait à douer, pour ainsi dire, une navette des talents d'un grand peintre? Rien n'empêche que d'autres ne se livrent en même temps à des études plus sérieuses; ainsi, par exemple, à côté des artistes qui s'appliqueront aux ouvrages les plus délicats, on pourra voir un savant essayer de déterminer la pesanteur réelle des corps au milieu des fluides qui les contrebalancent, et tenter d'offrir au commerce universel, un poids à l'abri de l'influence des temps et des climats. Le même homme entreprendra de montrer une mesure toujours égale à elle même, dans une ligne géométriquement correspondante à la distance de deux étoiles fixes, et il a conçu l'espoir d'opposer la régularité des corps celestes aux variations inévitables et perpétuelles des substances de notre globe.

Plusieurs amis de l'humanité, à l'envi l'un de l'autre, travailleront à faciliter et régulariser la mouture, cette première et si importante préparation de l'aliment universel. Ils se serviront de forces d'un genre inconnu. Ils économiseront celles dont on fait usage. Ils espèrent assujettir les eaux et les vents à de nouvelles lois. Ils veulent demander aux machines elles-mêmes un nouveau compte des grains qui leur sont confiés, et promettent au genre humain de lui conserver désormais cette partie considérable de sa nourriture, que l'imperfection des moulins a jusqu'à présent absorbée en pure perte.

Au milieu de tant d'hommes empresses à se rendre utiles à la grande famille humaine, il en est un qui tente un vol encore plus audacieux Jongues et profondes méditations sur la nature des il assure que de cho-es et sur l'action réciproque des fluides lui ont enfin découvert un agent plus puissant que ceux dont nous avons jusqu'à présent invoqué le secours. Il se flatte, avec celle aido nouvelle, de maîtriser les éléments les uns par les autres, et de pouvoir appliquer un jour leurs forces incompréhensibles à des travaux prodigieux. Ces merveilles, dira-t-on, n'existent point encore; non sans doute; mais il fut une époque où l'on pouvait en dire autant de toutes celles qui existent. C'est rarement le génie qui doute du géni; il fait trop bien que rien ne lui est impossible, pourvu qu'on lui donne un libre essor, pourvu que Prométhée ne reste point attaché au Caucase.

(1) Rendre facile ce qui est utile, et produire plus d'effet avec moins d'efforts voilà la tâche commune que les arts se sont proposés de tout temps et le but vers lequel ils ne cesseront jamais de s'avancer.

Le premier artiste qui a imaginé le moyen de substituer le travail d une femme ou d'un enfant à celui d'un homme fat, est devenu le bienfaiteur du genre humain, et celui qui diminuerait de moitié le nombre des ouvriers employés à une fabrication quelconque, mériterait les mêmes éloges. Voici l'occasion de rassurer fraternellement les inquiétudes ordinaires à la plupart de nos ouvriers, et de les guerir, s'il se peut, d'un préjugé trop accrédité dont, plus d'une fois, les suites ont été funestes à l'in lustrie nationale.

Ces utiles citoyens, accoutumés à n'avoir que leur travail pour patrimoine, étaient pardonnables dans le principe, en pensant que diminuer le nombre des hommes employes à un travail, c'était enlever à plusieurs d'entre eux les moyens de subsister; mais égarés par cette inquiétude, ils se sont portés, en plusieurs occa

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