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lence. Il arrivera qu'au moment où, pour l'exécution de votre décret, il faudra que vous vous occupiez de la marine, on vous forcera, en suscicitant des dangers à la chose publique, à délibérer sur autre chose; par exemple sur l'armée de terre. Je crois de l'essence d'une assemblée libre, qui délibère sur des objets qui doivent amener la liberté... Je crois qu'il est convenable que cette Assemblée garde dans son sein l'indépendance nécessaire pour achever la Constitution. On vous dit qu'il est à souhaiter que vous indiquiez le moment et la convocation de la prochaine législature. Rien ne serait plus dangereux, on multiplierait autour de vous les entraves, en suscitant des malheurs, des calamités publiques; on vous retarderait infailliblement; car jamais vous ne pourrez fermer les yeux sur les intérêts et sur les souffrances même momentanées du peuple.

Aujourd'hui au lieu de perdre votre temps, en vous livrant à une discussion aussi dangereuse, vous auriez pu rendre des décrets utiles à l'achèvement de la Constitution. (On demande à aller aux voix). J'entends dire au rapporteur que le décret ne fixe rien. Eh bien, c'est dans ce sens que j'ai dit qu'il était inutile. Il veut que l'on convoque les législatures quand la Constitution sera finie; et certes, personne ici n'a d'autre intention... (On demande à aller aux voix.) Je crois de mon devoir de vous dire que si vous adoptez la mesure qu'on vous propose, vous verrez multiplier les obstacles, les difficultés... (On applaudit et l'on murmure.) Je dis donc que l'Assemblée nationale ne doit pas compromettre ainsi la Constitution et la liberté... On croirait que la liberté, si précieuse, est un fardeau trop pesant pour elle.

Je propose la question préalable.

M. Le Chapelier. Je m'attendais bien à quelques objections contre ce projet de décret, qui n'est cependant que l'exécution du décret rendu sur ma motion, et en vertu duquel votre premier comité central avait été formé; mais je ne m'atteudais pas qu'on le présenterait comme inutile et dangereux. Il m'a toujours paru que la perte du temps venait de ce que nous n'avons pas un ordre du jour fixe. Il me semble indispensable, pour le salut de la Constitution, d'écarter de nous tout ce qui peut être laissé à la législature.

J'avais souvent observé que des décrets qui pouvaient être renvoyés aux séances du soir occupaient une grande partie de celles du matin, et qu'on ne terminait pas des discussions commencées. J'ai senti qu'il était nécessaire de mettre la nation dans la confidence de nos travaux et d'apprendre aux comités l'époque fixe à laquelle ils doivent vous soumettre le résultat de leurs opérations. Voilà ce que vous avez demandé aux membres qui remplacent votre premier comité central; voilà l'esprit dans lequel ils ont rédigé le projet de décret qu'ils vous proposent. Certes, cette mesure dissipera l'impatience de la nation, en lui montrant le terme de vos travaux, en en accélérant la marche; et l'on dit qu'elle est dangereuse et inutile! Croyez-vous que, si l'ordre de vos delibérations était immuablement établi, la séance aurait été ce matin employée en grande partie à rendre des décrets qui appartenaient à une séance du soir? On prétend qu'il est dangereux d'arrêter qu'on ne s'occupera que d'objets constitutionnels, parce qu'on suscitera des mouvements dans les départements, pour nous détourner de notre marche; mais quand nous nous occuperons des événements qui pourraient mettre obstacle à la

Constitution, ne travaillerons-nous pas à la Constitution? Ceux qui seraient d'une moindre importance se porteraient à des séances extraordinaires du soir, que l'Assemblée, qui jusqu'à ce jour s'est montrée infatigable, accordera sûrement sans difficulté. Il ne s'agit point de fixer le terme de la convocation de la législature; mais il faut, pour répondre aux ennemis de la Constitution, qui ne cessent de dire que nous voulons nous perpétuer, montrer que les objets constitutionnels nous occuperont privativement, et qu'après les avoir épuisés, nous convoquerons nos successeurs. Il s'écoulera nécessairement, entre cette convocation et la nomination, deux mois, qui sufriront pour décréter les matières indispensables de législation. (On applaudit.)

(La question préalable, mise aux voix, est rejetée.)

M. Buzot. Il y a dans la seconde section du travail du comité central des objets qui se rapprochent beaucoup de la première; par exemple, la question sur les ordres de la chevalerie et de Malle. Je demande que ces objets soient ajoutés au projet que vient de nous présenter M. de Crillon.

M. Camus. Il y a quatre mois que l'Assemblée, sur ma proposition, avait ajourné cette question, en ordonnant à son comité de Constitution, auquel devaient se réunir des commissaires de quelques autres comités, de lui en faire le rapport. Le comité n'a pas même été convoqué pour cet objet qui me paraît des plus instanis. J'appuie donc la proposition de M. Buzot.

(La proposition de M. Buzot est adoptée.)

M. Moreau de Saint-Méry. D'après la nature et la multiplicité des objets qui restent à traiter, il serait difficile de décider si l'Assemblée actuelle pourra réunir le vœu des colonies sur leur constitution, ou si elle devra déléguer à la prochaine législature le pouvoir de la déterminer. Mais, dans tous les cas, il y a deux objets à classer parmi ceux à discuter le matin. Le premier, c'est la représentation des colonies et par rapport à celles qui ont déjà des députés et par rapport à celles qui doivent en avoir, d'après les décrets mêmes de l'Assemblée. Le deuxième, c'est de fixer l'époque où les colonies doivent s'occuper de nommer leurs représentants, à la prochaine législature, afin qu'ils s'y trouvent pour y soutenir leurs intérêts expliquer les motifs des parties de leur constitution, et éclairer sur des localités avec lesquelles on n'est pas encore assez familiarisé dans le royaume. Je demande donc que l'Assemblée décrète qu'elle s'occupera, dans les séances du matin, de la représentation des colonies, et de fixer l'époque où elles doivent nommer leurs députés à la prochaine législature.

M. de La Charrière. Je demande le renvoi de la proposition de M. Moreau au comité colonial.

M. Moreau de Saint-Méry. J'accepte ce renvoi.

(Le renvoi est ordonné.)

M. Dionis. L'Assemblée a aussi ajourné la question très importante des substitutions. Je demande qu'elle fasse partie des objets détaillés dans le projet de décret.

M. Boussion. Je suis instruit que des pères, âgés de soixante-dix ans, font contracter leurs fils aînés pour frustrer les cadets.

M. Populus. Nous avons reçu des lettres des départements, qui annoncent l'incertituie des familles. L'Assemblée ne peut les y laisser.

M. de Folleville. Il faut s'arrêter en ce moment aux objets dont l'énumération se trouve dans le projet de décret du comité. Quand une fois ces travaux importants seront terminés, rien ne s'opposera à ce que vous vous occupiez des articles de Constitution qui se trouveront à discuter encore.

M. le Président se dispose à mettre aux VOIX l'amendement de M. Dionis, sur les bases constitutionnelles des successions. (Il s'élève quelques murmures.)

M. Louis de Noailles. Je demande si, après avoir decrété l'égalité parmi les hommes, on peut décréter constitutionnellement une inégafité q i jetterait la discorde dans les familles.

(L'Assemblée décrète que la loi constitutionDelle sur les successions est comprise parmi les objets détaillés dans les articles du projet de décret.)

M. Cottin. Il faut ajouter, sans qu'on puisse induire de la classification, qu'il ne pourra être proposé d'autres objets constitutionnels.

M. Charles de Lameth. Cette disposition n'est pas récessaire. L'Assemblee ne pense pas avoir prévu tous les objets constitutionnels qui peuvent se présenter; elle ne peut pas vouloir proscrire ceux qu'elle ne prévoit point.

M. Cottin. En ce cas, je retire mon amendement.

Le projet de décret est adopté en ces termes : « L'Assemblée nationale, après avoir entendu le rapport de son comité central, décrète ce qui suit:

1° Elle s'occupera sans interruption, dans ses séances du matin, des objets suivants : « Les jurés.

Les impositions.

«La haute cour nationale.

Les changem nts à faire dans le code pénal,

et les lois sur la responsabilité.

Les gardes rationales et auxiliaires.

L'organisation de la marice.

Les lois qui détermineront les rapports de l'autorité civile et militaire.

« Complément de l'organisation des municipalités et corps administratifs.

«De l'organisation du Corps législatif et de celle du pouvoir exécutif.

L'organisation du ministère,

« L'organisation du Trésor national.

« Les principes constitutionnels de la comptabilité.

«Les lois sur la régence.

« Les bases de l'éducation nationale.

« Les lois constitutionnelles sur la mendicité. «L'ordre de Malte.

« Les ordres de chevalerie.

« Les lois constitutionnelles sur les successions, les testaments et les substitutions.

La démarcation de la juridiction ecclésiastique.

"Et lorsqu'elle les aura terminés, la législature prochaine sera convoquée.

2° Elle traitera dans ses séances du soir, dans l'ordre qui lui a été fourni par son comité central, les objets compris en la seconde section.

3° Elle ordonne à ses différents comités de Péparer leurs rapports, pour qu'ils puissent lui être faits dans l'ordre de travail adopté. »

M. le Président donne lecture d'une lettre des administrateurs du directoire du district de Versailles, en date du 31 décembre dernier, qui annonce que des biens nationaux, estimés d'après les baux, 326,946 livres, ont été adjugés 760,700 livres.

Un membre donne lecture d'un extrait des adjudications faites dans le district de Rethel, le 26 décembre 1790, duquel il résulte que les biens pour lesquels il avait été fait des offres de 155,404 livres, ont été adjugés 291,400 livres.

Un membre du comité d'aliénation propose des projets de décrets, portant vente de biens nationaux à différentes municipalités.

Ces ventes sont décrétées et l'Assemblée nationale déclare vendre les domaines nationaux mentionnés aux états contenant !eur évaluation; Savoir:

A la municipalité de Saint-Martial-de-Geinel, pour la somme de...... 13,213 1. 8 s.

....

A celle de Saint-Merd-duGernel......

A celle de Turenne,

A celle de Saint-Pardoux-leCroisille....

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A celle de Bassignac-le-Bis. 13,827 Le tout ainsi qu'il est plus au long porté aux décrets de vente et états d'estimation res, ectifs annexés à la minute du présent procès-verbal,

M. le Président, J'invite l'Assemblée à se retirer dans ses bureaux pour procéder à la nomination d'un président et de trois secrétaires. (La séance est levée à trois heures.)

ASSEMBLER NATIONALE.

PRÉSIDENCE DE M. D'ANDRÉ.

Séance du dimanche 2 janvier 1791 (1).

La séance est ouverte à onze heures. MM. François Goubert, curé de Bellegarde, député du département de la Creuse,

Guilloz, curé d'Orchamp-en-Venne, district d'Ornaus, département du Doubs,

Ogé, curé de Saint-Pierre-Mont, département de l'Aisne,

Longpré, ci-devant chanoine de Champlitte, député du département de la Haute-Saône,

Se présentent à la tribune et prêtent le serment ordonné par le décret de l'Assemblée du 27 novembre 1790.

(1) Cette séance est incomplète au Moniteur.

M. Martineau, secrétaire, fait lecture des procès-verbaux de la séance du 31 décembre au soir et de celle du 1er janvier au matin.

M. Dionis du Séjour. Dans le procès-verbal de la séance d'hier, on a omis, en parlant du décret rendu sur le rapport fait au nom du comité central, de faire mention, dans toute son étendue, de la motion faite par moi et adoptée par l'Assemblée, tendant à ce qu'il soit placé au nombre des bases constitutionnelles, non seulement celles sur les successions, mais encore celles sur les substitutions et les testaments.

(L'Assemblée décrète que l'omission sera réparée, et qu'il en sera fait mention dans le procès-verbal.

Les deux procès-verbaux sont adoptés.)

M. de Lafayette. Il y a dans la rédaction du décret rendu hier, sur le rapport du comité central, un oubli essentiel: c'est la distinction à établir entre le corps constituant et les législatures; elle importe au maintien comme à la perfection de noire Constitution, de cette Constitution qui, devant tenir un juste milieu entre les généralités d'une déclaration des droits et les actes ordinaires de législation, sera sans doute mise sous la sauvegarde du grand principe de conventions nationales.

C'est pour mieux exprimer cette différence entre votre Assemblée constituante et une législature, que je propose aussi de rayer le mot prochaine de l'article relatif à celle qui va être convoquée.

(Ges deux propositions sont adoptées.)

M. Gaultier - Biauzat. Il est dit encore dans ce décret, que nous nous occuperons de la démarcation du pouvoir civil et ecclésiastique; mais il me semble que vous préjugez ainsi qu'il y a juridiction ecclésiastique. Je demande donc la suppression de cette partie de l'article premier, ou que quelqu'un propose des expressions plus claires.

M. Goupil. Je demande qu'on s'exprime ainsi l'étendue légitime de la juridiction ecclésiastique.

M. Martineau. Il est nécessaire de distinguer avec precision des autorités qui ont été confondues depuis plusieurs siècles; il faut que l'évêque ait une juridiction sur les curés et sur les autres ecclésiastiques de son diocèse; il faut dire jusqu'où cette juridiction doit s'etendre et s'arrêter. Je demande donc que vous laissiez les termes du décret tels qu'ils sont; quand on en sera là, on pourra se determiner.

(L'Assemblée passe à l'ordre du jour.)

M. Defermon, rapporteur du comité de l'imposition. Messieurs, votre comité de l'imposition m'a chargé de vous présenter une instruction sur vos décrets relatifs à la contribution mobilière. Je vais vous donner lecture de ce travail (1).

Un membre demande que l'Assemblée ordonne l'impression de ce document et en ajourne la lecture après cette impression.

L'Assemblée adopte cette motion et invite

(1) Voyez cette instruction annexée à la séance de ce jour, p. 755.

les membres qui auraient quelques observations à proposer, à en faire part au comité avant la discussion.

M. l'abbé de Bonnefoy. Messieurs, les membres composant le directoire du département du Puy-de-Dôme m'ont fait parvenir, pour en donner connaissance à l'Assemblée nationale, d'une adresse émanant du chapitre de Saint-Genės de la ville de Thiers.

Il n'est pas moins flatteur que satisfaisant pour moi de trouver dans mes confrères l'amour de la Constitution et les mêmes sentiments que j'ai toujours professés au milieu de vous. C'est dans cet esprit de civisme qu'est écrite l'adresse que je vais avoir l'honneur de vous communiquer :

Adresse de MM. les prêtres du ci-devant chapitre de Saint-Genès de la ville de Thiers, envoyée au département du Puy-de-Dôme (1).

« Les prêtres du ci-devant chapitre de SaintGenès de Thiers, se permettent de se réunir pour vous offrir collectivement les sentiments de soumission qui les dirigent dans toutes les occasions où la loi cominande. Le 15 de ce mois a été signifiée à cha un de nous votre délibération à fin de cessation de toutes fonctions canoniales, conformément au décret de l'Assenblée nationale sur la constitution civile du clergé; ils ont reçu cet ordre avec la résignation qui convient à tout citoyen, et que la religion commande plus impérieusement encore à lous les ministres, comme devant donner les premiers l'exemple de l'obéissance.

«Ils ne vous le dissimuleront pas; la perte de leur état peut être offerte à la patrie comme un sacrifice auquel ils attachent un haut prix. Ce qui en adoucit la privation, disons plutôt, ce qui la convertit en jouissance, c'est d'être assurés qu'il était indispensable, et qu'il pourra contribuer à l'achèvement heureux et tranquille de la Constitution. Pour ce grand œuvre, il n'est point de Français qui doive calculer les privations personnelles. Le salut de la patrie est la loi su, rême, et c'est dans ce vœu universel que tous les intérêts doivent venir se confondre. Exprimer dans toutes les occasions notre civisme est le besoin le plus pressant de nos coeurs; nous nous honorons de vous rendre dépositaires de ces sentiments. C'est à vous, Messieurs, comme premiers organes de la loi, qu'il appartient de diriger le zèle, et de veiller aux intérêts de ce département; ils ne pourraient être confiés à de plus sûres ni plus habiles mains.

« Nous n'avons qu'à nous louer de la manière avec laquelle la municipalité nous a intimé vos ordres. Notre prompte obéissance a prouvé notre respect, et dans quelque position que nous puissions nous trouver, on nous verra toujours disposés à maintenir le serment que nous avons fait de fidélité à la nation, à la loi et au roi.

« Signé Guillemotdaurelle, Cohavoux, Audambron, Vialle, Richard, Dufour, Vialle, Dufour, Maguin, Bourgade. »

(L'Assemblée ordonne l'impression de cette adresse et son insertion dans le procès-verbal.)

M. Gobel, évêque de Lydda. Une altération de

(1) Ce document n'a pas été inséré au Moniteur.

santé, qui m'a retenu dans ma chambre, m'a empêché de venir plus tôt m'acquitter d'un devoir que je m'empresse de remplir, persuadé que l'Assemblée nationale ne veut pas nous obliger, par ses décrets, à faire quelque chose de contraire à la juridiction spirituelle, en ce qui concerne le salut des fidèles, je demande à prêter le serment que l'Assemblée a ordonné par son décret du 27 novembre.

(M. l'évêque de Lydda prononce la formule de son serment au milieu des applaudissements réitérés.)

M. de Bonnal, évêque de Clermont, se présente à la tribune (1). Messieurs, nous n'avons cessé de rendre hommage à la puissance civile, de célébrer avec une religieuse gratitude, l'appui que l'Eglise en a reçu depuis le commencement de la monarchie; nous avons reconru et nous le reconnaitrons toujours, que c'est d'elle que nous avons reçu tous les avantages dont nous avons joui dans l'ordre politique; mais nous avons dit, en même temps, et nous répéterons toujours que, dans l'ordre spirituel, nous ne tenons et ne pouvons tenir nos pouvoirs de cette puissance; que notre juridiction nous vient de Jésus-Christ, que ce n'est que par l'Eglise qu'elle peut nous être transmise ou retirée. Nous regardons comme un point de la doctrine catholique, que l'autorité spirituelle doit établir, régler et déterminer ce qui appartient à la hiérarchie, à la juridiction et à la discipline ecclésiastique. Cette doctrine que l'Ecriture et la tradition nous ont apprise, nous sommes obligés, comme ministres de la religion, de la professer, de la défendre, de l'enseigner et de la transmettre dans toute son intégrité. Nous avons toujours soutenu, comme une vérité consacrée par toutes les lois canoniques, que nos fonctions étaient tellement limitées à la portion du territoire pour lequel nous avons reçu notre mission; que les étendre au delà, sans l'autorité de l'Eglise....

(Il s'élève beaucoup de murmures dans la partie gauche.)

M. Treilhard. Je demande que M. l'évêque de Clermont soit tenu de déclarer s'il entend prêter le serment pur et simple. (La grande majorité applaudit.) On prépare des protestations, on les apporte à la tribune pour les répandre dans les papiers publics et pour exciter des malheurs dont nous gémissons. C'est un serment pur et simple que nous avons décrété; ce n'est qu'un serment pur et simple que le roi a sanctionné.

Je ne pense pas que l'Assemblée puisse jamais permettre d'ouvrir une discussion nouvelle sur un décret rendu; mais surtout lorsque ce décret a force de loi, par l'effet de l'acceptation que le roi lui a donnée. Remarquez, d'ailleurs, que cette discussion, dans laquelle M. l'évêque de Clermont se permet de rentrer, toute contraire qu'elle est aux vrais principes, peut causer les plus fâcheuses conséquences, en ce que son objet est sans doute de porter l'alarme, ou au moins l'inquiétude dans l'âme des respectables pasteurs, qui, en citoyens vertueux, autant qu'éclairés et soumis aux lois de leur patrie, ont déjà prêté leur serment pur et simple, tel enfin que le décret du 27 novembre dernier l'a prescrit.

(1) Voyez annexé à la séance de ce jour, p. 763, le discours in extenso de M. de Bonnal.

Il est bien temps de faire cesser toutes ces vaines disputes. L'intérêt de la religion le commande; c'est le premier de nos devoirs.

Je demande que M. l'évêque de Clermont soit interpellé par M. le Président, au nom de l'Assemblée, de déclarer s'il entend, oui ou non, prêter un serment pur et simple.

M. de Bois-Rouvray. Je demande que M. l'évêque de Clermont soit entendu.

M. Treilhard. Je demande aussi qu'on entende le serment de M. l'évêque de Clermout, si ce serment est pur et simple; car c'est ainsi que l'Assemblée l'a décrété. (Plusieurs voix de la droite C'est faux! c'est faux !)

M. de Bonnal, évêque de Clermont. Je n'ai pas la prétention de forcer l'Assemblée à m'entendre; mais je crois pouvoir rappeler ses propres principes. Elle n'a jamais défendu à ses membres de manifester leurs opinions, surtout quand elles intéressent la religion... (Il s'élève des murmures.) Vous avez reconnu solennellement que vous n'avez point d'empire sur les consciences... (Les murmures augmentent.)

M. Le Bois-Desguays. Si chaque serment nous fait perdre une séance, c'est un moyen que nous aurons donné pour retarder nos travaux. Que M. l'évêque de Clermont prête son serment, ou que l'on passe à l'ordre du jour.

M. Chabroud. Il est impossible que M. l'évêque de Clermont se refuse à déclarer s'il veut ou s'il ne veut pas prêter son serment. Il n'y a point à l'ordre du jour de discussion sur ce serment, il faut ou que M. l'évêque de Clermont prête son serment, ou qu'on passe à l'ordre du jour.

M. de Foucault. Voulez-vous entendre M. l'évêque de Clermont?

Plusieurs voix : Non!

M. de Foucault. Non... Eh bien! il n'existe plus d'Assemblée. Ce n'est qu'une faction. (Il s'élève de grands murmures.) Faites lecture de l'article du règlement qui permet à ces Messieurs d'interrompre. Vous voulez donc..? Eh bien oui, depuis longtemps vous vous rendez responsables de tous les maux qui affligent les provinces !

M. Le Bois-Deguays. M. Foucault a tort de dire qu'on interrompt l'opinant, il n'y a ni opinion, ni discussion à l'ordre du jour; il n'y a que le serment.

M. de Foucault. C'est-à-dire que vous m'ordonnez, par serment, d'assassiner mon frère et ma sœur; sacrifier sa religion, c'est tout.

M. de Bonnal, évêque de Clermont. Je demande si l'Assemblée entendra mes motifs?

(On se dispose à mettre aux voix la motion par laquelle M. Treilhard demande que M. le président interpelle M. l'évêque de Clermont.)

M. Foucault. Je réclame la question préalable pour l'honneur de l'Assemblée.

(L'Assemblée décide, à une très grande majorité, qu'il y a lieu à délibérer.)

(L'Assemblée adopte à une très grande majorité la motion de M. Treilhard.)

M. le Président à M. l'évêque de Clermont. En conséquence je vous interpelle, Monsieur, de déclarer si vous voulez prêter un serment pur et simple.

M. de Bonnal, évêque de Clermont. Je dois parler catégoriquement, comme il convient à mon caractère. Je déclare donc que je ne crois pas pouvoir, en conscience, prêter le serment exigé.

(Ön demande l'ordre du jour.)

(L'Assemblée décide qu'elle passe à l'ordre du jour.)

L'ordre du jour est la suite de la discussion du projet de décret relatif aux jurés.

M. Duport, rapporteur. Vous avez décrété ce qui regarde la police, vous auriez maintenant à Vous occuper de la justice criminelle; mais il est une institution que nous avons cru devoir placer, pour ainsi dire, à la porte de la justice: le juré d'accusation. Cette institution est déjà donnée par un décret. Vous avez pensé que la liberté des citoyens était une chose assez importante pour que, s'il est nécessaire à la tranquillité publique de donner à la police une grande énergie, une action prompte, il faille décider sans délai sur le sort d'un citoyen arrêté. Voilà le motif de l'institution du juré d'accusation; vous croirez aussi important de l'établir presque au moment de l'arrestation. Nous avons pensé qu'à l'instant où un homme est mis dans la maison d'arrêt, juge doit examiner s'il s'agit d'un délit emportant peine infamante, et si l'accusation est de nature à être présentée aux jurés. Ensuite nous avons pensé qu'il fallait que des citoyens s'assemblassent pour juger s'il y avait lieu à l'accusation... L'Assemblée peut décréter, en ce moment, le titre de la justice. Il n'y a que deux articles qui tiennent à la question des preuves écrites; on ne préjugera rien à cet égard en les ajournant. Je demande donc que l'Assemblée décide si elle discutera d'abord le titre de la justice, ou si la discussion s'ouvrira sur la question des preuves écrites ou orales.

un

M. Thouret. La séance est trop avancée pour entamer une discussion aussi importante que celle des dépositions écrites ou orales; une telle discussion ne peut pas être coupée et doit avoir tout son aplomb. Je demande qu'une séance entière y soit consacrée; nous pourrions nous occuper aujourd'hui du juré d'accusation, en ajournant les articles relatifs aux dépositions. (Cette motion est adoptée).

La discussion s'ouvre sur les articles 1 et 2 qui portent que le directeur du juré sera pris parmi ses juges du tribunal de district et que les fonctions en seront confiées à tour de rôle tous les six mois aux différents juges qui composent ce tribunal.

M. Tronchet. L'importante fonction de directeur du juré nécessite une présence continuelle et il faudra un remplacement dans le tribunal. Il serait plus simple d'attribuer tour à tour cette fonction aux suppléants, soit pour les accoutumer aux formes criminelles, soit pour ne laisser aucun vide dans le tribunal, où ils seront moins propres, n'étant pas au courant des procédures civiles qui pourront être en état d'être jugées lors de leur entrée dans le tribunal On ne peut 1re SÉRIE. T. XXI.

du reste sans danger se dispenser de leur allouer un traitement pour le temps qu'ils seront occupés au service public.

M. Duport, rapporteur, combat l'opinion de M. Tronchet, qui est repoussée.

Les articles 1, 2, 3'et 4 sont adoptés. L'article 5 porte qu'aucun acte d'accusation ne pourra être présenté au juré que pour un délit emportant peine afflictive ou infamante.

M. Duport, rapporteur. La nature du délit devra être constatée par le directeur du juré.

M. Garat l'aîné. Une décision aussi importante ne peut être abandonnée à un seul homme; elle ne peut être prise que par le tribunal de district. Je demande, par amendement, que, dans tous les cas, le directeur du juré soit tenu de faire assembler le tribunal entier du district qui, après avoir entendu les conclusions motivées du commissaire du roi, décidera si le délit imputé à l'accusé emporte ou n'emporte pas peine afflictive ou infamante.

M. Moreau appuie cette opinion.

M. Barnave. On ne fait point attention ici que le tribunal n'est appelé que lorsqu'il y a diversité entre le directeur du juré, le juré et le commissaire du roi et qu'il ne s'agit que du juré d'accusation et non de celui de jugement. La chose est telle, que quand même il y aurait unanimité entre ces trois personnes contre un citoyen, ce ne serait pas encore une raison de le croire coupable, mais bien de le soupçonner et de s'assurer de sa personne: ce premier article ne va pas au delà de la qualification du crime. Si l'amendement de M. Garat était adopté, il réduirait à rien l'influence bienfaisante du juré.

Plusieurs membres demandent la question préalable contre l'amendement de M. Garat. (La question préalable est adoptée.) Les articles 5 à 29 sont successivement adoptés. Suit le texte des articles décrétés dans la présente séance:

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