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dre à tous que la violation de la loi sera punie. Quand on sait qu'une punition juste attend ceux qui s'opposent au bonheur public, personne n'est disposé à se faire justice à soi-même. Je pense donc qu'il est important de décréter promptement et le mode de l'exécution et la peine de l'inexécution. Je trouve dans l'ajournement un nouveau danger. La demande qu'on vous en a faite est fondée sur ce qu'il faut attendre la réponse du pape. Qu'arriverait-il si le pape donnait aux évêques le conseil d'obéir? qu'arriverait-il s'il leur donnait un conseil contraire? Le schisme ne tarderait pas à s'élever; on ne saurait plus quelle est la véritable religion; on se perdrait, on s'agiterait, on se consumerait dans des haines funestes, dans des querelles malheureuses. Mais voici des motifs d'un ordre supérieur est-ce au XVIII siècle que des évêques demandent...

M. de Lubersac, évêque de Chartres. Qui vous a donné le droit d'attaquer les évêques?

M. Camus. Je ne répondrai pas, parce qu'il est inutile de défendre ici les lois du royaume quand elles ont été portées, parce que tout cela a été discuté, et que l'on veut seulement éloigner les observations que j'ai à faire contre l'ajournement. Je soutiens donc qu'il est surprenant qu'à la fin du XVIIIe siècle, que dans cette Eglise qu'on prétend environner de lumières, on élève une question telle que celle que vous avez entendu agiter. Le pape est le centre de l'unité; l'Assemblée nationale l'a reconnu en disant que «<le nouvel évêque écrira au pape, comme au chef visible de l'Eglise universelle, en témoignage de l'unité de foi et de la communion qu'il doit entretenir avec lui. » On vous a dit que le pape n'est pas évêque universel; comme évêque de Rome, il ne peut donc rien sur la démarcation des autres diocèses; il a la primauté, la surveillance, mais il n'a pas le droit de donner des ordres aux évêques. On connaît les degrés par lesquels le pape est arrivé à cette puissance que nos pères appelaient usurpation, et contre laquelle l'Eglise même s'est souvent élevée. On a vu l'Eglise d'Afrique priver de la participation à sa communion les évêques qui auraient recours au pape...

Les papes ont d'abord consulté les évêques, ensuite ils leur ont adressé des prières, puis des ordres, et l'on peut désigner le jour où les papes se sont attribué des droits usurpés par des excommunications et des anathèmes. Cet empire, je l'appelle empire parce que c'est un exemple de despotisme, a été attaqué par des conciles. Ceux de Bâle et de Constance, qui représentaient l'Eglise universelle, ont multiplié leurs efforts pour faire déclarer que l'Eglise universelle avait le droit de déposer les papes, et il fallut s'armer contre l'humble successeur de saint Pierre. Jamais les évêques de France n'ont voulu que le pape pût unir ou séparer des bénéfices; et quand la paix, quand le salut public le demandent, ils professent une doctrine contraire; ils disent qu'ils ont les mains liées; ils appellent, ils invoquent la volonté du pape. L'autorité de la nation; elle est au-delà des Alpes. Nous attendons, disent-ils, la reponse du pape. Ils n'ignorent pas qu'ils peuvent tout ce qu'on demande. Quand j'ai vu dans leur protestation que saint Augustin disait qu'il serait trop heureux de pouvoir, en abandonnant les honneurs ecclésiastiques, contribuer à la paix du peuple et à la gloire de l'Eglise, j'ai cru que leur démission allait arriver; que, si l'Assemblée manquait de

pouvoirs, elle les retrouverait tous par cet acte volontaire. Vous donneriez donc ainsi la paix à votre patrie; vous éviteriez le dépérissement de la religion, vous assureriez sa splendeur et son empire; et vous êtes encore évêques ! Quand vous croyez que le bien public demande un sacrifice que saint Augustin faisait pour de moindres motifs, il est impossible que vous restiez sur votre siège dignes encore de le posséder. (Une grande partie de l'Assemblée applaudit à plusieurs reprises.)

Je me résume sur la demande en ajournement. De quoi est-il question? d'exécuter les décrets acceptés par le roi...

La nation a la faculté de recevoir ou non la religion catholique : elle l'a reçue; l'Assemblée nationale s'est formellement expliquée à cet égard. (Une partie de la droite murmure, le reste de l'Assemblée applaudit). Si cette religion sainte nous était inconnue, si des missionnaires venaient la prêcher parmi nous, leurs succès seraient rapides, et nous leur dirions : « Vous aurez des ministres, des évêques en tels lieux, des curés en tels lieux; voilà quels sont nos vœux, voilà quels seront vos droits. » Y aurait-il un seul de ces missionnaires, bien pénétré des devoirs de son ministère, qui refusât ces conditions? M. de Montesquiou a remarqué que c'était une grande faute d'appliquer à une question un droit d'une nature différente. En effet, si on venait devant les législateurs argumenter contre vos décrets de la jurisprudence des arrêts, vous repousseriez de semblables arguments, parce que vous avez le pouvoir constituant... On dit aux jurisconsultes-canonistes de cette Assemblée qu'ils se sont opposés à la réunion de quelques bénéfices sans le concours du pape. Mais la nation n'était pas assemblée, mais nous étions trop heureux de réclamer des formes et des règles pour nous opposer au despotisme... Je voudrais savoir si, quand on a déclaré le patronage laïcal un abus, on a appelé tous les patrons laïcs dans cette Assemblée ? (On applaudit.) Voyez combien d'avantages doivent résulter d'une décision prompte pour l'exécution d'une loi du royaume; voyez, s'il ne serait pas dangereux, pour ceux même qui s'opposent à son exécution, de différer la décision que vos comités vous demandent?

Qu'a-t-on dit dans toute cette discussion? On s'est perdu dans des divagations étrangères, dans des raisonnements inutiles auxquels il eût suffit de répondre un seul mot: ou détruisez les libertés de l'Eglise gallicane, ou reconnaissez que le pape ne peut avoir aucun pouvoir direct en France. Je demande qu'on aille aux voix sur-lechamp, que la priorité soit accordée au projet de décret du comité ecclésiastique, et refusée à celui de M. de Mirabeau, parce qu'il contient des dispositions superflues, inexcusables, injustes, et qu'il aurait le grand inconvénient de vous faire revenir sur vos décrets.

(On demande à aller aux voix.)

(La discussion est fermée à une grande majorité.)

M. de Cazalès. Le décret n'est pas assez clair. C'est un procédé extraordinaire que de fermer la discussion sur un ajournement quand un seul membre a été entendu...

(Une grande partie du côté gauche se lève et demande à aller aux voix.-M. de Cazalès insiste.)

M. Verchère. Je demande que, pour la pre

mière fois, M. de Cazalès respecte la volonté générale.

M. le Président. J'ai suivi l'ordre établi par le règlement. On a demandé que la discussion fût fermée; j'ai consulté l'Assemblée; j'ai prononcé le décret; il m'est impossible de mettre votre proposition aux voix.

M. de Cazalès. C'est un procédé très extraordinaire... (On interrompt par la demande d'aller aux voix.) J'ai donc l'honneur de vous observer, M. le président, que l'épreuve a paru douteuse à une grande partie de l'Assemblée; je demande qu'elle soit recommencée. Il est incroyable qu'on ferme la discussion après avoir entendu un seul opinant; c'est sur cette observation que je m'appuie en vous demandant de faire recommencer l'épreuve.

M. le Président. Je ne puis mettre votre prosition aux voix si l'Assemblée ne l'ordonne. J'ai prononcé le décret; les secrétaires et moi nous n'avons nul doute..... Cependant il serait possible que l'Assemblée en eût, et je vais la consulter.

M. de Foucault. Je n'ai pas plus de doute que les secrétaires; mais il y a deux propositions différentes 1° former la discussion sur le fond: elle est aplanie; 2° savoir si on la fermera sur l'ajournement: c'est ce qui reste à décider.

M. le Président consulte l'Assemblée, et la discussion est fermée sur l'ajournement.

M. Voidel. Les comités ayant remarqué quelque obscurité dans le projet de décret, nous en avons retouché la rédaction pour le rendre plus clair.

(On se dispose à mettre l'article 1er aux voix.)

M. l'évêque de.... Je déclare qu'il nous est impossible de prendre part à la délibration.

Plusieurs ecclésiastiques se lèvent en signe d'adhésion à cette déclaration.

Divers membres présentent des amendements et additions dont quelques-uns sont adoptés.

La partie droite de l'Assemblée ne délibère pas. Le projet de décret des comités, amendé par les différents votes, est ensuite adopté en ces ter

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Les évêques, les ci-devant archevêques et les curés conservés en fonction, seront tenus, s'ils ne l'ont pas fait, de prêter le serment auquel ils sont assujettis par l'article 39 du décret du 24 juillet dernier, et réglé par les articles 21 et 38 de celui du 12 du même mois, concernant la constitution civile du clergé en conséquence, ils jureront, en vertu de ce décret, de veiller avec soin sur les fidèles du diocèse ou de la paroisse qui leur est confiée, d'être fidèles à la nation, à la loi et au roi, et de maintenir de tout leur pouvoir la Constitution décrétée par l'Assemblée nationale et acceptée par le roi; savoir: ceux qui sont actuellement dans leurs diocèses ou leurs cures, dans la huitaine ; ceux qui sont absents, mais qui sont en France,

dans un mois ; et ceux qui sont en pays étrangers, dans deux mois, le tout à compter de la publication du présent décret.

Art. 2.

Les vicaires des évêques, les supérieurs et directeurs de séminaires, les vicaires des curés, les professeurs de séminaires et de collèges, et tous autres ecclésiastiques fonctionnaires publics, feront, dans les mêmes délais, le serment de remplir leurs fonctions avec exactitude, d'être fidèles à la nation, à la loi et au roi, et de maintenir de tout leur pouvoir la Constitution décrétée par l'Assemblée nationale et acceptée par le roi.

Art. 3.

Le serment sera prêté un jour de dimanche, à l'issue de la messe; savoir par les évêques, les ci-devant archevêques, leurs vicaires, les supérieurs et directeurs de séminaires, dans l'église épiscopale; et par les curés, leurs vicaires et tous autres ecclésiastiques fonctionnaires publics, dans l'église de leurs paroisses, et en présence du conseil général de la commune et des fidèles; à cet effet, ils feront par écrit, au moins deux jours d'avance, leurs déclarations au greffe de la municipalité, de leur intention de prêter le serment, et se concerteront avec le maire pour arrêter le jour.

Art. 4.

Ceux desdits évêques, ci-devant archevêques, curés et autres ecclésiastiques fonctionnaires publics qui sont membres de l'Assemblée nationale, et qui y exercent actuellement leurs fonctions de députés, prêteront le serment qui les concerne respectivement à l'Assemblée nationale dans la buitaine du jour auquel la fonction du présent décret y aura été annoncée; et dans la huitaine suivante, ils enverront un extrait de la prestation de leur serment à leur municipalité.

Art. 5.

Ceux desdits évêques, ci-devant archevêques curés, et autres ecclésiastiques fonctionnaires publics qui n'auront pas prêté, dans les délais déterminés, le serment qui leur est respectivement prescrit, seront réputés avoir renoncé à leur office, et il sera pourvu à leur remplacement comme en cas de vacance par démission, à la forme du titre second du décret du 12 juillet dernier, concernant la constitution civile du clergé; à l'effet de quoi le maire sera tenu, huitaine après l'expiration desdits délais, de dénoncer le défaut de prestation de serment; savoir de la part de l'évêque ou ci-devant archevêque, de ses vicaires, des supérieurs ou directeurs de séminaires, au procureur général syndic du département; et de celle du curé, de ses vicaires et des autres ecclésiastiques fonctionnaires publics, au procureur syndic du district; l'Assemblée les rendant garants et responsables les uns et les autres de leur négligence à procurer l'exécution du présent décret.

Art. 6.

Dans le cas où lesdits évêques, ci-devant archevêques, curés et autres ecclésiastiques fonctionnaires publics, après avoir prêté leur serment respectif, viendraient à y manquer, soit en refusant d'obéir aux décrets de l'Assemblée nationale, acceptés ou sanctionnés par le roi, soit en formant ou en excitant des oppositions à leur exécution, ils seront poursuivis dans les tribunaux de dis

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Opinion de M. l'abbé Maury sur la constitution civile du clergé, prononcée à la séance du soir.

(NOTA. Nous avons inséré plus haut la version mouvementée du Moniteur, mais nous avons pensé néanmoins qu'il y avait lieu de reproduire ici in-extenso le discours de M. l'abbé Maury.)

Messieurs, le calme profond avec lequel nous avons entendu hier le rapport et la discussion d'une cause, dans laquelle le clergé de France vous est dénoncé avec tant de rigueur, nous donne droit d'espérer que vous voudrez bien écouter aujourd'hui, avec la même attention et la même impartialité, les faits et les principes que nous venons invoquer dans ce moment pour notre légitime défense. Nous avons besoin que Votre neutralité la plus manifeste nous réponde ici de votre justice. On nous dit, de toute part, que nous venons mettre en question un parti pris irrévocablement; que notre sort est fixé par les conclusions de vos comités; que le decret est proclamé d'avance; que nous nous élevons inutilement contre une détermination invariablement adoptée et que la majorité de l'Assemblée nationale est impatiente de prononcer le fatal arrêt de suprématie qui doit reléguer tous les ecclésiastiques du royaume, entre l'apostasie et la proscription, entre l' indigence et le parjure.

La solennité de cette discussion nous place déjà devant vous, dans une situation d'autant plus périlleuse, qu'à l'infériorité ordinaire du 4T SERIE. T. XXI.

nombre, ce combat vient encore ajouter l'inégalité particulière des armes. Nos adversaires nous attaquent avec des principes philosophiques; et ils nous invitent à leur opposer les moyens que la théologie nous fournit. Hélas! Messieurs, cette science divine aurait dû être toujours étrangère, sans doute, à cette tribune; mais, puisqu'elle y est interrogée aujourd'hui, vous pardonnerez du moins à la nécessité qui nous obligera de vous parler son langage pour éclairer votre justice.

Remontons d'abord à l'origine de cette contestation. Cette chaîne de faits doit nous conduire à l'époque où vos délibérations ont excédé vos pouvoirs, et ont signalé votre incompétence.

Au moment où l'on nous dit, pour la première fois dans cette Assemblée, que la constitution du clergé allait devenir l'objet de vos travaux, nous prévîmes que cette prétendue organisation civile serait, pour les ministres de l'Eglise, un véritable code spirituel, et nos craintes n'ont été que trop justifiées. M. l'évêque de Clermont que nous choisimes, dès lors, pour organe, vous renouvela l'hommage de notre respectueuse déférence pour vos décrets purement temporels; mais après avoir ainsi acquitté notre dette comme citoyens, nous vous déclarâmes, par sa bouche, que la juridiction ecclésiastique vous étant absolument étrangère, il nous serait impossible d'adhérer et même de participer à aucune délibération relative aux droits et à la discipline de l'Eglise. Nous avons été fidèles à cet engagement solennel; et nous nous sommes imposé le silence le plus absolu, durant le cours de ces discussions, qui blessaient tous nos droits en attaquant tous les principes.

Le même prélat, qui vous notifia si loyalement nos motifs et nos moyens de récusation, ajouta que si la nation nous demandait de salutaires réformes, le clergé de France s'y prêterait avec zèle, pourvu qu'il lui fût permis d'y procéder, suivant les formes canoniques. Pour y parvenir, il vous offrit aussitôt, en notre nom, la convocation d'un concile national; et cette proposition si régulière, que vous ne daignâtes pourtant pas discuter, fut repoussée par l'improbation la plus soudaine et la plus éclatante. Il ne nous restait plus alors qu'une seule route canonique à suivre. Nous y entrâmes aussitôt en invoquant le recours ordinaire au chef vis ble de l'Eglise; à ce pontife si exact et si modéré que le trône a montré encore plus grand, tandis qu'il rabaisse toujours les homines vulgaires; à cet illustre émule de Benoit XIV, que l'éminence de ses vertus, l'intégrité éclairée de ses principes, et la haute réputation de sagesse et de prévoyance dont il jouit dans toute l'Europe rendent également digne de votre confiance et de la nôtre dans une cause dont la discipline de l'Eglise lui défère la décision. Le pape est en effet le chef suprême et l'organe de l'Eglise universelle, le defenseur ordinaire des saints canons, et le réformateur légitimne des abus qui s'introduisent dans le gouvernement ecclésiastique. Vous ne vous expliquâtes point alors, Messieurs, sur cette forme légale que nous avions solennellement réclamée; et sans nous déclarer si votre intention était de procéder d'une manière définitive, ou purement préparatoire, à la nouvelle constitution du clerge, vous la réglâtes promptement sans être arrêtés par aucune opposition, ni même par aucune représentation qui eût été dans notre bouche un dangereux aveu de votre compétence. La voix publique nous apprit ensuite que le roi avait sanctionné vos décrets vers la fin du mois d'août, mais qu'il les avait

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adressés au souverain pontife, dont l'intervention était nécessaire pour les rendre exécutoires en les munissant du sceau de l'autorité pontificale. Nous avons attendu avec la plus religieuse résignation la décision du vicaire de Jésus-Christ, dont nous avions invoqué nous-mêmes la juridiction, conformément aux règles invariablement suivies dans l'Eglise de France depuis plusieurs siècles.

La réponse du Saint-Père Pie VI, que la France aurait du choisir pour arbitre, si la Providence ne nous l'avait désigné pour juge, n'est point encore parvenue au roi, et ce délai ne doit point nous surprendre. Le souverain pontife n'a reçu la lettre de Sa Majesté que dans le mois de septembre. Or, les congrégations de la cour de Rome vaquent toujours durant les mois de septembre et d'octobre; et ce n'est par conséquent que depuis la Toussaint que les conseils ordinaires du Saint-Siège ont pu reprendre leur activité. L'important examen d'une constitution qui détruit et renouvelle toute l'organisation du clergé de France, exige évidemment un intervalle dilatoire, dans une cour surtout qui ne précipite jamais ses déterminations et dont la lente et profonde sagesse est toujours soumise aux délais qu'exige nécessairement une discussion vaste et approfondie. Personne n'ignore que Sa Sainteté a déjà formé, d'après les instances du roi, une congrégation extraordinaire de cardinaux. Chacun de ces commissaires apostoliques, profondément versé dans l'étude de l'histoire de l'Eglise et du droit canon, s'environne de plusieurs théologiens qui forment son conseil particulier; et il apporte ensuite le résultat de ces conférences, en tribut au sénat auguste présidé par le souverain pontife, qui compose sa décision suprême de toutes ces opinions savantes destinées à répandre la lumière sur les questions soumises à son jugement.

Telle est la marche ordinaire que le chef visible de l'Eglise suit dans toutes ses délibérations lorsqu'elles intéressent la société chrétienne. Ce ne sera pas sans doule dans une occasion si importante et dans une matière si compliquée et si difficile, que le successeur de saint Pierre s'affranchira des précautions ordinaires de sa sagesse. Il ne faut donc pas que l'impatience naturelle que l'on reproche à notre nation refuse au Saint-Siège le temps nécessaire à la maturité de cet examen. On ne va pas si vile quand on ne doit jamais revenir sur ses pas. Mais pour rassurer les esprits inquiets, qui, n'ayant jamais réfléchi, ne pardonnent pas, et peut-être même ne conçoivent pas la réflexion,j'observerai, Messieurs, que le pape, à qui le divin auteur de la religion chrétienne a déféré une prééminence d'honneur et de juridiction dans toute l'Eglise, ne peut prendre que trois différents partis dans cette circonstance. Voici, en effet, les expédients exclusifs auxquels sa sagesse est réduite. Ou Sa Sainteté ne répondra point; ou elle acceptera purement et simplement la proposition du roi; ou enfin elle ne croira pas devoir consacrer vos decrets du sceau de son autorité.

Il est impossible de supposer que le pape ne réponde rien. Les égards qu'il doit à une si grande nation, à une portion si précieuse de I'Eglise catholique dont il est le chef, nous sont un sur garant de l'extrême intérêt avec lequel il examine, dans ce moment même, tous les moyens de concilier, autant qu'il est en son pouvoir, le vœu de la majorité de cette Assemblée, avec sa conscience, son honneur et ses

principes. Sa Sainteté éludera d'autant moins une explication, en réduisant son éminente dignité à un ministère purement passif qui nous laisserait en butte aux plus grands dangers, que son silence serait, aux yeux de l'Europe, une approbation. Il paraîtrait bien extraordinaire, et sans doute bien indécent, que le roi, ayant consulté et requis le Saint-Siège, on n'attendit pas une réponse, qui, dans les formes ordinaires, n'a pas encore pu lui parvenir.

Si le chef de l'Eglise devait accepter purement et simplement la demande qui lui est adressée relativement au clergé de France, ce moyen doux, légal, pacifique, religieux, ne serait-il pas préférable aux voies de rigueur que l'on vous propose? Quelle étrange manière d'opérer une réforme, que de la commencer par une persécution! Ces convulsions tyranniques, ces remèdes violents et extrêmes, qui sont aux yeux de tous les partis le plus grand des malheurs, ne doivent-il pas être, au jugement même de nos adversaires, la dernière des ressources? Quels justes et éternels reproches n'auriez-vous pas à faire si, par je ne sais quelle misérable ostentation d'auiorité, vous préfériez un bouleversement, qui ne ferait que des victimes, à de sages tempéraments qui termineraient tous les débats, en conciliant tous les esprits? Ah! Messieurs, qu'un homme dont le pouvoir est toujours précaire et passager, doute de sa force, et qu'il se hâte de mettre sa volonté à la place de sa raison, je le conçois; mais qu'une nation, dont la puissance est permanente et éternelle, craigne d'associer le temps, ce grand conseiller des hommes, à l'exécution de ses desseins, pour les accomplir sans secousse et sans obstacle, c'est une pusillanime précipitation, une honteuse méfiance indigne des représentants d'un grand peuple, qui doivent toujours ménager l'opinion, mêine en opérant le bien; parce que, pour des législateurs, la patience est le courage, et la sagesse le génie.

Enfin, si le pape refuse d'approuver vos projets, vous pèserez ses raisons dans votre justice; et il sera temps alors de délibérer sur une résolution définitive, qui, dans les règles communes de la prudence, ne doit jamais être un expédient provisoire.

Quant à nous, Messieurs, qui vous avons solennellement déclaré, depuis plus de cinq mois, par l'organe de M. l'évêque de Clermont, non seulement que nos principes ne permettraient pas, en matière spirituelle, d'adhérer à nos nouveaux décrets relatifs au clergé, mais que nous n'y prendrions même aucune part, et que nous nous interdirions jusqu'à la discussion de votre plan, vous ne devez pas être surpris, sans doute, que nous ne puissions pas, sans l'intervention de l'Eglise, concourir aujourd'hui à son exécution. Notre commune résolution vous a été notifiée dans cette tribune, et vous ne l'avez point désapprouvée. Vous avez donc pu prévoir notre réponse, depuis que vous avez connu nos réser ves légales. Il serait bien étrange, sans doute, que les mêmes orateurs, qui n'ont pas osé combattre nos moyens de récusation dans le mois de juin, fussent assez inconséquents et assez injustes, pour nous en faire un crime dans le mois de novembre.

S'il faut en croire nos adversaires (car nous en avons et beaucoup parmi nos juges), ce refus de notre adhésion est purement arbitraire. C'est une aveugle jalousie de puissance qui nous égare, et nous compromettons, sans aucun véritable intérêt, la tranquillité publique dans tout

le royaume. Il nous importe donc, Messieurs, d'écarter d'abord cette objection tantrebattue dans le rapport amical et conciliatoire de M. Voidel, renforcé de toute la théologie de M. de Mirabeau. Nous sommes impatients de vous révéler cet intérêt vraiment noble, puisqu'il est fondé sur le devoir, cet intérêt national, cet intérêt religieux, qui commande aujourd'hui notre résistance. Si les murmures, qui m'interrompent dans ce moment, me décèlent d'avance votre opinion, où est donc votre impartialité judiciaire? S'ils m'avertissent au contraire de prouver ce que j'avance, ils sont prématurés; car il faut bien que j'énonce ma proposition, avant d'en fournir la preuve. La justice et l'humanité vous prescrivent cette patience de discussion, que le seul ordre naturel des idées me donnerait le droit d'attendre de vous, si la bienséance ne suffisait pas pour vous forcer d'écouter les victimes que l'on veut vous faire immoler, sans leur montrer une colère qui pénètre d'horreur, quand elle est jointe à l'autorité suprême. Je vais donc prouver que nous ne sommes pas sans intérêt, dans l'opposition légale et suspensive que nous avons manifestée. Eb! Messieurs, vous renverserez d'un souffle tous ces obstacles, qui vous irritent. La toute puissance que vous avez usurpée ne doit done pas nous empêcher d'élever devant vous les barrières de la raison, puisque vous avez d'avance la certitude de les franchir.

Oui, Messieurs, il est un intérêt noble, que nous pouvons avouer hautement, un intérêt que la loi sacrée du dépôt met pour nous au rang des devoirs, un intérêt qui se lie à la perpétuité de la foi dans cet Empire, l'intérêt de la stabilité de nos places, et de l'inamovibilité de nos titres. C'est une dette que nous avons contractée envers nos successeurs, lorsque nous avons reçu notre institution canonique. Je le répète donc, avec toute l'intrépidité de la conviction la plus intime, et en portant à tous mes adversaires le défi de me répondre, je ne dis point par des murmures insignifiants, mais par des raisons plausibles: il est de l'intérêt de la religion, il est de l'intérêt des peuples eux-mêmes, que les ecclésiastiques n'obtempèrent point, sans le concours de la puissance spirituelle, à vos nouveaux décrets relatifs au clergé. L'intérêt de la religion est, sans doute, que la chaîne apostolique des pasteurs se perpétue dans ce royaume, auquel sa primogéniture, dans l'ordre de la foi, donne un rang si éminent parmi les autres empires chrétiens. Or, comment s'y perpétuerait-elle, si le ministère pastoral était amovible; s'il reposait sur des bases toujours vacillantes; si les liens sacrés des familles spirituelles, entre le pasteur et le troupeau, étaient dissolubles au gré des puissances temporelles; si l'on pouvait exclure arbitrairement des églises les évêques et les curés, qu'une institution canonique et régulière y a placés? Que deviendrait enfin la discipline de l'église chrétienne, si vous pouviez, sans consulter aucune de ses règles, renverser un siège épiscopal, que votre seule autorité n'a point établi, et destituer ainsi des ministres de la religicn, que vous n'avez jamais institués ?

Icí, Messieurs, pour mieux découvrir ces contradictions qui démontrent votre incompétence, remontons à l'origine de la puissance législative qui appartient à l'Eglise. Le divin fondateur de la société chrétienne a nécessairement conféré à ses apôtres et à leurs successeurs l'autorité nécessaire à sa perpétuité; le pouvoir de prêcher la doctrine qu'il avait enseignée; d'administrer les

sacrements qu'il avait établis; d'instituer les ministres qu'il avait chargés de ces fonctions sacrées, et par conséquent, le droit de déterminer le territoire de leur juridiction, puisque cette mission est la mesure de leurs devoirs; enfin la faculté de faire des lois et des règlements indispensables pour développer le véritable esprit de la religion.

De la naissent et la nécessité de la discipline, et la compétence exclusive de l'Eglise qui peut seule en rédiger le code sacré. Ce serait une hérésie en théologie, et une absurdité en droit public, que de méconnaître en ce genre son autorité législative, puisque, sans cette prérogative incontestable, il lui serait impossible de gouverner la société des fidèles. L'abbé Fleury a démontré, dans son septième discours sur l'histoire ecclésiastique, que le droit d'établir des canons, ou des règles de discipline, était un droit essentiel, ou plutôt inhérent à l'Eglise, qui en a joui sous les empereurs païens; et ce droit ne peut lui être ôté par aucune puissance.

Quand on a argumenté, dans cette tribune, contre l'autorité de la discipline ecclésiastique, en prouvant qu'elle n'était point invariable, on n'a point abordé le véritable état de la question, on ne l'a pas même bien compris. Il fant distinguer en effet les principes de la discipline, des points particuliers de discipline. Par exemple, il est des points fondamentaux de discipline établis par Jésus-Christ lui-même, tels que la primauté d'honneur et de juridiction qui appartient au pape, dans toute l'Eglise, la supériorité des évêques sur les prêtres et sur les autres ministres inférieurs du culte. Ces points de discipline ne peuvent jamais être changés dans ce qui leur est essentiel; et aucun canon ne saurait briser légitimement ces grands ressorts de la hiérarchie ecclésiastique. Mais la manière dont la juridiction du souverain pontife et l'autorité des évêques doivent être exercées, peut être déterminée par l'Eglise, relativement aux temps, aux lieux el aux personnes; et l'Eglise a toujours usé de ce droit qu'elle a reçu de Jésus-Christ, dans les conciles où elle a déployé la plénitude de sa puissance; d'où il résulte que les points particuliers de discipline peuvent varier, ou du moins être différeinment modifiés, au lieu que ses principes généraux sont invariables.

La tradition seule conserva d'abord ces premières règles de discipline qui furent ensuite écrites, sous le nom de canons des apôtres et de constitutions apostoliques. L'un des objets les plus importants de cette administration sacrée a toujours été, pour l'ordre pastoral, la déterinination et le partage des juridictions et des territoires. Ne remontons pas, pour nous en convaincre, à cette première antiquité où nous verrions des évêques qui, après avoir éclairé du flambeau de la révélation, les peuples plongés dans les ténèbres de l'idolâtrie, établissaient avec l'applaudissement de toutes les églises, des chaires épiscopales dans toutes les contrées qu'ils avaient conquises à la foi. Ce n'est point à l'époque de ces grandes conquêtes spirituelles, ce n'est qu'après la propagation de la religion chrétienne, dans le quatrième siècle, que l'ordre commun du gouvernement de l'Eglise a pu être détermine. A peine les successeurs des apôtres ont-ils ainsi étendu l'empire de leur divin maître, qu'ils se hâtent d'en régler l'administration par l'autorité des lois; et aussitôt nous voyons dans les conciles les canons qui désignent les villes épiscopales et les cités métropolitaines et patriarchales.

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