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DISCOURS PRÉLIMINAIRE.

PREMIÈRE PARTIE.

RÉFLEXIONS GÉNÉRALES SUR LES AVANTAGES DE LA BONNE ÉDUCATION.

L'UNIVERSITÉ de Paris, fondée par les rois de France pour travailler à l'instruction de la jeunesse, se propose, dans cet emploi si important, trois grands objets, qui sont la science, les mœurs, la religion. Elle songe premièrement à cultiver l'esprit des jeunes gens, et å l'orner par toutes les connoissances dont ils sont alors capables. Ensuite elle s'applique à rectifier et à régler leur cœur par des principes d'honneur et de probité, pour en faire de bons citoyens. Enfin elle tâche d'achever et de perfectionner ce qu'elle n'a fait qu'ébaucher jusque-là, et elle travaille à mettre pour ainsi dire le comble à son ouvrage, en formant en eux l'homme chrétien.

C'est-lå le but que se sont proposé nos rois en établissant l'Université : et c'est aussi l'ordre des devoirs qu'ils lui ont eux-mêmes prescrits dans les divers réglements qu'ils lui ont donnés pour la mettre en état de répondre à leurs vues. Celui de Henri IV de glorieuse mémoire commence par ces mots : « La félicité des «< royaumes et des peuples, et surtout d'un Etat chré« tien, dépend de l'éducation de la jeunesse, où l'on a << pour but de cultiver, de polir par l'étude des sciences,

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« l'esprit encore brut des jeunes gens; de les disposer « ainsi à remplir dignement les différentes places qui « leur sont destinées; sans quoi ils seroient inutiles à « la république; enfin de leur apprendre le culte religieux et sincère que Dieu exige d'eux, l'attachement << inviolable qu'ils doivent à leurs pères et mères et à << leur patrie; le respect et l'obéissance qu'ils sont obli«gés de rendre aux princes et aux magistrats. » Cum omnium regnorum et populorum felicitas, tum maximè reipublicæ christianæ salus, à rectâ juventutis institutione pendet: quæ quidem rudes adhuc animos ad humanitatem flectit; steriles alioquin et infructuosos reipublicæ muniis idoneos et, utiles reddit, Dei cultum, in parentes et patriam pietatem, erga magistratus reverentiam et obedientiam promovet.

Nous allons examiner chacun de ces trois objets en particulier, et nous tâcherons de montrer combien il est nécessaire de les avoir toujours en vue dans l'éducation des jeunes gens.

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PREMIER OBJET.

DE L'INSTRUCTION.

Avantage de l'étude des beaux-arts et des sciences pour former l'esprit.

POUR concevoir une juste idée de l'importance des fonctions de ceux qui sont destinés à apprendre aux jeunes gens les langues, les belles-lettres, l'histoire, la rhétorique, la philosophie, et les autres sciences qui conviennent à cet age, et pour connoître combien de telles études peuvent contribuer à la gloire d'un royaume, il ne faut que considérer la différence que les bonnes études mettent non-seulement entre les particuliers, mais aussi entre les peuples.

Les Athéniens n'occupoient pas un fort grand terrain dans la Grèce : mais jusqu'où leur réputation ne s'étendit-elle point? En portant les sciences à leur perfection, ils portèrent leur propre gloire à son comble. La même école forma des hommes rares en tout genre. De là sortirent les grands orateurs, les fameux capitaines, les sages législateurs, les habiles politiques. Cette source féconde répandit les mêmes avantages sur tous les beaux-arts, qui semblent y avoir le moins de rapport la musique, la peinture, la sculpture, l'architecture. Elle les rectifia, les ennoblit, les perfectionna : et comme s'ils étoient sortis de la même racine, et nourris de la même sève, elle les fit tous fleurir en même temps.

Rome, devenue la maîtresse du monde par ses victoires, en devint l'admiration et le modèle par la beauté des ouvrages d'esprit qu'elle produisit presque en tout genre et par-là elle s'acquit sur les peuples qu'elle avoit soumis à son empire une autre sorte de supé ricrité, infiniment plus flatteuse que celle qui ne vient que des armes et des conquêtes.

L'Afrique, autrefois si fertile en beaux esprits et en grandes lumières, est tombée, par l'oubli des belleslettres, dans une stérilité entière, et même dans la barbarie, dont elle porte le nom, sans que pendant le cours de tant de siècles elle ait produit un seul homme qui se soit distingué par quelque talent, et qui ait fait ressouvenir du mérite de ses ancêtres, ou qui s'en soit souvenu lui-même. On en peut dire autant de l'Egypte en particulier, qui avoit été considérée comme la source de toutes les sciences.

Le contraire est arrivé parmi les peuples de l'occident et du septentrion. Ils ont été long-temps regardés comme grossiers et barbares, parce qu'ils étoient sans goût pour les ouvrages d'esprit. Mais aussitôt que les bonnes études y ont pénétré, ils ont donné de grands hommes qui ont égalé en toute sorte de littérature et de profession ce que les autres nations avoient eu de plus solide, de plus éclairé, de plus profond et de plus sublime.

On voit tous les jours qu'à mesure que les sciences passent chez de nouveaux peuples, elles les transforment en d'autres hommes; et qu'en leur donnant des inclinations et des mœurs plus douces, une police mieux réglée, des lois plus humaines, elles les tirent de l'obscurité où ils avoient langui jusque-là, et de la grossiéreté qui leur étoit naturelle. Ils deviennent

ainsi une preuve évidente que dans les différents climats les esprits sont à peu près les mêmes; que les sciences seules y mettent une si honorable distinction; que selon qu'elles sont ou cultivées ou négligées, elles élèvent ou rabaissent les nations; qu'elles les tirent des ténèbres, ou les y replongent, et qu'elles semblent décider de leur destinée.

Mais, sans parcourir l'histoire, il suffit d'ouvrir les yeux sur ce qui se passe dans la nature. Elle nous montre la difference infinie que la culture met entre deux terres, d'ailleurs assez semblables : l'une, parce qu'elle est abandonnée, demeure brute, sauvage, hérissée d'épines; l'autre, remplie de toute sorte de grains et de fruits, ornée d'une agréable variété de fleurs, rassemble dans un petit espace tout ce qu'il y a de plus rare, de plus salutaire, de plus délicieux, et devient par les soins de son maître un heureux abrégé de toutes les beautés des saisons et des régions différentes. Il en est ainsi de notre esprit, et nous sommes toujours payés avec usure du soin que nous prenons de le cultiver. C'est ce fonds que tout homme qui sent la noblesse de son origine et de sa destinée est chargé de mettre en valeur; ce fonds si riche et si fertile, si capable de productions immortelles, et seul digne de toute son attention.

dit

En effet, l'esprit se nourrit et se fortifie par les sublimes vérités que l'étude lui fournit. Il croît et gran. pour ainsi dire avec les grands hommes dont il étu. die les ouvrages, de même qu'on prend les manières et les sentiments de ceux avec qui l'on vit ordinairement. Il se pique, par une noble émulation, d'atteindre

Nihil est feracius ingeniis, iis præsertim quæ disciplinis exculta sunt. Cic. Orat. n. 48.

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