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universelle ; on y regardera donc comme crimes de haute-trahison,, une multitude d'actes qui ailleurs seroient à peine remarqués, et pour que le despote règne en repos, il deviendra nécessaire de convertir en délits publics tout mouvement qui peut interrompre, seulement quelques heures, le silence de mort dans lequel chacun doit demeurer comme enseveli.

Sous le despotisme de plusieurs, et par tout où règne une aristocratie dont la sévérité n'est pas tempérée par des formes populaires, les crimes de haute-trahison sont aussi très-nombreux. L'aristocratie, comme l'a trèsbien remarqué Montesquieu, est de sa nature ombrageuse et jalouse. Les membres de cette espèce de gouvernement, étant peu distingués dans la vie privée de ceux qu'ils gouvernent, craignent sans cesse que de l'examen de leurs personnes on ne passe à l'examen de leur autorité. Là, le pouvoir sera donc protégé par une inquisition toujours agissante qui surveillera, pour ainsi dire, jusqu'à la pensée, et les crimes d'État se trouveront d'autant moins limités, que l'aristocratie sera plus/ mauvaise.

Les choses arrivent autrement dans la république bien constituée et dans la véritable

monarchie. Dans ces deux espèces de gouvernemens, les peuples sont heureux; et attendu que la plus forte tendance de l'homme est au repos, et qu'il ne s'agite jamais que parce qu'il n'en jouit pas, ou qu'il le cherche, les révolutions n'y sont pas à craindre. Je ne conçois rien de paisible, rien de difficile à mouvoir comme un peuple satisfait de son sort, et uniquement gouverné par la confiance. Là, presque tous les délits seront donc privés, parce qu'il y aura peu d'actions qui puissent exciter une fermentation contagieuse, et les crimes de haute-trahison seront en d'autant plus petit nombre, qué le gou vernement se rapprochera davantage, si je peux me servir de ce mot, de la conscience de chacun des gouvernés.

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Il me semble que toutes ces idées sont vraies. Or, si elles sont vraies, je crois que je puis hardiment en conclure, que la liste plus ou moins étendue des crimes de hautetrahison, dans un gouvernement, est une preuve non équivoque des vices où de la bonté de ce gouvernement; que multiplier les crimes de haute-trahison, c'est diminuer d'autant la liberté ; que tout législateur qui multiplie les crimes de ce genre, annonce, par cela seul, qu'il ne sait pas ce que c'est

de

que la liberté ou qu'il ne la veut pas ; que plus, il annonce encore, que lui-même, il se défie de la sagesse de ses propres institutions, et qu'il ne connoît pas le grand art de leur donner la raison pour base (la raison qui rend toujours l'homme si tranquille), puisqu'il éprouve le besoin de les environner d'une sorte de terreur afin de les rendre durables.

Cela posé, je voudrois rechercher quelles bornes il faut assigner aux accusations de haute-trahison dans la république et dans la monarchie, c'est-à-dire, dans les deux seules espèces de gouvernemens libres qui puissent

exister.

Au fond les principes de ces deux gouvernemens sont les mêmes, parce qu'il n'y a pas deux manières de gouverner les hommes pour les rendre libres et heureux. La seule différence qu'il y ait entre l'un et l'autre, c'est que dans la république, le pouvoir est confié à un ou plusieurs chefs amovibles, et que, dans la monarchie, il repose dans les mains d'un prince électif, si la monarchie est élective, ou d'un prince héréditaire, si la monarchie est héréditaire ; d'ailleurs, dans tous les deux, les principes sur l'ordre judiciaire, sur la puissance législative, sur la nécessité

de son partage, sur la résistance à ses entreprises, sur les moyens de contenir le pouvoir exécutif, sur la force qui assure le maintien et l'exécution des loix, sont absolument semblables. Les effets moraux qui doivent résulter de cette similitude presque entière d'organisation ne sauroient donc différer beaucoup entre eux. Ici, comme là, ce sera donc à-peu-près dans les mêmes limites qu'il faudra resserrer les crimes de hautetrahison.

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Or, puisque je viens de démontrer qu'on ne doit appeler crimes de haute-trahison ou de lèse-nation, que les délits qui compromettent l'existence d'une nation il ne faut plus que rechercher maintenant en combien de manières l'existence d'une république ou d'une monarchie bien constituée peut être compromise, pour déterminer la liste précise des crimes de haute-trahison ou de lèze-nation dans l'un et l'autre gouvernement.

J'avoue, qu'après avoir long-temps médité sur ce sujet, je trouve qu'il n'y a que deux espèces de délits qui me paroissent pouvoir compromettre l'existence d'une république, bien constituée, et qu'à ces deux espèces de délits il faut en joindre seulement une troisième quand il s'agit d'une monarchie qu'on

suppose également bien constituée. Voici ces délits.

En premier lieu, la conspiration contre L'État. J'appelle conspiration contre l'État, tout acte ayant pour objet déterminé de renverser la constitution de l'État, soit par des moyens violens, soit par des moyens dè corruption. Il n'est pas besoin de prouver qu'un délit de cette espèce compromet l'existence d'un peuple.

En second lieu, l'abus de puissance de la part des agens du pouvoir exécutif. J'appelle abus de puissance de la part des agens du pouvoir exécutif, tout acte d'administration qui compromet la liberté politique ou la liberté individuelle, et sous cette acception se trouve compris, d'abord le divertissement des fonds publics à d'autres objets qu'à ceux auxquels ils sont destinés attendu que, si un tel divertissement pouvoit être toléré, les agens du pouvoir exécutif auroient de grands moyens pour détruire la liberté politique; ensuite l'emploi de la force publique hors de la direction de la loi, attendu que toutes les fois que la force publique est ainsi dirigée, elle porte facilement atteinte ou à la liberté politique ou à la liberté individuelle. On voit clairement

ici

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