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444 4. Si l'on voulait encore d'autres preuves de cette vérité, il serait facile de les faire ressortir des motifs qui ont porté nos législateurs modernes à proscrire les substitutions en France.

Les substitutions ont été prohibées parmi nous à cause des énormes abus qu'on avait remarqué, sous l'ancien ordre de choses, en être la suite nécessaire: elles étaient contraires aux intérêts du trésor public, en ce que le grevé n'étant toujours propriétaire que sous une condition résoluble, et le substitué n'ayant jamais qu'une simple expectative du vivant du grevé, les biens substitués se trouvaient frappés d'inaliénabilité et placés hors du commerce: elles étaient contraires à l'ordre public, en ce qu'elles dérogeaient à celui des successions, et que, comblant de richesses un seul enfant de la même famille, elles laissaient souvent les autres dans un état voisin de l'indigence: elles étaient contraires aux progrès de l'agriculture, toujours plus faiblement exercée sur les grandes masses de biens que sur les propriétés qui sont plus divisées elles étaient abusives encore, en ce qu'il n'était pas rare de voir des personnes grevées de substitutions, jouissant de grandes richesses, et par conséquent d'un grand crédit, mourir néanmoins dans un état d'insolvabilité envers leurs nombreux créanciers. Or, tous ces inconvéniens ne peuvent être la suite que des substitutions faites dans l'ordre des successions, et il n'en est aucun qui se rattache à la disposition par laquelle un légataire serait chargé de rendre à jour certain et après

un délai déterminé; donc ce n'est pas cette dernière espèce de disposition qui est prohibée. 445. Lorsqu'il s'agit d'une substitution faite suivant l'ordre successoral, dans les cas où elle est permise, il suffit que le substitué soit capable de recueillir au moment du décès du grevé, puisqu'elle peut avoir lieu tant au profit des enfans qui sont déjà nés, qu'à celui de ceux qui sont encore à naître : il n'en est pas de même dans le cas du legs fait avec charge de rendre à une époque certaine; ici le légataire appelé en second ordre doit être déjà existant et capable au jour du décès du testateur, puisqu'il est saisi de son droit de créance dès cet instant.

TROISIÈME HYPOTHESE.

446. Supposons actuellement qu'une disposition en usufruit soit faite dans les termes précis de la substitution suivant l'ordre successoral; que, par exemple, un testateur ait légué l'usufruit de son domaine à CAIUS, à charge par lui de le conserver pendant sa vie, et de le rendre, après son décès, à SEMPRONIUS, en cas de survie de la part de celui-ci : une telle disposition seraitelle nulle, ou devrait-elle obtenir quelques effets?

Si une disposition ainsi conçue avait pour objet la propriété même du domaine, il est hors de doute qu'elle serait nulle, comme tombant sous la prohibition du code; mais on en doit juger autrement dans le cas où elle ne porte que sur un droit d'usufruit, parce que ce droit n'est

pas

pas susceptible d'être l'objet d'une substitution faite suivant l'ordre des successions.

Pour mieux établir cette vérité, remarquons d'abord que, si notre législation actuelle prohibe, en général, les substitutions fideicommissaires, dans le sens expliqué plus haut, cette prohibition ne porte pas sur les mots, mais bien sur les choses, et sur les choses seulement; qu'en conséquence une disposition dont l'exécution emporterait les effets d'une substitution, n'en serait pas moins prohibée et nulle, lors même qu'on aurait voulu la déguiser sous une autre dénomination comme dans le cas contraire, on ne pourrait faire prononcer la nullité d'une disposition qui ne porterait que le nom de la substitution, si elle n'en avait pas réellement les effets; éclaircissons cette double assertion par des exemples.

447. Dans la donation entre-vifs, le donateur peut stipuler le droit de retour de l'héritage donné, en cas de prédécès du donataire; mais ce droit ne peut être réservé qu'au profit du donateur lui-même (951); et s'il était stipulé au profit d'un tiers et dans l'ordre successoral, la disposition serait nulle, parce qu'on aurait voulu lui donner les effets de la substitution, quoiqu'on ne lui en eût aucunement donné la dénomination.

448. Dans la constitution d'une rente viagère, donnée ou léguée au profit de l'un, avec clause de réversion ou substitution au profit d'un autre qui serait appelé à en jouir après la mort du premier rentier, nous trouvons au contraire les

TOM. II.

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termes de la substitution, et nous ne pouvons néanmoins y voir qu'un droit de pension établi sur plusieurs têtes, comme la loi le permet (1972). Mais pourquoi, dans ce dernier cas, le legs est-il valable? C'est que la loi ne défend que la disposition par laquelle le premier qui reçoit, est chargé de conserver la chose qui lui est donnée et de la rendre à un tiers, ce qui ne peut être dans la constitution d'une rente viagère établie sur plusieurs têtes, puisque le droit en est intransmissible: d'où il faut conclure que le droit d'usufruit, qui est également intransmissible, peut être de même établi sur plusieurs têtes, sans que la disposition tombe sous la prohibition de la loi, lors même qu'elle serait conçue dans les termes de la substitution. Rapprochons ces raisonnemens des textes du code. 449. L'article 896 porte que « toute disposition >> par laquelle le donataire, l'héritier institué ou » le légataire sera chargé de conserver et de » rendre à un tiers, sera nulle. » Il faut donc qu'il y ait charge de rendre imposée à l'un au profit de l'autre; il faut donc que le premier appelé qui accepte la chose léguée avec charge de la rendre, soit d'abord saisi de toute cette chose et qu'il doive ensuite la transmettre au second appelé, quand les droits de celui-ci seront ouverts; or cela est impossible dans un legs d'usufruit, puisque le droit d'usufruit est intransmissible dans l'ordre des successions, d'un usufruitier à un autre, ainsi que nous l'avons démontré plus haut (1): donc il ne peut y avoir

(1) Voy. sous les n. g, 15, 16 et 310.

dans ce legs que l'apparence, et non véritablement la charge de rendre.

450. Pour qu'il y ait substitution fideicommissaire, il faut que le substitué ne doive pas recevoir la chose directement du testateur, mais par une personne interposée; or cela est impossible lorsque le legs n'a pour objet qu'un droit d'usufruit, et que le premier légataire doit le conserver jusqu'à sa mort, parce qu'alors il se trouve éteint, et qu'en conséquence il ne peut être restitué par ses héritiers.

Lorsqu'il s'agit d'un legs de propriété fait avec charge de rendre, une fois que l'héritier en a fait la delivrance, il a par là même acquitté toute sa dette, et il ne peut plus y avoir, à l'avenir aucune action à exercer contre lui: mais le légataire appelé en premier ordre, ou le grevé qui reçoit la délivrance du fonds, contracte l'obligation personnelle de le rendre au substitué, puisqu'il ne l'accepte qu'à cette condition; et quand le fideicommis s'ouvre par sa mort, ses héritiers qui sont tenus de remplir toutes ses obligations et qui se trouvent en possession de la chose, restent seuls passibles de l'action en restitution, le substitué est en droit d'intenter contre eux, que afin d'avoir, à son tour, la remise du fonds. Pour bien définir cette action, on doit dire qu'elle est ce que les Romains appelaient actio personalis in rem scripta: elle est, en effet, personnelle en ce que les héritiers contre lesquels on agit sont tenus du fait du défunt qui s'était personnellement obligé à rendre: elle est in rem scripta, puisque la charge du fideicommis est une charge

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